Ce sont ma vie, mes souvenirs
Ce sont tous les mots que je n’ai jamais pu dire
la voix que vous avez fait taire
celle de l’enfant qui crie : « Aidez-moi ! »
alors qu’il me frappait
celle de l’enfant qui demande : « Pourquoi ne voyez-vous pas ? »
alors que tous voyaient
sans jamais parler
Ce sont les reflets de ma colère
qui hurlait : « Je vous hais »
alors que ma souffrance n’était que
silence
Écoutez !
je parle
je serai
LIBERTÉ
Son dos percute le sol. La lame heurte les pavés de la cour.
— Relève-toi.
Altaïs esquisse un mouvement pour se redresser, mais une violente douleur au niveau des côtes lui coupe le souffle. Il serra les dents pour réprimer ses larmes ; Elaran savait où viser pour faire mal.
— Relève-toi.
— Oui, murmure-t-il.
Il se remet debout en vacillant, ramasse son arme entre ses mains tremblantes. L’épée lui semble si lourde… Il n’a plus la force de la brandir, surtout avec cette douleur insupportable qui lui transperce le bras depuis qu’un coup trop puissant l’a heurté. L’entraînement dure depuis des heures ; des heures que son oncle le frappe et l’envoie à la terre comme si son corps d’enfant était aussi léger qu’un fétu de paille.
Il ne peut rien faire.
Il raffermit sa prise sur la poignée de l’épée. Du sang macule ses paumes et rend sa peau poisseuse. Un nouveau coup le renvoie à terre avant qu’il ne songe à passer à l’offensive. Le fil d’une lame déchire la manche de sa tunique et trace une ligne de feu sur son bras, comme pour l’avertir qu’un rien suffirait à le tuer. Une plainte lui échappe, mais il retient ses larmes.
— Relève-toi.
Il se redresse sur ses genoux, le souffle court. Du sang imbibe le tissu de sa tunique.
— Tu ne peux pas te montrer aussi pitoyable, siffle Elaran avec mépris. Tu fais déjà suffisamment honte à notre famille.
Il baisse les yeux en essayant de dissimuler son expression blessée.
Il sait tout cela.
— Relève-toi, à moins que tu ne veuilles que je sévisse.
Il s’exécute, l’esprit vide.
Regarde…
Ce que tu m’as fait.
— Tue-le.
Altaïs écarquille les yeux alors que l’ordre claque dans l’air glacial. Il observe l’homme agenouillé devant lui ; un condamné à mort, lui a dit Elaran. Son regard éteint et son expression amorphe provoquent chez lui un malaise poisseux. Il ne sait pas quel crime lui a valu cette peine, mais il ne peut pas le tuer.
— Je…
— Tue-le.
Il reste figé, écrasé par la silhouette de son oncle. Son silence doit lui déplaire, car le cliquetis caractéristique d’une boucle qu’on dégrafe résonne dans son dos. Il a tout juste le temps de se retourner et de lever un bras pour protéger son visage. Le ceinturon cisaille son avant-bras. Un hoquet de douleur s’étrangle dans sa gorge. Il trébuche vers l’arrière, mais Elaran attrape son poignet avant qu’il ne s’écroule et le serre si fort que la trace de ses doigts marque sa peau. Ses iris gris le transpercent.
— C’est un ordre.
— Je… Je ne peux pas… S’il te plaît…
Ne m’oblige pas à le tuer…
Il n’a que dix ans… Même si son oncle l’entraîne depuis des années, qu’il se montre impitoyable avec lui, il ne peut pas lui ordonner une telle chose…
Il ne veut pas…
Elaran le force à faire de nouveau face au condamné, puis il glisse un poignard entre ses doigts.
— S’il te plaît, balbutie-t-il.
Le sang dévale son bras, goutte sur le sol. Les larmes affleurent à la lisière de ses cils. L’air se refroidit autour de lui alors qu’une fine pellicule de givre s’étend sous ses pieds. La main d’Elaran s’abat sur son épaule.
— Cesse immédiatement, siffle-t-il. Tu n’utiliseras ta magie que si je t’en donne l’autorisation.
Il se recroqueville, mais son oncle se penche pour murmurer dans le creux de son oreille :
— Tue-le.
Sa magie écrase son esprit, la douleur poignarde son crâne. Ses doigts tremblent en raffermissant leur prise sur le manche de l’arme. Animé par une volonté qui n’est pas la sienne, il efface la distance qui le sépare du prisonnier et lui tranche la gorge d’un geste brusque. Du sang gicle, éclabousse son visage, tandis que le cadavre s’effondre sur le sol comme une poupée de chiffon. La magie d’Elaran relâche son emprise sur son esprit et ses jambes se dérobent sous son poids. Le poignard tombe sur les pavés avec un tintement métallique.
Un sanglot meurt avant de franchir ses lèvres. Son regard brouillé par les larmes se pose sur ses mains souillées par le sang. L’horreur lui noue le ventre lorsqu’il réalise ce qu’il a commis.
Regarde…
Ce que je suis devenu entre tes mains.
une marionnette ; un objet ; une arme
L’odeur de la viande grillée le dégoûte. Il essaie de ne pas bouger sur sa chaise malgré l’angoisse qui lui écrase sa poitrine ; les entailles qui strient son dos le brûlent dès que le tissu de sa tunique les effleure. Il entend de nouveau les hurlements de ceux qu’il a calcinés plus tôt dans la journée, sous les ordres d’Elaran, la douleur qui lui a vrillé le crâne lorsqu’il a tenté de résister, celle qui a lacéré sa chair lorsque son oncle l’a châtié pour son indocilité.
Les souvenirs achèvent de lui couper l’appétit. Il repousse son assiette alors que les conversations de sa famille se poursuivent autour de lui comme s’il n’existait pas. Thorvald et Harald échangent avec animation, Elaran acquiesce de temps à autre. Aalis écoute d’un air concentré et ponctue la discussion de quelques remarques qui lui vaut parfois des coups d’œil approbateurs de son père, d’autres fois son indifférence, tandis que Soren mange comme si tout l’ennuyait.
Personne ne fait attention à lui, et il s’étouffe dans son silence, les souvenirs et les sentiments qui l’empoisonnent. L’impression de vivre de l’autre côté d’un mur de verre lui colle à la peau.
Le regard de Thorvald se pose soudain sur Altaïs. Il ne l’a jamais apprécié, a toujours laissé son frère agir en toute impunité, mais depuis la mort de sa femme des suites d’une maladie, il semble encore moins enclin à faire preuve de patience à son égard.
— Tu ne manges pas, constate-t-il.
Altaïs se crispe en percevant les reproches sous-jacents, aussitôt sur la défensive, mais il relève le menton avec aplomb.
— Le cuisinier devrait apprendre à cuir la viande, rétorque-t-il avec ironie.
