Chapitre 21 : Noyées

Par Camice

Le vent assourdissant fouettait son visage pâle et un froid mordait la peau de ses toutes petites mains nues, ses doigts bleus glacés entremêlés avec ceux d’une autre enfant. Malgré la neige qui leur frappait le visage et les mains, elles ne se lâcheront pas. Un sourire chaleureux se dessina sur le visage de l’enfant devant ses yeux, ses traits doux et familiers illuminant sa vue et réchauffant son cœur.

Maï Rose était le soleil qui calmait sa tempête.

 

Ariane se fit réveiller par des rayons de lumières aveuglant, sortant du toit décrépit orné de nombreuses fissures. Ils avaient de la chance que la pluie ne soit pas tombée pendant la nuit. La jeune fille plissa les yeux dans une tentative de se reprendre et voir correctement. Dans ses bras, dormait encore son amie blottie et respirant calmement. Maï Rose paraissait si fragile, sa joie de vivre lui permettait de tenir le coup, mais une fois endormie, elle n’avait plus que ses inquiétudes sur le visage.

Le soleil venait à peine de se lever. 7h54. L’odeur du bois humide imprégnait l’air de la demeure des rescapés. Aude était d’ailleurs déjà levée et le nez plongé sur un livre avec une couverture orange muni d’écritures étranges, sûrement le seul rescapé de l’attaque de la veille. Chaque page qu’elle tournait, claquait l’air au rythme des minutes. Ariane ne pouvait pas se lever, elle allait réveiller sa pauvre amie qui manquait définitivement de sommeil, mais le livre l’intriguait.

– Qu’est-ce que tu lis ? demanda-t-elle à voix basse.

La jeune fille à lunettes releva le nez de son bouquin pour poser son regard sur la seule autre réveillée du groupe.

– Je ne sais pas, avoua-t-elle en reportant son attention sur le livre. Je ne sais pas lire ce qu’il y a d’écrit dessus. Je n’ai pas eu le temps d’apprendre...

– Pourquoi tu le regardes, alors ?

– Je n’ai rien d’autre à faire... Ces gens me font de la peine... Ils nous ont hébergé alors qu’ils ont perdu leur pays, leur langue et écriture sont considérées comme une langue morte... Garder une trace que ces écrits ont existé me console...

– Pourquoi ?

Aude soupira longuement, ne lui prêtant plus vraiment attention.

– Tout n’a pas besoin d’avoir une utilité, tu sais ?

Qu’est-ce que ça voulait dire ? Plaindre des disparus n'allait jamais les ramener ou les aider, autant ne pas le faire et lâcher ce livre. Les souvenirs de la veille se réveillaient peu à peu, et le sentiment d’angoisse lui revint.

Eleo et Mike cherchait leur sœur disparue, est-ce qu’elle pourrait vraiment être cette personne ? Après tout, la sphère de Crystal, censée révéler si elle était magique où non, n’avait pas fonctionné. Ce qui veut dire qu’Octave avait menti à son camarade ? Mais il était vrai que pendant l’enlèvement, seuls ceux qui étaient encore réveillés après le gaz ont été arrachés de l’école, et Aude est magique, même si elle ne sait pas d’où lui viennent ces pouvoirs. Peu importe, ces informations n’avaient leur importance uniquement si elle voulait rester, ce qui n’était pas le cas, surtout maintenant qu’ils n’ont nulle part où aller. Partager ses théories aux anges ou aux filles n’allaient que compliquer leur retour.

Si elle était vraiment magique, elle pourrait être leur sœur, et ils voudront la garder ici.

Si elle n’était pas magique, alors la théorie partagée les auras ne ralentit pour rien, sans compter qu’elle aura donné de faux espoirs aux deux frères.

– Où sont Mike et Eleo ?

– Dehors. répondit Aude sans la regarder.
Bien sûr, mais ça ne l’avançait pas. Cette fille avait un don pour ne pas comprendre ce qu’on lui demande. Ariane pesta tout bas avant de se rendre compte que Maï Rose avait les yeux ouverts et bougeait si peu qu’elle ne l’avait pas remarqué.

– Oh, pardon, je t’ai réveillée ?

– Ce n’est pas grave…

– Tu as pu dormir un peu ?
Maï Rose se contenta de hocher la tête, elle avait de petits yeux fatigués et au-dessous des cernes commençaient à se creuser. Le sol n’avait pas dû être confortable, assez pour que son amie ne soit pas d’humeur bavarde le matin.

– J’ai mis des heures à m’endormir, il y avait des bruits de grattements sous le sol toute la nuit…

– Je ne les ai pas entendus... Désolée...

