La lumière s’alluma dans mon cerveau pitoyable une heure avant que mon réveil ne sonne.
Était-il possible que j’aie été aussi conne ? Bien sûr, je n’avais jamais été confrontée à la situation, pas davantage que je n’avais connu d’amie qui l’ait été. Mais quand même… Ah c’était quelque chose de faire la chaudasse et de parler de sexe à tout va, auréolée de mes nouveaux talents et de ma vie intime débridée ! En arrivais-je à oublier des réflexes aussi évidents ?
J’envoyai un sms à Charlotte. Il était cinq heure et quart du matin. « Appelle moi d’urgence dès que tu peux et surtout avant le lycée ».
Incapable de me rendormir, je fis le tri dans mes idées. De toute façon, même si j’y avais pensé, il eût été trop tard, un dimanche soir à dix-huit heures, à moins de courir chercher une pharmacie de garde. Mais alors, dans ces bleds paumés de notre province… qu’aurions-nous pu trouver ? Et puis on dit « du lendemain » mais on a quarante-huit heures, voire trois jours. Evidemment plus c’est tôt et mieux c’est. Il fallait que Charlotte la prenne ce matin !
Je m’en voulais terriblement. Même si l’idée avait fini par s’imposer, c’était impardonnable de ne pas y avoir pensé sur le moment. Pour la première fois, je ressentis une sorte de vertige en constatant la distance que Lola me faisait prendre avec mon quotidien et mes proches. D’accord, j’avais joué mon rôle de grande sœur aimante et disponible pour ma Charlotte en détresse. Mais si c’est une chose de savoir rassurer, c’en est une autre de proposer des solutions concrètes. La crainte me saisit d’une espèce de bulle autour de moi, m’isolant de l’essentiel, et je me promis d’y faire attention, comme j’avais promis à Mélanie de veiller aux pièges sur lesquels elle m’avait alertée.
A défaut de dormir, je me préparai et petit déjeunai, attendant que ma sœur appelle. Mon portable sonna à 6h30.
-Charlotte ?
-Ouais.
-Dis-moi d’abord que tu me pardonnes.
-La pilule du lendemain c’est ça ?
-T’as fini par y penser aussi ?
-En fait ça m’était passé par la tête, mais un dimanche ça me semblait mort, et puis comme t’en parlais pas je me suis dit que c’était pas un truc envisageable.
-Charlotte, par pitié, quand je suis conne, ne le sois pas par procuration… En tout cas excuse-moi, je n’y ai pas pensé, et j’aurais dû.
-Ça va t’inquiète, t’as été super hier.
-T’es où, là ?
-Dans ma chambre, Maman commence à hurler pour que je descende au petit-déj.
-Je vois, on va faire vite. Prends ton carnet de liaison.
-Ok attends.
Je l’entendis farfouiller dans son sac puis elle reprit l’appareil.
-Je cherche l’infirmerie c’est ça ?
-Oui.
-Alors l’infirmière est au lycée le lundi matin, putain j’ai du bol.
-Ouf ! Tu as cours à quelle heure ?
-Huit heures.
-Bon tu vas d’abord à l’infirmerie, ok ?
-Evidemment. Mais dis-moi, ça peut marcher quand même ?
-De mémoire je crois que t’as trois jours, et l’efficacité diminue au fur et à mesure que tu t’éloignes de l’acte. Mais de toute façon, même prise dans la foulée de l’éjaculation, ça n’est pas un truc fiable à 100%.
-J’avais prévu d’aller dans une pharmacie poser la question, je crois qu’ils doivent te la donner de façon anonyme si t’es mineure.
-C’est bien, tu ne m’en veux pas d’avoir eu du retard à l’allumage ?
-Mais non, arrête, j’avais surtout besoin d’être rassurée, hier.
-Certes.
-Bon faut que je descende, Maman va faire un AVC.
-Oui file, tu me tiens au courant ?
-Oui promis, et merci d’avoir appelé.
-Je t’aime, ma puce.
-Moi aussi Léa.
Je retrouvai mon amphi avec plaisir, ce lundi 12 mars. Vers 8h10 mon portable vibra dans ma poche. Je me contorsionnai peu discrètement pour le tirer du slim bleu délavé, puis lus encore moins discrètement le message reçu. C’était Charlotte.
-Avalée. Big kiss.
