Chapitre 4

Par LauLCas
Notes de l’auteur : Attention, on va alterner un peu les points de vue entre Rei et Victor... Qu'en pensez-vous ?

Aussi, une petite note, cette histoire se passe à Londres, vous l'avez compris. J'essaye donc d'adapter (et traduire) au mieux le système anglais (je dis épiceries au lieu de off licence, je dis Bac au lieu de A level) si il y a un truc qui vous parait pas clair, n'hésitez pas à me demander !

Par exemple, ne vous étonnez pas si ils mangent du poulet grillé après les cours ! C'est comme ça que ça se passe ici... ça m'a vraiment surpris la première fois de voir les petits anglais s'enfiler des boites de nugets à 15h ! Bref...

Musique conseillé - Running Up that Hill - Placebo

 

Victor rentra dans la maison vide et silencieuse. L'atmosphère sombre de la grande bâtisse victorienne lui tomba dessus sans prévenir comme une chape de plomb. Il resta un instant immobile dans le vestibule avec le bruit des voitures de la rue en fond sonneur, rompant le silence presque religieux de sa maison.

Le coeur lourd, il retira ses chaussures et sa veste d'uniforme. C'était à ce moment de la journée que son père lui manquait le plus, il avait pour habitude de travailler principalement de la maison et quand il l'entendait arriver, son père interrompait ce qu’il faisait pour venir à sa rencontre :

-Alors fils, tu as passé un bonne journée ! S'exclamait son père en lui passant un main vigoureuse dans ses cheveux blond.

Victor généralement se plaignait de sa journée en suivant son père dans la cuisine où ils partageaient un petit goûter. Ensuite, il s'installait dans le bureau de son père, sur la table basse et commençait ses devoirs.

Victor serra ses lèvres, sentant déjà les larmes lui monter aux yeux. Il s'avança dans la cuisine où son petit déjeuné, auquel il n'avait pas touché ce matin, trônait toujours sur la table.

Presque rageusement, il prit l'assiette et la jeta entièrement dans la poubelle. Il l'entendit se briser au fond du sac. Dans un soupire, Victor lança le dernier album de Woodkid sur son portable, pour lutter contre le silence de la maison déserte et parce que la musique avait toujours été son refuge.

Comme prévue, la rentrée avait été une épreuve et Victor n'avait jamais été aussi heureux qu'une journée se termine. 

Il avait passé l'été dans un état de semi coma, à peine conscient de ce qu'il se passait autour de lui. Sa famille, Moïra et Remzi s'étaient relayés dans la maison pour occuper le vide et le silence. 

Sa mère quant à elle avait reprit le travail à peine une semaine après l'enterrement, partant tôt et rentrant tard tous les jours, y compris le weekend. Rarement ils se croisaient et surtout rarement ils parlaient. Elle lui préparait consciencieusement son petit déjeuné le matin avant de partir et ignorait le fait qu'il les jetait dans la poubelle tous les jours.  

Sa soeur, elle, était repartie sur Dublin  en août et ses appels ou textos se faisaient de plus en plus rares. Il lui en voulait pour ça. Victor avait l’impression qu’elle l’avait abandonné à sa tristesse, qu’il était le seul à souffrir du décès de son père, que sa mère et sa soeur avaient fait leur deuil rapidement pour passer à autre chose. Lui, il n’y arrivait pas...

Septembre était arrivé plus vite que Victor l'avait anticipé et il avait dû reprendre les cours là où il les avait laissé l'année dernière. Instagram lui montrait régulièrement ce que ces anciens camarades de classe faisaient : remise de diplôme, formation, université... La vie continuait, sans lui. 

Il avait presque accueilli avec soulagement le fait que Remzi et les jumeaux redoublent et se retrouvent aussi dans sa classe. Ca donnait à Victor un semblant de normalité.

Son téléphone vibra dans sa poche le faisant sursauter. Il grogna un peu en voyant le message de sa meilleure amie, Moïra : 

"Tu penses quoi de Rei ?"

Victor fut interloqué par la question et répondit rapidement "Tu veux dire quoi par là ?" avant de remettre son portable dans sa poche. Deux secondes après il vibra de nouveau mais Victor décida de le consulter le plus tard. 

Il monta rapidement les escaliers, passa le premier étage et puis s'engagea dans l'escalier menant au grenier, transformé en deux chambres. Sa soeur, avant son départ à l’université, en occupait une, celle qui donnait sur la rue. Lui l'autre, celle qui donnait sur le jardin.

Victor claqua la porte avec force, jeta son sac par terre, poussa quelques vêtements sur son passage et s’avachit sur son canapé dans un soupire de soulagement. 

Sa chambre était assez grande et pouvait aisément accueillir son grand lit, son bureau, un canapé, une télé dernier cri et tous ses instruments de musique. Seul le piano se trouvait au rez de chaussé, dans le salon, mais Victor n'y avait plus touché depuis des mois.

Il se contorsionna un peu pour sortir son portable de sa poche et lut enfin le message de Moïra : "Rien, je me demandais juste ce que tu en pensais, tu lui as jamais parlé et aujourd'hui, vous avez disparu avant les cours tous les deux"

Il adorait Moïra, vraiment, elle était sa meilleure amie depuis la primaire mais parfois, elle le saoulait avec ses investigations incessantes, il préférait la compagnie de Remzi, beaucoup moins prise de tête. 

Et la curiosité de Moïra était devenu pire avec la maladie de son père : Moïra voulait qu'il parle, qu'il s'exprime, qu'il lui dise ce qu'il faisait, comment il se sentait, qu'il pleure, qu'il crie, qu'il réagisse. Alors que Remzi se contentait de le coller en faisant le pitre. 

En faite, tout bien considéré, ses deux meilleurs amis le fatiguaient dernièrement. Victor avait l'impression de ne pas pouvoir faire un pas sans que l'un ou l'autre ne le suive comme son ombre. L'un silencieux, l'autre interrogateur.

