Ce soir-là, après que tout le monde fut parti, un silence de mort s’abattit sur la maisonnée tout entière.
Après avoir couché Liam, j’errai dans les couloirs déserts. Tout était si calme qu’on aurait pu croire le manoir abandonné. La tête ailleurs, je ne remarquai pas tout de suite que mes pas me guidèrent devant la porte de Calista.
Mes yeux me brûlèrent et j’hésitai, la main suspendue au-dessus de la poignée. Des images me revenaient, des souvenirs aussi beaux qu’agaçants. Calista… Il y a peu encore, tu dansais au milieu de cet océan de roses qu’était ta chambre…
Prenant mon courage à deux mains, j’entrai.
La pièce était plongée dans la pénombre, seuls quelques rayons de lune l’éclairaient. J’avançai de quelques pas, allumant les appliques qui délivrèrent une lumière tamisée.
La première chose que je remarquai, avant même le silence épais qui régnait, fut cette entêtante odeur de rose qui flottait dans l’air. Calista sentait toujours la rose…
Puis je vis l’immense miroir à pied au fond de la pièce. Comme tous les miroirs de la chambre, il était couvert d’un drap, mais la pièce était si grande que le drap semblait trop court, laissant paraître le cadre de nacre décoré à la feuille d’or. Calista adorait l’or.
Sa chambre était si grande… À droite, un immense lit à baldaquin attendait, ses tentures de soie pastel se balançant doucement dans un courant d’air nocturne. Je m’en approchai, effleurant du bout des doigts les fleurs fanées dont les tiges s’enroulaient gracieusement autour des colonnes du lit. Un sourire me vint. Je ne lui avais jamais demandé par quel miracle elle était parvenue à faire pousser un rosier à même sa chambre. Était-ce le fruit de la magie de mère ? Ou un autre cadeau d’Amore ?
Non loin de là, juste à côté de la fenêtre entrouverte, une immense armoire en bois de chêne se dressait contre le mur. Des peintures en décoraient les portes à double battant, champs de fleurs multicolores que j’avais vu une nuit en rêve et que je lui avais peint. La peinture était un peu écaillée après tout ce temps, mais le dessin demeurait visible, ses couleurs à peine défraichies. Tandis qu’à l’intérieur, des centaines de robes et de chaussures reposaient, toutes plus belles les unes que les autres. Orphelines…
En tournant la tête, j’aperçus sa bibliothèque, minuscule étagère ne contenant que contes de fée, recueils de poésie romantique et romans à l’eau de rose. Leurs dos semblaient usés, comme après des heures et des heures passées à les lire et les relire. Sans doute avait-elle fini par les apprendre par cœur.
Je m’en détournai, approchant finalement de l’imposante coiffeuse de bois blanc et ses miroirs couverts. De multiples produits de cosmétique – entamés comme neufs – et de boîtes à bijoux s’y étalaient de ci de là, pareil à un capharnaüm bien pensé. Combien avait-elle de parfum ? Non, je ne préférais pas y penser, toutes ces fragrances me donnaient d’ores et déjà le tournis.
Je me laissai tomber sur le tabouret rembourré, observant tout ce bric-à-brac, songeuse. Je ne me souvenais même plus du nombre de boîte à bijoux qu’elle possédait. Calista était de loin ma sœur la moins ordonnée. Sauf pour ce qui était de son placard, là, ses robes se faisaient suite dans un ordre parfait. Un peu comme les jumelles et leur fouillis de matériel qui trainait un peu partout. Il n’y avait que lors de leurs expérimentations qu’elles faisaient preuve d’une organisation minutieuse.
Je restai planté là un moment, des souvenirs plein la tête. Mais, alors que je m’apprêtais à rejoindre ma chambre, je remarquai quelque chose caché sous son armoire. La forme brilla dans un rayon de lune et je m’approchai, curieuse. Je dus me contorsionner pour passer la main sous l’imposant meuble, mais je parvins à en sortir ce qui avait attiré mon regard. Et, quand je posai enfin les yeux dessus, je me figeai, incrédule.
