Lucas était arrivé avec des cartons ce jour-là. Il avait franchi la porte de l'appartement et s'était immédiatement dirigé vers la chambre d'Elena sans un mot. Alec l'avait suivi, une expression de panique sur le visage. « Qu'est-ce que tu fais ? » avait-il demandé d'une voix rauque.
Lucas avait levé les yeux vers lui, le regard déterminé. « Ça suffit, Alec. Il faut avancer. Il faut se faire une raison : Elena a fait son choix et elle ne reviendra pas. Ça ne sert à rien de garder ses affaires. Les voir chaque jour ne peut que vous la rappeler et il est temps de la laisser derrière vous. »
Alec n'avait pas répondu. Il s'était contenté de rester dans l'encadrement de la porte, regardant, perdu, Lucas plier soigneusement les vêtements d'Elena et les ranger dans les cartons. Chaque objet qu'il touchait semblait entailler un peu plus son cœur mais, il était incapable d'intervenir. Harry, qui observait la scène depuis le couloir, n'avait pas non plus eu la force de protester. Ils étaient restés silencieux dans la douleur.
Les affaires d'Elena avaient été transportées chez Suzanne, qui s'était proposée pour les stocker. Avec le départ des objets familiers, le fantôme d'Elena semblait avoir lui aussi quitté ce lieu. Lucas y avait installé ses propres affaires, remplaçant les draps, les cadres et les livres par ses propres possessions. Cela lui avait coûté de quitter l'appartement qu'il habitait désormais avec Suzanne. Cependant, il sentait que ses amis avaient besoin de lui et Suzanne le comprenait parfaitement malgré le chagrin qui l'habitait elle aussi suite au départ d'Elena.
***
Les semaines passèrent, et Alec, bien que toujours marqué, commença lentement à émerger de sa torpeur. Il avait repris quelques cours, principalement à l'insistance de Lucas et Harry. À l'extérieur, Alec paraissait aller mieux mais à l'intérieur... tout restait chaotique. Ses nuits restaient agitées. Les rares fois où il dormait, c'était souvent après avoir bu plusieurs verres d'alcool, un moyen maladroit de calmer l'agitation qui le hantait dès que la solitude s'installait. Les seuls heures de répit qu'il parvenait tant bien que mal à gagner était peuplées par les souvenirs heureux des moments passés avec Elena, rendant chaque réveil plus cruel encore. Il souffrait de son absence, de ce vide sur lequel il ne parvenait pas à mettre de sens et qui le rongeait chaque jour. Les personnes lui disaient qu'avec le temps la douleur allait s'apaiser, foutaise! C'était de pire en pire, au point qu'il croyait parfois devenir fou. Jamais il n'aurait pensé possible de souffrir autant de son absence. Il cacha sa souffrance derrière le masque qu'il avait tant de fois revêtu avant d'aimer Elena et qu’il était finalement parvenu à reconstruire après l’intervention choc de Lucas.
Ce dernier avait fait disparaître toute trace physique du passage d’Elena et il avait instauré une règle unique : ne plus parlé d’Elena, son prénom était devenu tabou à l'appartement tout comme à l'université en présence de ses amis. Personne ne la mentionnait plus, ni directement, ni indirectement. Son absence était omniprésente mais, elle n'était jamais nommée, comme si la prononcer pouvait rouvrir des blessures à peine refermées, du moins au reste du monde. Même les disputes entre Harry et Alec, autrefois fréquentes à ce sujet, s'étaient tues. Lucas, en arrivant, avait estimé qu’ils devaient apprendre à avancer, à reconstruire quelque chose, même si cela impliquait de sceller le passé derrière une porte invisible.
Alec, malgré tout, portait encore le poids de cette histoire. Chaque jour, son esprit vagabondait vers elle. Où était-elle maintenant ? Était-elle heureuse ? Avait-elle effacé tout souvenir de leur histoire, ou pensait-elle encore à lui, même brièvement ? Ces questions le hantaient, mais il les gardait pour lui. Il savait que Harry et Lucas ne comprendraient pas, ou qu'ils lui diraient simplement de tourner la page, comme s'il suffisait d'appuyer sur un bouton pour effacer la douleur.