Soulagée, je pus enfin me concentrer sur les cours. Sitôt ceux-ci terminés, je me rendis au local avec un sandwich pour attendre 13 heures et l’arrivée du client de Mélanie qui avait réservé pour une heure de massage topless.
Vincent, le fameux boute en train, arriva pile à l’heure. Il était dans la démesure dans tous les domaines. Très grand, il me dépassait de dix bons centimètres malgré mes escarpins et devait donc mesurer deux mètres. Très massif, il n’était pas vraiment gros, mais il y avait un mélange de muscles et d’embonpoint qui trahissait le mec à la fois sportif et amateur de bonnes bouffes et de bière. Simple et décontracté, il me fit spontanément la bise et me paya cent-vingt euros pour avoir droit au maximum de ce qui était présent à la carte.
Le massage fut facile et la séance passa vite. Comme Mélanie me l’avait annoncé, Vincent parla, parla, parla, et parla encore. Il parlait de tout, de lui, des sports qu’il pratiquait, des équipes de jeunes qu’il entrainait, de son divorce d’avec une première femme tellement castratrice qu’il ne « bandait plus » (je constatai assez vite que ça s’était plutôt arrangé de ce côté-là), de sa nouvelle union avec une jeunette de dix ans de moins que lui avec qui il avait eu trois enfants. Mais ça n’était pas un monologue pour autant, et la conversation dévia sur tout ce qui nous passa par la tête. Vincent était un quadra cultivé, intelligent, et les dehors bourrus du molosse qui faisait craquer les arceaux de la table de massage, pourtant prévue pour supporter cent-trente kilos, dissimulaient une personnalité fine et attachante.
Bien sûr, Vincent n’était pas que cérébral. Et rapidement ses mains cherchèrent le contact sensuel avec mon corps. Tant qu’il fût sur le ventre, celui-ci resta sage. Une fois retourné, le caractère joueur prit le dessus, mais avec tact, et sans que ça n’interrompe la discussion. C’était quand même la première fois que je me faisais peloter tout en tenant une conversation sur l’art, et des sujets de société ou même de philosophie. La situation ne manquait ni de charme ni de piquant.
Je déroulai tout mon savoir-faire assimilé depuis un mois. Et Vincent continua de parler. Le nez ente mes seins, ses mains caressant mon entrecuisse à la lisière du string, et la verge dressée comme les statues de l’ile de Pâques, il dissertait encore sur ce que tel ou tel film de Woody Allen disait de profond sur les relations conjugales, ou sur la pertinence de l’art moderne dans un monde devenu abstrait.
J’aurais vraiment adoré que l’éjaculation se produisît en plein débat sociétal. Pourtant, à l’instar de ces chanteuses hollandaises qui, sur youtube, tentent sans y parvenir d’entonner un de leurs titres alors qu’un vibromasseur les entraine vers l’orgasme, Vincent n’eut pas d’autre choix que de se taire quelques instants quand sonna l’heure du geyser.
Il reprit son discours dans la foulée, ne l’interrompant que pour aller à la douche. Quand il fût parti, il me fallut quelques minutes pour être certaine que ses cordes vocales l’avaient suivi et que le silence était définitif.
Cyrille était l’antithèse de Vincent. Chétif, mal dans sa peau, introverti, il parla peu et n’osa aucun mouvement vers moi. Il avait payé le minimum, mais aurait quand même pu poser ses mains en des endroits excitants. Pourtant, il resta un quart d’heure sur le ventre puis un quart d’heure sur le dos sans desserrer les dents et sans tenter de me toucher. Je le sentis si renfermé que je renonçai à prendre sa main pour lui suggérer un geste sensuel, comme il m’était déjà arrivé de le faire. J’eus presque l’impression qu’il était gêné de bander et je vécus son éjaculation sans satisfaction. Il disparut à la douche puis du local. Je ne suis pas certaine d’avoir entendu plus de cinq phrases complètes venant de lui, et ressentis presque des remords à prendre ses cinquante euros, tant je doutai qu’il ait réellement pris du plaisir à venir me voir.
Mélanie débarqua un peu après 15 heures. Elle se mit en tenue pour être prête à accueillir Karl. De mon côté je m’étais rhabillée normalement, puisque je ne restais que pour la rassurer, et non pour une prestation érotique.
-Bon faut qu’on réfléchisse à notre annonce.
-Je t’écoute.
