Chapitre 4

À peine j'avais traversé le seuil de mon entreprise que Armitage vint me coller dans les couloirs, un café en main.

— Tu vas continuer de bosser sur ton influenceuse aujourd'hui ?

— Pas pour le moment. Je n'ai pas grand-chose sur elle et j'ai un article à finaliser avant l'impression.

Ceci sembla amuser mon collègue au vu du sourire grandissant sur son visage. Il continuait de se persuader que Rey Niima était totalement innocente, naïve, et une femme comme une autre. Sauf que si elle était autant quelconque, elle n'aurait jamais été aussi connue.

— Rey a tout de même créé une association pour le bien-être des gens. Pour leur donner une manière de s'exprimer sur des sujets comme les diverses formes de violences, l'adoption, les handicaps... Il y a forcément un sujet qu'elle aborde qui la touche. Il faut juste trouver lequel.

— Elle n'en a jamais parlé dans une quelconque de ses vidéos ?

Nous arrivâmes dans mon bureau où il me suivit. Je posai mon attaché-case sur la table, le temps de sortir mon ordinateur.

— J'ai fouillé un peu partout hier sur internet... Mais rien. Son image est lisse de chez lisse.

— Peut-être qu'elle l'est, tout simplement, affirma le rouquin en buvant une gorgée de son café.

Je refermai mon attaché-case que je posai à côté de mon bureau et m'assis sur mon fauteuil.

— J'ai pu passer un peu de temps avec elle et crois-moi, cette fille s'y connaît en communication. Et j'en ai vu des tas de gens qui avaient une part obscure, qui la cachaient super bien. Elle, c'est exactement pareil. Je peux t'assurer qu'elle peut avoir la même manière de réagir qu'un quelconque politique que j'ai pu interroger. Sauf qu'elle, elle en joue bien plus... Elle me paraîtrait presque plus dangereuse.

Il prit une dernière gorgée de son café et jeta son gobelet dans la poubelle de mon bureau. Puis un rire lui échappa avant de croiser les bras.

— Je crois que tu es en train de te persuader de ça... Parce que j'en doute sincèrement. Ce n'est qu'une influenceuse qui cartonne en ce moment, rien de plus.

— On verra. Je peux avoir ce que je veux et pour le coup, ça sera sa part obscure.

Je croisai les bras et m'avachis légèrement contre mon fauteuil.

— En effet, on verra bien...

*

À l'approche de midi, Armie revint dans mon bureau. Il y avait toujours cet air amusé sur son visage, cet air qui attendait ce moment où j'échouerais. Malheureusement pour lui, Rey était loin de n'être que mon unique occupation.

— Ça te dit japonais avec Phasma ? me proposa-t-il, assez enthousiaste.

— Deux secondes, je finis ma phrase...

Je ne levai pas les yeux de mon ordinateur, histoire de vraiment finir l'écriture d'une phrase. Ç'aurait été stupide de s'arrêter en plein milieu de celle-ci. Je l'avais fait suffisamment de fois pour me rendre compte que c'était une grossière erreur. Jamais je n'étais capable de m'en rappeler, quand bien même c'était évident.

Dès le point final de cette phrase tapé, je fermai mon ordinateur et j'enfilai mon long manteau noir par la suite. Je suivis Armie jusqu'au hall où l'on croisa Phasma.

— J'ai cru que tu nous abandonnerais encore une fois pour finir un énième article, lança Phasma, d'un ton presque moqueur.

— Probablement la prochaine fois.

Mes collègues avaient compris que j'avais vraiment du mal à sortir de mon travail en cours, surtout pendant la pause du midi. La plupart du temps, je me contentais de commander quelque chose qui se mangeait facilement et rapidement dans mon bureau. J'avais toujours du mal à mettre en pause mon travail, peut-être aussi pour ça que je n'avais pas vraiment de temps libre comme j'avais pu le décrire à Rey la veille.

Armitage entama le mouvement jusqu'au restaurant. Celui-ci se trouvait à quelques rues bondées de notre travail. Comme toujours, Armie avait été prévoyant et avait réservé une table pour nous. Même s'il ignorait si j'allais les suivre ou pas, il réservait toujours une place pour moi, au cas où.

