Afin de maximiser ses chances d’améliorer ses résultats, Agathe mit en place un programme d’entraînement destiné à élever son niveau de conscience. Tous les trois ans, à l’approche de son examen, elle consacrait la plupart de son temps à des exercices de méditation particulièrement exigeants. Elle obtint successivement des scores de 3.3 puis 3.5, avant de redescendre brutalement à 3.2.
Cet échec la motiva à chercher d’autres méthodes, notamment auprès de ses collègues de niveau 3. Une chercheuse plus âgée lui expliqua autour d’un repas à la cafétéria du laboratoire que son propre score de 3.7 n’était dû qu’au hasard, et qu’il n’y avait aucune façon de se préparer à un examen de conscience. Agathe réfuta immédiatement cette hypothèse, en invoquant les résultats de ses recherches récentes. Selon sa théorie, l’éducation, le contact social, et la méditation pouvaient augmenter de manière durable le niveau de conscience d’un individu.
D’autres collègues la soutenaient, mais aucun n’était en mesure de lui suggérer des actions concrètes pour atteindre le niveau 4. Agathe entreprit alors d’étudier la liste des individus ayant officiellement atteint ce niveau, dans le but de trouver quelqu’un qui pourrait l’aider à progresser. En plus de la directrice du centre d’évaluation, 637 personnes avaient obtenu des scores compris entre 4.0 et 4.5 au cours des trois dernières années. Agathe écarta immédiatement les personnalités les plus connues en supposant qu’elles seraient inaccessibles. Elle était prête à se déplacer si nécessaire, mais pas à l’autre bout du monde, ce qui retira encore de nombreuses possibilités. D’autres critères de tri, plus subjectifs, lui permirent de réduire la liste à une douzaine d’individus.
Agathe fut d’abord méchamment refoulée par un neurochirurgien, puis par une avocate malpolie, avant de recevoir une réponse positive d’un poète dont elle ignorait jusqu’alors l’existence. Ethan Moreau avait publié quelques recueils de poèmes, dont elle prit connaissance avant leur premier rendez-vous. Il s’agissait d’un homme d’une cinquantaine d’années, d’apparence humble et discrète, ce qui rassura Agathe. Leur conversation tourna rapidement autour de la raison de leur rencontre, alors que chacun d’eux tentait de donner une définition satisfaisante du concept de conscience. L’approche scientifique d’Agathe se confronta au point de vue artistique, presque spirituel, d’Ethan. Il prétendait que la conscience n’était rien d’autre que notre façon de percevoir le monde à travers les filtres de nos sens et de nos capacités cognitives. Malgré son dernier score de 4.3, il s’opposait fortement à l’idée de quantifier ou de hiérarchiser le niveau de conscience des êtres vivants. Lorsqu’Agathe lui demanda s’il pensait que son activité de poète avait influencé positivement ses résultats, il répondit simplement que les poètes sont la conscience de tout ce qui n’en a pas.
Pendant les mois qui suivirent, Agathe rencontra Ethan à plusieurs reprises afin de mieux comprendre son rapport au monde. Parmi toutes les personnes qu’elle avait contactées, le poète était le seul à avoir accepté de partager ainsi ses réflexions. Ils discutèrent de poésie et de philosophie, mais aussi des différentes recherches menées par le laboratoire d’Agathe. Son équipe venait d’ailleurs de concevoir un appareil capable de mesurer les réactions du cerveau lorsqu’il était exposé à des signaux externes. Après avoir effectué une série de tests standardisés sur différentes espèces, ce nouvel outil représentait désormais un atout majeur pour la science. Cependant, il était encore incapable d’attribuer une valeur de conscience aux processus cognitifs purement internes. Il était évident qu’un être humain isolé de tout stimulus extérieur était encore parfaitement conscient, mais aucune expérience scientifique n’était encore en mesure de quantifier précisément ce mécanisme subjectif.
Malgré ses premiers résultats peu concluants, Agathe décida de recommencer à méditer régulièrement. Cette fois-ci, ses objectifs étaient totalement indépendants des examens de conscience : elle souhaitait principalement développer le lien entre son esprit et son corps. Lors de ses séances quotidiennes, elle pensait souvent aux conversations qu’elle avait eues avec Ethan. Il avait indéniablement affecté sa conception du monde, bien qu’il ne lui donnât jamais de clés explicites pour atteindre son objectif. Agathe était convaincue que le fait de multiplier ses points de vue sur le monde ne pouvait qu’augmenter son niveau de conscience. Elle se mit à lire des articles de physique quantique, des classiques de philosophie, ou encore des publications récentes de sociologie. Elle s’inscrit même à des cours de peinture et de piano, afin de stimuler au maximum tous ses sens. Le temps et l’énergie qu’elle avait investis dans son développement personnel finirent par payer : elle obtint un score de 3.8 lors d’un examen, ce qui renforça son espoir d’atteindre le quatrième niveau.