-Alors voilà, la publication mensuelle coûte trois-cents euros, et ça commence à me gaver de payer une telle somme pour des gens qui arnaquent les escortes et les masseuses.
-Trois-cents euros ?
J’étais stupéfaite devant la somme annoncée ! Cela devait prendre à Mélanie un bon tiers de ses revenus.
-Et encore, au tout début j’étais sur un site plus généraliste, qui publie les petites annonces coquines entre les bagnoles à vendre et les téléviseurs, et pour les filles comme nous ces ordures demandaient six-cents euros par mois !
-C’est pas possible…
-Si ! Mais comme c’est le site qui a la plus forte exposition sur internet, ils se croient tout permis.
-Tu as vite laissé tomber ?
-Ah oui, parce que pour rentabiliser, il aurait fallu que je fasse ça quasiment tous les jours de la semaine et c’était hors de question. Au bout de de deux mois j’avais déjà quelques habitués alors j’ai changé pour le site que tu connais, qui coûte deux fois moins cher.
-T’as eu moins d’appels ?
-Oui et non. En fait, il y a moins de personnes qui voient ton annonce, donc moins d’appels. Mais ce site étant spécialisé dans les travailleuses du sexe, il est connu des gens qui ont une recherche de ce type. Du coup je me suis rendu compte que les appels que j’avais perdus étaient principalement ceux de mecs que je n’aurais pas acceptés en massages, parce que pas sérieux.
-Ah ! Donc t’as la même quantité de demandes crédibles.
-Voilà, et finalement, ça n’a pas fait baisser le nombre de clients que j’ai reçus.
-C’est bon à savoir.
-Oui, mais c’est quand même trois cents putains d’euros ! Qui s’ajoutent à la location du local, aux huiles, etc.
-Avec moi ça ne te fera plus que cent-cinquante !
-Oui, sauf si on monte un site.
-Mais là, niveau exposition… on s’en sort ?
-C’est toute la question.
-Et tu saurais le monter, le site ?
-Silia saurait.
-Elle est webmaster en plus d’être photographe ?
-Disons que dans son école elle a appris à monter des sites pour exposer les photos, ou des blogs, enfin des trucs comme ça. Parce que si on passe par un hébergeur, ça va revenir au même qu’actuellement, il faudra payer.
-Alors que si Silia monte un site, c’est gratuit ?
-Non, mais un site totalement indépendant, ça coûte bien moins cher. C’est pas du e-commerce, on veut juste deux ou trois pages pour nous présenter, mettre nos photos, éventuellement les tarifs, et le moyen de nous contacter. Point barre ! On en a pour trente euros par mois, là.
-C’est évidemment tentant mais après, comment les gens nous trouvent s’ils ne nous connaissent pas déjà ?
-C’est bien ça le problème. Il y a des moyens de se faire référencer sur des annuaires mais on revient au point de départ : c’est payant. Et on ne risque pas de se retrouver en première ligne sur les moteurs de recherche classiques.
-Donc on ne paye plus rien ou presque, mais on risque l’anonymat.
-La question est de savoir si le peu de visibilité, en tout cas au début, permettra d’avoir assez de clients en plus de nos réguliers.
-Et je n’ai qu’un mois de clientèle derrière moi.
-Mais moi j’en ai plein qui m’ont parlé de toi depuis un mois, et que tu verras apparaître au fur et à mesure parce qu’ils envisagent de t’essayer lors de leur prochain massage. Mon vivier est un peu court pour qu’on soit autonomes, mais ça peut faciliter la transition.
-Je vois, oui. Il faudrait peut-être allumer le portable professionnel plus souvent, dans ce cas, pour rater moins d’appels.
-Absolument, je sais que tu l’allumes encore moins que moi, et pas mal de mes clients m’ont dit qu’ils ont du mal à te joindre. Savoir se faire désirer c’est super quand il y a beaucoup de demandes.
-Nettement moins si cherche des clients, j’avoue. Mais si on part sur cette idée, une fois notre annonce actuelle désactivée, il faudrait que tous tes clients habituels aient bien ton numéro en mémoire, parce que ça ne sert à rien d’être un habitué qui veut te joindre s’il n’en a plus les moyens.
-Excellente remarque.
-Ça veut dire qu’il faut se donner le temps d’avoir refait le tour de toute notre petite cour, et de les avoir avertis ?