Victor répondit à Moïra : "On est allé fumer une clope et boire un café en salle des pions. Il est sympa"

Il envoya le message et regretta immédiatement de l'avoir faire, la réponse de Moïra fusa : "Sympa ? =)"

Victor grogna et décida de l'ignorer, exaspéré. 

Depuis tout petit, il n'avait jamais eut que deux amis : Moïra et Remzi. Il avait d'autres potes mais généralement ne les voyait qu'à l'école ou en soirée. 

Avec l'âge et les balbutiements amoureux, Moïra et Remzi s’étaient retrouvé à sortir avec des personnes. Moïra plusieurs fois avec des garçons avant d’annoncer deux ans plus tôt qu'elle préférait les filles et Remzi avec plusieurs filles tout en restant très obnubilé avec la grande soeur des jumeaux Britery, Ambre. 

Mais Victor, rien. A part la musique et ses deux meilleurs amis, rien d’autre n’importait vraiment. Et depuis le début de leur adolescence, Moïra le gonflait avec ça à coup de "et cette fille ? et celle là ? Ce garçon alors ? Celui là ?".

Mais Victor avait juste pas envie d'être en couple. Moïra, elle, disait que ce n'était que de la timidité. Elle n'avait peut être pas tord.

Son téléphone vibra de nouveau :

Moïra : "Je te taquine Vivi, lol. Sérieusement, il est sympa Rei, c'est la première fois que je l'entends parler de sa mère... L'année dernière, il se tenait vachement à l'écart, j'ai dû faire un peu de forcing pour qu'il décoince les lèvres."

Victor : "Ouais, il est cool. Si il a pas envie d'en parler, le force pas Mo."

L'année dernière, quand tout se passait bien dans sa vie, Victor avait à peine remarqué l'arrivée de Rei dans la classe de Moïra, le niveau en dessous. Le blond était bien trop concentré sur ses concours de musique. 

Moïra avait mentionné un nouveau assez mystérieux mais ça lui été passé au dessus de la tête. Pas la place pour ce genre de ragots alors qu’il était plongé dans les partitions de Mozart et Chopin. Ce fut ce que Remzi lui dit quelques semaines plus tard qui interpella Victor :

-Tu savais que le nouveau dans la classe de Mo est le cousin des jumeaux ? Enfin un truc comme ça, leurs oncles peut être ?

-Non, je savais pas...

Remzi s'était penché vers lui et lui avait chuchoté sur le ton de la confidence :

-Ils m'ont dit que sa mère a été assassinée il y'a deux ans, le répète pas ok ? Ils m'ont fait promettre de rien dire, mais je peux rien cacher à toi ou Mo...

Victor avait frissonné à la révélation de Remzi : assassiné ? Comme dans les thrillers ? Par un meurtrier ?

Le secret de polichinelle n'en était pas vraiment un tout compte fait mais personne n'en parlait à voix haute devant les jumeaux et encore moins devant Rei. 

Victor voyait bien que l'attention à peine déguisée que recevait Rei n'était pas commune. Certains chuchotaient sur son passage, d'autres le fixaient du regard avec un semblant de pitié et de tristesse. 

Victor, lui, s'efforçait de ne pas le regarder, tendant juste l'oreille quand les jumeaux, Remzi, Moïra ou d'autres personnes le mentionnaient, intrigué bien malgré lui.

Rei était différent, malgré l'uniforme de lycée qu'il portait tous les jours, malgré sa présence en cours, Rei n'avait pas l'air de faire parti de leur monde. Il était souvent seul, son cahier de dessin sur les genoux. Rei ne regardait personne, ne souriait jamais, ne parlait pas sauf aux jumeaux et parfois à Moïra. Il intimidait Victor au point que le blond avait appris à l'éviter sans le vouloir.

Puis son père était tombé malade. A partir de cet instant, plus rien n'avait eu la moindre importance. Ni les cours, ni les concours de musique et encore moins les personnes qui n’étaient pas Moïra ou Remzi. Victor passait les jours au lycée sans regarder ni parler à personne. Comme un fantôme. Comme Rei. 

Parfois dans son isolement, alors qu'il restait à l'hôpital au chevet de son père trop faible pour restait éveillé, Victor se surprenait à penser à Rei et ses yeux verts, sombres et sinistres, à son visage sans sourire. 

Est-ce que le deuil rendait amer comme ça ou est-ce que c’était à cause de la disparition soudaine d'un parent ? Devait-il se considérer chanceux du délai que la mort avait laissé à son père ou bien malchanceux ? Peut être aurait-il été préférable de perdre son père comme Rei avait perdu sa mère ? D'un coup, comme ça, du jour au lendemain. 

Car à chaque fois que son père lui offrait un sourire, de son lit d'hôpital, Victor ne pouvait s'empêcher de penser : et si c'était le dernier ?

OOO

Le lendemain de la rentrée, il pleuvait comme bien trop souvent à Londres, ce qui força Victor à prendre le bus au lieu de son vélo. Arrivé devant les grilles du lycée, il remarqua plus loin les jumeaux en compagnie de Remzi sous un parapluis mais ne vit pas Rei. Victor s’arrêta un instant, les jumeaux et Remzi ne l’avaient pas remarqué, plongés dans une conversation, certainement sur les jeux vidéos. Victor décida de retrouver Rei en salle des pions, lassé par avance d’avoir à discuter de Fifa avec Alex, Max et Remzi. Quand on les mettait ensemble, la conversation tournait toujours autour de jeux vidéo ou de nanas.

Victor ne savait pas vraiment ce qu’il s’était passé entre lui et Rei la veille, Moïra avait un peu raison de s’étonner de leur rapprochement mais c’était comme si la douleur d’avoir perdu un parent avait résonné entre eux, comme une corde de violon sous un coup d’archer. 

