Il lui semblait que toutes ses nuits se terminaient de la même façon. Qu’après avoir lutté contre un vent démentiel ou tiré un cadavre calciné d’un incendie, on venait lui prendre la main. Fatou, Leïla, ou Nérée ; et que le vacarme, la fumée et le sentiment d’étouffer disparaissait. Les étoiles montaient alors du sol, et un ciel astré se déployait au-dessus d’eux.
Quand il se réveillait, Sofiane avait le cœur battant et une sensation de chaleur sur sa paume.
27
— Comment ça va ?
C’était à la fois rassurant et chiant que chaque séance démarre par cette question. Parfois, Sofiane ne savait juste pas quoi répondre.
— Ça va, dit-il tout de même.
Et comme il ne pouvait pas s’arrêter là, il développa :
— J’ai proposé à un collègue d’aller prendre un verre un soir.
— C’est très bien ça.
Et le psy avait vraiment l’air fier, ce qui lui fit du bien.
— Il a accepté ?
— Il a dit qu’il devait s’arranger avec sa femme, pour garder les enfants, mais que ça lui ferait plaisir. Je crois qu’il mentait pas.
Le psy hocha la tête. Sofiane se tordit les mains, évita son regard pour le poser sur le presse-papier éléphant, et avoua :
— J’ai dû vraiment prendre sur moi. J’avais la gorge noué et une grosse boule dans le ventre.
— Mais vous l’avez fait.
— Ouais. Il aura juste fallu six mois, dit-il avec un petit rire d’auto-dérision.
Le psy croisa les doigts sur le bureau. Sofiane fixa le sol. Il finissait souvent par étudier les chaussettes de son médecin. Aujourd’hui, elles étaient disparates. Il se demanda s’il le faisait exprès, pour tous ces patients qui ne tenaient pas son regard.
— Il y a six mois, vous pensiez impossible de redevenir pompier volontaire, fit-il remarquer. Voyez où vous en êtes, aujourd’hui.
Le silence s’étira.
— Ouais, concéda Sofiane.
Il grimaça, le psy eut l’air amusé.
— Ma maman est super contente, en tout cas. J’ai dû l’empêcher de vous faire un tupperware de tajine… Mais si ça vous intéresse, je peux toujours m’arranger.
Son médecin éclata de rire.
— C’est gentil, mais je fais attention à mon poids.
Sofiane haussa les épaules. Encore un petit silence, fendu en deux par des travaux lointains dans la rue. Y avait toujours des travaux, ici.
— Et avec vos amis, tout se passe bien ?
— Oui. Leïla est vachement à l’écoute, j’essaye de lui rendre la pareille. De lui dire quand ça va pas, aussi. Mais elle me donne envie d’aller mieux.
— Donc vous avez été réguliers dans la prise de votre médicament, depuis la dernière séance ?
— Oui, affirma Sofiane en se redressant.
Il se racla la gorge et changea de sujet :
— Fatou va peut-être venir en France avec sa mère. Nérée fait tout pour, en tout cas.
Et il lui en était reconnaissant. C’était dur de la savoir aussi loin.
— Et avec Nérée, ça se passe comment ?
— Encore un peu bizarre, avoua Sofiane en se mordant la lèvre. On cherche un peu un équilibre je dirais. Il est surtout en contact avec Leïla, et je trouve ça bien… à défaut de se trouver un psy.
Le sien hocha la tête, signe qu’il écoutait et non qu’il prenait parti. Nérée trouvait inutile de raconter son histoire à un médecin après s’être débrouillé seul toutes ces années. Sofiane se retenait de lui dire que ces années avaient justement été très difficiles… Nérée semblait convaincu que les retrouver faisait toute la différence.
Pour l’instant, disait Leïla, ça avait effectivement l’air d’aller bien. Nérée avait des projets, auxquels Fatou et Sofiane adhéraient pour le moment.
Sofiane avait d’ailleurs une après midi d’hôpital qui l’attendait, demain, avec Karima à ses côtés pour le rassurer. Sybèle avait apparemment envisagé de faire de son sang un vaccin, mais son monde partait à vau l’eau, et les priorités étaient alors autres.
Sofiane, lui, avait le luxe de pouvoir essayer.
— Je vais mieux, formula-t-il à voix-haute.
Ça lui fit du bien.
— Vos cauchemars ?
— Ça s’améliore. Ça commence toujours mal, mais maintenant ça finit bien.
— Vous avez refait des crises d’angoisses ?
— Une y a cinq jours. J’ai paniqué lors d’un exercice, au boulot. Mais elle est vite passée, et les collègues ont été sympas.
