Chapitre 25 : La meilleure méthode pour créer des arc-en-ciel

Par Zephirs

La formation des magiciens se rompit, les barrières au-dessus de leurs têtes disparurent. Désordonnés et paniqués, l’un d’eux tenta d’ouvrir un portail, sans succès. Un autre incanta une boule de feu, et ses flammes ne provoquèrent pas le moindre effet sur le flanc de l’armure dorée du géant, encore couvert de glace et de neige.

Samuel brandit Prison dans sa direction, une bien faible menace pour une telle créature en considérant la taille de son épée. Elle n’arriverait même pas à lui servir de cure-dent.

— Fuyez, lâcha Yorick avant de se précipiter vers l’entrée de la tour suivante.

Il ne fallut pas le dire deux fois pour que tous se mettent à courir. Cependant, ce ne fut pas sans conséquence. La structure, maintenant livrée à elle-même, craquela davantage. Des parties entières se détachaient aux rebords, dégringolaient en chaîne. La soumettre à une telle pression pendant encore quelques minutes suffirait pour la disloquer entièrement.

Samuel et Ashley furent les derniers à passer le seuil de l’espace circulaire tandis que le gigantesque bonhomme détruisait les derniers fragments de glace à ses bottes en fourrures. Il y eut un ultime bruit de pluie cristalline, puis le sol retrouva sa stabilité, et les murs cessèrent de trembler.

Le silence était presque revenu. Seuls des bruits secs, témoignages de l’apparition de nouvelles fissures dans les environs, accompagnaient leurs respirations.

— C’est pas vrai, c’est quoi ce truc ? demanda Ashley le teint rouge.

— Un foutu dieu, cracha le Chasseur. Je croyais que les dieux nordiques s’étaient éteints à la chute d’Yggdrasil.

Sonia jeta à coup d’œil à l’extérieur par une meurtrière avant de secouer sa tête de droite à gauche.

— Je dirais que ce n’est pas le cas.

Son ton gaie, sa joie de vivre, tout avait disparu en un instant. Ses traits raffermis rappelaient à Ashley ceux de Sam lorsqu’il s’apprêtait à engager un combat.

— Si je me fis aux cornes de bouc sur son casque, on a affaire à Heimdall, le mec du feu, le gardien de je sais plus quoi et des portails.

Plusieurs magiciens tiquèrent, dont Yorick.

— Le… mec ?

La dilatation subite des pupilles de Sonia, fixées sur l’extérieur par l’interstice, relégua les tatillonnages au second plan.

— Courez !

La plupart n’avaient pas eu le temps de reprendre leur souffle. Certains, notamment ceux dont la magie maintint les remparts en place, traînaient dans leur sillage une presque imperceptible fumée. Pourtant, l’injonction fut suivie à la lettre, appuyée par des tremblements ainsi qu’un bruit de mouvement rapide et lourd.

Le premier des magiciens qui se risqua au-dehors fut saisi par une main géante revêtue d’un bracelet de force doré, et s’envola dans des cris suppliant de lui venir en aide. La moitié de ses confrères, pour toute réponse, firent demi-tour en direction des marches circulaires qu’ils enjambèrent deux par deux. Les autres lancèrent une vague de sorts. Aucun ne fit mouche, ils se contentèrent de rebondir, d’exploser dans les airs et sur la tour suivante, tour dont les pierres tremblèrent sous les chocs.

Dans un élan de courage, Yorick franchit l’ouverture. Son sortilège ne parvint qu’à retirer la chaussure du pauvre magicien dans la paume du géant.

— Qu’est-on censé faire contre un dieu ?

Samuel jaillit également dans une roulade tout en extirpant son revolver de son holster. Le genou à terre, il tira deux balles qui ne ricochèrent pas contre la peau du géant, mais s’y logèrent en produisant des arcs de cercle électriques.

Le chef des magiciens, médusé, observa le barillet de son arme comme s’il abritait la plus obscure des magies.

— D’où tenez-vous de telles balles Chasseur ?

— De vieux amis aux longues dents.