Le silence tombe sur la table. Même les domestiques qui évoluaient dans la salle se figent dans l’attente de la réponse du roi. Mais c’est finalement celle de son oncle qui résonne autour d’eux.
— Reste à ta place.
« Reste à ta place ou je te promets que tu paieras pour cette nouvelle impertinence. »
Altaïs laisse échapper un ricanement moqueur, puis il se lève en repoussant sa chaise.
— Regarde. Je donne ma place à qui la voudra.
— Personne ne t’a autorisé à partir.
— J’entends.
Il s’incline avec insolence. Les plaies à vif sur son dos manquent de lui arracher une grimace. Il n’attend pas davantage pour partir, conscient que les rumeurs se répandront dans son sillage dès qu’il aura quitté la salle, conscient qu’il paiera cette incartade avant la fin de la soirée. Mais à cet instant, il savoure ce maigre acte de rébellion.
Regarde…
Les années passent et je meurs toujours plus.
La gifle est si violente qu’il perd l’équilibre. Son dos heurte la harpe derrière lui, et il l’entraîne dans sa chute avec un hoquet paniqué. L’une des cordes lui scie la peau lorsqu’il s’écrase sur l’instrument dans un craquement. Il tente de se redresser, mais un deuxième coup heurte son visage. Un grondement lui échappe alors qu’il relève un regard haineux vers Elaran, qui le toise avec fureur.
— Le premier ne t’avait pas suffi ? siffle-t-il.
Un troisième coup le fait taire. Un goût métallique envahit sa bouche. Il devine que des hématomes parsèmeront son visage le lendemain, mais il n’est plus un enfant.
Il refuse de s’écraser.
— Petite enflure ! crache son oncle. Ta magie monstrueuse ne suffisait pas ? Ton insolence ? Il fallait en plus que tu regardes les hommes ?
Son cœur sombre dans sa poitrine. Comment Elaran l’a-t-il su ? Il pensait avoir réussi à enfouir ses émotions loin dans son esprit, à effacer cet aspect de ses sentiments pour ne garder que cette peur sourde. Même cela il ne peut donc pas le cacher à son oncle ?
Le cliquetis d’une boucle que l’on dégrafe le fait sursauter. Il n’a pas le temps de s’écarter ; une douleur soudaine lui brûle la joue. Il écarquille les yeux sous le choc, sa voix reste coincée dans sa gorge, puis la colère le submerge et prend le dessus sur sa peur.
— Vas-y, frappe-moi ! rugit-il. Tout n’est qu’un prétexte pour me haïr de toute manière !
Il soutient le regard d’Elaran de ses prunelles flamboyantes, mais ne peut réprimer un mouvement de recul lorsque l’homme fait un pas vers lui. Le bois des vestiges de sa harpe craque et fissure son coeur. La magie de son oncle se déploie autour de lui et se jette à l’assaut de son esprit, lui arrachant un gémissement. Il plaque ses mains contre ses tempes dans l’espoir d’atténuer la douleur, mais rien, rien, rien…
Son oncle utilise son pouvoir pour le manipuler,
pour le contrôler,
pour le blesser.
— Arrête ! crie-t-il dans un sursaut de désespoir.
Mais la douleur s’accentue et il se cambre sur le sol avec un hurlement.
« Les monstres doivent être châtiés. »
Des larmes roulent sur ses joues, la haine empoisonne son cœur.
Il se promet qu’un jour il détruira ce palais et tous ceux qui y vivent.
Qu’un jour il sera libre.
Regarde…
Je ne suis plus que haine et colère.
Les muscles de sa monture ondulent sous ses cuisses alors qu’elle galope le long de la falaise. Aveuglé par la pluie torrentielle et le vent qui cingle son visage, il ne voit rien au-delà d’une dizaine de pas, mais il entend la course de ses poursuivants derrière lui. Il laisse échapper une injure ; il a manqué de prudence en utilisant sa magie. À cause de cela, Elaran a retrouvé sa piste.
S’il parvient à atteindre Isshaf… Peut-être trouvera-t-il l’un des rares navires qui voguent vers d’autres contrées. La ville portuaire n’est plus très loin…
Il ferait n’importe quoi pour être libre.
— Plus vite, supplie-t-il.
Tout plutôt que de retourner au palais.
Tout plutôt que…
Un sort frôle son visage. Le sol explose quelques pas devant lui dans une gerbe de terre humide. Sa monture se cabre et le projette dans la boue. Le choc lui coupe le souffle. La vision trouble, il voit des cavaliers se dessiner, essaie de se redresser…
Il doit se redresser.
Il s’agenouille en vacillant, le corps meurtri par sa chute. La pluie ruisselle sur son visage, trempe ses vêtements. Les cavaliers s’immobilisent. L’un d’entre eux descend de sa monture et s’approche d’une démarche arrogante. Sa haute silhouette le fait frissonner.
— Tu n’aurais jamais dû faire cette erreur.
Elaran le toise d’un regard si orageux qu’il se recroqueville sous son poids.
— Je ne regrette rien ! rétorque-t-il malgré la peur qui lui tord le ventre.
Un rictus tord les lèvres de son oncle. Il ne prend pas la peine de bouger ; un instant plus tard, son neveu se cambre sur le sol en hurlant alors qu’une douleur insupportable lui transperce le crâne, paralyse son corps. La pluie se densifie autour d’eux, les gouttes translucides gèlent peu à peu comme des centaines de cristaux de givre…
— Cesse.
La glace se fendille. La pluie reprend son cours tandis que son oncle se penche pour le redresser de force.
— Tu regretteras.
Et ces mots sonnent dans ses oreilles comme la promesse qu’il ne se relèverait pas lorsque Elaran en aura fini avec lui.
Regarde…
Le fouet claque et laisse une longue estafilade dans son dos. Il carre les épaules dans l’espoir d’atténuer la douleur, mais celle-ci déferle et lui arrache un cri étouffé. Les cordes qui attachent ses poignets au poteau de bois dressé au milieu de la cour du château cisaillent sa peau.
Vingt coups de fouet, avait ordonné Thorvald.
Son corps ne tiendrait pas si longtemps.
Le fouet déchire son dos une nouvelle fois. Il rejette brusquement la tête vers l’arrière, la mâchoire si crispée que ses dents lui semblent sur le point de se briser.
Il les hait, tous autant qu’ils sont.
Il les hait tellement.
Son sang ruisselle sur son dos et sur les pavés.
Chaque coup amplifie sa haine jusqu’à ce qu’elle envahisse chaque fibre de son corps, de son esprit, de son âme.
Tu as déjà gagné.
Des éclats de voix attirent son attention. Altaïs hésite un instant à rebrousser chemin – il ne désire que le calme –, mais il reconnaît les intonations glaciales d’Elaran. Il ne lutte pas longtemps contre la curiosité et s’approche discrètement du salon d’où viennent les sons, grimaçant lorsque les plaies laissées par le fouet se rappellent à ses bons souvenirs.
