Les jours s'étaient enchaînés sans laisser aucun espoir de réconciliation. Alec s'était enfoncé dans une spirale de doutes, de frustration et de tristesse. Lui qui était toujours parvenu à lire dans le cœur d'Elena peut importe les difficultés se voyait désormais abandonné à la porte de son âme. Elle, si vivante et passionnée dans leurs moments d'intimité, était devenue une énigme glaciale, indéchiffrable. Elle semblait constamment absorbée par son téléphone, s'enfermait dans sa chambre pendant des heures, et ses nuits étaient marquées par des réveils agités. Les cauchemars étaient revenus la harceler, mais, elle refusait désormais de les partager avec lui. Alec avait du mal à discerner ce qui le blessait le plus, l’impuissance face à la souffrance d’Elena ou la douleur de leur séparation. Il avait remarqué ses cernes, ses traits tirés, mais chaque fois qu'il tentait d'aborder le sujet, elle dressait un nouveau mur, plus haut que le précédent, évitant ses questions et toute interaction en général.
Un soir, tandis qu'il errait dans l'appartement, incapable de dormir, il s'aperçut qu'Elena n'était pas là. Son lit était défait, elle n'y était plus. Une vague d'inquiétude l'envahit, mêlée à une pointe d'agacement. Où pouvait-elle bien être à une heure pareille ? C’était le milieu de la nuit, et il avait peur pour elle. Il attrapa son téléphone, prêt à lui envoyer un message, mais le bruit de la porte d'entrée le coupa net dans son élan. Il se retourna juste à temps pour la voir entrer, une expression impassible sur le visage. « Où t'étais ? » demanda-t-il, son ton chargé d'un mélange de colère et d'anxiété.
« Ça te regarde pas Alec. » répondit-elle lasse.
La réponse le piqua au vif. « Comment ça, ça me regarde pas ?! On vit ensemble, Elena ! Tu disparais au milieu de la nuit alors que tu semble au plus mal et tu reviens comme si de rien n'était ?! Tu te rends compte à quel point c'est louche ?! »
« Je ne t'ai pas demandé de m'attendre, ni te t'inquiéter pour moi ! », répliqua-t-elle sèchement en passant à côté de lui, visiblement peu disposée à engager la conversation.
« Putain, Elena, arrête de te comporter comme ça ! » s'énerva Alec. Au-delà de la colère, il y avait de la tristesse mais Elena n’était pas enclin à y prêter la moindre attention.
Le ton continua de monter entre eux, jusqu’à ce que leur violente dispute finisse par réveiller Harry. Il sortit de sa chambre, les cheveux en bataille, agacé lui aussi « C'est quoi encore cette histoire putain ? »
« Rien, Harry. Retourne te coucher », lança Elena sans même lui accorder un regard.
Harry n'avait aucunement l’intention de se rendormir, comment le pourrait-il alors que sa famille était en train de se briser ,« Rien ? Vous gueulez à trois heures du mat', et tu veux que je fasse comme si de rien n'était ? » Il s'adressa à Alec, qui était visiblement sur le point d'exploser. « Ça suffit, merde ! Vous vous bouffez la gueule depuis des semaines, et c'est insupportable ! Moi, j'en ai ma claque. » Il était à bout, il avait peur et il avait mal lui aussi.
Elena, toujours aussi glaciale face à leurs tentatives pour l’aider, tourna les talons et s'enferma dans sa chambre sans un mot de plus. Alec, de son côté, restait figé, les poings serrés, contenant difficilement le flot d’émotion qui menaçait de le submergé.
Harry posa une main sur son épaule, mais Alec la rejeta brusquement, trop à vif pour supporter le moindre contacte. « Vous faites chier ! T'en a pas un pour rattraper l'autre. J'en ai ma claque ! J'me tire d'ici ! », dit Harry blessé et excédé. « Je vais aller chez Jenny. J'en peux plus de cette ambiance pourrie. »
La colloque était sur le point d’exploser, et malgré la souffrance palpable aucun ne parvenait à trouver comment empêcher que cela n’arrive.
