Aranel, Sixième Monde.
Hoang se redressa, massa ses reins endoloris, résista à la tentation de poser sa main sur le collier qui cerclait son cou. Un collier d’esclave… ils étaient censés avoir été tous détruits, quelques vingt ans plus tôt. Jamais Hoang n’aurait imaginé en porter un, alors qu’il était un citoyen modèle de l’Empire. Aranel était un monde dur dans certaines régions, mais il avait adoré le doux climat de Colcis, au pied des montagnes de la Clalès, au nord de la Grande Forêt. Un terrain propice à l’agriculture, et il y possédait des hectares qu’il savait faire fructifier. Tout avait basculé treize jours plus tôt, quand il avait refusé de prêter allégeance aux envahisseurs Stolisters.
Avec ses voisins, Hoang avait suivi l’attaque sur le Palais Impérial, sur Druus, sans vraiment y croire. Puis les ombres des vaisseaux Stolisters avaient remplacé le soleil ; effarés, ils n’avaient eu que le temps de voir Arian se faire pulvériser sur leur écran. Comment résister à une telle puissance ? Aranel ne possédait pas d’armée, juste quelques guildes de mercenaires pour sécuriser les transports de certaines denrées - on n’était jamais trop prudents.
Jusqu’au bout, il avait espéré, mais les nouvelles avaient été pires de jour en jour. Varyl s’était auto-proclamé Empereur, sans même une cérémonie digne de ce nom ; Anwa avait subi un bombardement orbital qui avait détruit toute vie à sa surface ; Nienna, Meren, Ciryatan avaient capitulé, et même Bereth, qui pourtant hébergeait les Cinq Légions qui avaient fait la fierté de l’Empire des Neuf Mondes, s’était soumise. Aranel pouvait-elle résister seule ?
Il s’était avéré que non. Pris à la gorge, le Seigneur Daiso d’Aranel n’avait eu d’autre choix que d’accepter la présence des Stolisters sur son sol. Plusieurs Seigneurs mineurs s’étaient rebellés, avaient pris les armes. Les Stolisters les avaient traqués, mais au lieu de les tuer, ils les avaient entravés de lourdes chaines, et envoyés dans les mines.
Les mines du Nord d’Aranel étaient réputées dans tout l’Empire. C’était là, dans ces boyaux sombres, qu’on extrayait les précieux cristaux Kloris, dont on tirait les lames prestigieuses destinées aux Maagoïs. Un travail qu’on réservait autrefois aux esclaves les plus résistants, car la durée de vie était faible, dans les mines.
Juché sur le siège de l’énorme tronçonneuse à lame diamantée, Hoang toussa derrière son masque. Même si les esclaves avaient été considérés comme des consommables, les Aranelliens avaient cherché à prolonger leur vie un minimum. Les Stolisters aussi s’étaient rendus compte que sans protection, les ouvriers-esclaves ne tenaient pas trois jours.
La plupart des mines étaient fermées depuis des années. Qu’est-ce qui avait poussé les Stolisters à les rouvrir toutes ? Les cristaux Kloris étaient résistants, mais la demande était faible. Avaient-ils découvert un nouveau débouché au produit ?
Malgré leurs masques, Hoang savait qu’ils ne survivraient pas longtemps ici. La poussière était si fine qu’elle traversait tous les filtres ; si corrosive qu’elle abimait irréversiblement les poumons et les engrenages des machines, soumises à un entretien quotidien. Après l’abolition de l’esclavage, vingt ans plus tôt, des robots et des machines avaient été construits exprès pour les mines. En pure perte. Le champ électromagnétique perturbait les réglages malgré l’épaisseur du blindage ; la poussière enrayait les mécanismes malgré les énormes quantités d’eau utilisées.
Alors les machines avaient été simplifiées à l’extrême, leur conduite dévolue à des ouvriers alléchés par un salaire mirobolant. Un mois dans les mines d’Aranel équivalait à deux ans de travail au tarif standard. L’argent ou la santé : un choix que beaucoup avaient regretté par la suite, mais qui n’empêchait pas de nombreuses candidatures.