-Non, car mes vrais habitués, je les ai enregistrés, comme ça je vois leur nom s’afficher quand ils m’appellent, c’est plus convivial quand tu dis « Bonjour Nicolas, je suis contente que tu m’appelles » plutôt que « allo, oui ? ».
-Pas mal !
-T’as pas encore eu énormément de clients. Tu dois pouvoir retrouver les numéros dans ton historique. Il suffirait d’envoyer un sms général pour les prévenir, en remettant nos deux numéros de portable dans le texte, ainsi que l’adresse de notre nouveau site.
-C’est excellent, sauf que vis-à-vis du client, ça manque un peu de discrétion.
-Faut présenter ça comme si c’était une pub. Un sms viral. Que le client saurait interpréter mais que leur femme, ou un collègue du bureau, prendrait pour un truc anodin et non personnalisé.
-Bonne idée. Mais si finalement ça ne marche pas ? Qu’on a plus assez de rendez-vous ?
-On réactive l’annonce actuelle et on casque cent-cinquante chacune.
-Ça vaut le coup d’essayer. Moi ça me dit bien de tourner peu à peu avec des habitués.
-T’es partante ?
-Oui !
-Ok on a presque trois semaines devant nous, je vais contacter Silia et on préparera notre sms dès que le site sera prêt.
-De mon côté je vais essayer de farfouiller dans l’historique de mon portable, mais vu le nombre d’appels que j’ai reçus sans pour autant que ça débouche sur un rendez-vous, les clients que j’ai appréciés risquent d’être noyés dedans.
-Tu vas commencer à revoir des clients. C’est la définition de l’habitué. Dans ce cas-là, dis-le-leur de vive voix. Au moins de bien conserver ton numéro, en attendant qu’un site soit prêt.
-Oui, dans les trois semaines qui viennent, on prévient tous les clients que l’on reçoit.
-Parfait. On fera le bilan fin avril.
-Ça me va.
-Bon, j’espère que Karl ne va pas être emmerdant.
-T’appréhendes ?
-Moins maintenant que t’es là. Sur l’idée, à la limite, épiler un mec ça ne me dérange pas. C’est juste qu’il était vraiment bizarre au téléphone.
-Peut-être que c’est juste la nature du mec.
-On verra bien.
Mélanie prépara ses instruments de torture pour l’épilation. J’étais assez curieuse, et à plusieurs titres. D’une part de voir la tête de ce Karl. D’autre part d’assister à une épilation intégrale masculine et d’apprécier le résultat. Enfin d’observer avec quelle dextérité Mélanie passerait d’une séance que j’imaginais douloureuse, à quelque chose de nettement plus agréable.
Je m’assis sur le canapé et regardai mon portable personnel. Charlotte avait tenté de m’appeler sans laisser de message un quart d’heure plus tôt. Elle finissait les cours à 15 heures le lundi, je rappelai donc.
-Salut Léa, j’ai juste dix minutes, le train va arriver.
-Je t’écoute.
-J’ai passé la journée à dégueuler !
-Merde.
-L’infirmière me l’avait dit, que je risquais ça.
-T’es sortie de cours, alors ?
-Ouais, ça a commencé en anglais, après la récré. J’ai demandé à sortir et j’ai vomi aux toilettes. Après j’ai préféré ne pas manger à midi, mais je me sentais de plus en plus mal. A 13 heures en maths j’en pouvais plus, le prof m’a fait accompagner à l’infirmerie mais c’était fermé, l’infirmière n’a une permanence que le matin, alors j’ai fini à la vie scolaire.
-T’as expliqué la situation ?
-Oui parce qu’ils voulaient appeler Papa, et moi je voulais pas. Donc j’ai expliqué, ils m’ont dit que si ça ne se calmait pas d’ici la fin de l’heure ils n’auraient pas le choix, qu’ils étaient obligés.
-En effet, ils le sont.
-J’ai passé le reste de l’heure aux chiottes et puis ça a fini par se calmer.
-T’es retournée en cours ?
-Oui c’était le bloc de deux heures de maths, j’ai fait l’heure suivante. Le prof était sympa, il m’a demandé si ça allait, si je voulais qu’on ouvre la fenêtre, il m’a même offert sa boite de tic-tac en me disant que ça me ferait du bien… Il a cru que j’avais mangé un truc dégueu à la cantine.
-Vu les souvenirs que j’en ai, c’est crédible.