Ses pensées vagabondèrent amèrement, pendant un bref instant, sur Jess. Elle avait utilisé les mêmes balles en alliage de Terrora Abyssal contre lui, cependant elles ne se révélèrent pas aussi efficaces. Peut-être était-ce dû à sa taille mille fois plus conséquente, ou bien simplement parce qu’il était un dieu. Dans tous les cas, d’après son grognement, elles ne lui plurent pas.

Ni une, ni deux, il moulina son bras tel un joueur de baseball, puis lança le magicien vers les montages. Un tracement arc-en-ciel se dessina dans son sillage sans s’estomper, et ce même après qu’il ait disparu dans les cieux.

Ashley, les tira par leurs manteaux pour les ramener à l’intérieur avant de refermer l’imposante porte en bois qui servait de porte d’entrée :

— Vous n’avez pas un meilleur plan que rester à découvert et énerver le dieu qui essaye de nous envoyer dans une autre galaxie sans vaisseau spatial ?

— Parce que vous avez une idée pour tuer un dieu, belle demoiselle ? Si c’est le cas, je suis tout ouï.

Alors qu’Heimdall, dieu du feu et des portails, gardien d’Asgard fondait sur eux dans une expression de colère pure, une furieuse envie de gravir les marche le plus vite possible les saisirent.

— On a réussi à tuer Apophis, donc ce n’est pas impossible.

La surprise fut telle que Yorick manqua une marche.

— Quoi ?

Ils passèrent le premier palier sans ralentir.

— Sam, tu as toujours le sceptre de Rê ?

— Vous avez quoi ?

Samuel, dont les sourcils froncés et les lèvres excessivement rapprochées indiquait une grande réflexion, agita sa tête de gauche à droite.

— Sapristi, tu ne vas certainement pas réutiliser cet objet de malhe...

Vers les hauteurs, des pierres volèrent en éclats alors que leurs pas s’éloignaient du deuxième palier. La main d’Heimdall attrapa le magicien à la moustache grise et la femme aux boucles d’oreilles en forme d’étoile.

— Je vais vous faire traverser, brailla le dieu d’une voix si terrifiante que jamais personne n’aurait eu envie d’avoir son aide, ne serait-ce que pour franchir une flaque d’eau.

Ils se stoppèrent net pour repartir dans l’autre sens. Un courant d’air chaud, dans leur dos, agressa leurs peaux tandis que des brisements cristallins se mêlaient à des grognements et des insultes.

La tour trembla. La secousse déséquilibra Samuel, Ashley et Yorick sans pour autant les couper dans leur course vers le rez-de-chaussée, quand soudainement, les blocs devant-eux se fracassèrent.

Le Chasseur joignit ses deux mains sur la poignée de Prison. La lame se leva au-dessus de sa tête, fendit l’air, puis s’enfonça de quelques mini-mètres dans un pouce aussi gros qu’un Lamantin.

Rugissant et brayant des paroles à propos d’un lancer stratosphérique et d’un portail si terrible que même les dieux en avaient peur, Heimdall l’envoya valdinguer à l’aveuglette. Samuel chuta, chuta jusqu’à heurter le bas de la tour. Fort heureusement pour Ashley, Yorick la tira à temps pour ne pas être fauchée au passage.

Au-dehors, la jeune femme vue apparaître par le trou monticule de sorts élémentaires, des chaînes, et même une baignoire propulsés en direction d’une armure scintillantes aux proportions démesurées. Néanmoins le résultat de leurs impact ne l’intéressait pas assez pour balayer son inquiétude.

Ashley se retourna avant de se pencher au-dessus du vide :

— Sam ?

Ce dernier gisait tout en bas sans un mouvement. Après un temps, il remua :

— Aie.

Une chaleur irradiante dans son dos la fit pivoter si vite que ses articulations craquèrent. Sonia se tenait dans les airs, enveloppée par une aura dorée fluctuante. Ses yeux débordaient de magie pure alors qu’elle s’approchait du géant.

