Chapitre 20 : Orgueil, démêlée et zombies
Evangile de Portail, Numéro 2, verset 5
« Et Portail répondit : Voici le premier commandement : Ecoute, la très grande, notre déesse, est l’unique Seigneure. »
*
La pluie avait transformé le sentier en torrent de boue rouge et Lù dérapa pour la quatrième fois en dix minutes.
— Merde !
Honorine la rattrapa d’une main avant de la remettre sur ses pieds.
— Merci.
— Ça va.
Le ton était un peu sec. La pâle était contrariée d’avoir dû laisser tomber la bataille en préparation. Lù râla :
— C’est bon. On déjà sauvé Taïriss et Balthazar, on s’est enfuie du temple de la vie et on a évité toutes les machinettes qui se mettaient sur la gueule en ville. D’accord, Spirale c’est ta copine, mais ce conflit, ce n’est pas ton problème. On doit pas donner sa vie pour ses amis aussi gratuitement.
Honorine croisa les bras. Autour du petit groupe, la pluie faisait un carillon sur les grosses feuilles des bananiers et les fougères arborescentes.
— Tu veux pas que j’me batte pour Spirale, mais tu veux bien que je le règle, ton problème à toi !
Balthazar, perché sur les épaules de Taïriss, s’agaça :
— Sans vouloir faire ma mauvaise tête : on s’en moque ! Qu’est ce qu’il se passe au juste ? C’est quoi cette histoire de carte ? Où on va ? Qu’est ce qu’elle me veut cette pâle ?
Lù soupira en chassant l’eau de ces yeux.
— Je vais faire le plus simple possible : Ici, on est tous des Piliers, même le chien. A l’exception du robot…
— C’est quoi un robot ? demanda Honorine.
Lù l’ignora et enchaina :
— La carte mêne à quelque chose que j’ai laissé dans ce monde, il y a deux mille ans, mais je ne me souviens plus très bien quoi. Ce que je sais, c’est que j’avais quelque chose à faire ici, mais que mon plan n’a pas marché. Quand je suis rentrée chez moi, j’étais très en colère et je ne voulais pas en entendre parler.
Balthazar se frotta le menton :
— Donc, on va bientôt trouver cet objet qui pourrait t’aider à retrouver tes souvenirs ? Ça pourrait très bien ne pas marcher.
— C’est vrai.
— Et pourquoi tu veux te souvenir puisque tu ne veux plus en entendre parler ?
— Raison numéro 1 : parce que j’essaie de meubler l’ennui de mon éternité. Raison numéro 2 : quand quelqu’un m’interdit quelque chose, ça me fait comme des « cricricris » dans la nuque et je n’ai qu’une envie, c’est de désobéir.
Taïriss lui jeta un regard blasé :
— Tu réalises que tu te désobéis à toi-même ?
— C’est trop vieux, ce n’est plus vraiment moi-même.
— Combien on parie qu’en sortant de là, tu me dises que tu ne veux plus en entendre parler ?
— Je ne te demande pas ton avis. Tu n’avais pas qu’à m’accompagner si ça t’énerve.
— C’est pour que je puisse te rappeler ce que tu auras oublié, quand tu voudras revenir dans deux milles ans supplémentaire.
Comme Lù se contenta de lui montrer un majeur obscène, il adressa à l’ensemble du groupe un sourire aimable :
— Si j’en crois la carte… c’est par ici.
Il indiquait le pont branlant tendu entre deux falaises, que la pluie rendait glissant et que le vent faisait tanguer.
— Très drôle, renifla Honorine.
— Ce n’est pas une blague.
Un silence pesant s’installa sur le groupe.
— Si on campait là ? proposa Balthazar, on peut attendre que le beau temps revienne. Le pont est très stable par beau temps. J’emmenait souvent mes chèvres jusqu’à la bergerie là-haut.
— Bonne idée, grinça Lù. Qui a un paquet de salamandre et bigornaux pour qu’on passe le temps pendant que ça s’étripe en bas. Je te rappelle que certains d’entre nous sont potentiellement en danger de mort selon que l’un ou l’autre camps gagne.
