Chapitre 20: Le passé de Medgardt: Soutien Essentiel

Une main trapue tapota soudain au carreau à une lucarne. Medgardt était dans une pièce carrée où on faisait des travaux artistiques, juste en dessous du Dormitorium, au première étage.
Le bruit se répercuta jusque dans sa tête. Lorsque il ouvrit l'issue, Ogrisha entra directement puisque la salle donnait directement sur la Voie Royale, un large sourire aux lèvres et ses grands yeux de grise perle happés par la lumière. Il lui agrippa délicatement l'épaule, la massant inconsciemment. Cela détendit sa tristesse et lui fit décocher un sourire, même s'il n’y arrivait plus trop en ce moment à le faire. Il avait l’impression de ne plus savoir comment faisait les gens normaux. Il s’emparait de son dos, le rapprochai et le serrait fortement contre lui.


Il parvint presque à se laisser comme s'il voulait s'imprimer dans sa peau et se nicher en soi.Après un moment, ils se séparèrent et il lui signifia :
— T'as que la peau sur les os et tu fais une sale tête. Qu'est-ce qui s'est passé ?
L'autre jeune eut le cœur en dehors de la poitrine et les poumons qui s’étouffaient, et il comprenait avec effarement qu'il était sur le point de chialer. Suite à l’événement, il n'avait pas pleuré une seule larme pour l'instant. Ogrisha lui jeta un regard surpris dont il se déroba trop tard. Il s’approcha du rouquin d’un pas agile et voulut lui tapoter l'épaule mais Medgardt recula. Face à cela, l'autre s’arrêta brusquement, le visage curieux et les sourcils intriqués.
— Vraiment, qu'est-ce qu'il y a ?
Le jeune rouquin secoua la tête de gauche à droite en signe de négation. Fermé comme une porte, clos comme une prison. Il grimaça et haussa les épaules, l'air de je m'en branle le coquillard.
— Med', tu ne vas pas le coup du prostitué du Bas-Monde. Dis-moi ce qui ne va pas.
— Rien. C'est juste l'air du temps qui nous change.


Au lieu de choisir une chaise, il s’asseyait sur une des nombreuses tables de la salle, réchauffée par le soleil. Il frissonna, encore tout glacé à l’intérieur par cette mer de désespoir qui s’agitait en lui. Ogrisha se rapprocha et vint se placer juste en face, sur une table à côté, à contre-jour.
— À d’autres. Tu me feras des alouettes là où il n'y en a pas.
Faisant fi d'un regard mauvais, sa voix de crécelle était plus grave tout d'un coup, perçant efficacement le silence de cette salle. Son ton était devenu inquiet.

 

Depuis leur rencontre, Ogrisha avait toujours été là pour lui, dans les coins de rues ou sur un bord de lucarne, dans cet ailleurs qu’il connaissait par cœur, encore plus que lui. Parfois, ils passaient des soirées à parler et des fois non, parce que ce n’était pas nécessaire. Sa présence lui suffisait. Elle donnait un goût particulier à sa vie depuis un petit moment. Elle soulignait tout.
Son odeur était toujours la même. De la terre mélange du musc, du sous-bois et de la menthe. Il n’avait jamais osé lui en demander la raison de cette odeur si végétal. Pour Medgardt, il n'était pas assez intime pour ça. Il ne lui avait presque jamais rien demandé.
Son corps souple, gracile et blême se plie sans un bruit pour s’allonger vers le rouquin, s'affalant presque entièrement sur la table, les mains croisées vers l'avant.
— 1… 2… 3… 4…
Sa voix était tout autant grave qu'avant, le fixant effrontément comme s'il avait fait quelque chose de mal. Il se protégeait à peine les yeux du soleil et tenait la distance.
— … 5… 6… 7… 8…
— Qu’est-ce que tu fais ?
— … 9… 10… 11… 12…
— Pourquoi tu comptes ?
Ogrisha se gratta sa tignasse si parfaitement aligné juste le temps de lui jeter un coup d’œil.
— Je calcule le temps que tu vas mettre pour comprendre que je ne suis pas dupe.
De nouveau, un sourire me troua péniblement les joues.
— … 13… 14… 15… 16…
Medgardt patienta en regardant l'autre et, ses mains fines et indemnes de toutes cicatrices. Sa main gauche possédait un pouce un peu plus long que sa main droite que j'ai déjà vue, juste entre deux jointures, aux bords discrets. Son petit sourire tomba d’un coup.
— … 17… 18… 19… 20…
Parfois, il lui tapait sur les nerfs. Il était comme … lui. Toujours, quelque chose de trop semblable qui le tenait immobile, comme s'il se voyait dans un miroir, la main sur les fesses. Lorsqu'il finissait par fermer ses yeux, l'illusion avait disparu. Sa malaise s'était envolé et s’accumulait quand même dans un coin. Un arsouille qui le faisait bien rire. Il avait peur de n'être que ça pour lui.
— … 21… 22… 23...
Ogrisha bailla un bon coup et releva sa tête vers lui, l'air visiblement mécontent.
— Med', je m’ennuie. Je pourrais cueillir la pâquerette mais tu l'as cueilli déjà bien avant moi.