Le ciel s’obscurcit, la fumée autour de son corps devint plus épaisse, l’air plus aride. Après plusieurs figures de ses doigts tellement complexes qu’Ashley ne savait pas comment un être humain pouvait les accomplir, la magicienne cria :

Chao Glacies.

Des bourrasques de flocons s’élevèrent du sol, l’air gela, se cristallisa dans les poumons de chaque être capable de respirer.

— Colmatez les brèches de la tour, expira Yorick en joignant ses mains tout en dirigeant le trou qu’elles formaient en direction de l’ouverture dans le mur.

Praetendere saepem.

Une barrière verte se forma, embrassa le bord des pierres pour occuper l’espace manquant. Ashley reprit une bouffée d’air, suffoquée et paniquée. Ses doigts enserraient son cou comme s’ils lui permettaient de mieux reprendre son souffle.

— Prétentieuse ! gronda Heimdell. Comment oses-tu fouler les murailles d’Asgard et penser défier son gardien sans encombre ? Si tu aimes voler, eh bien cela tombe à merveille.

Les murs de la tour tremblèrent, la barrière magique tressauta mais tint bon. Au-dehors, des crissements cristallins rejoignirent le bruit des bourrasques.

Une lueur dorée parvenait à percer les barricades dans les hauteurs, et s’infiltrait de manière presque imperceptible dans celle de Yorick. Un tapotement précipité dans les marches indiqua que Sam s’était remis de sa chute.

Soudainement, un silence glaçant interrompit le brouhaha à l’extérieur. Il n’y avait plus que le bruit des bottes, et les halètements des magiciens maintenant les protections entre eux et l’enfer se déchaînant de l’autre côté.

Telle une explosion, le son revint, brisa la protection verte. La neige s’engouffra entre les pierres. Pourtant, le blizzard resta cantonné à l’extérieur, trop occupé à fondre sur le géant pour l’emprisonner peu à peu dans la glace.

Une lueur enflammée brilla dans les yeux d’Heimdall, brilla avec une telle intensité qu’elle se reflétait dans son armure. Grandissante et intarissable, elle chassait progressivement les efforts de Sonia pour le transformer en statue de glace.

L’homme au long manteau gris-noir dérapa sur le palier, Prison dans une main et son revolver dans l’autre. Yorick, le visage figé avec sa bouche grande ouverte, était sur les fesses. Littéralement.

Sapristi, c’est pas le moment de rester bouche bée.

Avant qu’Ashley n’ait eu le temps d’enregistrer l’information, elle se retrouva chargée sur l’épaule de son compagnon et glissait sur le toboggan de neige nouvellement initié par le cataclysme qu’abattait Sonia.

— Tu es fou !

Le vent fouettait leurs visages. Des magiciens, dont Yorick, les imitèrent.

La tempête perdait en intensité. Dans le ciel, le rayonnement de la magicienne déclinait alors qu’Heimdall se délestait des derniers morceaux de glace à ses jambes à grands coups de poing. Les flammes dans ses yeux, parfaitement maîtrisés et calmes, fixaient le point doré sans le quitter. Il était son seul objectif, si bien qu’il ne remarqua pas que des petits bonhommes s’échappaient de la tour, et encore moins que l’un d’eux fit sauter la neige qui bouchait l’ouverture de la suivante.

— J’ai un endroit parfait pour les nuisibles dans ton genre.

D’un bond, il se saisit du problème. Le petit être était brûlant, mais rien d’alarmant pour un dieu du feu comme lui. D’un autre bond, qui fit trembler la muraille et effondrer un peu plus de roche, le dieu se mit en position, prêt à donner son meilleur lancé. Il moulina l’air, arma son bras, puis le projeta en avant. Sonia s’éloigna poursuivit par un arc-en-ciel. Sa faible lumière dorée se dissipa comme le blizzard, puis elle disparu vers les montagnes.

— Au suivant ! Fuyez, fuyez plus vite ou je vous ferais traverser. Quittez cet endroit. IMMÉDIATEMENT.

Il enjamba la muraille, tourna autour d’une tour en inspectant son intérieur par les interstices avant de passer à la suivante.