– Tu n’as pas à t’excuser, ce n’est pas ta faute, rit son amie tout bas.
Peu de temps après, Liz s’est réveillée à son tour, provoquant à nouveau un boucan sans nom. Maï Rose avait dû s'occuper d’elle pendant 10 minutes pour éviter que ses pleurs ne rameutent tous les miliciens du coin. Mais Ariane était préoccupée par autre chose, autant par la sensation de faim intense qui tordait son estomac que par cette histoire de bruits dans le sol.

Chacun se préparait, mais personne ne savait à quoi.
Ils étaient tous épuisés, affamés et perdus. Même Mike n’avait pas bonne mine après cette nuit à surveiller les alentours. L’ange fut tout de même le premier à relancer la discussion :

– Qu’est-ce que vous voulez faire ?

– Rentrer chez nous ? soupira Ariane.

– Même avec tout ça, vous voulez risquer vos vies pour rentrer dans votre monde ?

– On veut toutes rentrer chez nous, on n’en a juste pas les moyens maintenant. continua Aude. Sauf Liz, peut-être...
Les regards se tournèrent vers la plus jeune, qui se justifia immédiatement :

– J’étais plus en sécurité en restant qu’en établissant une mission suicide. Mais maintenant qu’on n’a nulle part où aller...
Elle baissa la tête à sa dernière phrase, abattue. Au moins, elle restait réaliste. Mike prit un instant pour les regarder, prenant un air pensif pendant qu’Eleo lui, gardait toujours son sourire impassible à la limite du stupide dans une situation pareille.

– Si vous voulez vraiment rentrer, le meilleur moment, c’est de frapper maintenant ?

– Maintenant ? s’exclama Liz. Vous êtes complètement fous, ils viennent de décimer un village !

– Justement ! Beaucoup doivent être blessés par l’attaque, ils ont utilisé toutes leurs forces et magies. Ils sont au plus haut de leur vulnérabilité. Sans parler de l’erreur fatale qu’ils ont faite il y a quelques jours.

– L’erreur ?

– Ils ont exécuté plusieurs personnes soupçonnées de faire partie de la Résistance, dont certains villageois. J’en connais certains, je pense qu’avec un peu de belles paroles, ils nous aideront.

– Je ne comprends pas. l’interrompit Aude. Cela fait des années qu’ils sont oppressés et tués par le château, pourquoi ils agiraient maintenant ?

Mike soupira longuement.

– Parce qu’ils ont tué un enfant.

Un silence s’abattit sur le groupe.

– Il suffit de nous rendre là-bas, ils seront très heureux qu’on propose de les aider à mettre le désordre dans le château des envahisseurs. Il ne reste plus que deux salles à fouiller, non ? Séparons-nous en deux groupes de trois, et chacun s’infiltre dans une salle, ceux qui ne tombent sur rien, rejoignent les autres.
Aude prit un air perplexe, interrompant Mike dans son explication.
– Et si ce n’est aucune des deux salles ? Si l’une des salles est piégée ? On ne peut pas prendre autant de risque aussi soudainement.

– Il y a forcément un miroir dans l’une de ces deux salles.

– Et s’il a été déplacé ?

– Impossible de déplacer un miroir de cette taille.

– Même pas par magie ? Et comment ils ont fait pour le faire rentrer ?

– Les miroirs dimensionnels sont très frileux à la magie, les téléporter risqueraient de les casser. Sinon, aucune idée. Écoutez, si vous avez d’autres idées, je suis preneur, mais on n’est pas vraiment en position pour demander mieux.

L’ange entreprit de créer le plan. Plutôt simple : Aller avec les villageois, créer une distraction, s’infiltrer dans le château, se séparer en deux groupes et ceux qui trouvent le miroir passent, celui qui ne le trouve pas sait maintenant où il se trouve. Mike ira avec Ariane et Maï Rose, et Eleo avec les deux autres filles. Il fallait au moins une personne magique par groupe pour activer le miroir pour les autres.

Une heure plus tard, ils étaient décidés à partir. Ariane, pas encore. Elle avait longuement examiné le sol pendant que tous établissaient le plan suicide, et avant de partir, la jeune fille voulait vérifier quelque chose.

Ariane planta son épée dans le sol entre deux planches de bois et utilisa celle-ci comme levier pour soulever le sol dans un craquement horripilant.
– Ariane ?? Qu’est-ce que tu fais ?! s’affola Maï Rose en se précipitant sur elle.
Sans répondre, Ariane entreprit les mêmes gestes pour mécaniquement enlever une planche voisine, puis une autre, révélant le sous-sol caché, qui lui, n’avait pas pourri.

Les autres étaient sans voix devant sa découverte.
– Depuis le début tu savais qu’il y avait un sous-sol caché ? s’impatienta Liz. On s’en fiche maintenant, on doit partir.