***
Le lendemain, Harry n'était pas revenue à l'appart. Sans doute le rejet d'Alec l'avait résigné à rester à l'écart un peu plus. Alec, encore bouleversé par ses disputes incessantes avec Elena et la façon dont il avait repoussé son meilleur ami, ne trouva pas le sommeil la nuit suivante. Aux heures tardives, il entendit soudainement des bruits de pas dans l'appartement. Intrigué, il sortit discrètement de sa chambre pour voir Elena se préparer à sortir. Sans réfléchir, il enfila dans le noir un sweat et décida de la suivre à bonne distance. Une partie de lui savait qu'il ne découvrirait rien de bon, mais il ne pouvait s'en empêcher. Il devait savoir.
Il la suivit. Heureusement pour lui, elle n’avait pas commandé de uber, il pouvait donc continuer à l’espionner à bonne distance. Une part de lui-même se dégoûtait d’avoir à agir ainsi comme un stalker. Cela ne lui ressemblait absolument pas mais, Elena ne ressemblait pas à Elena et il avait besoin de comprendre ce qui lui arrivait pour l’aider. Il en était convaincu, elle avait des problèmes et même si elle ne lui avait pas demandé son aide, il s’était juré de la protéger quoi qu’il en coûte. Cependant, il ne s’était pas attendu à ça : Il la vit, là, devant un bar, rejoindre un homme qui la prit tendrement dans ses bras. Elena souriait, elle lui souriait à lui putain ! Un sourire qu'il n'avait plus vu depuis des semaines. Alec sentit son cœur se briser en mille morceaux. C'était insoutenable pour lui. Il détourna les yeux, incapable d’en regarder davantage. Malgré la colère qui l'animait, et l'envie de lui coller son poing en pleine figure, il fit demi-tour. Elle l’avait laissé tombé et il devait à présent l’accepter.
De retour à l'appartement, il attrapa une bouteille de whisky, bien décidé à noyer sa souffrance. Attitude qu’il exécrait habituellement parce qu’elle lui rappelait les points communs qu’il pouvait avoir avec son père : la colère et l’alcool. Aujourd’hui pourtant, tout ça lui importait peu. Il avait besoin d’oublier la souffrance.
Le liquide brûla sa gorge, mais il ne s'arrêta pas. La tristesse se transformait progressivement en rage, ultime rempart contre l'effondrement qui le menaçait désormais. Chaque gorgée était une tentative désespérée d'anesthésier la douleur qui s'emparait de chaque partie de son être.
***
Lorsque Elena rentra à l'appartement aux premières lueurs du jour, elle découvrit Alec affalé sur une chaise de la cuisine, une bouteille presque vide à côté de lui. L'odeur de l'alcool lui piqua immédiatement le nez. « Alec ! Qu'est-ce que t'as fait ? » s'écria-t-elle en se précipitant vers lui, inquiète de ce comportement qui ne lui ressemblait pas.
Il releva la tête, ses yeux rougis par les larmes versées. « Tu veux vraiment savoir ? Tu veux savoir pourquoi je fais ça Elena ? Ça devrait être à moi de te demander ça ! Pourquoi toi tu fais ça ?! »
Elena resta silencieuse, déstabilisée.
« J'te pose une putain de question, Elena ! Pourquoi tu fais ça ?! C'est quoi qu'il a de mieux que moi ce type ? »
Elle fronça les sourcils, perplexe. « De quoi tu parles ? »
Alec éclata d'un rire amer. « Je t'ai suivie cette nuit. Je m’inquiétais pour toi. Je voulais t’aider même si tu m’as rejeté, même si tu m’as rien demander je sais. Puis… Je t'ai vu avec lui. Avec ton nouveau mec ou ton ancien, j’en sais rien puisque tu ne me dis rien. »
Les traits d'Elena se figèrent. Elle recula, son regard s'assombrit. « T'avais pas à me suivre, Alec. Et on s'était rien promis de toute façon toi et moi. Tu le savais depuis le début. »
Ces mots le frappèrent comme un coup de poignard. Alec se leva brusquement, la colère bouillonnant en lui. « Mais putain, Elena ! J'pensais qu'on était heureux ensemble ! J'savais que t'avais peur, mais tout ça, ça comptait pas pour toi ? Je t'aimais putain, et je suis peut-être con mais, je t'aime encore… Je t’aime comme un fou ! J'suis dingue de toi ! »
Un silence lourd s'installa. Puis Elena, d'une voix ferme mais tremblante, répondit, « Ce qu’on a partagé, c'était sympa Alec. Mais j'ai jamais ressenti ce que tu dis. J'ai essayé de te le dire à plusieurs reprises, mais tu m'en as empêché. Tu peux pas me rendre responsable de tout ça. Tourne la page. Je suis pas la fille qu'il te faut. Je l'ai jamais été. Je suis désolée si je t'ai blessé, c'est pas ce que je voulais. Tu dois avancer maintenant. Je suis sûr que tu trouveras quelqu’un capable de te rendre heureux. »
La rage d'Alec explosa. D'un geste incontrôlé, il balaya les objets posés sur la table, les envoyant valser au sol dans un fracas. Il se détourna d'Elena avant de donner un grand coup de poing dans un placard. Harry, qui venait de rentrer dans l'appartement fût alerté par le bruit. Il débarqua en trombe dans la cuisine, Elena le bouscula en sortant. Harry tenta d'arrêter Alec pour éviter qu'il ne se fasse plus de mal : son poing était en sang.