— Partez ! Retournez d’où vous venez ou je vous enverrai ailleurs. Je vous enverrez dans des contrées que même Odin craignait !

Sa main plongea à l’intérieur de la pierre et y entra comme dans du beurre.

— Contemplez ce que vous me faites faire. Contemplez le désordre que je suis obligé de causer par votre faute.

Une flopée de sorts jaillirent du trou sans lui infliger plus que quelques égratignures.

Son autre poing perça le flanc opposé et y saisit un petit bonhomme. Un petit bonhomme aux cheveux aussi doré que le nuisible qu’il avait envoyé valser vers des contrées dont il lui en dira des nouvelles.

Une douleur fulgurante parcourut son index. Puis une autre au niveau de son poignet, plus forte encore, parvint à faire couler des gouttes de son sang doré.

Un nuisible. Un nuisible s’était invité sur son bras, vêtu d’un ridicule manteau gris-noir. Une aura bleue l’enveloppait, se propageait de ses yeux telle de la fumée. Heimdall secoua sa main, l’agita dans tous les sens, mais le petit bonhomme refusait de la quitter. Alors de son autre main, il tenta de l’attraper une fois, deux fois. Les sortilèges pleuvaient sur sa tête, asticotaient son torse. Sa paume s’écrasa sur son biceps, monta jusqu’à son épaule, avant qu’enfin, elle se saisisse de Samuel.

Le Chasseur tira jusqu’à ce qu’un clic sonore ne ponctue son acharnement sur la gâchette. Il fit tournoyer Prison, visa les doigts qui le tenaient par l’arrière de son manteau, et un hurlement de douleur, suivit par sa chute dans le vide, confirma que sa lame avait touché son objectif.

Sapristi.

Il n’avait pas de plan, pas d’espoir de terrasser cette véritable montagne. Ses lèvres remuèrent, la main qui tenait son revolver s’agita, sa descente ralentit. Le vent caressa doucement ses cheveux, puis Sam s’enfonça jusqu’à la taille dans le froid de la neige.

À son grand étonnement, Heimdall ne l’écrasa pas sous ses bottes en fourrures. Quelque chose dans sa paume retenait son attention. Quelque chose qui l’obligeait à tendre l’oreille pour l’entendre.

— Parle plus fort petit être avant que je ne t’expédie au Pays des merveilles, ou pire, dans un endroit terrestre reculé que l’on appelle « zone blanche ». J’ai entendu dire que c’est ce que craignent le plus les Midgardiens.

— Si... si nous sommes tant que ça embêtant, il faut que vous nous envoyiez vers un... un endroit dont jamais nous ne sortirons. Un endroit maudit comme, je ne sais pas... non. Ça doit être trop compliqué pour vous. Envoyez-moi dans votre Pays des merveilles.

Des sorts harcelaient toujours son armure, un détail dont il n’en avait cure. Les sourcils froncés, il positionna la jeune femme devant ses deux yeux emplis d’une fumée jaune semblable à celle de Sonia.

— Où est-ce ? Nulle contrée n’est hors de mon atteinte.

Malgré la peur, Ashley parvenait à soutenir son regard. Machinalement, elle écarta la mèche devant ses yeux.

— Eh bien, à ce qu’il paraîtrait, l’Eldorado serait un endroit très dangereux et inaccessible. Mais si ce que vous dites est vrai, et que même ce lieu si difficile d’accès est à votre portée, c’est que vous êtes très puissant. Je dirais même que pour démontrer toute votre puissance et dissuader de nouveaux euh... nuisible d’oser pénétrer... chez vous, vous devriez m’y envoyer.

Heimdall pinça ses lèvres en reculant son cou.

— Ce que tu dis n’est pas dénué de bon sens. Tes paroles sont sage pour une midgardienne, et ton courage à lutter – il jeta un bref regard à l’entaille qu’elle lui avait faite à l’index avec sa dague – contre un ennemi ô combien plus fort que toi te rendrait digne de devenir une valkyrie. Je vais faire cela. Puisses-tu t’en sortir ou bien te retrouver au vaha... ah oui, c’est vrai. Il a été détruit.

