Chapitre 35 - Erin

Notes de l’auteur : Bonjour :D
J'en profite pour prévenir que je fais Nanowrimo sur un autre projet que celui-ci, et qu'il est possible que je fasse une micro-pause dans la publication lorsque j'aurais rattrapé ma réserve de chapitres déjà écrits. PNE est un gros bébé qui continue à grandir (ça ne m'étonnerais pas qu'il fasse plus de 60 chapitres, oups) et me prend pas mal de temps, mais qui n'est pas dans mes priorités éditoriales, donc j'ai dû faire un choix :( Cela dit, il sera écrit en entier quoi qu'il arrive, préparez-vous seulement à quelques petites pauses de temps à autre !
Bonne lecture :)

Une voix douce fredonnait, loin au-dessus de sa tête, comme calfeutrée par plusieurs épaisseurs de bois et de tissus. Erin était à peu près certaine que c’était Nodia, qui chantait sans paroles cette comptine qu’elle ne connaissait pas. Alors qu’elle essayait de saisir les notes qu’elle entendait, des centaines d’autres sons parvinrent à ses oreilles : le craquement du bois, le crissement du fer, le claquement des cordages, le sifflement du vent, le léger roulis de la cale, son pouls si lent et si lourd, le froissement de ses cheveux asséchés, les épines de sa peau qui frottaient contre le tissus de ses vêtements. Loin au-dessus de sa tête, il y avait aussi les voix de Suzette, Zakaria et Del qui discutaient à l’étage. Plus près d’elle, le grincement d’un bec et le frémissement de plumes.

Puis le silence.

Un silence dans son coeur, comme si quelque chose manquait à l’appel.

Ses poumons s’écrasèrent dans sa poitrine, et elle toussa brusquement pour chasser l’air qui brûlait sa gorge. Une aile souleva son dos, et elle aperçut les yeux noirs remplis d’inquiétude de Sia penchés sur elle. 

— Doucement, petite soeur. Chevaleriesse Lo ! 

Des sabots lourds s’approchèrent, et quelques instants plus tard, alors qu’Erin toussait toujours, lea faune entra dans son champ de vision. Elle ne voyait plus aussi loin qu’avant - était-ce temporaire ? Ou une nouvelle configuration de son corps à laquelle elle devrait aussi s’adapter ?

— Tout va changer, y compris respirer, expliqua Lo alors qu’iel plaçait ses mains sur le ventre de la maegis. Tu vas devoir réapprendre à le faire confortablement. Inspire.

Elle obéit, et suivit ses indications pendant qu’iel continuait à presser pour l’aider à retrouver son souffle. A chaque inspiration et chaque expiration, son corps se contractait sous la douleur, et elle eut la sensation que ce simple exercice dura une éternité. Elle aurait pu compter le nombre de fois où Lo lui avait demandé d’inspirer, mais elle était incapable de se concentrer sur autre chose que la voix de lea faune. 

Elle avait à peine aperçu Jin, qui était arrivée peu de temps après - ou bien plus tard, Erin n’en était pas sûre - toujours emmaillotée dans sa combinaison et le casque de verre rabattu sur sa tête. Sa soeur jumelle lui serra la main, et dès qu’Erin fut assez calme pour réussir à respirer seule et à se redresser, Lo quitta la pièce sans un regard en arrière.

— Tu as encore mal ? demanda Sia.

— Partout, confirma Erin. Mais c’est supportable. Nous sommes dans un navire ?

L’Oursin, confirma Jin. Prêté par l’Armada pour aller jusqu’au désert, mais ce n’est pas vraiment le plan.

Sa soeur lui fit un rapide résumé des derniers événements, de la rencontre avec les capitaines jusqu’à leur départ précipité avec peu de ressources, en passant par le fait que Zakaria avait manqué d’en venir aux mains avec un des capitaines nains au moment du décollage, et que Sehar s’était chargé de déplacer Erin lorsqu’elle dormait encore.