Une semaine que Hoang travaillait là, et déjà il avait l’impression d’avoir perdu en souffle. Et quand il entendait la respiration sifflante de ses compagnons d’infortune, le soir, dans les dortoirs, il parvenait à se trouver chanceux. Certains ne tiendraient pas jusqu’à la semaine prochaine et qui irait se préoccuper d’eux ? Ils étaient seuls, abandonnés par l’Empire. Hoang n’avait plus aucune nouvelle, de toute manière. Les Stolisters les gardaient isolés, interdisant tout écran. Pour les rares qui avaient réussi à passer les fouilles, le champ magnétique compliquait la connexion au réseau.
Un bip long et strident retentit. Hoang plaqua les mains sur ses oreilles. L’alarme d’évacuation ? Y’avait-il eu un accident, plus loin dans la mine ?
Avec un cliquetis métallique, les fers à ses pieds se détachèrent, puis le collier autour de son cou se déverrouilla. Incrédule, Hoang ôta l’appareil de contrôle. Des secours, une erreur des Stolisters ? Il s’en fichait. Il tenait sa chance et il la saisirait. Hoang sauta sur le sol poussiéreux, aussi noir que les cristaux Kloris. A la lueur de sa frontale, il remonta l’étroit boyau, ne rencontra que d’autres empreintes ; tous semblaient avoir pensé à la même chose que lui. Enfin, ils se retrouvèrent, devant le treuil mécanique. Cao-Nhu et Ho-Kim étaient en train de le descendre. Derrière la visière de leur masque, Hoang percevait leur espoir. Leur calvaire venait-il de prendre fin ?
La remontée leur parut interminable. Tous étaient silencieux, et derrière la joie première, Hoang devinait les questions qu’ils se posaient maintenant. Quel destin les attendait, au dehors ?
Une main en visière pour se protéger de la lumière, éblouissante après plusieurs heures sous terre, Hoang plissa les yeux.
— Vous n’avez rien à craindre, fit une voix familière que Hoang ne parvint pourtant pas à identifier. Nous avons repris le contrôle de la mine.
Hoang finit par distinguer autre chose que des ombres, et reconnut Taihi, Seigneur de la province de Wan. A ses côtés, il y avait deux soldats arborant l’emblème de Bereth. Le Cinquième Monde avait-il réussi à venir à leur secours ?
— Les Stolisters ont-ils été défaits, mon Seigneur ? demanda Ho-Kim avec hésitation.
Comme lui, elle doutait encore. Des jours durant, ils avaient espéré, et maintenant, ils n’osaient plus croire à leur chance.
Le Seigneur Taihi sy Wan secoua la tête.
— Pas encore totalement. Mais Dame Anko nous a envoyé des troupes. Êtes-vous prêts à nous rejoindre, à prendre les armes pour libérer Aranel ?
Hoang n’eut même pas besoin de réfléchir ; il acquiesça immédiatement. Un peu plus loin, un campement de fortune était en train d’être monté. Les champs magnétiques qui compliquaient l’extraction des cristaux Kloris étaient un avantage contre les Stolisters et les protégeraient contre leurs moyens de détection. Un panache de fumée s’élevait du camp de travail où Hoang et ses compagnons avaient vécu ces derniers jours. Il ne semblait plus rester un seul Stolister en vie.
A la vue des centaines de personnes qui fourmillaient dans le campement, de la navette en plein déchargement de nourriture et caisses d’armes, Hoang sentit l’espoir revenir dans son coeur. Cette fois c’était sûr, les Stolisters ne s’en sortiraient pas si facilement.
*****
Druus, Premier Monde.