— Allons-y, soupira Taïriss, le pont à l’air solide.
Ils traversèrent prudemment, accrochés aux cordes comme des sangsues, s’attendant à ce qu’à tout moment les lanières rompent ou qu’une planche pourrie cède. Mais il ne se passa rien de tout ça. Rien d’autre que le bruit furieux de la mer qui s’engouffrait entre les deux îles .
— Ouf, j’aurai pas dit qu’on sortirait vivants, soupira Honorine, soulagée.
Balthazar avait l’air moins optimiste.
— Ne te réjouis pas trop vite, on a pas encore fait le chemin du retour.
Lù eut un sourire étrange :
— Désolée, mais il n’y aura pas de chemin du retour. Nous allons passer par un passage secret qui devrait régler tous nos problèmes.
— Qu’est-ce que ça vouloir dire ?
Taïriss rééquilibra Balthazar sur ses épaules :
— Ça signifie que si Lù obtient ce qu’elle souhaite, notre petite aventure dans cet univers prendra fin et qu’on retournera au quartier général.
— On change de Monde ?
Balthazar s’était redressé avant de continuer
— Sans nous consulter ?
Lù se retourna et lui fit un sourire carnassier :
— Sans vouloir être de mauvaise augure. Je ne suis pas sûre que tu feras de vieux os sur cette île si on te laisse. De plus, j’ai un ou deux projets pour toi.
— Quels genre de…
Mais il se tût. La végétation luxuriante de la jungle avait laissé la place à une terre aride et rouge où se dessinaient des basaltes en orgue. La petite bergerie était là, juste en dessous de la barrière.
Taïriss montrait le volcan du doigt :
— Le trésor que l’on cherche est là-haut. Dans une grotte.
Raclure jeta un regard perplexe à Balthazar :
— Mais tu m’as toujours dit que c’était interdit.
Le jeune handicapé grimaça :
— C’est un endroit interdit. C’est le royaume d’Iibiliss.
Lù haussa lui sourcils et lui fit un sourire sournois :
— Oui, c’est bien pour ça que c’est malin d’y cacher un trésor. Parce que personne n’y va jamais. Si ça se trouve, cette interdiction est là pour dissimuler cette grotte et le trésor qui s’y cache.
Suivi par Honorine que sa petite taille handicapait, Taïriss enjamba la barrière avec Balthazar.
— Oui, ou pour dissimuler un portail entre les monde tout aussi douteux.
— Tu veux dire qu’il s’agit de la même grotte.
— Assurément, pourquoi aurais-tu eu besoin de deux bonnes cachette alors que une seule suffisait ?
— Mais à quoi ais-je passé ces derniers mois si le trésor était juste sous mon nez.
— Tu as occupé ton éternité, lui répondit Taïriss, aimable.
*
Plusieurs années auparavant…
Les cheveux bruns de l’homme coulaient dans son cou, jusqu’à l’entrebâillement de son peignoir brodé d’oiseaux exotiques.
Murène laissa ses yeux se glisser insidieusement dans l’ouverture du vêtement pour courir sur la peau dorée, entre les pectoraux, puis sur les abdominaux jusqu’au nombril. Elle baissa les yeux. Ses mains effectuaient mécaniquement le même geste d’entretien qu’elle répétait chaque jour ; le chiffon couvert de graisse de chèvre passait et repassait amoureusement sur la lame de la guisarme.
Sur la table du bordel, Terfez soupira tandis que les mains enduite d’huile d’amande de Melchior passaient et repassaient sur ses épaules nouées.
Assise sur une chaise, impassible, Murène se contentait de maintenir son désir sous clef, le plus paisiblement possible. Elle avait choisi son chemin de vie il y a longtemps, et jusqu’ici celui-ci lui avait parfaitement convenu.
Elle ne ferait pas comme sa mère. Elle ne serait pas sa mère.
Terfez soupira à nouveau, chassa la main de Melchior d’une légère tape et se retourna lentement et péniblement sur le dos, avec une grimace. Sa jambe de bois crissa sur la table ; le moignon sanglé était encore rouge et enflé, mais il avait cessé de puruler depuis plusieurs mois. Cependant, ce n’était pas ça qui avait fait grimacer Terfez.