Le moment que Victor avait passé en présence de Rei dans la salle des pions avaient été un moment de sérénité qu’il pensait à jamais perdu. Depuis la décès de son père, Victor était presque toujours entouré de Moïra, Remzi ou sa famille car quand il était seul, son esprit dérivait dans des contrés sombre. Malgré tout, leur présence constante l’épuisait et le pesait un peu, mais la compagnie de Rei était autre... Victor peinait à définir ce qu’il ressentait. C’était comme le début d’une symphonie, discrète et calme, mesurée et délicate.

Quand il ouvrit la porte de la salle de repos, il remarqua Rei immédiatement, assis sur l’une des tables hautes, cigarette à la main, crayon dans l’autre, griffonnant fébrilement sur son carnet, un gobelet de café fumant devant lui. Victor s’arrêta un instant, se demanda ce qu’il faisait là lui qui n’aimait pas vraiment fumer ni boire de café, mais il s’approcha quand même. 

-Rei… annonça-t-il pour se faire remarquer.

Il sursauta vivement et ferma son carnet si brusquement que Victor regretta de ne pas y avoir jeter un coup d’oeil avant. Que dessinait-il tout le temps comme ça ? Rei le regardait, surpris voir apeuré et Victor déclara :

-Désolé…

Rei passa distraitement une main sur ses cheveux rasés comme pour reprendre ses esprits et lui adressa un semblant de sourire :

-C’est pas grave…

Victor se sentait bête, il regarda autour de lui, un peu nerveux, la salle était vide. 

-Tu veux un café ? Demanda le brun en se redressant, la voix hésitante.

Victor acquiesça et regarda Rei s’avançer vers la machine, une pièce à la main. Sortant enfin de sa torpeur, Victor s’approcha de lui et coupa son mouvement en lui prenant le poignet :

-Attends, j’ai de quoi payer.

Rei eut une réaction aussi inattendue que violente, il se dégagea de lui brusquement et cogna la machine à café violemment dans le mouvement. Le regard que lui lançait Rei était empreint d’une telle peur que Victor se sentit obligé de lever les deux mains en l’air :

-Excuse moi Rei… murmura-t-il sans savoir pourquoi vraiment il s’excusait.

Il voulut rajouter “je ne vais pas te faire de mal” mais se sentit très con et décida de ne rien dire d’autre. Rei eut un soupire et ferma un instant les yeux, certainement pour se calmer.

-T’inquiète Victor, c’est moi, désolé, trop de café ce matin, tu m’as fait peur.

C’était un mensonge, Victor le savait et Rei aussi mais il passa outre. Victor mit la main dans sa poche arrière et en tira une poigné de pièce, il montra la pièce de un pound :

-Tiens, pour mon café et pour ta verveine. Ca va te calmer un peu, dit-il en voulant détendre l’atmosphère. 

Rei eut un petit rire et Victor remarqua que le visage du brun changeait totalement quand il souriait. Il était beaucoup plus beau comme ça. 

-Merci Victor.

Rei prit la pièce en lui lança un autre sourire désolé. Ils passèrent les 20 minutes avant leur cours d’Histoire à fumer et boire leurs cafés, dans un silence que Victor trouva délectable. 

 OOO 

Ils avaient piscine l’après midi, du moins pour tout le semestre. Moïra avait préféré faire danse. Le cours durait deux heures et sonnait la fin de leur journée de lycéen, exactement comme l’année dernière et celle d’avant, Greig Academy était un établissement sans grande surprise où l’emploi du temps se ressemblait étrangement d’année en année.

 Victor, Moïra, Remzi et parfois les jumeaux, passaient souvent le reste de l’après-midi chez Moïra. Cette dernière avait déménagé dans les nouveaux appartements en bordure de la voie ferrée deux ans plus tôt, à 5 minutes de leur lycée. Lui et les autres vivaient un peu plus bas sur Green Lanes, c’était donc plus pratique d’aller chez Moïra dont les parents étaient rarement présents. 

Victor adorait ces après-midi à discuter de tout et de rien, à manger des trucs trop gras et trop sucré avec ses meilleurs amis. Entre Remzi et Moïra (et les jumeaux si ils étaient là), ça parlait beaucoup de meufs et de faux plans qu’ils montaient tous pour attirer l’attention de l’heureuse élue, Victor en avait des fous rires à chaque fois. 

Remzi était celui qui avait le plus d’idée à la con, il se vantait d’avoir réussi à choper une nana en lui jetant une chaussure alors qu’elle était assise sur un banc. Moïra avait été outrée de l’action mais aussi du fait que ça fonctionne. 

C’était les moments de la semaine que Victor préférait le plus mais aujourd’hui, il se sentait un peu nerveux car Rei avait été invité à se joindre à eux et avait accepté… c’était la première fois...

Victor entra le dernier dans le vestiaire de la piscine, à la suite de Remzi qui s’avança vers Rei déjà en train de se changer. Remzi le laissa se mettre à côté du brun qui se tendit un peu en les voyant s’approcher. 

Victor n’était jamais à l’aise dans les vestiaires. Il était plutôt fin, comparé à Remzi qui lui avait déjà un physique de footballeur et ça s’était un peu empirer depuis le décès de son père car il s’était amaigris.

Victor glissa un regard en coin vers Rei, qui sortait son maillot de bain de son sac, déjà torse nu. Il était loin d’être aussi musclé que Remzi mais s’en sortait mieux que lui... 

Victor retira ses chaussures, son pantalon et sa chemise rapidement, ne restant qu’en caleçon. Il sentit son visage devenir rouge. Du coin de l’oeil, il vit Rei retirer son pantalon et dans le mouvement, Victor fut frappé par son odeur, un mélange de déodorant, de parfum pour homme étrangement sucré… Rei sentait bon. 