— On devrait arriver à Pied-de-Troll avant la nuit, conclut-elle. Nodia a de la famille là-bas, elle veut voir s’ils vont bien… et c’est sur la route de la forteresse de Zarnima.

— Là où les valenis ont été ramenés… Quel est notre objectif, exactement ? Les libérer, et ensuite ?

— Je ne sais pas ce que tu as trouvé dans les archives, mais… cela tournait surtout autour de valenis, non ?

Erin avait presque oublié qu’elle était la seule de leur étrange équipée à avoir posé les yeux sur les informations qui incriminaient leur mère. Elle chercha dans ses poches la pierre de copie qu’il lui restait, et constata avec dépit qu’elle était brisée, mangée par le récent sortilège ou abîmée par le cri de Nodia. Elle avait presque envie de la jeter dans le vide, par la petite fenêtre ouverte qui donnait sur le ciel. Mais cela n’aurait servi à rien, alors elle se contenta de la laisser tomber au sol, sa main relâchée avec fatigue.

— Oui. La Dame des Nahara, et Myria Nidré… Nous savions déjà que Fenara en avait après eux, mais il semblerait que ce soit quelques personnes en particulier, pas juste une branche des anciennes familles nobles.

Erin se força à rester concentrée, pour tirer de sa mémoire autant de souvenirs qu’elle pouvait, mais l’exercice s’avérait bien plus difficile que d’ordinaire. Sa respiration désordonnée qu’elle devait régulièrement calmer et les douleurs qui la lançaient sans prévenir y étaient certainement pour quelque chose.

— Mais pourquoi maintenant…?

— Sevila Nediro est mort l’année dernière, supposa Jin. Peut-être qu’en tant que directeur de l’Ecole de la Nuit il pouvait encore faire rempart contre maman ?

Une quinte de toux fit disparaître immédiatement toute idée qu’Erin aurait pu avoir. Elle ne dura pas assez longtemps pour être vraiment inquiétante, mais largement assez pour lui faire totalement perdre le contrôle de sa respiration.

— Tu veux que j’appuie comme Lo a fait ? proposa Jin.

Elle acquiesça faiblement, et quelques instants après que sa soeur ait commencé, Erin s’assoupit. Contrairement à Lo, elle prit soin d’ajouter un petit sortilège pour chasser la douleur, qui malheureusement ne fit rien pour l’aider à penser plus clairement. Alors qu’elle était presque prête à s’endormir, la voix de Jin lui parvient faiblement, presque un murmure qui cachait mal un léger tremblement.

— Erin… qui va préparer ta stèle ?

Elle rouvrit les yeux, et fixa sa soeur avec surprise. L’idée ne l’avait encore jamais traversée, particulièrement parce qu’elle n’était pas en train de mourir, malgré sa situation. 
Mais quelqu’un d’autre était mort. Et lorsqu’un Oranimus disparaissait, on préparait déjà la stèle de son maegis pour que le nom de celui parti en premier soit inscrit quelque part.

— Il y a plus urgent à régler, tu ne crois pas ? répondit-elle finalement.

— Mais c’est important ! croassa Sia alors que Jin baissait les yeux.

— La seule chose qui compte, pour le moment, c’est que nous ne perdions personne d’autre, affirma Erin. Barty voudra… aurait voulu que sa stèle soit plantée dans une Toile sans conflit.

— C’est vrai, confirma Sia. Pour toujours l’idéaliste, ce Barthélemy.

Le corbeau soupira tristement, et Jin la serra dans ses bras. Erin tendit une main pour caresser les plumes douces de son cou, les seules qu’elle pouvait atteindre sans se faire mal.

— Tu veux te reposer ? lui demanda finalement Jin.

La réponse à cette question était plus complexe qu’il n’y paraissait. D’un côté, non, elle ne le voulait pas. Elle voulait bouger, utiliser ce nouveau corps pour le maîtriser au plus vite et ne pas être un poids, parce qu’ils allaient avoir besoin de toutes leurs forces pour la suite. D’un autre côté, se reposer pourrait aussi être la clé de cette maîtrise : elle n’arrivera à rien si chaque geste était une douleur. Erin allait devoir trouver un équilibre, et malheureusement, ils manquaient de temps…

— Sevila Nediro, trancha-t-elle pour remettre la décision à plus tard. Comment est-il mort ?