— Dans le Nord ? siffle Elaran. Hors de question que je l’envoie là-bas ! Il restera au palais avec moi.
— Allons, répond Thorvald. Il ne fait que nous causer des ennuis au palais et entache l’image de notre famille. Sa fugue nous le prouve. Envoyons-le dans le Nord, un autre s’occupera de lui…
— Et laisser son pouvoir incontrôlable nous échapper ?
— Il ne s’agira plus de notre problème. Il ne menacera plus la famille royale.
— Son existence même nous menace, c’est pour cela que nous ne pouvons nous permettre de l’éloigner.
— Ma décision est déjà prise, réplique Thorvald. Il partira. Quant à nous… Nous vieillissons, il est temps qu’Harald ait davantage de responsabilités.
Un long silence suivit son propos.
— Tu m’écartes…
— Allons. Je sais que tu as dévoué ta vie à notre famille, mais Harald est l’héritier légitime. Tu es un bâtard ; tu savais que tu ne demeurerais pas l’adal éternellement.
Altaïs recule, sonné par la discussion qu’il vient d’entendre.
— Attends, ordonne Elaran.
Il met un instant à réaliser que des bruits de pas résonnent, puis la porte du salon restée entrouverte s’ouvre à la volée. Le regard gris de son oncle le transperce.
— Que fais-tu là ? gronde-t-il.
Il relève le menton avec un aplomb qu’il est loin de ressentir. Elaran lui fera regretter sa présence de toute manière.
— La conversation me paraissait intéressante, réplique-t-il.
Sa voix monte plus dans les aigus qu’à son habitude. Du coin de l’œil, il aperçoit Thorvald assis dans un fauteuil, le dos très droit et les sourcils froncés. Altaïs lui adresse une œillade suppliante, mais le roi se contente d’observer la situation sans un mot. Il est seul ; personne n’empêchera la colère de son oncle de s’abattre sur lui.
— Nous en rediscuterons, déclare Elaran à l’adresse de Thorvald. Et toi, ajoute-t-il en regardant son neveu, suis-moi. Je dois visiblement revoir ton éducation.
Il ne bouge pas, tétanisé par la menace qu’il perçoit. Son oncle émet un claquement de langue agacé et empoigne son bras. La douleur fuse dans son dos alors que ses pieds suivent traîtreusement le mouvement. Elaran perd rapidement patience ; il le rejette contre un mur au détour d’un corridor désert, et sa plainte étouffée résonne dans le silence.
— Tu ne cesseras donc jamais ? gronde son oncle.
— Qu’est-ce que cela changerait ? souffle Altaïs. Tu trouveras toujours des raisons de me haïr alors que je ne suis pas responsable de ce que tu me reproches.
— Bien sûr que si ! Tu ne comprends toujours pas ? Après tout ce temps ?
Les battements de son cœur s’affolent dans sa poitrine.
— Je comprends surtout que tu tiens à m’avoir en ton pouvoir.
Le coup vole.
Sa lèvre éclate sous le choc alors qu’un gémissement lui échappe.
— J’en ai assez. Il est grand temps que tu disparaisses.
Altaïs écarquille les yeux.
— Tu vas me tuer ? chuchote-t-il dans un filet de voix.
Il ne veut pas mourir.
Il veut s’échapper, être libre.
Elaran ne répond pas tout de suite, mais son regard étincelant lui apprend qu’il a autre chose en tête. Est-ce en lien avec la conversation qu’il vient de surprendre ?
— Tout sera bientôt fini.
Son oncle tourne les talons alors qu’il glisse contre le mur en tremblant. Sa respiration atteint difficilement ses poumons. Des bruits de pas lui font brusquement relever la tête. Il se fige un bref instant en découvrant un jeune garde avancer vers lui avec une expression inquiète. Ses cheveux forment un halo doré autour de son visage. La colère l’envahit ; parce qu’il ne peut pas la diriger contre son oncle, parce qu’il ne supporte pas qu’on le voie dans une position aussi vulnérable.
— Va-t’en ! crache-t-il.
L’air se refroidit autour d’eux alors que sa magie crépite sur sa peau. Une bourrasque glaciale s’engouffre dans le corridor. Le garde frissonne, mais il ne bouge pas, ses prunelles vertes rivées sur lui.
— Tu es sourd ?
Il se redresse avec un regard orageux. Pourquoi le garde n’obéit-il pas ? Est-ce parce qu’il sait que tout prince qu’il soit, il n’a aucun pouvoir ? Va-t-il s’en prendre à lui ?
Il fait volte-face dans l’espoir de fuir sa présence. Il n’a plus la force de tenir tête à qui que ce soit.
— Attendez ! s’écrie le garde. Je… Puis-je vous aider d’une manière ou d’une autre ?
Altaïs se fige lorsque sa voix résonne dans son dos. Les larmes lui brûlent les yeux. C’est absurde, c’est un piège peut-être, et pourtant, il ne peut s’empêcher de croire à l’inquiétude qu’il discerne dans ses mots. Mais le garde ne pourra rien changer.
Il secoue brièvement la tête, sans se retourner, puis il reprend son chemin en s’efforçant de ravaler ses larmes.
Regarde…
Tu es en train de me tuer.
Altaïs se réveille en sursaut, un mauvais pressentiment au creux du ventre. Il se redresse en posant une main sur sa tempe. Quelque chose l’appelle, l’attire hors de sa chambre. Quelque chose contre lequel il ne peut pas lutter. Il s’extirpe de son lit sans un bruit et sort de la pièce. La lune diffuse une lumière blanchâtre dans le corridor. Ses pieds le portent à travers le palais sans qu’il en ait réellement conscience. Son corps lui semble si lourd… Pourquoi s’est-il levé ? Il cligne des yeux. Lorsqu’il relève la tête, ses pensées s’éclaircissent. Il réprime un sursaut en reconnaissant les portes de la salle du trône.
— Je t’ai attendu.
Il pivote dans un mouvement brusque pour voir Elaran sortir de l’ombre. Il comprend à cet instant que les griffes d’un piège se referment sur lui, même s’il ne sait pas lequel.
— C’est toi qui m’as attiré ici…
— Qui d’autre ?
— Que veux-tu de moi ?
Son oncle efface la distance qui les sépare.
— Suis-moi.
Il ne bouge pas. Elaran soupire et répète l’ordre d’une voix dure, tandis que sa magie se déploie autour d’eux. Altaïs serre les dents lorsque son corps se mue contre son gré et qu’il s’engouffre à sa suite dans la salle du trône. Il n’y a aucun garde, ni dans la salle ni dans les couloirs avoisinants. Parce que son oncle les a éloignés ?
La lumière de la lune baigne l’espace de cette lumière si pâle qu’il voit presque aussi bien qu’en plein jour. Les colonnes blanches se confondent avec des spectres.