Pendant les trois années qui suivirent, elle continua à rechercher des moyens d’accroître sa compréhension du monde et de la conscience humaine. Son travail y contribuait grandement, puisque son équipe avait progressivement acquis une renommée mondiale dans ce domaine. Leur dernière avancée majeure consistait à mesurer la complexité du réseau de neurones d’un cerveau humain à l’aide d’une électroencéphalographie améliorée. Le résultat, basé sur une analyse topologique des signaux électriques, pouvait être transcrit en une estimation du potentiel de conscience du sujet. Cette mesure devait néanmoins être couplée avec un examen classique afin d’écarter certaines conclusions absurdes. En effet, pour des raisons évidentes, personne ne souhaitait que l’on puisse considérer les réseaux de neurones artificiels comme des entités conscientes.
Agathe profita de son accès au matériel du laboratoire pour analyser à plusieurs reprises son propre cerveau. Malgré sa grande expérience de chercheuse, elle avait parfois du mal à accepter sereinement que sa conscience était en train de s’étudier elle-même. Avec l’aide de ses collègues, elle parvint cependant à obtenir des résultats qui décrivaient l’évolution de sa structure cérébrale sur un intervalle de six mois. Elle put ainsi démontrer que son programme d’entraînement avait des effets positifs mesurables sur son cerveau. Agathe décida alors de publier un article décrivant cette expérience dans une célèbre revue scientifique. Des chercheurs du monde entier confirmèrent la validité de ses conclusions, ce qui lui conféra une renommée internationale. Elle reçut de nombreuses offres d’emploi dans les laboratoires les plus prestigieux du monde, mais les déclina toutes car elle s’estimait parfaitement épanouie dans son poste actuel.
Agathe poursuivit ses recherches et ses entraînements jusqu’à ce qu’elle atteigne finalement le quatrième niveau. Quinze ans après son premier score supérieur à 3, elle était enfin parvenue à franchir cet obstacle qui lui avait souvent semblé insurmontable. Son nom rejoignit alors la célèbre liste des individus de niveau 4, aux côtés d’Ethan Moreau et de Meredith Eggenschwiller. Elle accéda rapidement au poste de directrice des recherches de son laboratoire, comme la plupart de ses collègues l’avaient pressenti.
Un jour, alors qu’elle sortait d’une réunion du conseil de direction, elle croisa Liam dans un couloir. Il travaillait toujours dans le même établissement, bien que leurs chemins se fussent séparés lorsqu’elle avait atteint le troisième niveau. Ils discutèrent pendant quelques minutes, en se remémorant l’expérience du blob et les moments forts de leur collaboration. Liam semblait heureux, et il n’exprima aucune ambition d’élever son niveau de conscience ou d’accéder à un meilleur poste. Cependant, il se referma brusquement lorsqu’Agathe lui avoua qu’elle convoitait désormais le cinquième niveau.
« Agathe... tu sais très bien qu’il n’y a pas de cinquième niveau. Ce n’est qu’un mythe, une légende.
- Beaucoup de choses étaient considérées comme impossibles avant que la science ne prouve le contraire. Je vois pas ce qui pourrait m’empêcher de continuer à progresser.
- Je doute pas de tes capacités, mais j’ai peur de ce que tu pourrais devenir en allant trop loin.
- Eh bien, personne n’est monté au-delà de 4.5, je serai peut-être la première à le faire. Et qu’est-ce que je risque ? T’as peur que je prenne la grosse tête ?
- Non Agathe, j’ai peur que personne ne puisse supporter un tel niveau de conscience. J’ai peur que l’absurdité de ta propre existence devienne insupportable. »
Ton récit est toujours aussi intéressant quoique parfois un peu trop technique, à mon goût. Cependant, j’apprécie la rigueur avec laquelle tu abordes ton sujet.
L’apparition d’Ethan comme contrepoids (enfin, c’est comme cela que je le perçois) à la vision d’Agathe est une très bonne idée. J’avoue que je préfère sa conception (notamment quand il s’oppose à quantifier le niveau de conscience des individus) à celle de ton héroïne dont, d’ailleurs, je ne comprends pas vraiment les motivations.
En tout cas, je ne manquerai pas de lire la suite ! :-)
Ton histoire est une lecture passionnante ! Très bien écrite et fluide à lire, je suis très prise !^^
Je te l'avais déjà dit, le rythme me semblait au début très rapide, mais finalement il correspond très bien à cette histoire. Il s'inscrit parfaitement à son ambiance !
Tu abordes d'une façon très particulière une sorte de "recherche de la perfection", et je trouve cela très intéressant, aussi car tout cela fait réfléchir, les liens entre la conscience et la poésie notamment.
L'histoire, comme je l'ai déjà dit, se déroule assez vite, mais cela n'empêche aucunement la crédibilité et le réalisme de l'ambition d'Agathe ! C'est d'ailleurs à mon avis l'une des nombreuses qualités de ce texte :)
Vivement la suite ! Le chapitre se termine avec tant d'intrigue...
(Eh bien oui, c'était un "à bientôt" justifé ! Et je ne le regrette pas !)