– Je ne le savais pas hier. Maï Rose m’a dit qu’elle entendait du bruit que je n’entendais pas ce matin, ça ne pouvait être que quelque chose de très léger, ou très loin. J’ai regardé entre les lattes du plancher, et j’ai vu un sous-sol. J’en ai déduit qu’il devait avoir une trappe mais je ne l’ai pas trouvé, puis que tout devait être détruit en bas, c’est alors que je me suis souvenu du souvenue que la cave de Théo et Brieg était en pierre, qui ne pourrissait pas avec le temps. Elle devait donc être en état, j’ai cherché les escaliers, ils sont là.
Ariane reprit sa respiration, même sa meilleure amie semblait impressionnée de la quantité d'informations qu’elle avait débitée.
– Bref, j’ai trouvé un sous-sol.

Sur ces mots, elle descendit à l’intérieur, s’appuyant contre le plancher et atterrissant sur les marches en pierre, s’aventurant sans même s’arrêter aux protestations des autres. La sensation de découverte était trop forte, surtout si elle pouvait trouver le même équipement que dans le sous-sol des scientifiques fous. Quelle ne fut pas sa déception en voyant qu’il n’y avait que de vieux équipements, et cartons et cartons remplis de papiers, tous rongés par le temps. Ariane, loin de se laisser démotiver par de la paperasse, se fraya un passage à l’intérieur pour enlever une bâche grise recouvrant un grand objet. C’était la seule chose qui semblait neuve et fonctionnelle : une machine criblée de câbles de toute part, un fil en particulier se rattachait à une boîte semblable à un générateur. La machine ressemblait à une cabine de cryogénisation qu’elle avait vu dans un film de science-fiction.
Donc quelqu’un doit bien se rendre ici... Au moins pour cette machine... Mais comment faisaient-ils pour arriver dans le sous-sol ?
Ariane se pencha sur la machine pour l’examiner, avant que son œil ne soit attiré par une lueur bleue. La jeune fille tendit une main pour attraper une minuscule sphère bleue, de la taille d’une bille. Elle reconnut immédiatement la technologie que lui avait montrée Théo mais... Comment s'était-elle retrouvée dans un endroit pareil ?
– Ariane !

La jeune fille sursauta et dissimula la bille dans sa poche de veste. Mike la rejoint en bousculant les cartons, trop fatigué pour y faire attention.

– On t’attend, on va partir. Je vois que tu as trouvé un téléporteur.

– Pour... La téléportation ?
– A ton avis ? rit Mike. Bien sûr. Allez dépêche-toi, on n’ira nulle part avec ça.

Le jeune garçon prit tout de même le temps de remettre la bâche. Il semblait curieusement préoccupé par le sort de la machine.
– C’est ton téléporteur ?
– A moi ? Ah ne soit pas stupide Ariane, monte avant qu’ils ne partent sans nous. Si tu t'aventure trop comme ça, tu vas finir morte.

Un frisson lui parcouru l’échine. C’était une menace ? se dit-elle intérieurement. Non, ce serait stupide. Mike remonta à la surface avec l’aide d’Eleo, et aida Ariane à remonter. Il se mit à rire joyeusement en racontant ce qu’ils avaient trouvé en bas. Son changement de comportement soudain décontenança Ariane, sans pour autant que ce ne soit assez marquant pour le faire remarquer. Mais l’heure n’était plus aux paroles et ils quittèrent la cabane sans se retourner. La jeune fille ne pouvait s’empêcher de penser que ce chalet n’avait rien à faire ici, et qu’elle aurait dû prendre plus de temps à examiner le sous-sol. De longues minutes de marches débutèrent, mais à peine 18 minutes suffirent pour encourager Mike à combler le silence :

– Quand vous rentrerez, il va falloir avertir votre gouvernement de ce qui se trame ici.

Pour une fois, les quatre filles furent aussi prises au dépourvu les unes que les autres.

– T’es malade toi ! feula Liz. Jamais on ne nous croira.

– Il va bien falloir ! S’ils ont enlevé autant d’enfants c’est qu’il doit y avoir le double qui sont à leur recherche !

– Ce n’est pas le plus important. intervint l’ange à capuche. Les miliciens peuvent toujours décider de revenir sur Terre s’ils en ont besoin. Capturer plus d’humain pour les réduire en esclavage.

Silence.

– Je suis désolé, mais tant que leur miroir est fonctionnel, vous ne serez plus en sécurité même dans votre monde.

Tant que ce miroir existe, pas vrai ? répéta Ariane, pensive.

– Il n’y a pas moyen de contrôler ces miroirs ?

– Pas vraiment, mais ils ont tendance à envoyer les personnes dans un endroit similaire à leurs souvenirs.