Dans la navette furtive qui les emportait vers leur objectif, le silence régnait parmi les Maagoïs. Ils étaient menés par Desmine, le second du Commandeur. Une preuve suffisante de l’importance de leur mission. Ils connaissaient pourtant les risques : coeur du pouvoir des Stolisters, Druus était la planète la mieux protégée. Mais il fallait empêcher Varyl l’usurpateur d’envoyer des renforts à ses troupes disséminées sur les neuf Mondes ; il fallait reprendre la capitale. Ils étaient des soldats d’élite et ils accompliraient leur devoir, comme toujours. Nombre des leurs avaient succombé lors de la prise du Palais ; des garnisons entières, empoisonnées, qui avaient scellé le sort des impériaux.
Agrippé d’une main à la sangle de maintien, Desmine s’autorisa un sourire sous ses peintures de camouflage. Cette fois, rien n’avait été laissé au hasard. Ils avaient pu obtenir deux navettes ; c’était peu, et il aurait préféré un gros transporteur de troupes, ainsi que plusieurs bataillons des Légions de Bereth, mais c’était beaucoup par rapport à leurs faibles ressources. Le Seigneur d’Anwa avait promis ses navettes à Bereth. Un choix risqué si le Cinquième Monde leur faisait défaut, mais le vieux Gelmir avait apparemment confiance en Dame Anko.
Leur mission serait bien moins éclatante. D’abord, se faufiler au travers du blocus, grâce à des codes Stolisters fournis par Kota, l’agent de Dame Anko. Les grands vaisseaux avaient toujours besoin de ravitaillements ; Desmine et ses hommes comptaient sur des échanges réguliers pour passer inaperçus. Ensuite, ils reprendraient les points clés à l’extérieur du Palais. La garnison, notamment. Ne serait-ce que pour leur rendre la monnaie de leur pièce. Enfin, pénétrer le Palais. Capturer Varyl serait un bonus appréciable, mais le Commandeur Éric avait douté de leur réussite sur ce point, et préféré leur donner d’autres objectifs. Semer la confusion serait tout aussi important. Seul, Varyl n’était rien, et Desmine était tombé d’accord avec son supérieur. Si tout se passait comme ils l’avaient prévu, des renforts venus de Bereth viendraient les soutenir pour l’assaut final.
Le regard du sous-commandeur se posa sur le seul non-Maagoï de la navette. Nirail, Émissaire du Cinquième Cercle. Le Massilien gardait ses ailes repliées, mais elles bougeaient pour assurer son équilibre chaque fois que la navette changeait brusquement de cap. C’était étrange, de voir l’un de leurs anciens ennemis parmi eux. Il espérait qu’il ne se sente pas trop mal à l’aise, mais n’osait pas entamer la conversation autrement que pour communiquer sur le plan d’attaque. D’ailleurs, Nirail restait aussi silencieux, se contentant d’acquiescer aux consignes. Les Maagoïs s’étaient équipés de parachutes, par précaution. Normalement, il était prévu que la navette puisse se poser tout près de leur objectif, mais Desmine avait préféré se montrer prudent.
— Sous-commandeur, nous arrivons en périphérie de Druus, annonça Périssis, aux commandes de la navette.
Aussitôt, Desmine perçut la tension qui s’installait, la concentration qui prenait le pas sur la détente. Ils arrivaient en territoire ennemi, et tant qu’ils seraient dans les airs, ils seraient vulnérables. L’attente, encore.
— Combien de temps nous reste-t-il ? demanda Nirail.
Ses premiers mots depuis leur départ.
— Une bonne heure, encore. Peut-être même deux. Tout va dépendre du chemin choisi pour nous.
Le Massilien le remercia d’un signe de tête, puis caressa la petite tête qui dépassait de la poche de transport sur sa poitrine.
— J’enverrai Timis en reconnaissance. Il est petit et agile, personne ne fera attention à lui.
A la vue des minuscules oreilles rondes, Desmine hésita. Les Mecers liaient leur vie à un animal ; ils en retiraient apparemment un bénéfice, pourtant l’idée d’être dépendant d’une si petite bête le mettait mal à l’aise. Un accident était si vite arrivé ! Et la bestiole paraissait vraiment vulnérable. Elle ressemblait davantage à une peluche qu’à un combattant.