— Elaran ? Nous devions nous entretenir seuls… Pourquoi l’amènes-tu ?
Le regard d’Altaïs dérive vers le trône, près duquel se tient la silhouette de Thorvald. Le malaise qui lui noue le ventre s’accentue.
— Pour te montrer ce que nous pouvons faire de lui.
Altaïs sursaute en entendant les mots de son oncle ; l’instant d’après, ses jambes se dérobent alors que cette magie qu’il abhorre s’insinue dans son esprit. Il se retrouve agenouillé au milieu de la salle, la nuque courbée.
— Il suffit d’un rien pour qu’il s’incline.
Altaïs utilise toutes ses forces pour relever la tête, les prunelles orageuses. Elaran ne prend pas la peine de le regarder, son attention rivée sur Thorvald, qui fronce les sourcils.
— À quoi cela rime-t-il ?
— En le contrôlant lui, nous pouvons contrôler sa magie. Il ne sera plus un danger pour la royauté, au contraire, nous pourrons en faire ce que nous voulons.
La rage lui brûle le ventre, bouillonne dans ses veines.
Il voudrait le tuer.
Alors pourquoi est-il si vulnérable face à lui ?
— Va… Va crever… Tu n’auras jamais ma magie, et tu ne m’auras jamais moi…
La pression sur son esprit s’accentue, la douleur est si vive qu’elle lui coupe le souffle, mais son cri reste coincé dans sa gorge. Thorvald l’observe sans la moindre émotion, puis il reporte son attention sur son frère.
— Il est trop imprévisible, réplique-t-il. Pourquoi tiens-tu tant à le garder au palais ? Lorsqu’il était enfant, tu étais le premier à plaider pour que nous le tuions.
— Je m’en débarrasserai s’il échappe à mon contrôle. Mais nous pouvons l’utiliser pour restaurer la grandeur de notre famille.
— Famille à laquelle tu n’appartiens qu’à moitié, le coupe Thorvald.
L’expression d’Elaran s’assombrit.
— Je me doutais que tu répondrais cela, mais ton règne touche à sa fin. Tu n’es pas destiné à porter cette couronne plus longtemps.
Thorvald fait plusieurs pas dans sa direction, ses prunelles étincelantes de colère.
— Nous sommes peut-être demi-frères, mais c’est à ton roi que tu parles.
Elaran se tourne vers Altaïs sans lui répondre.
— Lève-toi, ordonne-t-il. Et approche.
Contraint par sa magie, Altaïs n’a pas d’autre choix qu’obéir. Il s’immobilise près d’Elaran, le regarde avec toute la haine qui l’empoisonne. Son oncle se penche pour murmurer dans le creux de son oreille.
— Tue-le.
Altaïs écarquille les yeux alors qu’Elaran glisse un poignard entre ses doigts.
— Qu’est-ce que cela signifie ? siffle Thorvald.
Ses mots s’étranglent soudain dans sa gorge, et tout son corps se fige, paralysé par l’emprise que la magie de son frère exerce sur lui.
— Tue-le, répète Elaran.
— Ne… Ne me demande pas cela, balbutie Altaïs.
La magie de son oncle l’écrase au point de l’asphyxier. L’esprit vide, Altaïs avance vers Thorvald.
Serait-ce si terrible de le tuer ? murmure une voix dans son esprit. Il t’a toujours méprisé, il a toujours laissé son frère faire ce qu’il voulait de toi… Il ne mérite pas de vivre…
Altaïs voudrait se débattre, mais ses muscles ne lui répondent plus. Sa conscience s’étiole.
Il ne veut pas tuer. Le seul qui mérite ce sort est celui qui le détruit depuis des années.
Il ne veut pas tuer.
Il est grand temps que tu disparaisses. Tout sera bientôt fini.
La peur lui glace les veines. Quel sort lui réservera Elaran ensuite ?
La main de son oncle se pose sur son épaule. Face à eux, Thorvald se débat en vain contre la magie d’Elaran.
— Tue-le.
Le regard voilé, Altaïs efface la distance qui le sépare encore du roi. Celui-ci semble enfin réaliser l’erreur qu’il a commise.
Sa mort ne serait-elle pas justice ?
Il lève le poignard.
je ne veux pas le tuer
je ne veux pas le tuer
je ne veux pas le tuer
Son mouvement se suspend alors qu’il lutte de toutes ses forces contre la magie de son oncle.
— Je ne le tuerai pas, articule-t-il.
Son esprit se fissure. Il hurle sans un bruit, lutte, lutte, lutte…
C’est ta volonté ! crie-t-il en silence. Ta volonté !
La douleur le déchire.
— Non ! hurle-t-il.
Le poignard s’enfonce brutalement dans le cœur du roi.
Thorvald s’écroule avec un hoquet ensanglanté, les mains sur le manche du poignard. La magie d’Elaran relâche son emprise sur l’esprit d’Altaïs. Ses genoux se dérobent sous son poids.
— Non…
Ce n’est pas possible.
Rien de tout cela n’est réel.
Des larmes lui brûlent les yeux alors que ses doigts essaient d’empêcher le sang de Thorvald de s’écouler. Des plaques de givre fleurissent sur le sol. Il répète inlassablement les mêmes mots, non non non, comme s’il refusait de croire ce qu’il venait de faire. Des bruits de pas retentissent à l’extérieur, les portes s’ouvrent en claquant et révèlent un domestique. Altaïs tourne la tête dans sa direction, les yeux écarquillés.
Est-ce lui qui l’a attiré ici ? Elaran ?
Il voudrait le supplier de l’aider, d’appeler un Guérisseur, mais ses mots ne franchissent pas la barrière de ses lèvres. Le domestique fait volte-face avec une expression horrifiée.
Thorvald est déjà mort.
Elaran sort de l’ombre des colonnes où il s’était dissimulé. Altaïs lève un regard désespéré vers lui.
— Je t’en supplie, balbutie-t-il.
— C’est fini, Altaïs. Je t’épargnerai, parce que tu pourras m’être utile à l’avenir, mais tu demeureras enfermé ailleurs que dans ce palais. Et jamais, jamais tu ne pourras parler.
Ses doigts effleurent son front,
et la douleur explose dans sa tête,
l’obscurité l’engloutit,
alors que la magie d’Elaran étouffe son esprit et scelle ses souvenirs.
Regarde…
— Elaran !
Son oncle marque un temps d’arrêt sur le seuil de la cellule, alors qu’Altaïs se débat comme un fou entre ses chaînes.
— Ne me laisse pas ici ! hurle-t-il. Ne me laisse pas avec lui !
Un sanglot s’étrangle dans sa gorge.
— Je t’en supplie ! Je ferai tout ce que tu voudras !