Son ventre était tendu comme une pastèque et commençait à montrer ce qui mettait en général neuf mois à sortir. Le foetus commençait à presser ses organes et à appuyer sur sa vessie, mais ce n’était pas des choses dont on se plaignait. La fortilité était une porte étroite qui ne pardonnait pas à celles qui choisissait un autre chemin.
Murène rangea le chiffon et sortit sa pierre à aiguiser qu’elle passa amoureusement sur le fil de sa lame.
Elle n’aurait pas d’enfant.
Elle n’aurait pas d’amant.
Sa mère était coq sur un vaisseau de Hàgiopolis et aimait trousser tous les sarouels du périmètre. Elle avait eu neuf enfants, dont la moitié étaient morts la première année. Pour peu, l’autre moitié aurait été élevée comme un troupeau de jeunes chiens sauvages, car les hommes se préoccupent peu d’enfants qui ne sont pas les leurs si leur mères ne leurs accordent pas de regard.
Mais Murène avait été l’ainée et elle avait fait marcher ses cadets à coup de mandales, leur assurant ainsi une éducation à peu prêt correcte et de sérieux traumatismes.
Quand elle eut huit ans, sa mère s’enfuit de son bateau avec son amant pâle prêt à être vendu aux enchères sur le continent. Les navires de Spirale la rattrapèrent avant qu’elle ne puisse dire « ouf ». On le vendit moins cher, car il était amoché. On la pendit.
Murène n’aurait pas d’amant.
Murène aimait les choses fiables.
Dédale était venue la voir après la pendaison. On lui avait dit son sérieux et son talent pour le maniement des armes. Elle lui proposa un poste en échange d’une protection, pour elle, sa soeur et ses deux frères. Elle accepta.
A quinze ans, elle rentrait au service personnel de Terfez, tandis que ses frères et soeurs étaient respectivement mort de la rougeole, du scorbut et d’une bagarre de rue.
Murène était travailleuse. Elle aimait le contact froid de l’or sur ses paumes calleuse. Elle aimait travailler sans devoir prendre parti.
Melchior lui jeta un regard inquisiteur. Un bleu violacé s’étendait sur sa pommette. Elle se mordilla la joue, songeuse. Le garçon lui remuait les entrailles, mais elle ne lui avait jamais parlé. Elle pensait vaguement l’aimer sans que cet amour ne parasite vraiment ses pensées. A peine l’effleurait-il quand elle imaginait son corps nu contre le sien, et qu’elle se touchait.
Mais ce serait troubler sa ligne de conduite que d’imaginer plus. Elle se leva pour échapper aux yeux de chien triste. La fenêtre du bordel donnait sur la rue.
En bas, on entendait rire.
Spirale traversait la rue, entourée d’une foule d’admiratrices que retenait avec grande peine son inséparable Tartine. Intriguée par le son, Terfez se redressa et la rejoignit.
La redingote rouge était ouverte largement sur un ventre énorme qui semblait vouloir passer par dessus bord.
Du coin de l’oeil, Murène observa Terfez. Ses yeux d’une couleur indéfinissable luisaient d’une haine palpable. Elle n’avait jamais rien dit, mais tout le monde savait par qui et pourquoi la fille de Dédale avait perdu sa jambe.
Et voilà que ces deux femmes, qui se vouaient une animosité mortelle se retrouvaient enceinte du même homme après avoir participé à sa chute, chacune à leur manière.
La guisarmière se demanda pourquoi les gens se mettaient dans des situations aussi stupide. Et si elle risquait quelque chose à travailler pour ces gens là.
Elle sentit avec plus de netteté le poids du flacon qui se trouvait dans la poche de son pantalon. Un flacon donné par Dédale elle-même avec pour consigne de le donner à la coq de Mumit, accompagné de quelques pièces sonnantes et trébuchantes.
Le nez de Murène lui soufflait que ce n’était pas une bonne idée ; mais le poids lourd de l’or dans sa bourse la rassura.