-Carrément !
-Et les autres élèves ?
-Bah tu sais comment ça marche, les rumeurs sont parties, là…
-Tu gères ?
-Je m’en fous. En plus la rumeur c’est que je suis enceinte. Alors que justement c’est un peu le contraire, quoi.
-Ah oui ça ne manque pas d’ironie. Et Loïck ?
-Le pauvre, il était tout penaud au fond de la salle.
-Evite de lui rouler une pelle aujourd’hui, tu dois avoir une haleine à faire jaunir les rideaux.
-Ha ha !
-Ça va mieux, là ?
-Oui, mais mes copines m’ont dit que j’avais une sale tronche.
-Pas grave, l’élection de la reine du bal c’est pas ce soir.
-Oui, mais tu connais Maman. Je vais rentrer et l’avoir sur le dos toute la soirée sur le thème « ma petite chérie va mouriiiiiiiiiiiiiiir ».
-Dis-lui qu’elle va être grand-mère, à mon avis t’auras la paix quelques minutes, le temps qu’elle encaisse.
-Ah ouais, tiens.
-Sinon, l’infirmière était sympa ?
-Oui, bon, j’ai eu droit à un cours accéléré d’éducation sexuelle pendant que je gobais sa pilule.
-Normal.
-Elle m’a posé plein de questions.
-Genre ?
-Si je fumais, si j’avais une vie sexuelle active, si j’avais déjà pris cette putain de pilule du lendemain.
-T’as dit que c’était ta première fois ?
-Non, j’ai dit que je m’appelais Léa et que j’en prenais une tous les mois parce que j’aime la queue…
-Touchée.
-Non, mais sérieusement j’ai pas tout déballé, je lui ai juste dit qu’il y avait eu un accident de capote. Sinon elle n’a pas pu me prescrire la pilule, elle n’a le droit que de renouveler une ordonnance, pas de la faire elle-même.
-Ok j’ignorais la nuance. Donc tu vas aller voir le toubib ?
-Oui j’ai appelé le gynéco il me reçoit lundi prochain après mes cours.
-C’est bien.
-D’ici là je vais rien oser refaire avec Loïck. C’est chiant.
-On y prend goût … ?
-Bah ouais !
-T’as bien raison. Comment tu fais vis-à-vis des parents ?
-Je vais leur dire, pour la pilule. Le cacher ce serait chiant, et puis j’ai pas envie.
-C’est mieux, oui.
-Je suis pas obligée de leur dire que c’est déjà fait, en plus ! Enfin que je ne suis plus… vierge.
-T’as dix-huit ans moins deux semaines, et un copain régulier depuis trois trimestres, ma puce. Ils sont un peu raides, mais pas stupides.
La sonnette du local retentit.
-Ecoute Charlotte, je dois te laisser.
-Oui moi aussi, le train arrive.
-Je suis contente que ça s’arrange. Dès que t’auras tes règles, on fêtera ça !
-Ouais, pour une fois !
-Je t’embrasse.
-Moi aussi bye.
Alors que ma sœur cadette entrait dans son TER avec quelques nausées persistantes, un grand hippie très maigre et très barbu, vraisemblablement congelé à Woodstock dans la même carbonite que Han Solo depuis quarante-trois ans, pénétra dans le salon de massage sous le regard médusé de Mélanie. Je m’étais moi-même attendue à tout sauf à un baba-cool… souhaitant se débarrasser de ses poils !
Mélanie tenta une approche.
-Salut, Joe Cocker.
-Bonjour Alessia, répondit Karl, amusé.
Il me vit à l’arrière-plan et comprit la situation.
-Je vous ai fait un peu peur ?
Je répondis à la place de Mélanie.
-Vous aviez tellement envie qu’une blonde s’occupe de vous. Au moins il y en aura une pas loin.
Pas dupe pour un sou, Karl se satisfit de mon intervention. Et puis, qui se plaindrait d’une double présence féminine ?
Mélanie reprit les rennes.
-Alors Karl, vous voulez une épilation de quoi exactement ?
Elle regardait avec inquiétude la barbe en pétard, bien loin de celle, courte et joliment taillée, qu’arborait Éric, ainsi que les cheveux longs qui tombaient un peu n’importe comment sur les épaules.
-Juste les parties intimes.
-Vous l’avez déjà fait, c’est un entretien, ou …
-Non je ne l’ai jamais fait. C’est un petit fantasme.