Mais Elaran reprend son chemin, et Altaïs se brise en morceaux. Il se recroqueville contre le mur en pleurant. Les ténèbres s’insinuent dans les lambeaux de son esprit.
Après tout ce temps, malgré tout ce que tu m’as fait, je me bats encore.
Et je briserai tout ce que tu as créé ;
le sceau et l’oubli.
Altaïs éclate de rire alors que son père ébouriffe ses cheveux avec tendresse. Le soleil décline peu à peu et baigne la plaine où ils sont installés d’une douce lumière dorée. L’enfant se blottit contre Eigil.
— Pas envie de rentrer, murmure-t-il.
Au palais, il sent qu’on le regarde différemment, même s’il ne comprend pas pourquoi. Une partie de sa famille le traite avec une méfiance et une hostilité palpables. Son père passe ses bras autour de ses épaules.
— Je sais. Je te promets que nous trouverons le plus rapidement possible l’occasion de faire une nouvelle escapade.
Altaïs acquiesce sans un mot. Son père raffermit son étreinte, et le silence les enveloppe. L’instant est brisé par des bruits de cavalcade. Eigil se raidit alors que son fils relève la tête. Un cavalier solitaire s’arrête non loin et descend de sa monture ; Altaïs reconnaît aussitôt la haute silhouette de son oncle. Il ne peut réprimer un frisson.
Eigil se redresse lentement, les sourcils froncés. Son regard habituellement si doux se durcit lorsque Elaran s’approche.
— Que fais-tu ici ?
— Thorvald a demandé à ce que ton fils ne s’éloigne pas du palais.
— Je veille sur lui, réplique Eigil. C’est un enfant, vous ne pouvez pas l’emprisonner dans le palais !
— Tu sais aussi bien que nous que cela importe peu qu’il soit enfant.
Altaïs se recroqueville derrière son père. Le mépris qu’il perçoit dans la voix de son oncle lui fait peur. Il baisse les yeux, tressaille en remarquant que des brins d’herbe ont givré. L’angoisse lui tord le ventre ; la dernière fois que sa magie lui a échappé, alors qu’il était au palais, le roi Thorvald et Elaran étaient entrés dans une colère noire. Seule l’intervention d’Eigil avait calmé la situation, mais il avait ensuite passé la nuit à cauchemarder.
Il ne doit pas utiliser sa magie.
Il ne doit pas…
Même si l’attention de son père reste rivée sur Elaran, sa main se pose sur sa tête dans un geste apaisant.
— Nous ne tarderons pas, répond Eigil. Mais va-t’en, tu l’effraies.
Elaran ne bougea pas, mais sa bouche se tordit de contrariété.
— Tu sais ce qu’il est ; tu sais ce que son existence représente pour notre famille. Tu as été témoin de ce qu’il s’est passé avec notre grand-père. Nous ne pouvons pas laisser le passé se reproduire.
— Notre grand-père s’est laissé aveuglé par le pouvoir ! riposte Eigil. Et aujourd’hui, tu te sers de cela pour t’en prendre à mon fils !
L’éclat de voix de son père fait sursauter Altaïs. Avec lui, Eigil s’est toujours montré doux et affectueux, il n’a jamais haussé le ton. Il ne comprend pas vraiment l’échange entre les deux hommes, mais il sent la colère qui se dégage de leurs mots.
— Ton fils qui a tué ton épouse en venant au monde ? Ton fils qui pourrait nous conduire à notre perte ?
Altaïs émet un hoquet étranglé, les yeux écarquillés par l’horreur. Il ne comprend pas tout, mais il comprend au moins cela.
Ton fils qui a tué ton épouse en venant au monde.
Il est… responsable de la mort de sa mère ?
— Assez ! rugit Eigil. Que fais-tu ici, Elaran ?
Soudain, tout son corps se fige. Il recule d’un pas, et Altaïs trébuche en suivant son mouvement.
— Tu viens t’en prendre à lui, n’est-ce pas ?
Elaran ne répond pas, mais son silence vaut tous les mots qu’il ne prononce pas.
— Non ! siffle Eigil, les traits métamorphosés par la rage. Je ne te laisserai pas faire !
— L’incident survenu la dernière fois montre que c’est un danger.
Altaïs tressaille. Des larmes embuent ses grands yeux pâles.
— Je suis désolé, souffle-t-il.
Il ne doit pas utiliser sa magie.
Il ne doit pas…
Il a failli geler la cour du palais, les domestiques et les gardes qui effectuaient leurs tâches.
Il ne doit pas utiliser sa magie.
Mais lorsqu’il baisse la tête, il voit que l’herbe gèle sous ses pieds. Les brins blanchissent, se rigidifient, craquent lorsqu’il recule.
— Je suis désolé ! répète-t-il en paniquant.
Eigil se tourne brusquement vers lui, pose un genou à terre et une main sur son visage, malgré le froid mordant qui l’agresse aussitôt.
— Tout va bien, chuchote-t-il. Tout…
Ses mouvements se figent, sa voix s’étrangle dans sa gorge. Altaïs lève un regard terrifié vers Elaran, qui s’avance vers eux en déployant sa magie pour immobiliser Eigil.
— El… Elaran…
— Je ne laisserai pas le passé se reproduire avec sa magie maudite.
— Il… Il… n’est pas…
Eigil ferme brièvement les yeux avec une grimace. Lorsque Elaran le dépasse, il essaie de se redresser mais ses muscles ne lui répondent pas.
— El… Elaran !
Altaïs recule en trébuchant, s’étale sur l’herbe avec un gémissement étranglé, alors que son ongle dégaine un petit poignard.
— Ce n’est… qu’un enfant ! crie Eigil. Son avenir… dépendra de… ce que nous lui offrirons !
Elaran secoue la tête sans répondre.
— Papa, hoquette Altaïs.
Il se recroqueville sur l’herbe gelée. L’air se refroidit tellement qu’un nuage de buée s’échappe de sa bouche. La lame miroite sous les rayons mourants du soleil.
— Je suis sincèrement désolé, Eigil.
— Non !
Altaïs voit l’arme s’abaisser, aperçoit une silhouette bouger du coin de l’œil. Un poids le percute de plein fouet. Un hoquet de douleur résonne dans ses oreilles alors que des bras chauds l’enlacent.
— Papa… Papa !
Le corps de son père s’affale sur le sol. Altaïs n’entend plus que le sang battre ses tempes ; du givre recouvre le bout de ses doigts alors qu’il se jette sur son père. Le manche du poignard dépasse de son dos. Des pétales écarlates fleurissent sur ses vêtements.
— Papa !
La main d’Eigil monte difficilement jusqu’à sa joue. Il peine à garder les yeux ouverts, mais une tendresse étrange brille dans ses prunelles d’un bleu plus foncé que celle de son fils.
— Altaïs… Mon étoile…
Quelqu’un repousse brutalement Altaïs.
— Imbécile ! siffle Elaran, le visage blême. Tu ne devais pas mourir !