– Donc, il y a une chance pour qu’on atterrisse au mauvais endroit ?

– La magie dimensionnelle est très complexe, et en fonction de la qualité du miroir, son type de fonctionnement et sa taille, les résultats peuvent beaucoup varier. Mais vous êtes nées et vous avez grandi dans un seul monde, vous ne devriez pas avoir de problème.

Sauf si ce n’est pas le cas... songea-t-elle avec anxiété. Le secret était juste là, prêt à être révélé mais Ariane ravala ses inquiétudes. Si elles étaient vraiment magiques, le crystal aurait fonctionné, comme Théo l’avait dit. Mais Aude avait de la magie, n’était-ce pas là la preuve qu’elle cherchait depuis tout ce temps ? Peu importe, ce n’était pas important : rentrer chez elles était la priorité.

La marche semblait interminable à peine débutée.

– Comment vous faites pour vous repérer ? marmonna Liz, de mauvaise humeur.

– Eleo utilise son pouvoir.

– Ce n’était pas la glace ?

L’ange soupira et ce fut le second qui répondit :

– Mon pouvoir est la glace, mais il ne se limite pas à en créer. Avec, je peux me repérer et analyser les alentours, c’est plus complexe, mais plus on maîtrise son pouvoir, plus il y a de possibilité d’en trouver d’autres utilités.

– Qu’est-ce que tu peux faire d’autre avec ?

– Ça t’intéresse ? ria Eleo. Désolé, je ne peux pas révéler ce genre d’information.

Ariane ne comprenait pas pourquoi Liz était aussi investie à l’idée de découvrir les secrets des anges, mais continua de leur poser des questions stupides, avant de se figer à la vue de leur chemin.

– Ah non ! On ne va pas nager dans la rivière !

Un flot leur barrait la route, l’eau s’écoulait lentement et elle ne semblait pas très profonde.

– C’est le chemin, on ne peut passer que par-là, sinon l’eau est plus profonde.

La mine horrifiée de Liz égalait celle de Maï Rose, ce qui inquiéta son amie. Mike fut le premier à enfoncer une jambe dans l’eau coulante qui lui atteint le bas du genou, aidant Aude à traverser alors que Liz semblait plus motivée pour contourner.

– Tu ne peux pas utiliser ta magie pour geler un chemin ?

– Non. ria Eleo. La rivière empêchera le gel de s’installer.

– Tu ne peux pas voler au-dessus ?

– Ce n’est pas une bonne idée de dépenser autant d’énergie pour traverser une rivière.

– J’aime pas l’eau !

Alors que Liz continuait ses jérémiades, Ariane observa le visage de Maï Rose qui était sans aucun doute pétrifié par la peur. Elle se rapprocha de son amie et lui prit doucement la main.

– Tout va bien, l’eau n’est pas profonde.

– Je sais.

– Le courant est si faible que même Liz passera sans problème.

– Je sais.

– Je ne te lâcherais pas.

Cette fois-ci, son amie quitta des yeux la rivière pour la regarder.

– Ce n’est que de l’eau. murmura Maï Rose tout bas.

– Oui.

– J’ai pied, ce n’est pas dangereux.

– Oui.

– Tu ne me lâcheras pas...

Elle conclut avec un petit sourire anxieux, auquel Ariane répondit en lui rendant son sourire et lui caressant la main. Elles prendraient autant de temps qu’il le fallait pour traverser. Une enjambée après l’autre, Ariane tint fermement la main de son amie, qui tremblait. Peut-être par le froid, Peut-être par ses souvenirs qui se manifestaient. Mais elles arrivèrent en un seul morceau de l’autre côté, avant même Liz qu’Eleo tentait de convaincre. La sensation de vêtements trempés se pressant contre sa peau était légèrement désagréable, c’est pour cela que les deux filles avaient pris le temps de remonter leur pantalon et faire la traversée sans leurs chaussures, mises dans le sac. Maï Rose sembla se détendre jusqu’à ce qu’elle réalise qu’il fallait remettre les chaussures avec les pieds trempés, grimaçant tout le long du rhabillement.

Liz finit par les rejoindre avec Eleo et ils reprirent la route, arrivant une heure après devant le village. Le château de la ville se voyait, mais il était bien plus loin que la route précédente. Mike les dirigea parmi les nombreuses routes de pierres pour arriver devant une maison particulièrement bien décorée, mais dont les vignes semblaient envahir. Ariane ne pouvait s’empêcher de se méfier de ce qu’ils allaient trouver.

– Tout le monde est prêt ? soupira l’ange en toquant à la porte sans attendre la réponse.

Ils n’avaient pas le choix. La porte s’ouvrit sur un visage familier.

– Sofia !

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