-Bien bien… je vous laisse aller à la douche ? Trainez pas, on a juste une demi-heure.
Chewbacca était tout sauf dangereux ! Mais il était hors de question que je parte maintenant. Je tenais absolument à voir Mélanie se dépatouiller de la situation. Elle me regarda interloquée.
-Mais il sort d’où lui ?
-Il a hiberné depuis le dernier élevage de brebis dans sa communauté du Larzac, et les poils ont poussé pendant le sommeil.
-Si c’est pareil en bas qu’en haut, je suis pas équipée. J’ai juste amené les bandes de cire et une tondeuse.
-A gazon ?
-J’ai quarante-cinq minutes douche comprise à tout casser, moi…
-Tu veux un coup de main ?
-Sincèrement oui, je veux bien.
-Ok tu me diras quoi faire.
Karl réapparut une serviette autour des hanches, le torse et le dos débordant de poils. Je me marrai intérieurement. Mélanie se fit directive.
-Vous avez les cent euros ?
-Tenez.
Je pris les cinq billets de vingt et les glissai dans la poche arrière de mon jean.
-Bon, allongez-vous sur le dos. Lola va rester m’assister pour l’épilation, ça ne vous dérange pas j’imagine ?
-Au contraire.
Karl enleva la serviette. Le pénis était noyé sous les poils hirsutes. Mélanie me jeta un regard noir. L’espace d’un instant, ma Sicilienne dut imaginer que quelque contact mafieux pourrait régler son compte à l’homme-singe sans qu’elle ait besoin de descendre enlever assez de poils pour faire un oreiller. Puis Karl fut en position. Mélanie se tourna vers moi.
-Lola, dis-moi qu’on a des ciseaux quelque-part…
-A ongles, dans mon sac.
-On va te les flinguer, mais tu me sauves la vie !
J’ouvris mon sac planqué derrière le canapé et en sortis la petite paire argentée. Karl perçut l’embarras de Mélanie.
-Je suis désolé, Alessia, j’aurais dû prévenir qu’il y avait un peu de travail.
-C’est bon on va s’en sortir, c’est juste que dans quarante minutes j’ai un autre client. C’est pour ça que je demande à Lola de m’aider un peu pour la partie épilation.
-Je vous donnerai un supplément, je suis vraiment désolé.
-Ça va, on va gérer, faut que tout le monde se détende, intervins-je en posant une main sur l’épaule de Mélanie.
-T’as raison, répondit-elle en respirant un grand coup.
Mélanie se désinfecta les mains avec un gel antibactérien et m’invita à en faire autant. Elle me tendit des bandes de cire froide.
-Tiens, tu en réchauffes une entre tes mains, et tu me la passeras quand je te le demanderai. Ensuite à chaque fois que j’en utilise une, t’en réchauffes une autre et ainsi de suite d’accord ?
-T’en auras assez, ou je prends la cire des bougies ?
Les yeux qui me fixèrent signifiaient « encore une comme ça et je mets un contrat sur toi aussi ». Je lui mimai un bisou.
Feu mes ciseaux s’engouffrèrent dans la forêt vierge et Mélanie tailla, désépaissit, ramenant l’ensemble à une épaisseur minimale qu’elle réduisit encore à coup de tondeuse. Un pénis apparut enfin, débarrassé de la corolle qui l’ensevelissait.
Mélanie étala du gel antibactérien sur la zone à épiler et massa jusqu’à ce que celui-ci fût évaporé. Puis elle saupoudra de talc et me demanda la première bande de cire. En se réchauffant, elle s’était transformée en boule mais Mélanie était équipée et, pendant que je prenais la bande suivante, elle l’étala à l’aide d’une spatule en bois sur le haut du pubis de Karl, au-dessus du pénis.
Puis elle le regarda en prévenant.
-Tu vas pas être déçu.
Et elle tira.
Karl hurla de douleur et de surprise, comme King-Kong sur le toit de l’Empire state building. Un rectangle de peau parfaitement nette apparut au milieu des poils, et rougit presqu’aussitôt.