Eigil s’étouffe dans une quinte de toux.
— Je t’en… supplie… Ne le tue pas… C’est… mon fils… et je l’aime plus que tout…
— C’est un danger !
— Je t’en supplie… Elaran…
Elaran rive un regard haineux sur Altaïs. Des larmes coulent de ses yeux pâles.
« Rien ne serait arrivé si tu n’étais pas né. »
Altaïs ne bouge pas, tétanisé.
— El… aran…
Eigil bat des cils pour maintenir ses paupières ouvertes, mais sa respiration se dissout peu à peu.
— Evald…
— Je l’épargnerai, abdique Elaran. Je l’épargnerai tant qu’il restera sous mon contrôle, mais s’il s’échappe un jour, si j’estime qu’il est impossible de le garder en vie, je le tuerai. Peu importe ton souvenir.
Eigil ferme les yeux, et son souffle meurt sur ses lèvres. Les larmes d’Altaïs gèlent avant de toucher le sol. Les iris gris d’Elaran flamboient de haine lorsqu’ils se posent de nouveau sur lui.
« Tu oublieras. Tu te tairas. Tu exécuteras chacun de mes ordres. »
Sa magie frappe l’esprit d’Altaïs comme une lame.
« Et je te haïrai. »
Un des meilleurs chapitres de ce roman ! Pourtant je dois dire que j'étais un peu sceptique lors des premières lignes, en me demandant quel était l'intérêt de couper la narration à trois chapitres de la fin, me disant que ces souvenirs auraient pu être casés avant. Mais clairement, ce chapitre va bien au-delà. On sent carrément bien la déferlante de souvenirs qui jaillissent dans l'esprit d'Altais, c'est très réussi ! On comprend mieux sa détresse en début de roman. Savoir qu'il a subi / vécu des choses horribles sans savoir comment cela s'est passé exactement.
Mais les réponses viennent surtout éclairer le personnage d'Elaran. Il a utilisé Altais pour tuer Thorald. C'est bien vu de montrer "l'entraînement" à tuer qu'il lui fait subir avant ce geste. Sa relation avec le père d'Altais n'est qu'esquissée mais on devine qu'il y était attaché puisqu'il respecte sa parole malgré sa détestation pour Altais. D'ailleurs, ce serait intéressant d'explorer encore davantage l'histoire familiale pour comprendre encore plus ces personnages. Peut-être pour un prequel ahah
Bon tout ça ne dit pas comment ton roman va se finir... J'attaque la suite de ce pas !
Quant à la mort du roi... je me demande bien comment Altaïs va pouvoir dire la vérité sans se retrouver accusé (de nouveau) d'être l'assassin! Puisque techniquement, c'est bien lui qui a tué le roi...
Tout ça à cause de la peur, la peur d’un pouvoir, d’une possibilité, d’un avenir probable. Quelle tristesse…
Propositions de correction :
ponctue la discussion de quelques remarques qui lui vaut parfois des coups d’œil approbateurs de son père
→ qui lui valent parfois
En effet, la peur est à l'origine de beaucoup de drames, je dirais...
Merci pour la coquille.
Nom d'un chien, j'avais deviné certains d'entre eux, mais avoir la confirmation c'est quelque chose.... C'était extrêmement prenant !
Bon je vais m'empresser d'enchainer sur la suite.
Wow, par où commencer ce commentaire ?
Ce chapitre est une succession de souvenirs, accolés les uns aux autres sans véritable transition, sinon quelques pensées très brèves d'Altaïs. En termes de structure, à première vue ça ne tient pas debout. On pourrait se dire qu'il manque un liant entre ces fragments, que tout ça n'a pas vraiment de cohérence.
Et pourtant, ça marche du tonnerre.
Le fait que tu nous balances ces souvenirs les uns derrière les autres, sans fioriture, sans digression, sans longue transition, juste la vérité crue, dure, cruelle, provoque un double effet que je trouve incroyablement pertinent ici.
D'abord, il y a ce côté "déferlante". Pardonne mon expression, mais on se prend littéralement ces souvenirs en pleine tronche sans vraiment comprendre ce qui nous arrive, on passe d'un chapitre 27 avec une gradation d'intensité très structurée et maîtrisée à un chapitre 28 où... c'est juste le chaos, en fait. Et c'est là que ça devient vraiment intéressant, car au final on encaisse ces souvenirs avec la même violence qu'Altaïs, on ne se contente pas de lire et de découvrir ce qui lui est arrivé, on a vraiment ce sentiment de lâcher prise, de perdre pied, de ne rien contrôler, de se faire emporter dans la lecture. L'absence de transition entre les fragments, c'est finalement la glue qui fait tenir tout le chapitre : on imagine bien qu'une fois le sceau rompu, tous les souvenirs si longtemps refrénés déferlent sur ce pauvre Altaïs comme un torrent incontrôlable, à tel point que lui-même ne comprend pas totalement ce qui lui arrive.
Et j'en arrive au deuxième point fort de ce choix narratif : l'immersion.
Ça peut sembler paradoxal car jusqu'ici, tu nous a offert des chapitres super bien construits, où tout était fait pour qu'on comprenne bien le parcours d'Altaïs et Alexander, ce qu'il a subi, l'évolution psychologique du personnage, etc... Et là, d'un seul coup, tu nous balances une tempête chaotique et décousue de fragments mémoriels très sombres. Et non seulement ça ne ruine pas du tout l'immersion dans ton histoire, mais au contraire ça l'amplifie au centuple. Parce-que là, tout du long de ce chapitre, on se retrouve clairement dans la peau de cet Altaïs du présent qui encaisse cette déferlante et redécouvre ses souvenirs et toute l'horreur qu'il a vécu.
Si j'étais l'auteur de cette histoire, j'aurais probablement fait le choix ici d'un point de vue externe pour raconter une jolie scène, où les souvenirs d'Altaïs rejaillissent grâce à la magie et se reflètent sur des piliers de glace comme un film, un peu à l'image de ce que je dépeins lorsque Galar récite ses poèmes au coin du feu dans le prologue du Sildaros.
Et je me serais lourdement trompé. Tu as tellement fait le bon choix ici, je n'ai même pas besoin de lire cette autre version imaginaire pour comprendre à quel point elle aurait été inférieure à celle-ci.
Bref, je vais arrêter d'en faire des montagnes sur cette narration décousue, ça marche super bien, ça m'a foutu une claque de malade, next.
Ah. Le next est encore pire, en fait.
Parce que oui, la dernière chose dont je voulais parler, c'est cette réplique qui tue.
« Tu oublieras. Tu te tairas. Tu exécuteras chacun de mes ordres. »
Sa magie frappe l’esprit d’Altaïs comme une lame.
« Et je te haïrai. »
Bordel. "Et je te haïrai".