On lui avait tendu un café, souri et encouragé. Il avait failli en pleurer.
— Ce n’est pas comparable à avant, mentionna le psy en parcourant son dossier.
— Non, c’est sûr.
Et il espérait que ça resterait ainsi.
— Je vais bien, répéta-t-il. Et je sais où je vais.
Il n’était certainement pas « le meilleur d’entre nous », comme disait la presse avant. Ça c’était plutôt Leïla ou Fatou, avec leur empathie et leur patience. Mais il avait à cœur de soutenir leurs projets et de faire quelque chose de bien de sa vie et de ses capacités.
Peut-être qu’ils enrayeraient quelque chose dans la lente agonie de leur monde. Peut-être qu’ils feraient une différence.
C’était le souhait un peu désespéré de Nérée, mais Sofiane avait envie d’y croire. Si personne n’agissait, même un peu, rien ne bougerait.
Alors un point super important dont j'ai peu parlé jusqu'ici : je suis tellement contente de découvrir cette histoire là en ce moment, parce que je suis vraiment dans un contexte où j'ai envie de récits qui parlent de l'effondrement à venir et de comment on gère, comment on essaye d'enrayer, de survivre, de réparer, bref, ça tombe à pic. J'aime la fatalité avec laquelle les catastrophes surviennent. J'aime que ce soit une histoire engagée, du coup, sans que le propos fondamentalement militant soit nécessaire ; juste, voilà, c'est ça qu'il se passe, maintenant on essaye de faire au mieux, voilà. (je vois que Liné l'a perçu un peu comme ça aussi) C'est très agréable de lire un récit qui prend en compte la catastrophe. Qui la met au cœur de l'intrigue. Mais qui tisse toute une trame dense et colorée autour. J'aime vraiment beaucoup, beaucoup, beaucoup.
Je suis hyper touchée par ce que je devine de toi chez Sofiane.
J'adore cette histoire qui s'achève mais pas vraiment. Tout reste à faire. La perspective de la recherche sang-vaccin est super chouette.
Je trouve intéressantes les suggestions des autres lectrices (j'ai lu leurs comms après rédaction de mon premier retour) : évoquer Nérée plus tôt, la perception de Leïla sur la fin (et même de Fatou aussi : elle est rentrée chez sa mère ? La situation entre elles semblait compliquée quand même ?)... J'ai aussi très envie d'en savoir plus sur ce qu'ils ont mis en place concrètement... Mais bon il faut être claire : ça fonctionne tel quel, c'est juste que baaaaah j'en veux encore quoi, tout ce que tu pourrais ajouter comme précisions j'en serais si contente xD Cela dit comme je t'en parlais, j'ai admiré ta capacité à concentrer cette histoire sur l'essentiel. Un autre point (mais nul) : j'ai continué de remarquer pas mal de coquilles type accord d'adjectifs ou de verbes, j'avais envie de me laisser porter donc je ne te les ai plus notifiées, mais si un jour tu veux que je fasse une salve de corrections purement orthographiques, n'hésite pas : ce sera un plaisir de relire avec cette attention-là ♥
Ce récit mérite tous les éloges qu'on lui fait, vraiment ♥ Merci de l'avoir partagé avec nous ! Je ne sais pas si les ME d'aujourd'hui sont prêtes pour une telle histoire : l'âge des personnages la rend difficile à classer, certains thèmes aussi, la taille est un peu entre-deux également... mais si un jour tu auto-édites, je t'en achète mille exemplaires pour les offrir à tour de bras, voilà, c'est dit :)))
Merci de ta lecture, de tes retours, de ton enthousiasme et de ces gros compliments de fin ! (ça me donne presque envie de l'auto-éditer, tiens). Avoir ce genre de retour, ça donne vachement confiance, et que je pense que j'étais prête à oublier ce texte dans mon ordinateur, ben ça me fait aussi hyper plaisir.
Aller plus loin dans l'histoire, je pense que c'était prendre le risque de tourner en rond, de me lancer dans des messages bancals qui ne serviraient pas à grand chose. Ce que je raconte, c'est des évidences, des choses qu'ont sait. Chacun en fait ce qu'il veut, chacun est responsable de sa petite partie.
Les coquilles d'accords, c'est clair que ça a dû pulluler. Peut-être que pour en faire un texte au meilleur de sa forme, j'accepterai effectivement ta proposition de le corriger. Merci d'avance de proposer !
Merci Erybou ♥
Bonne année, joyeux Noël, heureuses Pacques et bonne Saint-Valentin ! (super blague)
Mais surtout : merci pour ce très, très chouette moment de lecture ♥
Tout le roman garde sa promesse initiale, je trouve : de la douceur, de la justesse dans les émotions, des introspections qui sonnent juste et des personnages qu’on a envie de connaître dans la vraie vie, tellement ils sont bienveillants. Et le chat, aussi. Important !