Elle prit la deuxième bande de cire qu’elle plaça dans la continuité du rectangle lisse, et tartina à la spatule. Pendant quelques secondes je la vis avec un rouleau à pâtisserie en train d’abaisser une pâte feuilletée, puis chassai cette image de ma tête, par crainte de ne plus jamais être capable de profiter d’une tartelette aux abricots. Karl regarda Mélanie avec l’expression d’un canard qui vient de comprendre pourquoi la dame au couteau a mis son frangin la tête à l’envers dans un entonnoir en plastique une minute plus tôt.
Elle tira.
-Oh putain de meeeeeeeeeeerde, commenta Karl, subitement moins précieux qu’au téléphone.
La bande suivante était prête. Je vis avec horreur Mélanie la dérouler sur la base du pénis, en dessous des précédentes. Les yeux exorbités, le chanteur des Bee Gees la regarda faire sans oser dire un mot. La matrone était à l’œuvre.
Elle tira.
Karl se cramponna à la table et serra les dents. De la sueur se formait sur son front et sur son ventre. Lancée comme un char mussolinien, Mélanie étalait déjà la bande suivante, sur le côté gauche du pénis.
-Oh non, attendez.
-Pas le temps, répondit Mélanie en tirant d’un coup sec.
-Nom de Dieuuuuuuuuuuuuuuuuuu !
Feels so good being bad
There’s no way I’m turning back
Now the pain is my pleasure cause nothing could measure
Je chuchotai à l’oreille ritale.
-T’es consciente qu’après ça il est censé bander ?
Affairée à réciter la leçon apprise dans son école d’esthéticienne, elle continua, imperturbable. Au bout de quelques arrachages bien sentis, le côté pile brilla comme un miroir chauffé à blanc. Dans un énorme effort miséricordieux, Mélanie accorda quelques secondes de répit au pauvre Karl qui devait regretter son fantasme.
-Ça va ?
-Euh…
-C’est obligé que ça fasse mal, j’y vais d’un coup sec parce que ça serait encore pire si j’essayais progressivement.
-Oui, oui, je ne dis pas le contraire.
-Bon, là on va passer à la partie difficile.
-Ah bon… ?
Mélanie se tourna vers moi et me chuchota une consigne que je n’avais pas vue venir.
-Ça m’arrangerait qu’il bande.
-Je te demande pardon ?
-Ça tirerait sur la peau et ce serait plus pratique.
-Mais y’a qu’à demander…
Amusée, je m’avançai vers Karl, l’œil coquin, pendant que Mélanie préparait une bande de cire dans ses mains. Des mains que les conventions de Genève eussent aujourd’hui durement sanctionnées.
-Alors comme ça on aime les blondes ? demandai-je en posant une fesse sur la table de massage, ma longue cuisse moulée dans le slim juste à côté de la partie de son corps au supplice.
-Euh oui, j’avoue. Mais Alessia me ferait changer d’avis, elle est extrêmement sexy.
-Oui, surtout avec ce petit t-shirt, vous avez vu comme ça déborde ?
Je fis courir un index sur la peau blessée. Karl regardait Mélanie. Ma cuisse se rapprocha de sa jambe. Ma paume apaisante effleura la base du pénis.
-C’est tout lisse. Ça vous plait ?
-Oui, je sais pas si le jeu en valait la chandelle …
-Concentrez-vous sur autre chose que la douleur. Plongez vos yeux dans le beau décolleté d’Alessia.
-C’est vrai que c’est une très belle fille.
-Qu’est-ce que vous aimez chez elle ?
-Elle est harmonieuse. Mais c’est vrai que …
-Oui… ? Que quoi … ?
Ma main tourna autour de la naissance du sexe, passant sur les testicules encore velus.
-Sa poitrine a l’air magnifique.
-Et comment ! Regardez-ça, on a envie d’y plonger la main, pas vrai ?
-Vous les trouvez beaux aussi, ses seins ?
-Ah mais moi, en plus, je les ai déjà vus…
Mon doigt revint longer la base du pénis et ma main l’entoura.
-Ah oui ?
-Bien sûr. Et ils sont vraiment splendides.
-Vous les avez vus pendant des massages ?
-Peut-être… et peut-être dans d’autres circonstances, allez savoir…
-Ils sont sûrement agréables à caresser.
Ma bouche susurra à son oreille.
-Tout son corps est agréable à caresser, Karl, croyez-en une blonde.
Mon doigt suivit la courbure de la verge. Elle était en érection. Je me relevai.
-Il est à toi.
-T’es vraiment trop forte.
-Vous êtes dure, me fit Karl.