Medgardt regarda alors ses mains pour gagner du temps. Des mains robuste que de simples gants avaient du mal à retenir. Sa première paire devait rester le plus longtemps possible dans l'état neuf où ils étaient. Sinon elle ne serait plus proprement à lui si les gants ne lui seyaient plus comme avant. Cette paire avait été pour des mains de jeune garçon souvent resté à l’intérieur, bien nourri et protégé par le foyer de l’Église. Seulement, c'était avant la trahison de Mélisse.
Il grimaça en constatant que dernièrement, c'était le dedans qui était devenu dangereux. C’était un danger venu de l’intérieur. D'en moi et dans cette Église. Un danger pas si périlleux, presque serein, car il savait qu'être un queuter de Lumière n'était pas de tout repos. Il se souvenais encore de la sensation laissée par la première Conversion et des quelques semaines qui l'avaient suivi, sans un bruit. Cela avait été une forme de danger familier qu'il n'avait pas pensé à prendre en compte.


— Med'. Meeeedd'... Medgardt ?!
Il secoua la tête et soupira, vaincu.
— C'est un homme du Haut-Monde. Monsieur Hans. Il y a un jour, je lui ai fait une Conversion.
Le rouquin se gratta la tête, l'air gêné. Ogrisha se redressa sans rien dire et sans bruit. Il avait l’impression que son odeur de sous-bois s’est coincée dans ses narines.
— Il a voulu me prendre comme Obligé à Domicile, Og'.
Ogrisha ouvrit la bouche en grand comme s'il avait voulu avaler l'air à pleines bouchées.
— Le plus pire, c'est que j'ai pu y réchapper. Antioch, mon ami, s'est proposé à ma place.
Cette fois, Medgardt sentait son corps se tendre juste à côté du sien, probablement de surprise et voulant peut-être faire un geste de compassion envers lui. Il n’osait pas regarder son visage. La honte remonta le long de sa gorge en un gros flot brûlant, et il sentait son souffle s’éteindre. Le soleil, lui, continuait de briller pour la première fois depuis des jours, si fortement que ses yeux picotèrent. Sous mes paupières fermées, un froissement rouge m’indiqua que Ogrisha avait bougé et le jeune homme robuste eut un instant la crainte immense qu’il s’en aille.

 

Medgardt ne s'était pas battu, pas défendu, pour empêcher qu'Antioch prenne sa place. Lui-même n’avait pas pu résister, comme s’il ne voulait presque rien pesé. Il ne l'avait même pas rattrapé dans sa fuite. Quel sentiment l'avait empêché de faire quelque chose de concret ? Un sentiment probablement si vide, si veule que celui qui le portait en ce moment, vacillant comme une braise toujours sur le point d’être éteinte. L’égoïsme avait perverti son cœur. Il n'avait rien fait parce qu'il s'était senti soulagé qui prenne sa place.
La peur que s'il disait quelque chose, Antioch pourrait changer d'avis. Cet amer regret ne l’avait pas quitté ces derniers jours. Pour lui, il n'avait rien valu dès lors qu'il avait laissé son ami entre les griffes du prince Ludwig. Il n’en voudrait pas à Ogrisha de partir alors qu'il lui détaillait ce qui s'était passé. On ne restait pas aux côtés de quelqu’un qui était un traître et un faux-jeton.