*
Les pirates étaient derrière lui dans l’escalier. Gaspard montait les marches quatre à quatre avant de s’engouffrer par la porte et de la claquer au nez et aux dents en or du troupeau de mécréantes.
— A l’aide ! cria-t-il avant que deux hommes ne l’aident à poser une large planche pour bloquer l’entrée.
A l’étage, les autres continuaient à lancer des ustensiles, mais ils seraient bientôt à court de munitions. Quelques uns d’entre eux étaient des individus respectables, mais la plupart faisaient parties de la tribu des impuissants.
— Combien de temps on peut encore les retenir ?
— Pas longtemps, j’en ai peur. Essayez de barricader la porte, je vais voir si on peut s’enfuir par une autre issue.
La situation était critique et le jeune homme ne savait pas trop s’il désirait se terrer dans la bâtiment ou bien ressortir pour continuer la bataille. Seulement, s’il ne voulait pas finir lapidé, il n’avait plus le choix.
Gaspard s’élança en direction du premier étage, bouscula deux de ses congénères et se glissa derrière un moucharabieh.
On se battait partout sur la place, mais la pluie étouffait les cris et transformaient la poussière en glaise rouge glissante.
Son camp était en difficultés, mais en plissant les yeux il aperçu la grande silhouette de Spirale qui combattait comme si elle était possédée et cela lui redonna de l’espoir. Cependant, son enthousiasme seul ne suffirai pas à arrêter la garde de Dédale et ses partisanes. Malgré l’intervention des impuissants, ils auraient bientôt perdu la place, et la situation dans la baie n’était guère enviable. Il leur faudrait un miracle…
On entendit soudain des hurlements qui venaient du côté du port. Amis ou ennemis ? Impossible d’être sûr, mais Gaspard avait sa petite idée, car les miracles, ça se fabriquait.
Son intuition lui souffla alors qu’il y avait quelque chose à faire. Au culot, ça pouvait marcher.
Il apostropha un groupe parmi ses compagnons et leur expliqua son plan. Très vite, ils fouillèrent les meubles pour trouver une panoplie d’éventails, des vases et se répartirent le tonneau d’algue shifa séché qui servait habituellement aux cérémonies et à leur consommation personnelle.
— On en met beaucoup ?
— On met tout.
— Vraiment ?
— N’oubliez pas de protéger vos visages et que rien de ce que vous allez voir n’est vrai.
Les torches éclairaient doucement l’intérieur du bâtiment. Le groupe se dispersa. Gaspard se positionna en face du moucharabieh qui lui permettait de voir le mieux Spirale. Il frappa le bois sculpté avec son poignet ; le montant craqua dans un bruit de bois blessé.
Le vase fut posé sur la margelle de la fenêtre, remplit d’algue shifa, puis l’impuissant enroula le grand foulard qui lui servait de ceinture autour de son visage pour protéger sa bouche et son nez. Il alluma la drogue avec la torche et se mit à agiter lentement l’éventail pour orienter la fumée vers l’extérieur.
Bientôt, toutes les fenêtres du bâtiments se mirent à fumer et la place fût emplie toute entière d’un mélange d’odeurs de pluie et d’herbes brûlées. Gaspard espérait que ses alliées comprendraient rapidement ce qui était en train de se passer. L’algue hallucinogène avait fait partie du plan de départ, mais la météo avait écarté cette possibilité.
Dans l’arène, un brouillard se levait doucement et soudainement, le jeune homme réalisa qu’il ne pouvait pas rester là. Il confia rudement son éventail à un autre combattant avant de monter sur la margelle et de sauter. Il n’y avait là qu’un étage, mais il sentit sa cheville craquer un peu quand il se réceptionna sur les escaliers. La douleur attendrait ; il dévala les marches pour se retrouver dans la fureur de la bataille et à nouveau, il entendit les cris, beaucoup plus proches cette fois.
Cherchant Spirale du regard, il fit un tour sur lui-même et c’est là qu’il les vit.