Il s’agissait d’un vieux reliquaire aux parois de pierre couleur de nuit et aux bordures d’argent gravé. Une belle-de-nuit aux pétales de pierre de lune en ornait le couvercle, splendide. Le reliquaire de grand-mère Cordélia… songeai-je aussitôt.
J’ignorais que c’était Calista qui en avait hérité…
Je m’installai à nouveau devant la coiffeuse, y déposant avec milles précautions le coffret dont les breloques de cristal tintèrent. Je le regardai longuement, envoûtée.
Je ne comprenais pas. Ce reliquaire était l’un des trésors de la famille, il avait traversé les âges, passant de main en main, de génération en génération, mais il me semblait qu’il revenait à l’aîné, toujours. Alors… pourquoi Calista en avait-elle hérité ? L’avait-elle volé comme elle avait subtilisé la veste de Rihite ? J’en doutais. Et, en y repensant, j’imaginais sans mal Rihite et Marietta expliquer que, même si c’est un splendide objet, ils n’en auraient aucune utilité. Où Marietta aurait-elle pu le ranger dans son bazar de plantes et de livres de médecine ? Qu’aurait fait Rihite d’un bijou pareil, lui qui préférait collectionner les coquillages et coraux qu’il pêchait ?
Plus j’y pensais, plus j’en venais à me dire que père avait choisi de le léguer à Calista consciemment. Pourtant, une ombre subsistait. Si Calista n’avait eu aucune raison de redouter qu’on le voie en sa possession comme je le pensais, alors pourquoi le cachait-elle sous l’armoire ?
N’y tenant plus, j’ouvris le couvercle et jetai un œil dedans.
Au fond, je ne savais pas bien à quoi je m’attendais, mais certainement pas à ça.
À l’intérieur du précieux reliquaire ne se trouvait aucun bijou ou pierre précieuse ou tout autre relique onéreuse dont raffolait tant ma sœur, mais un bric-à-brac d’objets hétéroclites. Une vieille poupée de chiffon faite à la main, des lettres manuscrites, une plume et son splendide encrier soigneusement rangé dans leur coffret, une fleur séchée encadrée, un recueil de poésie écrit à la main, une fine chaîne d’or à laquelle pendait un minuscule médaillon en forme de cœur…
J’écarquillai les yeux, stupéfaite. Je reconnaissais tout ça…
Je plongeai une main dans le coffret et en sortit le médaillon qui se balança devant mes yeux. Je le regardai longtemps, subjuguée, puis finis par l’ouvrir. À l’intérieur, une photo de Calista et moi y reposait. J’en eus les larmes aux yeux.
– Elle les a gardés… murmurai-je sans y croire.
– Évidemment.
Je sursautai et me retournai, une larme coulant sur ma joue. À l’entrée de la chambre, Marietta me regardait avec un sourire tendre. Elle s’approcha, observant avec nostalgie les babioles que contenait le reliquaire. Elle en sorti un vieux dessin aux fusains représentant Calista dans un château de conte de fée en train de chanter. Son sourire ne se fit que plus doux encore.
– Elle a gardé chacun des cadeaux que tu lui as offerts.
– Mais… je croyais…
– Qu’elle les avait jetés ? termina Marietta en reposant le dessin. Jamais de la vie. C’était ses plus beaux trésors.
– M-mais elle n’arrêtait pas de dire…
– Adaline… soupira Marietta. Tu sais comme Calista aimait t’embêter. Elle ne le faisait pas méchamment, elle était maladroite, mais jamais elle n’aurait jeté quelque chose qui venait de toi. Regarde.
Elle fouilla dans la boîte et en sortit la fleur séchée encadrée et le petit recueil de poésie. Son expression se fit rêveuse.
– Tu te souviens de ça ?
J’eus un sourire et hochai la tête. Comment oublier ? J’avais trouvé cette fleur dans un pré lors d’une balade et elle m’avait fait penser à Calista. C’était un iris d’un rose très pâle, le seul qui avait poussé dans une marée d’iris violets. Je voulais la lui offrir mais je savais qu’il finirait par faner un jour et qu’elle devrait le jeter. Alors, avec l’aide de Marietta, je l’avais fait sécher, puis encadré. Quand je lui avais offert, Calista s’était moquée en disant que ça n’avait pas grand intérêt et était passé au cadeau suivant. J’en avais été si triste que j’avais passé le reste de la soirée à pleurer.