Victor secoua sa tête et retira son caleçon sans regarder personne, il attrapa rapidement son maillot de bain et l’enfila. Quand il se redressa, Victor évita de regarder Rei, étrangement intimidé, un peu grisé, un peu perdu aussi et sursauta quand Remzi lui pinça le flanc.

-Non mais ça va pas Rem ! S’exclama-t-il en grognant de douleur.

Remzi rigola à sa propre connerie :

-Réveille toi crevette, le prof nous appelle ! Tu étais dans la lune !

-Je suis pas une crevette ducon… grommela-t-il en se passant une main rapide sur son torse un peu maigre. C’est vous deux là, vous êtes… musclés...

Rei et Remzi échangèrent un regard sans rien dire et ce fut alors que Victor remarqua la cicatrice sur la cuisse gauche de Rei. 

 OOO

Sa cicatrice était un constant rappel de ce qu’il s’était passé et Rei la détestait pour cela. Elle était assez haute pour être invisible quand il était en caleçon mais pas quand il était en boxer ou en slip de bain. Déjà que se mettre nu devant les autres garçons de sa classe était une épreuve, il fallait que sa cicatrice soit exposée pendant deux heures. 

Bien sûr, il n’était pas le seul avec des cicatrice, certains garçons en avaient aussi mais généralement elles étaient connues : la cicatrice d’une opération (l’appendice le plus souvent), les vestiges d’un bras ou d’une jambe cassés, acnés. Mais la sienne, elle était différente et Rei le savait. 

Elle était au milieu de sa cuisse droite, sur le devant, faisait la taille de sa paume, d’aspect noueuse. Ses poils ne poussaient pas sur elle ou même autour, l’exposant d’autant plus. Sa couleur était plus clair que sa peau ce qui la faisait ressortir aussi et quand il bronzait, c’était pire. Au toucher, la peau était irrégulière mais douce et presque agréable.

Elle était là à cause du coup de feu qu’il avait tiré alors que Jorik se jetait sur lui le jour où il avait assassiné sa mère, trois ans plus tôt. 

La première balle s’était bien nichée dans l’estomac de l’homme mais la deuxième avait dérivée sur sa cuisse alors que Jorik lui tombait dessus en hurlant de haine. Rei ne se souvenait pas combien de temps il attendit les secours ce jour-là mais il gardait un souvenir intacte de la scène. Comme un tableau réaliste. Sa mère, étendue, les yeux ouverts et sans vie. Un peu plus loin, le corps immobile de Jorik, Rei savait que le monstre était encore en vie à cause de sa respiration sifflante. Une flaque de sang commençait à se former autour de son ventre, là où Rei avait tiré. 

Et il y’avait lui, qui ne pouvait pas bouger, silencieux, attendant d’être achevé. Une douleur sourde lui vrillait la cuisse et une liquide chaud lui caressait la jambe engluant son pantalon. Il sut plus tard qu’il avait perdu connaissance juste avant l’arrivée des premiers secours. Rei avait perdu beaucoup de sang mais pas assez pour avoir sa vie en danger. Il aurait parfois préféré que cela soit le cas. Jorik lui s’en était sorti et avait été amené dans un autre hôpital, sous étroite surveillance en attendant que justice soit faite.

OOOO

Une fois le cours de piscine terminée, Rei décida de se changer dans les toilettes. Après avoir passé deux heures presque nu, vulnérable, face à autant de personnes, il ne se voyait pas retourner aux vestiaires, surtout si Victor y était. Il fut rapidement dehors, probablement l’un des premiers de sa classe. Techniquement c’était la fin de leur journée de cours et il était 15h30, demain Rei ne commençait qu’à 11h. 

L’année dernière, il avait pris pour habitude de rejoindre So dans son salon de tatouage, il aimait l’atmosphère pour y dessiner et adorait l’écouter bavarder avec les clients. Mais aujourd’hui, Moïra l’avait convaincu de rester avec elle, Remzi et Victor. Il savait que les jumeaux enchainaient leur séances de piscine avec deux heures de tutorat imposé par leur père à la maison. 

-Rei ! S’exclama Remzi depuis la porte d’entrée de la piscine.

Remzi, les cheveux encore humide, suivi par Victor, s’élança vers lui :

-Moïra nous attend déjà chez elle, elle a dit qu’elle a pris du poulet sur le passage, tu viens ?

  OOO

Moïra vivait dans un appartement spacieux et était fille unique. Victor aimait bien ses parents, des gens cools qui faisaient confiance à leur fille et la laissaient faire ce qu’elle voulait. Sa mère donnait des cours de yoga et de dessins, son père lui gérait un restaurant dans le centre. Moïra avait l’habitude d’être seule chez elle mais adorait la compagnie de Victor et Remzi. Son meilleur ami passait plus de temps chez Moïra que lui. Pour tout dire, l’appartement de Moïra était calme, joliment décoré, ordonné et à l’exacte opposé de la maison de Remzi. C’était un endroit calme, sans frères et soeurs et avec assez de place pour pouvoir faire ses devoirs sans être dérangé.  

Victor se jeta à sa place habituelle sur le canapé dans un soupire de soulagement et Remzi commença déjà à manger le poulet grillé que Moïra leur avait pris sur le passage. Rei s’installa timidement à côté de Victor. 

-Tu peux fumer à l’intérieur si tu veux, déclara Moïra depuis la cuisine. Mes parents fument comme des pompiers, ils remarqueront rien.

Victor le regarda sortir son paquet de cigarette pour s’en allumer une. Rei avait de très belles mains, masculine avec de long doigts aux ongles coupés courts mais pas rongés, comme les siens. Il fumait avec une classe insolente, qu’il ignorait très certainement et Victor le regarda faire du coin de l’oeil, acceptant avec une faible merci la brique de jus d’orange que lui donnait Moïra. 