Ils sortait de la brume comme des fantômes, d’un pas glissant et silencieux comme la mort. Leurs yeux blancs le regardaient, bien visible au milieu des visages noirs. Leurs dents étaient luisantes et rouges ; le sang leur coulait dans la gorge.
Les jumbees !
Une peur rampante lui piqueta la peau de chair de poule. Il tendit maladroitement sa masse devant lui.
Mais le jumbee le plus proche glissa devant lui sans l’attaquer ; son visage se tourna simplement vers lui et l’espace d’un instant il eut quatre yeux : deux pupilles blanches aux dessus et deux noires en dessous. Son rictus sanguinolent se mua en sourire tandis que les hurlements formaient autour d’eux un long requiem.
Gaspard eut le sentiment que les cheveux crépus qui soulevaient le chapeau lui étaient vaguement familiers.
Quelqu’un l’attrapa par le bras et il reconnut la redingote rouge :
— Bien joué, mais tu devrais mieux attacher ton foulard.
De grandes mains aux doigts comme d’immenses pattes d’araignée replacèrent le tissus sur son nez. Il savoura cet instant.
Spirale avait noué le foulard de son jabot sur son propre visage :
— Ne te déconcentre pas, ce n’est pas encore gagné.
Elle avait raison.
Les jumbees avaient leur petit effet, mais celui-ci fonctionnait aussi un peu trop bien sur les alliées que les ennemies.
Gaspard sentit la grande mère se glisser dans son dos tandis que des pirates se ruaient sur eux et ils dansèrent ensemble, jusqu’à ce que leur omoplates se cognent l’une contre l’autre.
Alors la brume, la pluie, la colère, les illusions… ils étaient comme une grande bête, une grande araignée à huit pattes qui déchirait tout sur son passage. Et autour d’eux les jumbees faisaient comme une farandole.
Ils se battirent jusqu’à ce que la pluie s’arrête, jusqu’à ce que le soleil timide ne revienne que pour descendre sur la mer.
Alors l’ennemi jeta ses armes et tous les partisans, les sombres, brunes et bruns, toussent poussèrent des hourras et portèrent Spirale et Gaspard en triomphe.
Mais ce n’était pas terminé.
Les regard de l’homme et de la femme se tournèrent vers le temple. Elle indiqua le bâtiment :
— Tu veux venir ?
Gaspard secoua la tête.
— Pourtant il s’agit de ta mère.
— C’est vrai, mais ce qui va arriver maintenant, il ne s’agit plus de moi. Allez voir Dédale, je m’occupe de sécuriser la ville.
La grande mère souleva légèrement son chapeau d’un signe qui montrait qu’elle avait compris. Il n’avait peut-être pas envie de les voir mourir, ni l’une ni l’autre. Gaspard serra son poing ; il chuchota :
— Il faut que ça finisse. Il n’y a pas d’autre issue.
— C’est vrai, répondit Spirale
*
Lactae arracha son sabre de la broigne de son adversaire et le cadavre s’écrasa sur le sol, à côté de ses anciennes consoeurs.
La petite mère eut un moment de faiblesse et tituba, son dos rencontrant l’un des énormes piliers sculptés sur lequel les grandes gravures de femmes-gnous faisaient peser sur elle leur regard sinistre.
Voilà, c’était fait. De la garnison de Dédale, il ne restait plus grand chose. Au tour de la prêtresse elle-même, à présent. Mais si elle la tuait, elle se condamnerai elle-même. Au lieu de se redresser, elle se laissa glisser en bas de la colonne. Elle avait l’impression de s’être fait rouler dessus par une charrette, et son pied recommençait à la lancer.
Rassemblant ses forces, elle se préparait à se lever quand elle entendit du bruit qui provenait de l’entrée du temple.
Lactae se releva précipitamment, mais pas suffisamment pour qu’on ne la voit pas en position de faiblesse.
— On dirait que l’on ne vous trouve pas dans les meilleures conditions, madame.
La petite mère pinça les lèvres en reconnaissant Murène et trois de ses soldates. Adoptant une position d’escrime, visage de face, corps de profil, jambes flexible et bras en arrière, elle tendit son sabre en avant.
— Je faisais une petite sieste en attendant. Mais j’avoue que ce n’est pas vous que j’attendais.