Sans plus de discussion, Heimdall referma son poing, exerça les habituels moulinets de son bras droit, puis lança Ashley en direction des montagnes, un arc-en-ciel dans son sillage.

 

Son cœur battait à mille à l’heure, la neige ne suffirait pas à amortir la vitesse dans laquelle elle filait. En bas, les murailles paraissaient ridiculement petites, tout comme son lanceur, alors que les montagnes s’approchaient. Leur beau manteau blanc reflétait les lumières éclatantes des multiples tunnels à l’en aveugler.

C’est donc ainsi que je vais mourir ? Lancée par un dieu géant fou qui veut m’envoyer dans un autre monde en pensant que je suis une balle ?

Ashley mit ses mains devant-elle comme si elles pouvaient l’empêcher de s’écraser.

La précision d’Heimdall était incontestable. Elle s’engouffra à la perfection dans un tunnel éclairé d’une lumière tamisée émeraude. Un cri s’échappa de sa gorge alors que son corps serpentait dans la galerie, remontait, descendait, zigzaguait entre des stalagmites et des stalactites.

À peine remarqua-t-elle le halo jaune autour de sa peau qu’il disparut et la laissa tomber sur le sol rocailleux. Le froid réinvestit aussitôt son être à l’en faire trembler. De la buée s’échappait de son nez à chaque expiration.

— Tou...toujours vi... vivante ? se répercuta la voix de Sonia, lointaine et grelottante.

Ashley se releva avant de balayer la neige de ses vêtements. Ses extrémités s’alourdissaient, tout comme ses mouvements.

— Où es-tu ?

— Dans une galerie qui mène au... au pays des... des ours heureux. J’ai réussi à... à...

Elle éternua si fort que le son se balada dans les excavations pendant plusieurs secondes entières.

— J’ai réussi à m’arrêter... avant de traverser la bulle... la bulle magique.

Le silence prit place. Ashley s’entoura de ses bras, à la recherche de la moindre chaleur. Sa jambe avança, puis l’autre fit de même. Chaque pas enflammait davantage son sang.

— Sonia ?

Rien. Elle devait avancer, passer la bulle pour ne pas mourir de froid. Peu importe ce qui l’attendait à l’Eldorado, c’était toujours mieux que de finir en surgelé.

Sam me retrouvera, se dit-elle pour se rassurer. Mais il devait encore être aux prises d’Heimdall, et rien ne garantissait qu’il l’enverrait aussi dans le bon tunnel. En admettant que c’était bel et bien le bon.

— Sonia ?

Sa voix tremblait presque autant que ses membres.

Un fredonnement s’éleva soudainement dont l’air ne lui était pas inconnu. Alors que ses pas continuaient de l’emporter plus profondément dans la grotte, un éclat émeraude, probablement la source de cette ambiance tamisée, pointait le bout de son nez entre des stalagmites.

— Ash... Ashley, si tu as l’occasion d’apprendre la magie... fais-le.

— Tu pe... peux me rejoindre ?

Ses lèvres s’engourdissaient, les mots peinaient à traverser sa gorge.

La magicienne ne l’entendit pas ou ne considéra pas sa question comme prioritaire.

— Voilà ta... ta première leçon : comment faire ap... apparaître une... fl... flame et ne pas mourir. Met ton... ton... ton pouce sur ton majeur et claque des doigts en... en prononçant ignis.

Après quelques secondes, elle ajouta :

— Accepte la magie comme un cadeau... c’est im... portant.

Ashley positionna son pouce sur son majeur, puis les entrechoqua.

Ignis.

Rien ne se passa. Elle ressaya une fois, deux fois... vingt-quatre fois sans autre succès qu’une douleur fulgurante aux bouts de ses doigts.

— Je... je n’y arrive p... pas. Je ne vois p... pas comment...

— N’essaye pas de... de voir... Ressens.

Ashley s’arrêta, concentrée sur ses ongles tremblants. Malgré qu’elle ait déjà observé des manifestations magiques, des sortilèges ou d’autres choses toutes aussi invraisemblables, un blocage l’empêchait de ne serait-ce qu’imaginer un tel phénomène émanant de sa personne.