-Pas tant que vous, répondis-je en fixant le phallus que Mélanie venait d’empoigner, le plaquant contre son ventre afin de dégager les testicules dont la peau tendue reçut l’extrême onction.
-Oh non, pas là, implora Karl.
-Fixez le décolleté, lui rappelai-je par-dessus l’épaule de Mélanie.
Et la sicilienne tira, maintenant le pénis érigé dans son autre main. Je m’étais attendue à ce que l’érection ne survive pas au premier arrachage sur les bourses. Pourtant, si Karl ressentit à nouveau la douleur, son sexe resta raide. Était-ce la main de Mélanie qui le maintenait ? Était-ce le petit conseil que j’avais placé dans sa tête comme une image subliminale ? Était-ce la réalisation du fantasme, qui prenait le dessus sur l’inconfort de l’épilation ? Ou bien la frontière entre douleur et plaisir était-elle si mince ?
Le travail reprit sa régularité, moi préparant les bandes de cire, Mélanie les étalant à la spatule en bois avant de les arracher. Puis elle s’attaqua aux poils isolés qui avaient échappé au rouleau compresseur, à l’intérieur des cuisses, à la transition vers l’anus, mais sans s’y attarder, le temps manquant pour épiler correctement cette partie. Enfin, le sexe fut parfaitement net. J’avais l’impression d’avoir sous les yeux une pancarte pour séance d’information sur la sexualité masculine par une infirmière scolaire, et je pensai à Charlotte. Je n’arrivais pas à trouver ça vraiment beau. Evidemment, comparé à la situation d’avant le passage de la paysagiste, on y avait énormément gagné. Mais on était simplement passé d’un extrême à l’autre.
Mélanie prit une lotion apaisante qu’elle avait sortie d’un des tiroirs du meuble mystérieux qui semblait contenir une solution par problème possible. Elle l’appliqua sur la verge, les testicules, et toute partie de peau mise à nue. Ses gestes se firent enveloppants, pour aider la pénétration de la potion dont les parfums de chèvrefeuille parvenaient jusqu’à moi. La verge lisse coulissait dans la main agile qui distillait du plaisir après avoir imposé tant de souffrance. Je me mis à côté pour assister au spectacle.
-Ça a l’air d’aller beaucoup mieux, Karl, non ?
-Mmmmh
-On va prendre ça pour un oui, interpréta Mélanie.
Elle accéléra la cadence de ce qui était devenu une séance de caresses en bonne et due forme. Je compris qu’elle ne voulait pas que cela dure trop longtemps. Non seulement elle n’en avait pas le temps, mais surtout l’objet de convoitise était tout de même à vif, et trop de frottements eussent été contreproductifs. Le gland sortit de sa cachette et Mélanie fit couler de la lotion dessus avant de donner de l’ampleur à ses gestes, qui partaient maintenant de la base du pénis pour finir au contact du gland, dans une magistrale masturbation aux fraîcheurs herbacées. Karl n’y résista pas longtemps et une longue rivière blanche coula sans jaillir le long de la hampe dressée. Mélanie termina son show de façon maternelle.
-Voilààààààààà c’est bien !
-Oh ce que c’est bon, fit Karl.
-Ça valait le coup, finalement, petit garnement !
Karl repartit comblé et délesté d’un pourcentage non négligeable de sa masse corporelle. Ce type restait étrange, mais la séance s’était finalement très bien déroulée, les seuls passages douloureux n’ayant pas été pour nous. Avant de partir, il nous donna trois billets de vingt euros supplémentaires. Il était beau joueur !
-Garde ces trois-là, me proposa Mélanie.
-Ok, merci.
-File, sinon tu vas devoir m’assister pour tout le reste de l’après-midi.
Je déposai un bécot sur sa joue, et m’enfuis dans l’allée qui traversait le jardin au bout duquel siégeait la dépendance aménagée. Au niveau du portail, je croisai un homme âgé qui dut imaginer en me suivant du regard que Mélanie massait également les femmes. Encore un à qui j’ai déposé une jolie image dans la tête, pensai-je en riant intérieurement de la séance écoulée. Puis je regagnai mon studio et appelai Éric. J’avais très envie de faire l’amour. Comme je l’avais dit à Charlotte : on y prend goût.
Sex in the air, I don’t care, I love the smell of it
Sticks and stones may break my bones
But chains and whips excite me