Et ce petit recueil… À l’époque, j’avais remarqué que Calista avait commencé à s’intéresser à la poésie et j’avais essayé d’en faire. Meryl m’avait conseillé quelques bons recueils. J’avais passé tellement de temps à m’exercer… Ça n’était pas parfait, mais, pour une enfant de onze ans, le résultat n’était pas si mal. Et, quand je le lui avais offert, elle ne se moqua que de l’apparence quelque peu rustique du livret. Il me semblait même l’avoir vu sourire en lisant mes vers.
Un à un, Marietta ressortis tous les cadeaux, chaque babiole que j’avais pu trouver ou fabriquer pour mon insupportable grande sœur. Elle avait tout gardé… absolument tout. Même cette affreuse poupée de chiffon qui avait fait pleurer Meryl. Elle était tout bonnement hideuse, et mal cousue. Je n’avais jamais été très douée en couture. Mais elle l’avait gardé… et si précieusement qu’on n’aurait à peine dit que dix ans s’était écoulé depuis.
Tout ça remontait à si loin… quand lui avais-je offert un présent pour la dernière fois ?
Finalement, Marietta pointa du doigt le médaillon que je tenais toujours en main.
– Et lui, dit-elle doucement, tu ne le sais peut-être pas, mais elle le portait assez souvent.
Je la regardai sans y croire.
– Mais je n’ai jamais…
– Elle le cachait dans son corset, comme toi avec ta clé.
Je saisis cette dernière, détournant les yeux pour fixer le médaillon. À y regarder de plus près, le fermoir semblait usé.
– Je crois qu’elle était trop fière pour l’admettre, mais elle aimait beaucoup toutes tes attentions. Nous les aimons tous, ajouta-t-elle avec un sourire alors que je tournais des yeux larmoyants vers elle. Tu es la seule à t’intéresser sincèrement à nous, pas uniquement à ce que nous paraissons être. Tu sais que Liam a peur du noir et tu laisses toujours sa veilleuse allumée. Quand Meryl n’a plus rien à lire, tu parviens à dénicher des titres incroyables qu’elle ne connaît même pas et qui la ravissent. Tu es allé jusqu’à en créer un de toute pièce ! s’exclama Marietta avec des étoiles plein les yeux. Tu as même appris à danser avec Calista pour accompagner les jumelles à leur premier bal en ville, s’amusa ma sœur.
Je détournai les yeux, les joues en feu.
– Ça n’est pas si extraordinaire que ça… bredouillai-je, mal à l’aise.
– Peut-être, mais pour nous ça compte beaucoup.
Je regardai encore quelques instants le médaillon avant de tout ranger et de refermer le reliquaire en reniflant. Marietta m’observa longuement alors que je me levai pour le remettre à sa place.
– Tu devrais le garder, me dit-elle alors.
Je me retournai, surprise.
– Ce sont les souvenirs de Calista, répondis-je d’une voix mal assurée.
– Ce sont aussi les tiens. Cette boîte n’est remplie que de souvenirs que vous partagiez. Tu devrais le garder, reprit-elle.
Et elle s’en alla, me souhaitant une bonne nuit.
Après une longue hésitation, je décidai de garder le reliquaire et retournai dans ma chambre.
Allongée dans mon lit, je le regardai songeusement en triturant ma clé. Abandonné sur mon bureau, il semblait se dresser avec fierté au milieu de mes carnets de notes et mes peintures, comme un roi sur son domaine.
Tout le monde dormait paisiblement à présent. Mais, alors même que la fatigue m’écrasait, je n’avais pas envie de dormir. Je n’avais pas le courage de visiter le moindre rêve, persuadée de n’y trouver que vieux souvenirs déchirants et chagrin poignant. Calista était encore dans toutes les têtes – la mienne comprise – et je ne me sentais pas la force d’affronter de nouveaux cauchemars.
J’avais besoin de sortir du manoir, de quitter cette ambiance lourde qui pesait sur chaque pièce depuis la veillée.
J’avais besoin de m’évader.