-Remzi ! Mange pas tout le poulet, merde ! S’exclama sa meilleure amie en refermant la boîte en carton sous le nez de Remzi.

-J’ai entrainement de foot dans une heure, faut bien que je mange ! S’écria-t-il la bouche pleine.

-Tu partage !

Remzi grommela et tendit la boite vers eux :

-Vous en voulez ?

Victor était pas un gros fan de poulet, au contraire de Remzi et Moïra mais se servit une cuisse pour éviter l’habituel “tu mange rien Victor” de Moïra. Il avait perdu l’appétit depuis la mort de son père et alors ?

Rei refusa, montrant sa cigarette allumée :

-Après celle là, mais va-y, à toi l’honneur j’ai pas très faim.

Moïra, Remzi et lui avaient toujours été amis. Dès la primaire. Moïra était un an plus jeune qu’eux mais ils avaient réussi à rester dans la même classe 4 ans de suite, se débrouillant pour se retrouver dans des classes à double niveaux. Par la suite, ils furent séparés mais cela ne changea rien à leur amitié qui grandit au fils des années. 

Pour Victor, cette amitié était ce qu’il y avait de plus stable dans sa vie à présent. Il avait beau se plaindre de leur présence étouffante depuis le décès de son père, il était surtout soulagé de les avoir à ses côtés dans cette épreuve. 

Pendant longtemps, Victor crut que Remzi et Moïra finiraient un jour ensemble : Remzi bien que obnubilé par la grande soeur des jumeaux, semblait attacher à Moïra plus qu’il ne le disait. Souvent, son meilleur ami restait chez elle le weekend ou le soir après l’école et avait même un double des clefs de l’appartement. Tous trois étaient proches mais Moïra et Remzi avaient une relation un peu plus fusionnelle. 

Et puis, Moïra avait fait son coming out deux ans auparavant, lors d’un de ses après-midis après les cours, entre deux gorgés de jus d’orange. Si Victor l’avait bien pris, Remzi lui beaucoup moins. Une dispute monstre avait éclaté entre les deux, faite d’incompréhension et de manque de communication. Il leur fallut quatre mois pour se reparler par la suite. Victor s’était sentit comme pris entre deux feux, ne sachant quoi dire ou faire. Il se sentait lui aussi trahi, car lors de la dispute, Moïra et Remzi avaient lâché avoir couché ensemble lors d’une soirée arrosée. Ils s’étaient bien gardés de lui en parler...

Se sentit-il trahi que Moïra et Remzi couchent ensemble ou se sentit-il trahi qu’ils ne lui disent pas ? Victor ne savait pas quoi dire. Remzi semblait avoir pris cet écart de conduite comme le potentiel début d’une relation amoureuse avec Moïra. Pour Moïra, ça avait sonné la fin de sa vie d’hétérosexuelle. Elle avait initié l’échange par défi, avait-elle confié à Victor plus tard en pleure, se sentant coupable d’avoir manipulé Remzi de la sorte. Pour elle, si elle devait sortir avec un garçon, ça aurait été Remzi mais l’expérience n’avait pas été concluante. Victor avait compris de cette situation que les relations amoureuses ruinaient les amitiés.

Puis les choses s’étaient aplanies entre eux, juste à temps pour l’annonce du cancer du père de Victor septembre dernier. Victor s’en souvenait comme si c’était hier, son père, le visage fermé  qui lui avait dit : “J’ai un cancer, les docteurs pensent qu’il me reste un an”. En fait, il lui restait 9 mois. 

Depuis cette annonce, Moïra, Remzi et lui n’avaient jamais été aussi proche. Pendant un temps il avait même été incapable de dormir seul dans son lit et Remzi et Moïra s’étaient relayés pour rester avec lui. Sans un mot, Victor, se mettait dos à eux dans le lit contre leurs corps chauds, puis s’endormait. Remzi, d'ordinaire peu friand de démonstration affective l’avait laissé faire sans jamais se plaindre, le serrant parfois dans ses bras, comme si il était un bébé qu’il fallait consoler après un cauchemar. 

-Victor, tu en veux ?

La voix grave de Rei le réveilla de ses songes et il regarda confus la boite à moitié vide de poulet. Victor se rendit alors compte qu’ils étaient seuls dans le salon, les voix de Moïra et Remzi qui se chamaillaient dans la chambre de la jeune fille lui parvenait :

-Mais non, pas cette meuf Remzi !! Tu déconne !! 

Victor eut un petit rire, sachant exactement ce que Remzi traficotait, il adorait se connecter sur l’ordinateur de la jeune fille et accéder aux forums dans lesquels elle participait activement (forums de littérature) pour envoyer des messages privés à des nanas. Moïra le laissait faire en se plaignant. Trop timide pour aborder qui que ce soit, Remzi se retrouvait à flirter en son nom.

-Tu as vu ses nichons sur son compte facebook ? Tu peux pas passer à côté de ça !

-Elle a 24 ans !!

-Hmmm, et certainement beaucoup d’expérience !

-Mais elle est trop vieille merde !

-Tu exagères, laisse moi lui parler ! Ah, regarde, celle là, elle a 19 ans, ça te va ?

Victor détourna son attention pour prendre la boîte de poulet des mains de Rei mais ne se servit pas.

-Merci Rei, désolé j’étais dans le lune.

Rei haussa les épaules et déclara d’une voix douce :

-Ca m’arrive souvent aussi…

Victor lâcha un petit soupire et se surprit à lui demander :

-Tu fais quoi pour penser à autre chose ? 

Victor parlait bien sûr pour penser à autre chose qu’à leurs parents décédés.

-Je dessine, répondit Rei d’une voix légère même si Victor se doutait qu’il n’était pas aussi calme qu’il le prétendait.

Victor se demanda s'il devait lui aussi se mettre au dessin, vu comment ça captivait Rei, ça pouvait peut être fonctionner sur lui…

-Enfin, il faut que tu trouve un truc à toi… tu aime quoi ? Demanda Rei.