Un soir, alors qu'il buvait seul dans la pénombre du salon, Harry s'assit à côté de lui sans un mot. Ils restèrent ainsi un moment, silence lourd entre eux mais, étrangement apaisant. Finalement, Harry se lança, « T'es pas obligé de faire... ça. Je m’inquiète, tu sais. »
Alec haussa les épaules. « C'est le seul truc qui m'aide. »
Harry soupira, mais il n'insista pas. À sa manière, il comprenait. Tout le monde avait ses mécanismes de survie, même si celui d'Alec serait sans aucun doute destructeur à long terme. Il espérait qu'avec le temps, Alec comprenne qu'il se faisait plus de mal que de bien, et trouve un autre moyen de surmonter sa souffrance.
Ils avaient réussi à sortir Alec de leur appart mais, il restait refermé sur lui-même, souvent mutique. Ils avaient organisé quelques soirées en petits commité, comme ils en avaient l’habitude avant l’arrivée d’Elena mais Alec restait absent, déconnecté de tout. Bien qu’Alec fasse des efforts pour rassurer ses amis, certaines failles restaient béantes. Ni Harry, ni Lucas n’étaient totalement dupes, seulement, ils ne savaient plus comment l’aider.
***
Ce jour-là, Alec partait en cours, la tête douloureuse. L'alcool consommé la veille pour trouver le sommeil tel un poison martelait désormais son crâne. Il prit rapidement une douche pour se réveiller, et enfila des fringues propres gentiment lavé par Lucas qui se comportait comme une véritable mère pour eux depuis son arrivée. Il se concentra pour revêtir son masque habituel puis franchi la porte de l'appartement en direction du campus. En chemin il sentit son téléphone vibrer.
Il le fixa, hésitant. Noah l'avait appelé plusieurs fois ces derniers jours, et il n'avait jamais eu la motivation de décrocher. Mais cette fois, après quelques secondes d'hésitation, il glissa son doigt sur l'écran et porta le téléphone à son oreille.
« Hey, Alec ! Enfin ! Je commençais à croire que t'étais mort, vieux frère, » lança Noah, son ton faussement léger. Sa voix trahissait toutefois une réelle inquiétude. Il n’était pas dans les habitudes d’Alec d’esquiver les appels de ses amis.
Alec esquissa un sourire « Nan, toujours vivant... Enfin, si on peut appeler ça vivre. J'dois plutôt ressembler à un zombie, mais bon, on fait aller. »
Le ton morne d'Alec aurait fait fuir n'importe qui, mais Noah n'était pas n'importe qui. Il y avait entre eux une sincérité brute, une connexion inexplicable qui faisait qu'Alec ne se cachait jamais derrière des faux-semblants avec lui. Même s’il ne lui avait jamais parlé de son passé, il lui disait toujours la vérité sur ses véritables sentiments. Noah ne le jugeait pas, jamais, et contrairement à Harry, Alec n'avait pas peur que Noah puisse être troublé par ses confessions. Noah était un roc et cette absence de pression en sa présence avait quelque chose de profondément apaisant.
« C'est pas la grande forme, hein ? » demanda Noah, bien qu'il n'attendît pas vraiment de réponse. « Écoute, je voulais te passer un coup de fil parce que... ben, j'me faisais du souci pour toi. J'ai pas eu de nouvelles depuis un moment, et vu tout ce qui se passe, j'me suis demandé comment tu tenais le coup. »
Alec fronça les sourcils, s'arrêtant pour se poser sur un banc avant de poursuivre leur discussion « Ouais... Disons que j'arrive à faire semblant la plupart du temps. Mais au fond... j'suis encore brisé. » Il marqua une pause, puis ajouta, intrigué, « Mais attends... Comment t'as su que ça allait pas avec Elena ? T'as parlé à Harry ? »
Un silence tendu s'installa de l'autre côté de la ligne, si bien qu'Alec crut un instant que l'appel avait coupé. Puis la voix de Noah résonna, étonnée, « Quoi ?! Attends... Comment ça ? Toi et Elena, c'est fini ? »
La mâchoire d'Alec se contracta. « Ouais... C'est fini. Elle m'a largué, Noah. Elle est retournée vivre à New York avec... » Il avala péniblement, incapable de prononcer le mot. « Avec un autre. Mais... si tu parlais pas de ça, alors de quoi tu parlais ? »
Noah hésita, et Alec sentit immédiatement que quelque chose clochait. « Eh bien... Je parlais pas de ça. J'pensais que tu savais pour le... le reste. »
Le ton de Noah changea, il semblait nerveux, comme s'il marchait sur des œufs.