Alors, j’attrapai un manteau et quittai le manoir. Dans cette nuit d’hiver, je sentais le froid me mordre la peau à travers la fine chemise de nuit que je portais. J’étais tellement ailleurs, tellement perdue, que j’avais oublié jusqu’à mettre des chaussures, marchant pieds nus sur le chemin menant à la ville, ignorant la douleur des pierres qui m’entaillaient la voute plantaire.
Je me sentais si vide… déphasée. Alors je marchai, ignorant le froid, la douleur et le chagrin.
En fiacre, le trajet pour la ville se faisait nettement plus rapidement. Pourtant, il me sembla passer comme un éclair. Je ne me souvenais même pas avoir traversée la ville endormie avant de me retrouver face au Temple des Rêves.
Je le regardai longuement, ce grand bâtiment de pierre lavande avec ces vitraux colorés et cette tour aux tuiles d’ardoise. Je l’avais visité tellement de fois, m’y été recueillie si souvent qu’il me semblait voir ma deuxième maison.
Je montai une série de marche et atteignis les immenses portes d’ébène. J’en poussai un battant avant d’entrer – le temple ne fermait jamais – et il se referma de lui-même derrière moi. La première chose que je vis à l’intérieur, ce furent ces milliers de bougies qui entouraient l’entrée de la nef, comme dans le Temple de la Nuit. Leur lumière chaleureuse vacilla à mon passage. Je m’en approchai, en allumai une et joignis mes mains en prière.
– Que la Nuit veille et que le Rêve prospère, murmurai-je.
Puis je m’écartai et m’enfonçai dans le temple, traversant la nef, admirant ses colonnes d’azurite, son plafond aux constellations peintes, plus belles encore que celles dans ma chambre. À cette heure, tout était silencieux, une ambiance apaisante qui adoucit ma peine, me rassura. J’adorais cet endroit, son pouvoir sur les âmes torturées. Ici, je respirais plus librement, me sentais plus légère.
Un peu plus loin, trônant fièrement au centre de l’abside, se trouvait une immense statue représentant le Dieu des Rêves. D’une pierre gris perle, le dieu était représenté les mains en coupe, un drapé l’entourant comme voltigeant dans un courant d’air inexistant. Ses yeux étaient clos et de petites ailes dépassaient de ses cheveux en bataille sur ses tempes. À ses pieds, un bassin à l’eau clair reflétait la lune, de petites fleurs et des bougies flottant à sa surface.
Je le regardai longuement en silence quand je sentis une présence apparaître derrière moi. Un papillon de nuit me dépassa et vint se poser sur les mains de la statue. Je reconnus sans mal le sphinx à tête de mort que Ciaran affectionnait tant.
Mon regard coula jusqu’au bassin et son eau si claire. Petite j’y avais plongé ma main par curiosité. L’eau était si pure que ma peau m’avait picoté. Et un prêtre s’était précipité vers moi pour m’écarter avant de me passer le plus grand sermon de ma vie.
Je sortis de ma poche la bague de ma sœur, cette affreuse rose d’obsidienne qui me brûlait les doigts. Bijou maudit… songeai-je en moi-même. Parce qu’en l’étudiant plus attentivement, il me fut aisé de reconnaître le travail de Ciaran. Cette bague empestait le cauchemar. Je m’en voulais tellement de ne pas m’en être rendue compte plus tôt.
Le silence sembla s’éterniser quand je lâchai :
– Vous avez tué ma sœur.
Mon murmure se répercuta si fort dans le temple qu’on aurait pu croire que je l’avais hurlé.
J’entendis le dieu avancer. Je ne bougeai p as, refusant de me retourner. Je sentis l’une de ses mains se glisser dans mon cou, son visage se frayant un chemin dans mes cheveux emmêlés pour atteindre mon oreille. J’avais l’impression d’être revenue des jours plus tôt dans cette ruelle sinistre… Sauf que cette fois, je n’avais pas peur. En fait, je ne ressentais rien à part une profonde apathie.
– Je te l’ai dit, douce Adaline, ce n’est pas moi qui ai tué ta sœur…
Il disparut pour réapparaître en face de moi, jouant négligemment avec une de mes mèches de cheveux.