Victor savait la réponse bien sûr :

-La musique, j’aime jouer de la musique…

Depuis le décès de son père, il n’avait plus vraiment retouché à un instrument de musique, parfois il faisait un peu de gratte, mais sans trop forcer. Il évitait totalement son piano et son violon, les deux instruments préférés de son père.

-Tu pourrais jouer alors… je trouve que tu joue bien… murmura le brun.

Victor fut surpris que Rei sache ça alors qu’il semblait flotter au dessus d’eux sans que rien ne l’atteigne. C’était par exemple la première fois que Victor le voyait passer du temps avec des gens de l’école. D'ordinaire, il restait seul et disparaissait rapidement après les cours. 

-Ah oui ? Tu m’as déjà entendu ?

Les joues de Rei se teintèrent un peu de rouge et Victor eut envie de se moquer de lui mais se retint. Le brun haussa les épaules, regardant ailleurs et répondit d’une voix hésitante :

-La salle d’art est à côté du studio de musique…

Victor le sentit gêné alors il essaya de détendre l’ambiance en rigolant et en lui donnant un coup de coude, taquin, dans les côtés. Puis il se souvint en le voyant sursauter que Rei détestait qu’on le touche. Victor passa outre et dit :

-Tu as raison, je devrais refaire un peu de musique…. Dis, tu me montre tes dessins ?

Rei devint blanc et Victor voulut se taper sur les doigts pour sa curiosité, Rei était renfermé, il se doutait que si il était trop brusqué, il allait le fuir… et étrangement, cette idée le rendait triste. 

A sa surprise, Rei ouvrit son sac pour ouvrir son classeur d’art. Ce n’était pas le calepin dans lequel il dessinait à longueur de temps, seulement ses projets d’école mais Victor prit le classeur entre ses mains et commença à le feuilleter. Rei s’était un peu approché de lui et regardait les dessins par dessus son épaule à mesure qu’il tournait les pages. 

Victor avait vu quelques uns des dessins de Rei lors de l’expo annuel de la classe d’art sur le compte instagram de ses potes, ils étaient certainement les plus sombres mais aussi ceux que Victor préférait. 

Rei dessinait toujours en noir et blanc, au crayon, au fusain ou à l’encre. Son tracé était nerveux et criant de réalisme. Victor passa quelques essais de nature morte, paysages et s’arrêta sur un portrait de femme aux cheveux roux. L’instruction du professeur, que Rei avait noté en haut de page, disait : “Portrait de votre mère”. La seule chose à laquelle Rei avait donner de la couleur, c’était ses cheveux, une couleur rousse, chaude, presque vibrante. Victor fut impressionné. L’ensemble était beau, superbe, la mère de Rei devait être belle, il retrouva dans certains des traits, ceux de Rei, dans la courbure de ses lèvres, la forme de ses yeux ou ses pommettes hautes.

-Magnifique… murmura-t-il en caressant le coin de la page pour s’empêcher de caresser le dessins du bout des doigts. Comment elle s’appellait ?

-Estérie… murmura Rei.

Sur celà, Moïra apparut dans le salon et lâcha son livre d’histoire sur le table les faisant sursauter. 

-Désolé de vous couper mais on a un dossier à faire pour la fin de l’année ! On commence ?

Victor ferma le classeur pour le rendre à Rei, contrarié de se faire interrompre, il aurait aimé regarder plus de dessins et rester dans sa bulle avec le brun. 

-Ouais, on peut faire ça ! Dit-il en rapprochant son sac de lui. Où est Remzi ?

Moïra eut un petit rire et dit :

-Quoi ? Vous l’avez pas entendu ? Il est partit à son entraînement y’a 5 min…

Victor échangea un regard incrédule avec Rei qui haussa les épaules. Moïra s’assit en tailleur proche de la table basse, ordi ouvert, déjà plongée dans ses recherches.

 OOO

Rei évita de regarder Moïra de peur de lire quelques choses sur son visage, dans son expression. Elle n’avait cessé de lui jeter des coups d’oeil curieux alors qu’ils faisaient les recherches sur le sujet d’Histoire, alternant avec des sourires énigmatiques quand le bras de Victor le touchaient  au gré de ses mouvements. Étaient-ils assis trop proche ? Se doutait-elle de son attirance pour son meilleur ami ? 

Vers 19h, Victor soupira et ferma son cahier brusquement en déclarant : “On arrête, mon cerveau c’est de la gelé !” puis se leva pour se rendre aux toilettes. Rei leva enfin les yeux vers Moïra et affronta le regard moqueur de la jeune fille. Elle faisait une moue attendrie et déclara en murmurant :

-Victor n’est pas à ton goût hmm ?

Il la fusilla du regard et lâcha acerbe :

-Je ne suis pas au sien en tout cas…

Moïra leva les sourcils d’étonnement :

-Et comment tu sais ça ? Tu lui as demandé ?

Mais à quel jeu elle jouait cette meuf ? A lui mettre des idées dans la tête ? A parler de chose impossible ? Il se sentit soudain très en colère, contre lui, contre Moïra qui le taquinait et ne se rendait pas compte à quel point c’était compliqué pour lui. Et il en voulait à Victor, de s’ouvrir à lui comme il le faisait.

-Arrête Moïra, ne t’en mêle pas, ça ne sert à rien, ton ami est hétéro et pas intéressé par moi. Et Victor vient de perdre son père, je crois pas qu’il soit en mode flirt en ce moment.

Si Moïra avait été taquine et moqueuse quelques secondes plus tôt, son sourire fana immédiatement et une barre de contrariété apparut sur son front :

-Mec, tu devrais arrêter de supposer ce que les gens ressentent et de t’en inquiéter. Victor est en deuil mais tu sais pas si un petit flirt lui ferait pas de mal et tu sais encore moins si tu lui plais ou non.