— Comme beaucoup de soldats de la Nuit… Tué par des Féroces, je crois.

Aussitôt, elle revit Sehar, suivit par sa Féroce d’Ombre domptée. Puis Nodia, avec sa magie destructrice qui dépassait  tout ce qu’elle pensait savoir des valenis. Zakaria, dont ni l’apparence ni l’aura magique ne trahissait sa nature d’hybride, mais qui était capable de manipuler ses sortilèges comme le ferait un maegis, presque le meilleur des deux mondes.

Erin savait que si elle avait été en bonne santé, ces trois images lui auraient donné une réponse, et ce seraient articulées les unes aux autres avec un sens nouveau. Même s’il lui manquait encore des pièces, elle savait qu’elle n’était plus si loin de pouvoir saisir le motif final, à présent. 

Mais pour le moment, elle était incapable de le voir seule.

— Qu’est-ce que vous pensez de la magie de Nodia ?

— Puissante, répondit aussitôt Sia. J’ai cru qu’elle allait réussir à briser mon âme.

Erin frémit - cela aurait pu pu être un risque, effectivement. Si le cri avait brisé autant de sortilèges, il aurait pu briser celui qui donnait leur âme aux Oranimus, après tout…

— Elle est impressionnante, confirma Jin. Surtout que… lorsqu’elle m’a trouvée dans la réserve, elle était à bout d’énergie. Où est-ce qu’elle a pu trouver la force de déployer un tel sortilège dans son état ?

— Est-ce qu’on ne devrait pas lui demander ?

Jin tordit légèrement les lèvres en une moue peu convaincue, et secoua la tête.

— Je ne crois pas qu’elle serait d’accord pour nous parler… les autres non plus.

— Le seul qui n’a pas l’air de nous haïr, c’est Sehar, confirma Erin.

— C’est vrai, approuva Sia. Il est si mignon !

Le corbeau gonfla ses plumes avec appréciation, et Jin éclata de rire - mais sa voix s’éteignit brusquement, et elle écarquilla les yeux, sa magie agitée d’une façon étrange et inquiétante malgré la couverture de sa combinaison.

— Jin ? appela Erin. Qu’est-ce qu’il y a?

Elle tenta de se redresser sur ses coudes, mais retomba aussitôt sur son dos avec douleur. Sia regardait Jin avec inquiétude, mais aussi - et cela serra le coeur d’Erin plus que de raison - comme si l’Oranimus savait quelque chose qu’elle-même ignorait. 

— Jin ? répéta Erin.

Sa soeur ferma un instant les yeux, puis souffla doucement, les lèvres à peine entrouverte, avant de rouvrir les paupières et forcer un sourire.

— C’est passé, murmura-t-elle, sa voix gorgée de larmes.

— Qu’est-ce qui vient de passer ? insista Erin.

Son coeur tambourinait dans sa poitrine. Une image s’invita dans son esprit, plus claire, plus nette que les précédentes. 

Elle revit la salve mortelle de Fenara qui filait pour frapper sa soeur, et avait tué son frère à la place.

Sur sa peau, les épines se firent plus acérées, et son sang épais engourdit ses membres alors que les tiges sur sa tête se redressaient. La terreur qui enserrait son coeur se reflétait dans les yeux de sa soeur, et grandit encore lorsqu’elle répondit enfin.

— J’ai… J’ai été touchée, Erin. Par le mal.

Les doigts tremblants, Jin ouvrit le casque de la combinaison qui la protégeait de l’air toxique de l’Abradja. Sans le verre teintée pour masquer son visage, Erin pouvait mieux discerner à quel point les traits de sa soeur étaient tirés, et son regard épuisé. 

Depuis combien de temps était-elle dans cet état ?

Et comment Erin avait pu ne rien voir avant ?