Pourtant, ça ne serait pas la première fois.

La Forêt-Noire, la pyramide de Khéops, les remparts... Cette même sensation qui l’envahissait... Elle savait. Elle savait que la magie avait déjà parcouru son être sans même qu’elle n’y réfléchisse.

Ignis.

La chaleur monta de son cœur jusqu’à ses extrémités, le froid perdait son emprise sur son corps. Une flammèche rouge apparut. Belle, pleine d’espoir. Elle flottait, bougeait en même temps que sa main.

— J’ai réussi !

Le sortilège s’évapora. Ses effets persistèrent, tels une faible bride de ce qu’ils étaient lors de l’invocation de la flamme, et lui apportèrent une fatigue qui l’engourdie presque autant que le froid quelques secondes plus tôt. Néanmoins, celui-ci ne parvenait plus à percer sa peau. La flamme rouge, au lieu de disparaître dans le courant d’air du tunnel, semblait avoir été absorbée par son corps.

Les chantonnements de Sonia s’élevaient de nouveau, lointains, aussi audibles qu’un murmure. Son effusion de joie n’avait pas attiré son attention.

— Sonia ?

Ashley scruta le mur à la recherche d’une crevasse qui lui permettrait d’avancer dans la direction du chant de la magicienne, sans rien trouver. Avancer un peu ne lui donna pas plus de résultat.

— Est-ce que tu vois un passage ou quelque chose comme ça pour te rejoindre ? Sonia ?

L’écho de sa voix fut sa seule réponse.

La flammèche rouge réapparue au-dessus de ses doigts au bout de la sixième tentative. Sa chaleur expulsa de ses extrémités le froid, déterminé à ne pas se laisser vaincre aussi facilement.

— Sonia, s’il te plaît... Il faut...

Soudainement, les chantonnements s’arrêtèrent :

— J’attends que m... mes potions fa... fassent effet, ne craint rien pour... moi. Quitte cet endroit, je te... te rejoindrai avec ceux du groupe qui... qui seront là quand je partirai.

— Mais...

— Quitte cet endroit.

L’écho du chant revint, plus faible encore, mais toujours là. Ashley s’enfonça à contrecœur vers l’origine de la lueur émeraude. La chaleur de la flamme ponctionnait un peu plus ses forces à chaque fois qu’elle la ravivait.

Au loin, une rangée parfaitement droite de stalactite et de stalagmite, telle une haie d’honneur, menait à une surface verdoyante. Ses mains n’hésitaient pas à s’appuyer sur les pics gelés pour l’aider à progresser, pressées de quitter cet enfer blanc.

Plus rien ne pouvait l’empêcher de troquer la neige et le froid contre l’agréable température que devait offrir la jungle luxuriante, de l’autre côté de la bulle magique. Il ne restait que quelques pas. Ashley était si près qu’elle pouvait presque la toucher.

Ses pensées se tournèrent vers son compagnon. Ses espoirs, sur sa capacité à la retrouver. Si on qualifiait l’Eldorado de « cité maudite », il devait bien y avoir une raison. Sa nouvelle capacité à produire une ridicule étincelle de magie ne lui serait pas d’une grande utilité si une monstruosité lui tombait dessus.

Sortit de nulle part, une forme au bout arrondi rouge et blanc s’abattit sur son crâne. La stupeur et sa vitesse ne lui permirent pas de l’esquiver.

Sa vision se troubla, la douleur la projeta au sol alors que la chaleur réconfortante de sa flamme magique disparaissait.

L’homme la surplombant flottait dans un costume rouge déchiré et beaucoup trop grand. Sa barbe blanche, aussi longue et sale que ses cheveux, se creusait au niveau de ses joues. Avec ses dents serrées, son expression, digne d’un dément, donnait l’impression qu’il avait pour dessein de la manger ou pire encore.

En tout cas, si elle en croyait le sucre d’orge géant dans ses moufles noires dirigé dans sa direction, il ne semblait pas désirer l’inviter à jouer à une partie de scrabble.

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