Elle se tut et le fusilla du regard, voyant qu’il ne réagissait pas, elle poursuivit :

-Je connais mon meilleur ami depuis très longtemps, c’est la première fois que je le vois connecter avec quelqu’un d’autre que Remzi ou moi aussi vite. Apprécie ta chance.

Elle ferma son ordinateur sèchement et lui adressa un regard à la fois noir et satisfait avant de se lever :

-Victor, ma mère va pas tarder, vaut mieux que vous partiez, je vais préparer le repas !

Le blond déverrouilla la salle de bain et s’avança vers eux en s’essuyant les mains encore un peu mouillé sur son jeans. Il attrapa son sac et sa veste :

-Rei, tu habite où ? Demanda-t-il.

-Pemberton Road…

-Ah comme les jumeaux, on est voisin, je suis sur Cavendish Road, on peut marcher ensemble si tu veux...

Sur cet entrefait, le blond lui adressa un sourire rayonnant, saisit sa veste de la chaise sur lequel Rei l’avait laissé et lui tendit.

-Ok, on peut marcher ensemble oui… répondit Rei.

Moïra, dos à Victor, lui adressa un petit clin d’oeil et fit un petit coeur avec ses mains. Elle se moquait de lui...

Rei eut un grognement de mécontentement, cette nana était épuisante…

-Tu fais quoi Mo derrière mon dos ?! S’exclama Victor en se retourna vivement.

-Rien Vivi… allez les mecs, on se bouge, vous avez assez squattés comme ça !

Et ils se mirent en route. Il y avait un peu plus de 15 minutes de marche entre chez Moïra et là où ils vivaient. Ils habitaient tous dans le nord de Londres, à 30 minutes d’Oxford Circus en métro. 

La première fois que Rei y avait mis les pieds, il n’avait pas été conquis : bruyant, un peu sale, des gens un peu louche qui trainaient mais c’était un quartier plein de vie et beaucoup plus sûr qu’il ne le paraissait.

 Au fil des mois, Rei avait appris à aimer ce quartier populaire pleins d'épiceries pas trop regardantes sur son âge, de restaurants turcs aussi bons les uns que les autres, de magasins caritatifs, cafés et bars avec petites scènes où défilaient des groupes de musique presque tous les soirs de la semaine... Taylor et Soso (et par extension lui) passaient beaucoup de temps dans le quartier.

L’artère principale de Harringay, Green Lanes, était une avenue très fréquentée qui reliait trois stations de métro. Du côté de Wood Green Station tout au bout de l’avenue, il y avait un grand centre commercial avec les grandes enseignes et cinémas. Puis une fois qu’on dépassait la station Turnpike Lane en contrebas, le charme commençait à se dessiner peu à peu jusqu’à la station de Manor House. C’était là où se trouvaient tous les bars, restaurants et petits cafés. 

Les jumeaux, lui et Victor habitaient dans des petites rues perpendiculaires à Green Lanes, à mi-chemin entre les stations Turnpike Lane et Manor House. Ces petites rues étaient calmes, bordées par l’enfilade interminable de maisons victoriennes toutes plus ou moins similaires. Parfois, les propriétaires avaient fait preuve d’originalité en peignant les devantures de différente couleurs, masquant le traditionnel rouge des petites briques.

L’appartement de Moïra, non loin de la station Turnpike Lane se trouvait coincé entre une voie ferrée et un petit canal accessible à pieds. Ce fut là que Victor s’aventura, évitant ainsi les rues passantes un peu plus bas. Le soleil commençait à tomber et le ciel était rose, Rei leva les yeux un instant au ciel et regarda le canal bordé de verdure s’étendre devant lui sous le soleil descendant.

-C’est beau hein ? Murmura Victor à côté de lui. Mon père et moi on venait souvent par là, même si la majorité du temps ça pue un peu l’eau stagnante...

Rei eut un petit rire et lança un bref regard sur le profil pensif de Victor. 

-Oui, c’est beau ici, c’est dommage que le canal soit pas accessible entière à pied, ma maison est juste à côté. Ca aurait été sympa comme chemin.

Ils longèrent l’eau sans vraiment parler et arrivèrent au mécanisme filtrant du canal totalement englué par les algues. Puis ils prirent un petit chemin caillouteux qui les amenèrent sur une route passante. Fini le calme. 

-Tu connais Harringay Passage ? Demanda Victor.

-Euh ouais pourquoi ?

C’était une petite ruelle piétonne qui traversait tout le quartier de Harringay en parallèle à Green Lanes. Rei y passait parfois pour aller plus vite et éviter le bruit des voiture sur l’artère principale.

-Cool, on va passer par là, c’est plus calme !

Victor lui attrapa la manche de sa veste d’uniforme mais surpris, Rei se dégagea d’un geste plus brusque qu’il ne le voulut. Victor lui adressa un regard étonné :

-Toi, tu aimes vraiment pas qu’on te touche… désolé Rei, je fais ça quand je veux montrer quelque chose, c’est une habitude…

Rei se trouva débile de réagir comme ça mais il ne pouvait s’en empêcher… 

-C’est moi qui suis désolé… 

Victor chassa une mouche imagnière devant lui du genre “t’inquiète pas” et les guidèrent vers le petit passage un peu plus bas dans Allison Road.

 OOO

Victor ne savait pas vraiment pourquoi il trainait Rei vers Harringay Passage, comme si c’était une nana qu’il essayait d’impressionner.

“C’était plus calme”, Victor avait dit, genre pourquoi ils avaient besoin de plus de calme au juste ? 