— Ne vous inquiétez pas pour ça, la plus importante a été invitée.
D’un claquement de doigts de leur capitaine, les deux troufionnes qui l’accompagnait tirèrent Larifari vers le centre du temple. Lactae se raidit, mais ne quitta pas sa position. Ses iris devinrent deux fentes brunes et dorées sous ses paupières plissées. La petite mère des morts n’avait pas l’air fraiche. Son teint était inhabituellement pâle, la sueur coulait sur ses tempes et un chiffon ensanglanté avait été grossièrement noué autour de ses yeux.
— Qu’est-ce que tu veux ?
— Je ne suis pas totalement idiote, amy khabira. Même épuisée, vous pouvez représentez un danger mortel pour moi. Je ne prendrai pas le risque de vous affronter sans compenser par un petit avantage.
— Qu’est-ce que tu veux ? répéta Lactae d’un ton glacial.
— Laisse-toi capturer gentiment et je vous épargne toutes les deux.
— Et dans le cas contraire ?
— Alors pendant que nous nous battrons, toutes les minutes, une de mes soldates arrachera un ongle de ta chère amie. Quand il n’y aura plus d’ongles à couper, il restera toujours des membres à couper.
— Si tu oses…
— J’ose déjà.
Murène arracha le bandeau du visage de Larifari qui poussa un cri étranglé. Les yeux de Lactae se dilatèrent ; ceux de sa camarades ressemblaient à deux litchees dénoyautés. La petite mère de la mort gémit :
— Lactae… Ne l’écoute pas, je peux…
La soldate qui la tenait lui donna un coup de poing dans le ventre pour la faire taire.
Les iris de la petite mère de la naissance n’arrêtaient pas de sauter de Murène à sa compagne, mais elle ne bougeait pas.
— Alors, quelle est ta décision ?
Pour toute réponse, Lacate s’appuya plus fermement sur ses jambes, le regard froid comme la mort.
— Tu vas mourir pour ça.
Murène secoua sa longue natte et sortit sa guisarme :
— C’est dommage, vous auriez pu l’empêcher. Mais je comprends votre décision, c’est déjà trop tard pour elle, que feriez-vous d’un rebut. Mieux vaux repartir sur des bases saines.Tapenade, tu peux commencer.
La petite mère tressaillit quand on arracha le premier ongle ; Larifari étouffa son hurlement en se mordant les joues. Murène eut un sourire sans joie, Lactae un rictus haineux. Les deux pirates se jetèrent l’une contre l’autre comme deux gnous qui chargent.
Elles ne se touchèrent pas, mais quand le sabre de Lactae fit reculer Murène de plusieurs pas, celle-ci semblait mois sûre d’elle.
Le jeu fut très vite autant d’attaquer que de se cacher. Lactae se fondait le long des colonnes, ombre dans leur ombre, tourbillonnante pour prendre Murène par surprise. Son adversaire quand à elle, gagnait du temps. A chaque fois que Lactae frolait le fil de sa lame et s’échappait, elle criait :
— Un autre, Tapenade !
Larifari ne criait plus, elle sanglotait maintenant et Lactae sentait la peur lui couvrir le dos d’une sueur âcre et glacée.
Elle pourrait avoir Murène par la fatigue. Elle aussi n’en était pas à son premier combat de la journée. Il y avait un moment où la petite mère prendrait l’avantage, mais elle n’avait pas le temps pour ça.
Il fallait agir, avant que Larifari n’en meurt !
Elle se demanda soudain, le coeur au bord des lèvres, combien il restait d’ongles. C’est à ce moment-là que Murène dit :
— Tatouille, un doigt !
Alors Lactae fit une erreur.
Ses yeux firent cet allez-retour instinctif entre son amie et son ennemie et ce laps de temps incroyablement court suffit pour que Murène trouve une ouverture.
D’un coup de lance, elle fit bondir Lactae en arrière, mais une colonne se trouvait dans son dos et la bloqua. Le sabre écarta violemment la lance que la géante lâcha.