MEILLEURE FIN DE CHAPITRE DE TOUT LE ROMAN.
Point final.
Quelques remarques :
- "Il serra les dents pour réprimer ses larmes ; Elaran savait où viser pour faire mal." --> serre/sait, pour garder la concordance des temps ;)
- "de quelques remarques qui lui vaut parfois des coups d’œil" --> qui lui valent
- "Notre grand-père s’est laissé aveuglé par le pouvoir !" --> aveugler
- "dans ses prunelles d’un bleu plus foncé que celle de son fils" --> que celles
Je reviens 5min après, à "tête reposée", et je me rends compte que j'étais tellement à fond dans la narration incroyable du chapitre que j'ai oublié la moitié de mon commentaire.
Je ne vais pas refaire un pavé, promis, je vais aller vite.
Trois gros plus que je n'ai pas évoqués sur le fond de l'histoire, cette fois :
1 - Le fait qu'Altaïs ait bien tué Harald, mais sous l'influence d'Elaran. Ça rajoute un poids de dingue à l'histoire, c'est super bien vu. Très bon choix.
2/ La décision de mettre la mort d'Eigil à la fin. C'est un peu la cerise sur le gâteau des horreurs, mais ça apporte un punch incroyable à la fin du chapitre.
3/ L'effet "Elaran organise une répétition du meurtre du roi" sur le condamné. J'ai adoré l'idée.
Voilà, je ne vais pas plus loin, sinon je vais y passer des heures x)
Wow, ton commentaire est tellement adorable ^^ Je suis super contente que ça marche à ce point !
Parce que la vérité, c’est qu’il fait en fait partie des chapitres qui m’a demandé le plus de réflexion sur la structure… J’appelle ça du chaos organisé x) J’ai d’abord établi la liste des souvenirs que je voulais écrire pour expliquer ce qu’avait été la vie d’Altaïs, ceux qui étaient le plus à même d’expliquer son cheminement, sa souffrance et ses choix. Ensuite il a fallu les agencer (bon au moins c’était chronologique), et s’est posée la question des transitions. Je me voyais mal faire des pavés entre chaque souvenir, qui aurait complètement cassé le rythme, et finalement je me suis rendue compte que les souvenirs étaient leurs propres transitions puisqu’ils avaient ce fil conducteur qui suffisait en réalité.
Pour l’anecdote, j’ai fait pire dans un autre roman en terme de destructuration x) C’était le cas d’un personnage amnésique qui avait complètement oublié une partie de son enfance (les enjeux n’étaient pas vraiment les mêmes du coup), et j’avais écrit un chapitre où il retrouve ses souvenirs entièrement à la deuxième personne du singulier en alternant des passages narratifs et des passages en vers libres. En comparaison je trouve ce chapitre-ci très structuré xD
En revanche, je ne me suis pas posée de questions sur comment j’allais mettre ce déferlement de souvenirs en scène, je savais parfaitement que je voulais une plongée dans l’esprit d’Altaïs, qu’on puisse se mettre à sa place et à la place de ceux qui découvrent enfin ce qu’il s’est passé. Je suis vraiment heureuse de savoir que l’immersion fonctionne aussi bien. Je craignais que ce soit trop long ou que ça fasse trop succession de bribes détachées les unes des autres, mais je voulais en même temps vraiment pouvoir faire ce panorama de la vie d’Altaïs.
Ravie que la dernière phrase ait autant d’effet :p Ça résumait bien le roman xD
« serre/sait, pour garder la concordance des temps ;) »
=> Bien vu ^^ Je te raconte pas le nombre d’erreurs de concordance des temps que j’ai faites en repassant d’un coup au passé xD
Merci pour les coquilles !
« Le fait qu'Altaïs ait bien tué Harald, mais sous l'influence d'Elaran. Ça rajoute un poids de dingue à l'histoire, c'est super bien vu. Très bon choix. »
=> Je ne te cache pas que ce choix était un peu une épine dans le paix quand j’ai cherché comment innocenter Altaïs sans raconter la vérité x)
« La décision de mettre la mort d'Eigil à la fin. C'est un peu la cerise sur le gâteau des horreurs, mais ça apporte un punch incroyable à la fin du chapitre. »
=> La cerise sur le gâteau des horreurs xD C’est si bien trouvé. Je m’étais pas mal questionnée sur ce fragment aussi et son positionnement dans le chapitre. Chronologiquement il aurait dû arriver en premier MAIS c’était une autre strate que les souvenirs scellés donc c’était finalement bien plus pertinent de le mettre à la fin ^^
« L'effet "Elaran organise une répétition du meurtre du roi" sur le condamné. J'ai adoré l'idée. »
=> On peut lui reconnaître qu’il est patient et pédagogue… (ahem)
Merci pour ton long retour, il me fait vraiment chaud au coeur !
J'aime beaucoup la manière dont il a brisé le sceau, par la puissance de sa fureur.
D'ailleurs, ton roman contient beaucoup beaucoup de fureur, pas seulement chez Altaïs. 😉
Ta façon de les raconter par fragments avec toutes ces pensées qui s'insinuent, c'est vraiment chouette. J'aime aussi beaucoup que la glace les réfléchissent. Tout est très visuel.
Je suis heureuse que le chapitre t'ait plu, qu'on ressente bien les émotions d'Altaïs et la manière dont il s'est construit au fil de sa vie à travers ses souvenirs.
Quand tu dis qu'il y a beaucoup de fureur et pas seulement chez Altaïs, tu penses à d'autres personnages ou c'est un constat plus général ? ^^
Merci pour ton retour :)
(C'est affreux toute cette histoire ! Pauvre p'tit Chat :( )
Oui, maintenant il se souvient des horreurs vécues, et bizarrement, c'est un pas en avant ! ^^
Bon, ya vraiment absolument rien qui va dans ce chapitre, c'est merveilleux ='D Vraiment, Altaïs a eu une belle vie de merde, et jamais on aurait dû confier un enfant à Elaran x) Pire idée du monde quoi. D'ailleurs, je me demande, bon, Aalis était un peu jeune pour comprendre, Soren faisait style de rien pour avoir la paix, mais du coup, comment Harald pouvait admirer sa liberté farouche (il dit ça dans un chapitre je crois) et ne pas capter qu'Altaïs s'est fait battre et maltraiter comme pas possible ? Les marques devaient pas être méga discrètes ^^' A moins qu'il trouvait ça normal ? Bon, c'est encore pire ='D Mais oui, ya vraiment tellement rien qui va.