J’aime beaucoup l’idée du coming-of-age de héros aux pouvoirs surnaturels mais qui restent profondément humains (le hasard a fait que j’ai re-regardé Incassable ce week-end). Je pense forcément aux crises écologiques, à la solastalgie, et à la pierre que cette histoire apporte à ces édifices. J’y vois quelque chose de l’ordre de la résignation, « les catastrophes sont là, et donc on fait quoi », la question personnelle de sa propre implication dans tout ça, et les réponses individuelles et collectives. J’aime l’idée qu’un seul super-héros ne résoudra rien, que c’est le groupe qui compte, et que même ce groupe-là reste faillible.
Tout comme Rachael, je me suis demandée comment l’histoire se terminerait. Je voyais les chapitres avancer, l’intrigue avec, et je me disais « mais mince, donc tout va se clôturer en si peu de temps ? ». Et en vrai ça fonctionne, parce qu’on reste à hauteur de Sofiane et de ses acolytes – exit le « iels sauvèrent magiquement le monde, c’était facile tavu ».
L’épilogue est peut-être un poil court, ceci dit ? Moi aussi je me suis demandée pourquoi Sofiane parlait de tout ça avec sa psy, alors que ça reste touchy. Et puis, une fois les résolutions passées, on a quand même envie de mieux visualiser ce que chacun-e devient, dans cette nouvelle organisation !
Merci encore et à très vite ♥
J'avais complètement oublié de te répondre, j'ai honte ! Très bon 14 juillet, à toi ! (la blague se poursuit)
C'est toi que je remercie pour ta lecture et ta bienveillance à chaque commentaire ♥ Merci pour cet ultime retour, je suis très heureuse que ça t'aie plu !
(ce psy vous perturbe xD En soi, il peut raconter ce qu'il veut. S'il n'y a pas mise en danger d'autrui, le psy est lié au secret médical (et je me disais que Sofiane allait un peu ré-endosser son gilet de super héros à la fin), mais ça peut se modifier !
♥
Jusqu’au dernier moment, j’aurais été touchée au cœur par tous tes personnages, avec une connexion particulièrement forte avec Sofiane : la narration étant écrite de son point de vue, c’est un exercice délicat que tu as mené avec brio, on s’attache à lui dès le début et j’ai été très émue de le voir évoluer, surmonter petit à petit son syndrome du sauveur-raté et sa dépression, parvenir à une réconciliation aimante et apaisée avec Leïla (sachant que tu n’as jamais joué la carte de la grosse fâcherie, c’est bien plus subtil que ça) et se réconcilier aussi avec son passé-futur, tout ça grâce à sa rencontre avec Fatou, véritable élément déclencheur. Et le coup du “je sauve le chien aussi”, c’est typiquement le genre de choses qui font que je ne peux qu’aimer ce personnage jusqu’à la fin des temps. Voilà.
J’ai été happée par la confrontation finale avec Nérée qui est un parfait vrai-faux antagoniste : un personnage seul, tourmenté, à la fois plein de regrets et d’espoirs, dont les ordres ont été exécutés avec un peu trop de zèle. Il y a un glissement assez fin au fil de l’histoire qui fait qu’on réalise que les véritables ennemis à combattre, ce sont les dégâts causés par l’homme sur la planète et les peurs qui empêchent d’avancer.
J’ai aussi trouvé super prenante l’évacuation de l’immeuble : comme pour le passage de la libération de Fatou au début et de la tempête sur la route, je trouve que tu as une belle capacité à nous faire passer de scènes intimistes passionnantes à des scènes d’action haletantes. Chapeau !
Je sais que tu doutais un peu sur la fin de cette histoire, mais je la trouve cohérente, c’est un vrai sentiment d’achèvement avec la porte ouverte sur un autre avenir possible que celui qu’a quitté le trio originel. Il y a une vraie lumière au bout du tunnel. Les seuls conseils qui me viennent pour optimiser la narration, si tant est que tu le souhaites, seraient peut-être de rajouter au début du récit des petites touches en arrière-plan sur la forte médiatisation du personnage de Nérée (qui fait tout pour être visible des deux autres) et l’enjeu planétaire. Bon, comme j’ai lu les chapitres au fur et à mesure, tu l’avais peut-être déjà fait et j’ai possiblement perdu de vue ces éléments. Mais je sais qu’au début de l’histoire, je ne m’attendais pas du tout à ce que l’avenir climatique de la planète soit l’enjeu central du récit. Quant à Nérée, il y a des mini-passages écrits de son point de vue que j’ai adorés et je me suis demandé si, éventuellement, tu pouvais en déplacer/ajouter en début d’histoire ? A voir, il ne faudrait pas que ça gâche les révélations non plus. Je pose ça là, tu en fais ce que tu veux ^^
Pour moi, l’un des grands tours de force du récit, c’est la révélation du passé-futur de Sofiane et Fatou : on se pose PLEIN de questions, on fait des théories et, malgré tout, la réponse apportée est à la fois hyper cohérente et totalement inattendue. J’adore quand je suis surprise comme ça !