Pendant ce temps, Elena s'était enfermée dans sa chambre. Elle saisit son téléphone pour envoyer un message, puis prépara rapidement ses affaires. Elle s'arrêta un instant devant un t-shirt d'Alec et le porta à son visage pour humer son odeur à l'abri des regards. Elle repoussa les émotions qui menaçaient de déferler puis elle enfourna les premiers vêtements venus dans son sac. Elle finit de préparer ses affaires à la hâte.
Quand elle ouvrit la porte pour partir, Harry l'intercepta. « Qu'est-ce que tu fais, Elena ? » demanda-t-il, choqué.
Elle ne lui adressa même pas un regard. « J'me tire. J'étouffe ici. Je retourne à New-York. »
Harry explosa à son tour, révulsé par le comportement de celle qu'il considérait hier encore comme sa sœur et qu'il ne reconnaissait plus à présent, « Comment ça ? Tu déconnes ?! Tu peux pas te barrer comme ça !!! Tu peux pas nous abandonner comme ça Elena !!! »
Elena répondit « C'était une mauvaise idée que je vienne ici. J'aurais jamais dû. Vous n'aurez qu'à reprendre votre vie comme vous le faisiez avant que je ne débarque.»
Alec apparut alors, les yeux rougis par les larmes, les phalanges ensanglantés. « il y a forcément un truc qui cloche et que tu ne nous dis pas. J'peux pas croire que tu agisses comme ça sans raison. Tu peux pas avoir menti sur tes sentiments. On a fait l'amour ensemble Elena, je l'ai sentie, c'était pas un mensonge. »
Elena regarda Harry. Il ne semblait ni surprit ni en colère, du moins pas pour ça. Elle fixa de nouveau son regard sur Alec. « J'ai essayé d'y croire, Alec. Mais c'était une erreur. J'aurais jamais dû coucher avec toi. »
Elle sortit le collier qu'il lui avait offert et le lui tendit.
Alec secoua la tête. « Garde-le. Si tu le laisses, c'est comme si tu crachais sur tout ce qu'on a vécu. J'aimerais au moins croire que tout n'était pas sans importance pour toi. »
Après un instant d'hésitation qui parût une éternité à Alec, elle reprit le bijou sans un mot, puis quitta l'appartement. La porte claqua derrière elle.
Elle entendit un bruit de coup porter contre un mur et un crie de douleur juste derrière, celui d'Alec. S'en était trop pour elle, les larmes commencèrent à couler silencieusement tandis qu'elle avançait dans le couloir sombre vers la sortie.
Harry accourut derrière elle, « Elena !!! Reviens s'il te plaît... On peut encore essayer d'arranger les choses... Entre nous, et entre toi et Alec. Tu peux pas le laisser comme ça. Si c’est pas pour moi, fais-le pour lui. »
Dans l’obscurité du couloir, Harry ne pût percevoir les larmes sur le visage d'Elena et pour toute réponse, elle continua à avancer.
« Elena !!! » reprit Harry. « Si tu pars, j'te le pardonnerais jamais. Que tu me fasses souffrir c'est une chose mais, pour Alec... Je l'ai jamais vu dans cet état là. Tu peux pas lui faire ça, il a déjà beaucoup trop souffert et tu le sais mieux que quiconque ! »
Elena ouvrit la porte de l'immeuble, une voiture l'attendait déjà dehors. Elle entendit Harry dire distinctement, « j'aurais préféré que tu ne reviennes jamais nous voir si c'était pour nous abandonner comme des merdes... »