D’une main énorme, elle agrippa la pirate par la gorge pour la monter contre la pierre. De l’autre, elle frappa le poing qui tenait le sabre ; l’arme tinta en tombant au sol et ce tintement résonna en écho tandis Larifari poussait un gémissement de douleur.
Murène attrapa un couteau à sa ceinture et son visage se rapprocha de celui de Lactae.
— Vous savez, je ne vous l’ai jamais dit mais… je vous admire vraiment.
Elle glissa la lame dans la bouche de Lactae et d’un coup sec, lui agrandit le sourire. Le sang jaillit à gros bouillon.
— C’est vraiment dommage…
D’un geste tranquille, Murène ouvrit la deuxième joue.
Lactae pensait qu’elle hurlait, mais c’était la voix de Larifari. Son cri à elle était bloqué dans la gorge, tout au fond, mais il avait enfin la place de sortir.
Elle ouvrit sa gueule de bête - toutes les dents brillaient au fond - et poussa un hurlement monstrueux. Puis elle frappa Murène de toutes ses forces en lui écrasant le crâne contre le nez. La poigne de la géante se déserra. Lactae l’attrapa par les cheveux et de son autre main, lui arracha son couteau. Sans aucune hésitation, elle fendit la gorge qui lui était offerte.
Pendant une poignée de seconde, il ne se passa rien sauf qu’un air de profonde surprise se peignit sur les traits de Murène, puis elle cracha un long filet sang par le cou et la bouche avant de s’effondrer dans une flaque de plus en plus grande.
Lactae retomba sur ses jambes et récupéra son sabre. La douleur était insoutenable, mais Lari…
Alors qu’elle courrait en direction de sa camarade, elle entendit le bruit d’une chute. Les deux sbires s’étaient enfuie, voyant que leur cheffe s’était fait trucider.
Elle ne les poursuivit pas.
Le corps de Larifari était au sol, recroquevillée autour de sa main qui saignait. Il manquait l’auriculaire.
Il fallait empêcher que le sang s’écoule de cette blessure là, mais aussi de ses propres joues.
Lactae aurait dû faire ça en premier, mais d’abord, indifférente à leurs douleurs réciproques, elle la serra dans ses bras.
*
Elles étaient quinze à arriver devant la porte du temple, au dessus duquel le crâne de gnou bleu les regardait, d’un air bovin qu’on lui pardonnait aisément.
Les battants étaient grands ouverts, il y avait du sang sur le bois, mais on entendait plus aucun bruit.
En entrant, elles trouvèrent tout de suite Lactae et Larifari. Visiblement, les choses ne s’étaient pas passé de la meilleure des façons. Il y a un moment où même les meilleurs peuvent être dans la crotte.
— Vite ! Allez lui prêter main forte ! Et occupez le temple !
— Et vous, amy khabira ?
Spirale hésita. Egoïstement, elle préférai continuer seule. Ce qui se passerai plus loin ne regardait plus cette ville, bien que Dédale et elle l’ait mise à feu et à sang au nom de leur vieille querelle.
— Je continuerai seule.
Elle s’élança à travers la salle avant que ses troupes ne puissent protester et faillit trébucher sur un corps allongé entre les colonnes. Surprise, elle reconnu le visage exsangue de Murène, qui s’était noyée dans son propre sang. Un vague sentiment de pitié et de tristesse lui étreignit le coeur. Tout ça était tellement dommage. Quel gâchis, une guerrière aussi doué… Enfin, elle avait sa préférence personnelle pour Lactae.
Serrant les dents, elle reprit son chemin. Les couloirs étaient vides de tout sauf de quelques cadavres et torches abandonnés. Sa course l’emmena jusqu’à la chambre de Dédale, mais comme elle s’y attendait, la pièce était vide.
Elle entra néanmoins dans l’antre de son ennemie.
C’était stupide. Il y avait une baignoire encore pleine, dont l’eau couverte de pétales de fleurs était encore tiède. L’air sentait l’odeur de la cire qui brûlait devant la statue de ‘Iilaaha ainsi qu’un parfum plus discret, mais infiniment plus familier.