— Ne vous inquiétez pas pour lui, poursuivit Nirail. Il a l’habitude.
— Il y a des dangers qu’il ne peut pas connaitre, dit Desmine, soucieux. L’électricité, par exemple. Je ne voudrais…
— Mes excuses, coupa Nirail avec un sourire. Mais le Djicam Aioros ne vous tiendra pas rigueur de ma mort. Ceux qui sont présents se sont portés volontaires. Nous connaissons les risques.
Il n’ajouta pas que tout se passerait bien et Desmine lui en sut gré. Quelque part, la façon dont il avait évoqué le fait qu’il pouvait mourir, avec tant de flegme… Desmine ne craignait pas la mort, mais il n’était pas non plus pressé de faire sa connaissance. Une mission se planifiait en songeant à la survie des membres du groupe, pas en prévoyant sa propre mort. Vraiment, les Mecers étaient… particuliers.
— Sous-commandeur, venez voir, dit Prielle. Je ne rêve pas, ce sont des vaisseaux de Meren ?
Desmine s’approcha du hublot, pinça les lèvres. La capitaine avait raison, l’étrange triangle de Meren était apposé sur la coque de plusieurs bâtiments, tout près d’eux. Le Seigneur Kolgulir les avait abreuvés de messages rassurants, mais depuis qu’il avait publiquement affiché son soutien aux Stolisters, depuis l’interrogatoire du capitaine Wakao… Desmine n’en avait lu qu’un résumé ; la présence de vaisseaux liés à Meren autour de Druus, bastion des Stolisters, ne faisait que confirmer la trahison du Seigneur Kolgulir.
— Transmettez cette information dès que nous romprons le silence radio, dit-il enfin. Nous avons plus que jamais besoin de notre couverture.
— A vos ordres.
Desmine s’agrippa plus fermement à la poignée de maintien, s’efforça de ne pas laisser la contrariété s’inscrire sur ses traits. Les renforts de Meren compliqueraient leur tâche. Il faudrait faire avec, leur diversion se devait d’être importante et il avait pour consigne de faire un maximum de dégâts.
Leurs chances de revenir en vie venaient de se réduire de façon drastique.
Les turbulences leur apprirent l’entrée dans l’atmosphère de Druus et Desmine se reconcentra. Périssis n’avait pas communiqué, tout devait donc se passer comme prévu. Si leurs codes n’avaient pas fonctionné, il les aurait avertis.
Les artères soigneusement alignées de la capitale, Draakam, apparurent. De nombreux parcs agrémentaient la cité, et aucun véhicule motorisé n’était autorisé : une mesure prise à la fois pour préserver la pureté de l’air, et pour limiter les risques d’assauts tels qu’ils allaient justement mener. Un mince sourire se dessina sur ses lèvres. Varyl ne semblait pas être revenu là-dessus ; une bonne chose. Le plan avait été défini en supposant que Varyl se croirait intouchable, derrière les murs du Palais.
Périssis posa la navette en périphérie de la ville, tout près de la garnison nord. Leur première cible. L’énorme bâtiment de forme cubique, formé de pierres brutes, pouvait abriter jusqu’à deux cents personnes. Ils n’étaient que vingt-deux, en comptant Périssis, alors une attaque frontale était hors de question. Et Varyl ne s’attendait certainement pas à une attaque ici. Desmine espéra que la deuxième navette, en route pour la garnison sud, ne rencontre pas de problème.
Ils débarquèrent, à l’affût, Nirail détonnant parmi eux avec ses ailes couleur chocolat. Un soldat Stolister les aperçut, s’avança vers eux.
— Vous n’avez pas le droit de vous poser ici, c’est….
Prielle n’attendit pas qu’il termine et l’engagea. La lame en cristal Kloris noir plongea dans le coeur de son adversaire qui s’écroula, la surprise encore plaquée sur son visage.