 

Lorsqu'il rouvrit les yeux, le blondinet lui tournait le dos, sa silhouette maigre assise tout au bord de la table et ses jambes basculées dans le vide. Un frisson me tendit la nuque. Je n’osais bouger.
— Ce n'est pas ta faute.
Sa voix était tardive, rassurante et douce. Je ne le compris que trop bien.
— Quand même, je n'ai rien dit. J'ai
Tricorne tourne son profil vers moi, le dos raide.
— Et alors, chacun fait ses choix. Ce n'est pas ta faute, ni celle de l'autre Tâteuse de Pieux.


« Tâteuse de Pieux » C’était le nom que Ogrisha avait donné à Mélisse, la Sainte Lumière dès la première fois où il avait vu lors d'une procession, avait-il raconté à Medgardt. Sous son regard amusé, de sa bouche était sortie ce drôle de surnom un peu vulgaire sur les bords. Tout le contraire d'Ogrisha. Cela avait grandement étonné Medgardt d'ailleurs et l'avait choqué parce qu'il respectait Mélisse. Par la suite, il avait parfois tenté de lui empêcher de l'appeler comme ça, de le dissuader. Ça n’avait jamais fonctionné. Pire, encore : ça avait nourri son moulin et le répétait sans cesse. Le respect envers elle, c'était avant. Là, il était bien plus amusé qu'offensé. L’un et l’autre avaient pourtant le talent de presque tout trouver des surnoms rigolos. Seulement, Ogrisha le battait à plate couture. À cet instant, ils s'entendaient à merveille. Le jeune blondinet l'avait réconforté.

 

Ogrisha tâchait finalement de l’approcher sans faire de bruit, pour ne pas le faire fuir, centimètre après centimètre. Lorsque, enfin, il rejoignit le rebord de sa table, il évita soigneusement de regarder en bas et se tint bien face à face.
— C’était un homme du Haut-Monde. Il aurait pu nous créer des ennuis s'il n’avait rien eu.
Medgardt avait les yeux qui brillaient lorsque sa mâchoire se tourna vers lui. Ils se posèrent sans délicatesse sur sa honte et sa tristesse pour atténuer les dernières braises. Le blondinet tâcha de soutenir son regard en se rappelant tous les jours passés avec lui. Il voyait ses jambes s’agiter, se rapprocher, ses joues se colorer. Les choses venaient si vite qu'il n'était pas sûr de tout saisir.
Le visage d'Ogrisha était en face de lui. Les yeux gris s'agrandissaient et avaient adopté une teinte diluée. Son expression lui crée des tourbillons à l’intérieur du ventre.
— C’est ce qu’elle vaut, la vie ! Une somme de plein de choix à faire.

Il savait qu'il devrait répondre, mais il n’y arrivait pas. Trop chamboulé par il ne savait quoi.
La gène et le silence durèrent un moment, balayé par leurs respirations dans l’air tiède de la pièce dans tout son volume. Lorsque Ogrisha se leva enfin. Il ne savait pas s'il était triste ou soulagé. Il le regarda encore un moment et sourit avec toute la lumière qu'il avait dans son regard.
— Tu te rappelles de notre rencontre ?
Sa voix était étrange. Medgardt fronça des sourcils.
— Tu as voulu t'enfuir loin de moi. Tu pensais que j’étais un violeur.
Il acquiesça, regarda la ville par la fenêtre au loin et haussa les épaules.
— Oui, ça, c'est qu'un détail. Après, on s'est rabibochés.

Ogrisha se déplaça d’un pas. Medgardt tentait de camoufler le vacillement de ses jambes, la sensation subite auquel il essayait de s’échapper.
— Je suis vraiment content de l’avoir gardé, ce souvenir.
Il me regarda avec, dans l’œil, quelque chose qui n’avait pas de mot.
— Beau-parleur. Comment avais-je énoncé déjà ? Tu dis ça à tous les gars que tu croises.
Le rouquin souriait d'amusement lorsqu’il s’approcha à nouveau, sans rien dire, les doigts fins de l'autre grattant pensivement la surface de la table. Une chaleur infusa alors dans son ventre.


Après un moment, Ogrisha marmonna :
— Tu veux voir où les adultes vont quand ils veulent oublier ?
Il laissa mon œil s’accrocher sans retenue à ses longs cils, puis, lentement, hocha la tête. À la surface de ma toute nouvelle mer, il avait senti ma curiosité vibrer.
— D’accord. Rejoins-moi ici à 20 heures, alors.

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