Dès qu'un serveur nous montra notre table et qu'on s'y installa, Phasma se tourna vers moi en arquant un sourcil :

— J'ai cru entendre que tu étais sur une nouvelle affaire. Sur quelle sale histoire tu t'es lancé en ce moment ?

— Je dois surtout finaliser quelques articles... Le reste, ce ne sont que des expérimentations.

Je m'emparai d'un menu même si je savais à peu près ce que j'allais commander. Même si je ne venais pas souvent, j'y avais mes habitudes. En fait, j'avais toujours des habitudes quoi qu'il arrive.

— Ce n'est pas ce que tu disais ce matin, ironisa Armie. Finalement, tu n'as plus rien sur cette influenceuse ?

— Il faudrait d'abord qu'on se recroise pour que j'en conclue quelque chose.

— Tu t'intéresses à une influenceuse ? s'étonna Phasma. C'est assez inhabituel venant de toi, surtout quand tu disais trouver ça superficiel et hypocrite.

— Je le pense toujours, c'est bien pour ça que je m'intéresse à elle.

— Et qui est donc cette personne ? me demanda-t-elle en fermant son menu, venant de choisir son repas.

— Rey Niima. Une influenceuse lifestyle ou maquillage ou autre truc dans le genre. En tout cas, c'est probablement la plus grande influenceuse du moment.

En voyant la réaction de Phasma, je ne doutais pas qu'elle ignorait tout de cette femme. Seul Armie la connaissait un peu, mais de loin. Aucun d'entre nous n'avait jamais vraiment été fan de ce genre de contenu.

— J'ai d'ailleurs son numéro, ajoutai-je en posant mon menu à son tour. On s'est croisé hier dans un café et je l'ai suivi dans une boutique qu'elle aimait bien...

— T'es vraiment sûr que c'est pour un article ? s'enquit Phasma, un sourire en coin.

— À la base, c'était pour voir son processus créatif autour de ses vidéos. Mais elle n'était pas là pour faire des vidéos, juste se détendre. Ça m'a surtout permis d'échanger avec elle, de créer un lien pour mieux l'approcher. Et je vais probablement continuer ainsi. Elle ne se livrera pas si c'est juste pour un article à ses yeux.

— Dans ce cas-là, tu ferais mieux de sortir avec elle tout simplement.

Cette remarque de Phasma fit tout autant rire la concernée qu'Armie.

— Ce serait vraiment trop s'investir pour pas grand-chose, s'amusa le rouquin. Et puis, si jamais elle s'en rend compte, que ça se passe mal, t'auras des millions de personnes sur le dos.

— T'en fais pas, j'ai déjà des millions de personnes sur le dos. C'est ce qui est arrivé quand j'ai détruit la réputation de Michael Trayvors en révélant ses tendances pédophiles.

Cette affaire avait été excellente pour ma carrière et, en même temps, très compliquée à gérer. Pendant un moment, ma vie ne tenait vraiment qu'à un fil. Tous ces politiques et autres grandes figures étaient habitués à mes interviews où je provoquais mes invités, où je déterrais toujours de sales affaires, mais ça n'avait jamais eu cette ampleur auparavant.

Ma mauvaise réputation en avait pris un coup. Mais pour certains, ils s'étaient rendu compte que je n'étais pas qu'un enfoiré là uniquement pour énerver les gens, je pouvais être celui qui pratiquait une certaine forme de justice à leurs yeux. En réalité, je me fichais totalement de leur moral, je faisais juste mon travail...

Le serveur écourta notre discussion en prenant notre commande. Il ne fut pas étonné de voir que je commandais encore une fois la même — quand bien même je n'étais pas venu depuis bien longtemps — contrairement à mes collègues qui avaient tenté de prendre une nouveauté.

Dès qu'il nous quitta, je repensai aux propos de Phasma. Son idée de sortir avec Rey était clairement envisageable. C'était probablement le meilleur moyen de m'approcher d'elle et qu'elle baisse sa garde. Et puis, il y avait tout de même eu une certaine tension entre Rey et moi la veille, une étrange connexion par moment. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il y avait une quelconque attirance sexuelle, mais il n'y avait pas rien non plus.

— Je crois que tu viens de me donner une excellente idée Phasma.