— En avant, lança Desmine.
Leur groupe atteignit rapidement l’extérieur du bâtiment, Desmine pianota rapidement un code d’accès sur la pote, qui coulissa avec un sifflement. Il remercia mentalement le Seigneur Jahyr ; grâce à lui, ils pourraient s’infiltrer encore plus facilement. Un bruit sourd retentit à l’extérieur.
— Périssis, murmura Prielle, décomposée.
Desmine s’était fermé. L’explosion de leur navette signifiait à la fois qu’ils étaient démasqués, et que toute porte de sortie leur était refusée. Il pinça les lèvres.
— Nous continuons comme prévu. Qu’Orssanc nous protège.
Comme s’ils avaient répondu à un signal invisible, les Maagoïs se dispersèrent dans les couloirs. Nirail resta aux côtés de Desmine, dégaina son épée en Ilik. La lame se parait de reflets rougeoyants, témoignant d’une utilisation récente. Sans un bruit, il se glissa dans les pas de Desmine.
*****
Ciryatan, Quatrième Monde.
Satia accepta avec reconnaissance le verre d’eau apporté par un domestique. L’assaut durait depuis plusieurs heures, et des nouvelles parvenaient de plusieurs planètes. Des nouvelles rassurantes. Dame Anko s’était ralliée à Shaniel, et ses Légions étaient parties à l’assaut des camps Stolisters. Un combat spatial avait eu lieu aussi, où les Stolisters avaient pris la fuite après avoir perdu plusieurs bâtiments, si elle avait bien compris. Et des troupes avaient pu être envoyées sur Aranel, se glissant au travers du blocus, libérant des prisonniers. Ensemble, ils avaient saboté les installations des Stolisters et réussi à prendre le contrôle de deux gros vaisseaux en orbite.
Un peu partout sur les neuf Mondes, les Stolisters connaissaient la défaite. Satia était soulagée que tout se passe bien. Shaniel restait en retrait, sur une petite estrade, tandis que le coeur de la pièce était occupé par ses commandants. Yuri discutait présentement avec le Commandeur Éric et le Seigneur Evan sur leurs stratégies de libération et le Djicam Aioros et Sinoros écoutaient avec attention, sans hésiter à donner leur avis. Satia en était ravie. Elle n’aimait pas les combats, reconnaissait pourtant que leurs liens avec l’Empire s’étaient davantage resserrés en quelques heures que lors des quatre dernières années.
La porte s’ouvrit avec discrétion. Un jeune garçon s’introduisit dans la pièce ; Satia reconnut Liam, l’un des fils d’Eric. Il s’était arrêté en découvrant les autres ailés, fronçant les sourcils, avant de poursuivre sa route vers son père. Liam se glissa derrière lui, posa doucement la main sur son bras pour attirer son attention. Éric se retira de la conversation.
— Que veux-tu, Liam ? Tu devais rester aider ta mère.
— C’est maman qui m’envoie, protesta Liam. Pour tes médicaments.
Satia dissimula un sourire. Éric était contrarié de se trouver en position de faiblesse, c’était une évidence. Pour en avoir été témoin, lors de leurs rares visites, elle savait qu’il était plus détendu, en privé. En public, il se préoccupait davantage de l’image qu’il donnait. Le Commandeur n’était pas invincible, mais il faisait tout pour en présenter l’illusion.
Avec un léger soupir, Éric récupéra un verre d’eau sur le plateau d’un domestique, avala plusieurs comprimés. Une nouvelle fois, Satia se demanda si la situation n’était pas plus grave qu’il n’y paraissait. Ses blessures dataient-elles du jour où les Stolisters avaient pris le pouvoir ?
Non, intervint Séliak. Il a été blessé après, en défendant son monde.
Comment ça ?
J’ai demandé à Teildreirrointh. S’il n’était pas Lié, il serait alité.