D’ordinaire, Victor empruntait ce passage pour aller plus vite le matin quand il prenait pas son vélo. C’était une petite allée entre les maisons victoriennes qui traversaient leur quartier de Turnpike Lane à presque Manor House. Un beau trois kilomètres où un silence relatif régnait et aussi un certaine sentiment d’intimité et d'être hors du temps. Le passage était assez large pour trois et les quelques personnes qu’ils croisaient les forcer à marcher beaucoup plus proche l’un de l’autre. Il y faisait assez sombre mais pas assez pour en devenir glauque. Rei et lui ne parlèrent pas vraiment durant le trajet, c’était comme si les trois heures qu’ils venaient de passer sur le canapé de Moïra n’avaient pas vraiment exister et cela rendit Victor un peu triste. 

A chaque fois que la mélancolie et la tristesse traversaient Victor, il ne pouvait s’empêcher de penser à son père, comme si son cerveau cherchait, dans son malheur, à s’enfoncer encore plus dans la dépression. Victor, étrangement, aimait ce sentiment, ces moments passés au fond de lui même, concentré sur la douleur de la perte soudaine de son père… car cela lui évitait de penser aux vrais problèmes, ceux qui pouvaient résoudre si il s’y penchait juste un peu, aussi douloureux étaient-ils. 

Ses vrais problèmes étaient aux nombres de trois : premièrement, l’absence de sa mère, chose qu’il pouvait peut être résoudre en arrêtant de fuire toute tentative (certe maladroite) que sa mère faisait pour communiquer avec lui. 

Deuxièmement : quoi faire après le lycée. C’était simple, il fallait juste qu’il fasse des choix et Victor avait déjà plus ou moins décidé, ça serait en musique malgré les réticences de sa mère. Mais quelque chose l’empêcher de prendre cette décision… et Victor n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Et depuis le décès de son père, il arrivait plus vraiment à jouer de la musique.

Son troisième problème était plus délicat, moins urgent mais était en train de devenir une priorité à cet instant. Victor avait beaucoup de mal de le présenter comme un problème ou même y mettre des mots dessus. Avant l’annonce de la maladie de son père, ce problème occupait la majorité de ses pensés. Ce problème tenait dans une question, un petite question : aimait-il aussi les garçons ?

Victor avait toujours aimé les filles. Il s’était masturbé la première fois en pensant à une fille de sa classe qu’il trouvait sexy, il s’était retrouvé plusieurs fois bégayant en présence de la gente féminine, il se surprenait souvent à les mater plus ou moins discrètement. Même si il fuyait la compagnie des filles en général (sauf Moïra) et se mettait à paniquer quand une se mettait à le draguer ouvertement, Victor savait qu’il aurait un jour une petite amie. 

Mais vers 16 ans, avec l’annonce de l’homosexualité de Moïra, un doute avait germé dans son esprit : est-il gay aussi ? Moira, beaucoup plus cérébrale que lui dans sa découverte de l’homosexualité, s’était mise à se documenter sur la communauté LGBTQI+ et faisait partager ses découvertes à Remzi et lui. Il avait découvert que le monde ne se résumait pas qu’à hétéro et homo, qu’il y avait d’autres identités, d’autres orientations. 

Quand Moïra leur avait dit que beaucoup de personne était homosexuel à un certain pourcentage, il avait compris que c’était peut être la réponse à sa question. Remzi lui avait réagit comme beaucoup de jeunes hommes et avait crié à l’outrage, se déclarant 100% hétéro. Victor avait préféré rester silencieux car il n’était pas sûr à quel pourcentage exactement il était lui-même intéressé par les personnes de son sexe. 

Son intérêt pour les hommes ne s’étaient pas manifesté comme une évidence, il n’avait jamais fantasmé sur un mec dans sa classe ou de son entourage. Cela avait commencé avec des acteurs ou musiciens. Souvent, Moïra se moquait gentiment de lui en lui répétant “arrête de faire ton fanboy, tu vas nous en salir ton boxer”. Puis, cette fascination pour d’autres hommes avaient commencé à atteindre sa vie quotidienne mais jamais des hommes qu’il connaissaient, toujours des inconnus dans la rue, un barman, un mec de la sécurité en face d’une boite de nuit, un homme dans la bus.... 

Victor se surprenait à les regarder un peu plus que d’ordinaire. Parfois il se réveillait en pleine nuit, hébété, un peu collant, persuadé qu’il venait de faire un rêve érotique avec une personne pas 100% féminine. 

Victor trouvait les femmes féminines belles, les hommes masculins beaux, mais il trouvait aussi attirant les hommes féminins et les femmes masculines. Ses goûts étaient si vaste que Victor avait arrêté d’y réfléchir, un peu apeuré et surtout dépassé par les événements. 

Alors, il était là, dans Harringay Passage avec Rei, à penser avec morosité à son père décédé pour étouffer ses problèmes alors qu’il aurait peut être dû se demander si Rei lui plaisait.

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Sorryf
Posté le 17/06/2020
J'ai bien aimé avoir le point de vue de Victor, plus fragile que ce qu'on imagine depuis celui de Rei.
Pauvre Rei, quel passé triste. Les scènes avec Taylor sont hyper émouvantes je trouve !
J'aime beaucoup ce petit groupe d'amis, qui s'entraident.

Par contre, je ne suis pas trop fan de la manière dont le flashback est amené par un rêve, je pense qu'il faudrait mieux y aller franco et en faire un réel flashback. C'est une préférence perso cela dit (j'aime pas trop le ressort "rêve" en fiction, donc forcément xD)
LauLCas
Posté le 18/06/2020
Merci pour ton commentaire !
Contente que le point de vue de Victor t'ait plu, effectivement il est fragile! Et Rei aussi... combo gagnant ou pas... Même moi je sais pas lol. Ah c'est génial que tu trouves les scènes avec Taylor émouvantes, c'est exactement ce que je veux mettre en avant...
Si ça peut te soulager, c'était le seul passage souvenir-rêve ! XD. Je voulais montrer que Rei est hanté jour et nuit par ce moment de sa vie.
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