– C’est toi. Ou, plus exactement, reprit-il après un silence, ton entêtement à me dire non.
Son regard coula sur la bague dans mes mains. Il l’observa longuement avant de me la prendre. Dès l’instant où il la toucha, la pierre disparut en fumée, la même fumée noire et répugnante que je vomissais la nuit. Je la regardai s’évaporer entre nous. La preuve avait disparu, envolée…
– Vous pourriez très bien m’y contraindre, dis-je alors qu’il s’écartait pour étudier la statue de son frère. Vous êtes un dieu, manipuler une simple mortelle comme moi, sans avoir besoin de détruire ses proches, ne devrait pas être difficile.
– Oui, mais vois-tu, la seule personne capable de forcer quelqu’un à tomber sous le charme d’une autre personne est une Déesse de l’Amour particulièrement caractérielle et ne me portant absolument pas dans son cœur.
– Je me demande bien pourquoi, dis-je sans grande conviction.
Ciaran disparut pour apparaître vautré dans les mains de la statues d’Asling. On aurait dit un chat admirant une souris depuis son perchoir.
– Disons simplement que tu n’es pas la seule à te refuser à une divinité. Il y a longtemps elle a tenté de m’attirer dans son lit. Quelle étrange personne… dit-il comme pour lui-même en regardant l’eau du bassin d’un air pensif.
Son bras pendait des mains de la statue, il l’agitait mollement, comme un enfant qui s’ennuie.
– Le plus drôle, c’est qu’elle n’aime même pas ses amants. Elle ne m’aimait pas plus quand elle m’a fait cette délicieuse proposition. La Déesse de l’Amour qui n’aime personne à part elle-même ! s’esclaffa-t-il. Quelle douce ironie ! Crois-tu qu’elle sache seulement ce que veut dire aimer ?
– Dans ce cas, vous êtes peut-être deux.
Ciaran perdit son sourire. En un battement de cil, il disparut de son perchoir pour se poster devant moi, me dominant de toute sa hauteur. Je dus lever la tête pour continuer de le regarder dans les yeux. Il paraissait soudain tellement sérieux, tellement amer, presque… triste.
– Oh, crois-moi, je sais ce que veut dire « aimer ». Excepté que, contrairement à beaucoup, je n’ai jamais été aimé en retour.
– Encore une fois, rétorquai-je entre mes dents, un regard mauvais planté sur lui, je me demande bien pourquoi.
Ciaran me regarda un instant avant de partir d’un grand rire. Son sourire semblait étrangement sincère, à croire que je l’amusais réellement.
– Vous vous ennuyez donc à ce point ? demandai-je sombrement. N’avez-vous personne d’autre à faire cauchemarder ? Pourquoi vous acharner sur moi ?
– Pourquoi ? répéta-t-il comme si la question lui semblait des plus absurdes.
Son sourire avait disparu et, soudain, il parut glacial.
– N’est-ce pas évident ? demanda-t-il sombrement.
Je le regardai longuement. Il semblait vraiment attendre une réponse de ma part. Comme s’il existait une raison, une logique à toute cette folie. Ciaran sembla presque déçu par mon silence. Il se pencha alors vers moi, posant une main glacée sur mon épaule. Sa joue effleura la mienne alors qu’il murmurait :
– Parce que nous sommes pareils.
Et, sur ces derniers mots, il disparut dans un nuage de papillons de nuit.
Je les regardai se disperser dans toute la pièce, se brûlant les ailes sur les flammes des bougies alentours. Puis je me tournai vers Asling, vers cette immense statue de lui, le regard sombre. Lui et moi ? Pareils ? Je n’y croyais pas. Nous n’avions rien en commun. Absolument rien.
– Je ne suis pas comme lui, murmurai-je dans le silence.
Mais… plus j’y pensais, plus le doute m’envahissait. Je repensai au cauchemar que j’avais failli libérer dans le rêve de Calista par jalousie. Je serrai les lèvres, comme pour en empêcher un autre de s’échapper de mon ventre.
– Je ne suis pas comme lui… répétai-je.
Mais, plus je me le répétais, et plus cela ressemblait à un mensonge.