Voilà qui expliquait les petits signes d’inconfort que Satia avait perçu. Lucas aurait su trouver les mots. Là, avec Aioros non loin qui n’en perdait pas une miette, elle ne savait trop comment réagir. Les ailés étaient chatouilleux sur leur honneur.
— Je peux rester ?
La question avait fusé avec l’impulsivité de la jeunesse et une note d’espoir vibrait dans sa voix.
— Non.
Satia vit les poings du jeune ailé se serrer, son regard s’assombrir. Elle comprenait sa déception. Il était entre deux âges, plus vraiment un enfant mais pas encore un adulte. Une épée pendait à son côté ; il devait brûler de se joindre aux combats comme son grand frère Alistair. Et Éric souhaitait louablement l’en protéger. Les combats qui se déroulaient dans le complexe, à quelques centaines de mètres, n’étaient pas si loin.
— Peut-être devrais-tu le garder près de toi, intervint Sital.
Et dans le regard qu’échangèrent les deux ailés, Satia devina tous les non-dits. Liam était impulsif et curieux, elle s’en souvenait. Que son père lui interdise de rester n’empêcherait pas qu’il cherche à voir les combats. Surtout avec les Mecers, dont certains tournoyaient dans les cieux. Mais s’immiscer ainsi sur une question qui relevait de l’autorité parentale était délicat. Sital avait changé, lui aussi.
Éric reporta son attention sur son fils, plein d’un espoir contenu.
— La moindre incartade…
Un grand sourire barra le visage de Liam.
— Merci !
Il baissa la voix, pour ajouter :
— Je n’aimais pas te savoir seul avec…
Éric posa une main ferme sur sa tête.
— Il n’y pas d’ennemis dans cette pièce, Liam. Maintenant, tiens-toi tranquille avant que je regrette ma décision.
Le garçon acquiesça avec ferveur et suivit son père qui rejoignait la discussion. Plusieurs images apparurent sur l’écran central ; les vignettes des Seigneurs présents sur l’ensemble des neuf Mondes. Shaniel quitta son trône et se rapprocha. Satia fit de même : ils allaient faire le point sur la situation et elle espérait de bonnes nouvelles.
— Dame Anko, dit Shaniel. Je suis ravie d’enfin vous parler.
— De même, Impératrice, lui répondit Anko. Je vous informe que la flotte Stolister en orbite de Bereth a été détruite ou capturée. Les bâtiments sont en train d’être repeints à nos couleurs.
— Capturés ? s’étonna Evan.
— Mon frère Bae a convaincu plusieurs commandants de nous rejoindre. Tous les Stolisters ne sont pas aussi fanatiques que leurs dirigeants, et certains se sont montrés plus pragmatiques. Beaucoup craignent Varyl et la puissance qu’il détient sur Orhim. Ils ont aussi vu des camarades changer profondément après la pratique de certains rituels et refusent de connaitre le même sort.
— Quels genres de rituels ? questionna Shaniel en fronçant les sourcils.
— Ils refusent d’en parler, malgré nos pressions.
Satia devina que certains avaient peut-être été torturés, et à l’expression d’Aioros, sut qu’il était parvenu à la même conclusion. Ces pratiques n’étaient pas tolérées sur le sol des Douze Royaumes.
— Certainement des drogues, majesté, intervint Evan. Couplées à une légère intervention divine…
— Il reste bon de savoir que nos ennemis peuvent parfois recouvrer la raison, dit Jahyr. Sur Nienna la présence Stolisters était légère. Le seul vaisseau en orbite a été abordé et conquis par l’unité Maagoï qui m’accompagnait.
— Les citoyens d’Aranel ont été libérés des camps, ajouta Sefei. Grâce aux Légions de Bereth et aux Maagoïs d’Iwar. Encore merci. Il reste plusieurs garnisons Stolisters, mais j’espère réussir à les déloger de notre sol grâce aux troupes impériales sur place.
Leurs attaques avaient donc portées leurs fruits, songea Satia. Pourtant, quelque chose l’ennuyait parmi toutes ces bonnes nouvelles.