Eigil, petit ange parti trop tôt ='D Bon, il pouvait pas tenter de fuir discrètement dans le royaume d'à côté avec son fils plutôt que de rester là ? Bon, en vrai, la magie d'Altaïs devait être méga facile à pister enfant donc c'était clairement infaisable, maiiiiiis, mais voilà quoi. Tiens d'ailleurs, Elaran a pas eu d'emmerdes pour avoir tué par erreur Eigil ? Ou il a fait croire que c'était Altaïs ? Ou Thorvald en avait vraiment absolument rien à faire de son petit frère ? Parce qu'en relisant je me suis fait la réflexion que Thorvald pourrait justement se servir de cette vieille histoire quand il cherche à mettre Elaran à la porte. Ou lui faire une réflexion comme quoi il a l'habitude des fratricides. Bon, ça casse du coup le côté révélation de qui a tué Eigil à la fin, mais je me demandais du coup comme Thorvald avait réagi.
Bref. Altaïs marionnette, c'est glaçant quand même, que la magie permette de faire des trucs aussi violents x) Genre Elaran est vraiment très puissant ^^' (Enfin, j'espère et que ce n'est pas random personne qui peut faire ça quoi). Ca aurait tellement donné n'importe quoi si ça avait été lui le roi, yaurait jamais eu de contestation, il aurait manipulé les gens en face ^^' "Heureusement", c'était un bâtard. Mais oui, effectivement, le garder sous la main pour ça, ça se comprend. Yavait une peur d'une guerre/opposition avec quelqu'un d'autre ou Elaran est juste très prévoyant ? Parce que bon, garder Altaïs au cas où ya besoin d'une arme, ok, mais vu comment il était triaté dans la tour, il aurait fallu quand même un petit délais pour le remettre en état avant de l'utiliser, pas méga pertinent du coup ^^' Pareil pour la magie, pourquoi ne pas juste le garder enchaîner ? Vu que la décoction, ça fait qu'il a besoin de pas mal de temps avant de retrouver ses pouvoirs (et il me semble même me souvenir que Dagmar avait l'air de dire que ça finirait par être définitif). Mais bon, c'est sûr qu'il est plus facile à garder dans cet état.
Bon, et vu l'entraînement qu'il a eu, tu m'étonnes qu'Altaïs soit bon à l'épée et qu'il tienne bien la douleur, ahem. Ca aurait été bien pour lui mine de rien qu'il arrive à fuir, même si bon, il aurait peut-être jamais rencontré Alex ^^' N'empêche, tout est bien écrit. C'est poignant, c'est terrible, on suit bien les pensées d'Altaïs à travers les âges, mais c'est vraiment pas le fun ^^' Mais ça rend bien, et on voit bien l'évolution du gamin terrifié au jeune adulte qui pète des câbles, tout en restant le gamin terrifié en vrai. Franchement, c'est bien fait.
Bon, maintenant, faut voir comment les autres vont réagir à ça, parce que bon, voilà quoi ^^'
PS : Heureusement que la magie est sympa et l'a déclaré non coupable, parce que bon, j'ai envie de dire, Harald avait raison, Altaïs est impliqué dans la mort de son père, c'est même lui qui a planté la dague ='D
Je te réponds parce qu’il faut bien que je m’occupe en attendant mon RER… Pas du tout parce que je l’attendais avec impatience évidemment.
Haha oui, elle est fun la vie d’Altaïs hein ? T_T Personne n’aurait dû refiler de gamin à Elaran mais en même temps personne n’en voulait et Elaran s’est gentiment porté volontaire, comment lui en vouloir ? Pour Harald, c’est plus l’aspect « Il cherche en même temps », et puis vu le temps qu’Altaïs passait à s’entraîner ce n’était pas forcément choquant qu’il ait parfois des marques visibles (sinon Elaran faisait tout de même en sorte qu’elle ne se voit pas trop, sauf quand il pétait vraiment un plomb). Mais dans tous les cas y a rien qui va en effet x)
Pour la fuite d’Eigil c’était compliqué avec son statut, il se serait retrouvé avec l’armée à ses trousses et un gamin ^^’ Et non Elaran a pas eu d’emmerdes vu qu’il a fait passer ça pour un suicide (avec sa magie c’était pas super compliqué de convaincre les personnes à convaincre comme Thorvald), RIP. Mais il faudrait peut-être que je trouve un autre chapitre où le re-mentionner puisque tu fais la réflexion !
Je confirme qu’Elaran est vraiment très puissant (pas pour rien que le grand-père y a vu un intérêt) et que n’importe qui ne peut pas manipuler des personnes comme il le fait ^^’ Et puis il y a des facteurs divers qui jouent, il est âgé, il a de l’expérience, il a largement eu le temps de peaufiner son emprise sur Altaïs… La raison pour laquelle Elaran agit ainsi c’est surtout qu’il est très prévoyant et qu’il sait que ça lui servira un jour ou l’autre (donc autant en profiter vu qu’il a eu la bêtise de faire une promesse à son frère mourant à cause des remords mdr). Et oui pour le petit délai une fois qu’Altaïs est enfermé, mais s’il avait senti qu’il avait besoin de lui, ça serait sans doute pas sur un coup de tête ^^’ Juste garder Altaïs enchaîner sans museler sa magie, ça aurait forcément dégénérer à un moment (autant prendre un max de précautions vu la situation) x) Après quand Dagmar disait que ce serait définitif c’était plus une menace parce qu’à part en tuant la personne tu ne peux pas faire disparaître sa magie directement ! Mais je vais peut-être virer la phrase pour éviter tout doute du coup x) Donc en résumé, le délai n’était pas forcément un problème parce qu’Elaran aurait pu anticiper à priori (ou régler lui-même le problème si c’était vraiment urgent).
En tout cas je suis heureuse qu’on suive bien l’évolution d’Altaïs au fil du chapitre et des différentes scènes ! Je voulais vraiment mettre en évidence ce basculement, avec ce changement progressif d’attitude à cause de ce qu’il subit, de sa solitude, de sa souffrance et de sa colère.
(Ouaip la Magie est pas bête elle, ni aveugle)
Merci pour ton commentaire, ça me fait vraiment chaud au coeur <3
Tout ce qu'Elaran a fait faire à Altaïs... C'est tellement dégoûtant ! Ce n'est pas Altaïs qui est dangereux ! C'est sa famille ! C'est Thorvald, Harald, Elaran, tous ces gens qui lui empoisonnent l'existence !
Au moins, Altaïs a enfin réussi à libérer ses souvenirs... Y a-t-il un autre chapitre après ? Si oui, j'ai hâte de voir comment la famille royale va réagir...
Je trouve que la dernière phrase de ce chapitre en jette... C'est le genre de phrase qu'on retient, le genre de phrase qui pourrait résumer l'entièreté de ton roman...
Oui, Altaïs a eu une vie horrible à cause de sa famille (enfin surtout la partie masculine, ahem)… Mais il a enfin réussi à briser le sceau !
Il reste trois chapitres et l’épilogue ! Donc le temps de voir comment chacun va réagir face à ces révélations :)
Je suis ravie si la dernière phrase reste en mémoire, elle résume assez bien le roman en effet ^^’
Merci pour ton retour !