Je te remercie, Claquette, pour m’avoir si joliment transportée avec cette histoire, elle occupera toujours une place particulière dans mon coeur ♥
Ca va sembler idiot, mais je suis contente que tu aies relevé l'aspect (je sauve aussi le chien) de Sofiane. Ca a fait un peu partie de lui, et c'était important pour moi mais j'avais conscience que c'était un reproche qu'on pouvait lui faire ("me" faire, en un sens, aussi). Qu'on pouvait trouver ça ridicule. Mais personne n'a semblé gêné jusque là, et tu le soulignes même comme son trait de caractère.
Ce roman aura été un sacré exercice à scènes d'action xD Je suis très fière de les avoir toutes menées de front ! (et très soulagée qu'elles aient semblé fonctionné sans déborder sur les temps plus calmes !)
Merci pour tes conseils !
Je pense avoir ajouté dans les premiers chapitres - après ta lecture - des éléments sur les perturbations climatiques, justement. Il faudra que je m'assure d'en mettre assez pour que ce soit gardé à l'esprit tout au long du récit, mais je suis bien d'accord avec toi sur cette correction à apporter (on sent que je tatonnais un peu au premier jet).
Je suis aussi d'accord sur le fait que je peux mentionner Nérée plus tôt. Une interview à la radio, peut-être, puisque Sofiane n'a pas forcément suivi les pages youtubes ou autre de Nérée. Mais comme tu le dis, il fait tout pour être visible et toucher les gens, donc le mentionner et je faire parler au début est important !
Pour les mini passages écrits, je les garderais bien pour la fin justement, quand il se met à exister réellement dans le présent de Sofiane. J'ai peur de griller sa carte dès le début en l'y mettant. C'est peut-être bête.
Merci encore Cricri ! ♥♥
Dans les remarques plus terre à terre, je me suis demandée ce qu'il racontait exactement à son psy, parce que les histoires de voyage dans le temps, je ne le sens pas trop...
Au final, je trouve que tu arrives à donner beaucoup de corps et d'âme à ton histoire et à l'ancrer dans un certain réalisme, alors que ce n'était pas gagné au début, considérant le sujet.
Sa force principale est vraiment pour moi la justesse des sentiments et des émotions, celles de Sofiane comme celles des autres personnages importants: leurs doutes, leurs regrets, leurs souffrances.
On perd un peu de vue Leila vers la fin, et c'est un peu dommage, j'aurais aimé voir aussi un peu la fin par son prisme, elle qui est étrangère au trio.
Je suis triste d'être parvenue si vite à la fin, tes personnages vont me manquer, on aurait envie de connaître la suite de leur histoire, maintenant qu'ils se sont retrouvés...
Bisous !
Merci mille fois d'avoir lu cette histoire ♥ J'ai serré les fesses, parce que je ne savais vraiment pas si cette fin pouvait satisfaire quelqu'un d'autre que moi "xD Mais il semblerait que ça va ! J'ai l'impression d'avoir réussi à transmettre ce que je voulais transmettre (ils peuvent agir à un certain niveau, sans sauver le monde d'un claquement de doigts)
C'est vrai qu'il ne raconte peut-être pas encore tout à son psy (après, quand tu écoutes un super-héros, tu finis peut-être par accepter des choses), mais la dépression de Sofiane était due à cette femme tuée en voulant la sauver. C'est là-dessus qu'il travaille, sur les limites de sa toute-puissance, l'acceptation de ses erreurs (aussi graves soient-elles) et comment surmonter, comment se ""racheter"" (j'insiste sur les doubles guillemets, ne rentrons pas dans un débat xD)
Bref, il se soigne ! C'était important pour moi de finir l'histoire en lui donnant toutes les billes pour évoluer dans le bon sens.
Il faudra peut-être que je trouve un éclairage plus fort pour Leïla sur cette fin, alors. Elle est aussi essentielle que les trois autres pour moi.
Merci encore de ta lecture et de tes retours ♥