— Je l’ai attrapé bien avant tout ça, bien avant Lo, admit-elle dans un murmure. Le maître des remèdes ne peut rien pour moi, et je ne sais pas combien de temps il me reste.

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Nanouchka
Posté le 04/04/2022
Chouette, ce chapitre, et chargé. Je fais encore connaissance avec les jumelles, je tâtonne, mais je me fais à elles, petit à petit.
Ça me complique un peu la lecture qu'elles aient un prénom aussi similaire, parce que souvent je les confonds, et puis quand je m'en rends compte, je suis obligée de revenir en arrière.
Par ailleurs, je ne me souviens pas de ce qu'est le mal, ou de si on en a déjà parlé, et je me dis que peut-être ce serait une occasion d'inventer un mot spécifique pour cette maladie-là.
J'aime bien le retournement de situation dans ce chapitre, où c'est d'abord une jumelle pour laquelle on s'inquiète, puis l'autre.
J'aime aussi cette sensation d'être tout près de résoudre un casse-tête, mais il manque le déclic, et on sait qu'il viendra de lui-même.
J'adore qu'elles trouvent Sehar aussi mignon que nous le trouvons.
Je suis en train de lire Fils-des-brumes, est-ce que tu l'as lu ? C'est assez rigoureux en termes d'expliquer un monde qui n'en finit pas de particularités, donc je m'en inspire beaucoup pour mon propre worldbuilding, et je me dis que ça peut t'être utile aussi en termes de dosage et façons d'exposer tout ce que t'as inventé dans ce roman.
AnatoleJ
Posté le 09/04/2022
Je n’ai pas trop de solution pour les prénoms (je m’y suis tellement habitué que c’est difficile de les imaginer avec un autre j’avoue), mais c’est noté ! Il y a probablement des techniques pour les distinguer plus fortement dans la narration ^^

Alors le mal a effectivement déjà été évoqué plusieurs fois, c’est la raison pour laquelle les maegis portent des combinaisons sur la terre ferme de ce côté-ci du désert ! Un peu de background gratuit pour compléter les éléments qui sont disséminés dans le récit : c’est une maladie mal connue et difficile à traiter que les maegis attrapent quand ils restent trop longtemps dans l’Abdraja. Ils peuvent s’en protéger via les combinaisons et leurs petits générateurs à nuages, mais une fois qu’ils l’ont c’est trop tard : leur système immunitaire est fragilisé (si je parle en termes humains) et leur santé mentale est lourdement affectée, le symptôme le plus difficile à gérer étant les hallucinations. C’est une maladie qui fait d’autant plus peur qu’un maegis qui n’a plus toute sa tête c’est une usine à sortilèges prête à exploser et semer le chaos, donc il y a pas mal de stigmates autour des malades qu’on isole et qu’on cache plus qu’on ne les aide (même si des tentatives sont possibles).

Pour le mot spécifique je n’avais jamais pensé à lui donner un autre nom à vrai dire x) Les maegis ont un léger complexe de supériorité (tout petit, minuscule, dépasserait à peine d’une constellation de châteaux) et ça m’a toujours paru « naturel » que la seule maladie qui leur empêche de conquérir la terre ferme ait un nom aussi générique, c’est LE mal , tous les autres maux sont bénins en comparaison. Mais je me dis que les non-maegis pourraient avoir un/des nom(s) spécifique pour parler des maegis touchés (« fantômes » est le plus évident là tout de suite, ça sert déjà d’insulte parfois rien que parce qu’ils sont pâles comme des navets), et il y a probablement des médecins et chercheurs maegis qui lui en ont donné un autre. Typique des maegis, iels ne sont bien sûr jamais d’accord sur quel terme utiliser officiellement, même le Maître des Remèdes a abandonné l’idée d’un consensus

Je n’ai lu aucun Brandon Sanderson, sa bibliographie m’intimide haha (je suis du genre à me jeter sur tous les titres d’un auteur après avoir aimé un de ses livres, c’est dangereux pour ma pile à lire si je commence vu tout ce qu’il a fait/continue à faire). Je me le note pour si un jour j’ai le courage de commencer !
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