— De notre côté, nous avons pris la garnison Nord du Palais, dit Desmine. Peu de pertes à signaler par rapport à ce que nous redoutions. Les codes fournis par Dame Anko nous ont permis d’atterrir, par contre notre navette a été pulvérisée peu après notre arrivée.
Éric fronça les sourcils.
— Vous êtes coincés sur place ?
— Nous trouverons un moyen de nous en sortir, Commandeur.
Satia enviait son optimisme, sans le partager.
— Je ne veux pas paraitre impoli, déclara soudain Aioros, mais je trouve que tout est bien trop facile. Eraïm est venu nous trouver comme si nos maigres troupes seraient capables de faire la différence ici. Or il apparait qu’en quelques heures vous vous débarrassez des Stolisters, dont la présence jusque-là vous paralysait ?
Shaniel pinça les lèvres.
— En effet, Djicam. Mais il est possible que Varyl ait décidé de regrouper toutes ses forces pour défendre la capitale.
— Même en redirigeant ses forces sur Druus, dit Dame Anko, la taille de sa flotte est telle qu’il aurait pu maintenir son blocus. Le Djicam a raison. Si nous additionnons les vaisseaux Stolisters capturés ou détruits ce jour, nous arrivons à… (elle consulta un document hors champ) douze bâtiments. Combien tiennent la capitale ?
— Au moins six, répondit Jahyr. Si nos dernières informations sont correctes. N’oublions pas que la flotte Stolister a été réduite de moitié avec les combats sur Iwar.
Éric acquiesça.
— Il manque à l’appel de nombreux vaisseaux. Ce n’est pas normal.
— Surtout que les combats sur le sol de la Fédération ont pris fin il y a peu de temps, ajouta Aioros. A moins que la destruction d’Orhim soit lié au vacillement des troupes Stolisters ?
— Orhim est mort ? s’étonna Jahyr. Alors les jours de Varyl sont comptés. C’est la peur de finir comme Arian ou Anwa qui a conduit les Mondes à se montrer prudents, à éviter d’attaquer frontalement les Stolisters.
— Orhim est un dieu, rappela la Prêtresse Kaléis. Il ne peut pas être tué si facilement.
— Edénar était avec eux, intervint Satia. Le protégé d’Orssanc. Peut-être ont-ils reçu l’aide de la déesse ?
Je ne sais pas, admit Séliak. Nous ne connaissons pas tous les secrets des dieux.
Ils vont bien ?
Oui. Seul Lucas a été blessé. Et Iskor a reçu un coup de pouce d’Eraïm.
Comment ça ?
Satia blêmit durant l’explication. Lucas était passé à deux doigts de mourir, et elle n’en avait rien su !
Tu avais d’autres préoccupations, dit doucement Séliak. S’il y avait eu pire, je t’aurais mis en contact.
— Orssanc a peu fait pour nous jusque-là, rappela Dame Anko. Je suis désolée, Prêtresse Kaléis, mais je préfère me fier à des certitudes. J’ai envoyé deux Légions sur Aranel, et je compte…
La communication se brouilla, puis avec un grésillement, les images disparurent de l’écran.
— Que se passe-t-il ? questionna Shaniel avec autorité.
L’opérateur s’activait sur ses touches, mais il avait pâli.
— Je ne comprends pas, majesté, bredouilla-t-il. Tout a coupé. Je n’arrive à contacter personne.
Le Commandeur Éric s’était rembruni.
— Passez le camp en alerte. S’ils ont brouillé nos communications, c’est pour mieux nous isoler.
— Et contre-attaquer, compléta Aioros.
Shaniel pâlit.
— Ils nous ont poussés à nous révéler. Nous sommes tombés dans leur piège.
J'aime beaucoup ce chapitre. Les cours points de vue autres apportent une vue d'ensemble très agréable. Le suspens est maximal. Super !
Merci ! Pas facile de gérer la tension - et surtout la suite ^^