« Quel reste, Noah ? » La voix d'Alec s'assombrit, son regard se durcissant. Il redressa son dos, la tension envahissant ses épaules. « Qu'est-ce que tu sais que je sais pas ?! »
Noah balbutia. « Alec... j'pensais que t'étais au courant, pour Elena et le procès... C'est Nathan qui a découvert des trucs... sur Elena. Tu devrais peut-être passer à l'appart, on t'expliquera tout. »
Un frisson traversa Alec, une vague de colère à laquelle s’ajoutait un espoir incertain. Il avait passé des semaines à chercher des réponses, à essayer de comprendre pourquoi Elena avait agi comme elle l'avait fait, pourquoi elle avait détruit tout ce qu'ils avaient construit ensemble. Et là, Noah lui lâchait cette bombe ? « Tu savais quelque chose... et t'as rien dit ? » lâcha Alec d'une voix glaciale, ses doigts se crispant sur son téléphone.
« C'est pas ça, Alec... J'pensais que tu savais déjà ! Et franchement, j'croyais que si t'apprenais qu'on avait fouillé dans la vie d'Elena, tu nous casserais la gueule ! Viens à l'appart, Nathan sera là. Je me démerde pour qu'il vienne et on t'expliquera tout en détail. »
Alec raccrocha, le cœur battant à tout rompre. Il sentait la colère monter en lui, mais aussi un nouveau battement, comme si une étincelle venait de ranimer son cœur, le ramenant au pays des vivants. Peut-être qu'il y avait une explication. Peut-être qu'il y avait encore de l’espoir pour lui, pour eux. Il se leva, et se mit en route pour rejoindre Noah. S'il y avait une chance d'obtenir des réponses, il la saisirait. Parce qu'aussi douloureuse que fût la vérité, elle serait toujours moins insupportable que ce vide béant qu'elle avait laissé en lui.
Beh voilà, une petite bombe, ce chapitre !
Un procès, donc. Ça rejoint tout à fait bien les études de droit, les angoisses d'Elena, sa réaction... Tout s'imbrique parfaitement bien.
Maintenant, je suis hyper curieuse d'en savoir plus sur ce procès. Quel dommage, ça ne sera pas pour ce soir, mais je reviens bientôt !
Remarques :
- "Lucas avait levé les yeux vers lui, le regard déterminé. « Ça suffit, Alec." -> alors, d'accord, et venant de Lucas c'est sûrement fait avec la meilleure intention, mais pourquoi ça lui incombe?
- "Cela lui avait coûté de quitter l'appartement qu'il habitait désormais avec Suzanne. Cependant, il sentait que ses amis avaient besoin de lui" -> idem, c'est gentil, mais c'est too much, ils sont deux quand même ces grands garçons !
À très vite ^^
Oui ce chapitre permet à la fois de voir combien les garçons souffrent et de découvrir pourquoi Elena a totalement changé de comportement. La façon dont elle est partie est en soit douloureuse mais pour Alec et Harry c'est plus que ça parce que ça fait écho aux pertes qu'ils ont déjà vécu. Clairement, Alec fait une dépression et Harry est lui-même trop impacté pour vraiment réussir à aider Alec à remonter la pente. Parfois, les personnes sont tellement mal, tellement épuisées psychiquement que des choses simples deviennent compliquées. Lucas vient donc en soutien mais c'est momentané. Il est directif mais peut être un peu trop et ça colle mal avec son caractère plutôt doux et en retrait habituellement. Je vais réfléchir pour apporter des modifications. De plus, Harry a Jenny pour l'aider mais au regard de l'état d'Alec il le laisse le moins souvent seul. Il est au bord du gouffre et c'est toujours épuisant pour l'entourage de veiller sur une personne constamment. Lucas permet donc à Harry de s'autoriser à lâcher Alec pour retrouver Jenny seul à seul, à vivre normalement sans l'angoisse qu'Alec sombre davantage ou se fasse du mal, comme un copain avait pu le faire par le passé. Ce qui n'est pas dans les pensées d'Alec effectivement mais Harry est quelqu'un de très angoissé...
J'espère que tu ne seras pas déçue par la suite .
J'ai hâte de lire tes prochaines réactions.