Dès le lendemain, l’entraînement a commencé. J’étais chargée de cinq groupes de vingt-quatre bleus, un tous les monsihons avec un calsihon de repos entre chaque. Ils ne se débrouillaient pas trop mal. Mais la menace qui planait constituait une excellente motivation pour progresser. Ça restait un travail épuisant. En particulier à cause du rythme soutenu. Vivement que d’autres guerriers rentrent au pays pour m’assister. Chaque retour permettait d’entraîner un nouveau contingent. Mais il en faudrait encore quelques-uns avant qu’ils ne commencent à alléger ma tâche. J’étais en train de prendre une séance de repos bien méritée après une journée d’exercice quand un apprenti est entré dans la chambre. Mon repos, surpris, est tombé du lit.
— J’espère que tu as une bonne raison de me déranger, dis-je d’un ton peu amène.
— Wotan est rentré, a-t-il annoncé.
Je me suis précipitée hors du lit, nue, vers mes vêtements. Tout en m’habillant, j’ai demandé des compléments d’explications.
— Comment ?
— À la nage. Il s’est échoué au pied de la Résidence. On a trouvé son corps ce matin.
— Comment va-t-il ?
— Il est épuisé, il dort.
— Donc il est vivant.
Je saisis aussitôt toutes les implications de cet événement. En premier lieu, il était notre meilleur mage. Il avait le pouvoir nécessaire pour sauver Muy. Et certainement aussi pour accélérer la guérison de Peffen.
Mon compagnon se relevait.
— Il est rentré seul ? a-t-il demandé.
Question pertinente, celle que j’aurai dû poser en premier. Il voyageait à bord d’un navire pirate en compagnie de douzaines d’Helariaseny. Peut-être avec Vespef.
— Oui, a répondu l’apprenti.
Pas de Vespef. Mais on disposait au moins d’un pentarque fonctionnel, bientôt deux, dont le chef de l’armée. Le garçon a continué sa mission, allant avertir les autres maîtres de la ville.
Sitôt habillée, je me suis élancée vers la Résidence. Mon compagnon n’a pas tardé à m’emboîter le pas. Je n’étais pas la première à avoir été prévenue. Nombreux étaient ceux qui prenaient le même chemin que moi. Mais j’avais présumé de mes forces. Je n’avais pas l’endurance d’un hofec. À mi-chemin, j’étais essoufflée et j’ai dû adopter un rythme plus supportable.
Tout en marchant, je me suis demandée pourquoi je me précipitais. Wotan dormait. Il était rentré à la nage sur, je ne savais combien, de centaines de longes. Tout ce que je pourrai voir, ce serait au mieux, un homme assoupi sous ses draps. Néanmoins, j’ai continué. Et j’ai bien fait. Les gardes ont laissé passer les quarante-trois guerriers présents sur l’île, ne refoulant que les autres.
Wotan dormait. Mais pas Helaria. Il avait un peu parlé avec son fils avant qu’il aille se coucher. Et il nous a fait un rapport. Léger le rapport selon lui. Wotan n’avait pas dit grand-chose. Le pirate était au courant de la magie des pentarques. Sa première action a donc été de confisquer leur gemme avant qu’elle ne se recharge, à lui et à Vespef. Privés de leur pouvoir, ils ne pouvaient plus utiliser leurs sorts contre leurs ravisseurs. Mais soixante-quinze prisonniers helarieal se trouvaient à bord du bateau. Tous des hommes. Certains d’entre eux étaient des guerriers accomplis. On comptait même deux maîtres et un grand-maître dans le lot. Ils ont réussi à se libérer. Dans la bataille pour le contrôle du navire, ils s’étaient échoués, loin à l’est, une île double à quatre cents longes environ. Le naufrage avait été si violent que beaucoup de personnes avaient été blessées. Wotan en faisait partie. Il a mis longtemps avant de se rétablir. Et quand il a été guéri, il a décidé de fonder une communauté sur place, d’en faire une colonie de l’Helaria. L’île ne ressemblait pas à Ystreka, entourée de hautes falaises qui protégeaient un plateau quasiment inaccessible. Non, elle était formée de deux pics volcaniques reliés par un isthme de lave assez large. L’ensemble enserrait une baie immense. C’était l’endroit idéal pour créer un port de guerre. Il avait aidé à la construction d’un établissement dans l’épaisseur du cône nord, avant de nous rejoindre. Sans sa gemme, il ne pouvait pas contacter ses sœurs pour les prévenir de ses projets.
Personnellement, j’ai trouvé que pour un bref échange entre le père et le fils, il était étonnamment complet. Une flotte de guerre. C’était un peu le serpent de mer des pentarques. Wuq, ma pentarque de tutelle, en rêvait depuis longtemps. On ne comptait que trois obstacles en fait à sa création, nous ne possédions pas les bateaux, nous ne possédions pas les équipages et surtout nous ne possédions pas le savoir-faire.
En rentrant à mon domicile, j’étais à la fois rassurée et inquiète. Rassurée parce que le retour de Wotan signifiait beaucoup pour nous. Il dirigeait le pays bien avant ma naissance. Plus que les destructions que nous avions subies, c’est sa disparition qui nous avait le plus démoralisé. Et il était revenu. Bon, les pentarques n’étaient pas tous présents. Il manquait Vespef. Et nous avions du mal à digérer sa capture. Mais si Wotan avait pu nous retrouver, tout espoir était permis la concernant. Inquiète parce que j’étais réaliste. Si l’Helaria s’en était sortie presque indemne, c’est uniquement parce que les pirates avaient dû surmonter plusieurs obstacles qu’ils avaient dû abattre avant de nous atteindre. L’Honëga d’abord, puis le Mustul. Mais à leur prochaine visite, nous ne bénéficierions plus de ces protections, nous aurions face à nous une armée intacte et prête à en découdre.
Et rien ne nous dit que nous serions en état de leur résister.