— Melchior… songea Spirale et à nouveau son coeur se serra.
Une carafe de vin trônait sur la table et rappela soudainement à la grande mère qu’elle n’avait pas bu d’alcool depuis ce matin, au petit déjeuner.
Elle se servit un verre, fit tourner le liquide doré dans le verre qu’elle amena à ses lèvres avant de s’immobiliser. Etait-il possible que Dédale la connaisse si bien qu’elle ait empoisonné le vin ? Etait-elle en train de devenir complètement paranoïaque ?
Elle n’avait plus soif, soudain, et le verre tomba de sa main pour exploser en milliers de petits éclats sur le sol. Elle retourna dans le couloir, ses pieds nus marchant sur les petits morceaux éparpillés. Ses orteils laissèrent des traces pourpre sur le granit des dalles tandis qu’elle descendait jusqu’à la salle du trésor.
Comme elle s’y attendait, Dédale était là, assise tranquillement en haut de sa montagne de pièces d’or, son pistolet posé sur ses genoux.
Spirale resta immobile dans l’entrée, une main sur la crosse de son mousquet et l’autre sur son sabre.
Elles se regardèrent.
— Je suis contente que tu sois arrivée jusqu’ici, Honorine. J’ai chargé mon pistolet ce matin et la balle que j’y ai mis est pour toi.
Voici mes corrections pour ce chapitre :
dans deux milles ans supplémentaire → « supplémentaire » est de trop, mais si vous le laissez, il faut écrire supplémentaires
J’emmenait souvent mes chèvres → J’emmenais
selon que l’un ou l’autre camps gagne → camp
j’aurai pas dit qu’on → j’aurais
on a pas encore → on n’a pas
Quels genre de → Quel
entre les monde tout aussi → mondes
quoi ais-je passé ces → ai-je
les mains enduite d’huile → enduites
leur mères ne → mère
A quinze ans → À quinze
respectivement mort de → morts
ses paumes calleuse → calleuses
A peine l’effleurait-il → À peine
A l’aide → À l’aide
A l’étage → À l’étage
mais la plupart faisaient parties de → faisait partie
la pluie étouffait les cris et transformaient la → transformait
Son camp était en difficultés → difficulté
il aperçu la grande → aperçut
son enthousiasme seul ne suffirai pas → suffirait
remplit d’algue shifa → rempli
Leurs yeux blancs le regardaient, bien visible au → visibles
le tissus sur son nez → tissu
elle se condamnerai elle-même → condamnerait
jambes flexible → flexibles
vous pouvez représentez un → représenter
celle-ci semblait mois sûre d’elle → moins
Son adversaire quand à elle → quant à elle
A chaque fois → À chaque
les choses ne s’étaient pas passé de la meilleure des façons. → passées
elle préférai continuer seule. → préférait
Ce qui se passerai plus → passerait
Dédale et elle l’ait mise → l’aient
torches abandonnés → abandonnées
des traces pourpre → pourpres
Quel combat ! J'étais scotchée à mon siège de bus ahaha C'était vraiment top, et je me suis demandée jusqu'au bout si tu n'allais pas nous tuer Larifari et Lactae (ce que je n'aurais pas supporté (et je te dis ça alors que l'histoire est pas encore finie... je prends un risque)
Cette étreinte était parfaite, du coup. J'ai ressenti beaucoup de tendre pour ces deux héroïnes tout au long de ma lecture, et là ça pourrait faire une conclusion à leur histoire, en quelque sorte (mais encore une fois, rien n'est fini !).
Murène était une sacrée antagoniste...
Mais j'ai vachement aimé tous les flash-back. Même dans Ville Noire, j'avais aimé les flash back ahaha
Bon, comme dans Ville Noire c'est un texte dense avec pleiiins de persos, et une deuxième lecture ne serait pas de trop pour que je saisisse tous les tenants et aboutissants. Mais j'adore ce genre de complexité, de ramifications. J'adore me dire qu'une relecture m'apportera encore plus de compréhension !
Du coup, si Siméon Potiron se décide un jour de refaire de l'auto édition, qu'il sache que je serais preneuse ♥
Bisous !