Cinq ans d’attente
Cela faisait cinq ans que Lymia attendait ce moment. Cinq longues années à rêver de partir, à imaginer ce jour où elle serait enfin libre. À 20 ans, elle se tenait au seuil d’une nouvelle vie, prête à laisser derrière elle cette maison qu’elle n’avait jamais vraiment considérée comme un foyer.
Ce matin-là, quelque chose avait changé. Les rayons du soleil, d’habitude timides, inondaient les grandes baies vitrées, caressant les murs immaculés et l’escalier de marbre d’une lumière douce. La maison semblait presque bienveillante, comme si elle acceptait l’inévitable : Lymia allait partir.
Valise en main, elle descendit lentement l’escalier. Chaque pas résonnait dans le grand hall, empli d’un silence inhabituel. Ce silence, lourd et chargé, ne faisait qu’accentuer le mélange d’appréhension et de soulagement qui battait dans sa poitrine. Elle avait déjà dit adieu aux employés, à ceux qui, malgré tout, lui avaient offert un semblant de chaleur humaine. Mais ce qu’elle ne s’était pas préparée à affronter, c’était leurs visages à eux.
En bas des marches, debout au milieu du hall, ses parents adoptifs l’attendaient.
Madame Windsor, toujours impeccable dans une robe sobre, semblait plus fragile qu’à l’accoutumée. Elle fixait un point invisible, incapable de soutenir le regard de Lymia. Monsieur Windsor, droit comme un soldat, les mains croisées derrière son dos, paraissait chercher ses mots, son visage trahissant une gêne qu’il n’avait jamais laissée paraître auparavant.
Lymia s’arrêta, incertaine. Ses doigts crispés sur la poignée de sa valise, elle les observait, tentant de déchiffrer ce qu’ils voulaient. Elle avait toujours connu ces deux figures comme distantes, presque inaccessibles, et maintenant, ils semblaient presque… humains.
Un silence oppressant envahit la pièce, si dense qu’elle pouvait entendre les battements rapides de son propre cœur. Puis, contre toute attente, Madame Windsor fit un pas en avant.
Elle ouvrit les bras, hésitante, maladroite. Et avant que Lymia ne puisse réagir, elle se retrouva enveloppée dans une étreinte.
Le geste était si inhabituel, si incongru, que Lymia resta figée. Cette femme, froide et distante toute sa vie, venait de briser sa carapace, ne serait-ce qu’un instant. Une chaleur inattendue monta dans sa poitrine, et ses yeux s’embuèrent. Est-ce cela, une mère ? pensa-t-elle.
Madame Windsor s’écarta rapidement, comme si ce moment d’intimité avait été trop difficile à soutenir. Sa voix, faible et tremblante, brisa le silence :
— Prends soin de toi.
Ces simples mots résonnèrent dans l’esprit de Lymia. Ce n’était pas une excuse, ni une justification. Mais c’était déjà quelque chose.
Monsieur Windsor s’avança à son tour, un téléphone à la main. Ses gestes étaient saccadés, ses doigts tremblants. Il tendit l’appareil à Lymia, cherchant ses mots.
— Je… je t’ai pris un téléphone, dit-il. Il y a mon numéro dedans, si jamais… si jamais tu veux appeler.
Lymia prit le téléphone avec précaution, le poids de l’appareil soudain disproportionné. Ce simple geste, si banal, portait un sens qu’elle ne comprenait pas encore tout à fait. Elle releva la tête, prête à répondre, mais avant qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit, il la prit dans ses bras.
Une étreinte inatendue
Ce fut une étreinte douce, presque hésitante, comme s’il avait peur de la briser. Il murmura, si bas qu’elle dut tendre l’oreille :
— Nous sommes désolés. Désolés de ne pas avoir su… d’avoir échoué à être là pour toi.
Lymia sentit ses jambes vaciller. Ces mots, qu’elle avait attendus toute sa vie, arrivaient enfin. Mais étaient-ils suffisants ? Était-il trop tard pour reconstruire ce qui avait été brisé ? Elle n’avait pas de réponse, mais dans cet instant suspendu, elle choisit d’y croire.
Elle s’écarta doucement, les jambes encore tremblantes. Aucun d’eux ne tenta de la retenir lorsqu’elle tourna les talons. Ses pas, légers mais déterminés, la portèrent vers le grand portail.
Avant de franchir le seuil, elle se retourna une dernière fois. La maison, baignée de soleil, semblait presque vivante, comme si elle aussi lui faisait ses adieux. Un sourire timide naquit sur ses lèvres, et une larme solitaire roula sur sa joue.
C’était fini. Cette fois, elle était libre.