— Tu te souviens de ce qui s’est passé pendant l’enlèvement, toi ?
Dans la salle à manger, bercée de la lumière des ampoules jaunies par le temps, à l’abri des regards des journalistes, avec la seule grande fenêtre placardée d’un carton de déménagement trouvé à la cave, Persée venait de lancer un froid sur l’assemblée. Sa mère lui intima de ne pas poser ce genre de question pendant qu’Ariane lança un regard glacial à Liz, qui n’avait pas intérêt à déblatérer la moindre idiotie. Mais au vue du sourire qu’elle abordait sur son visage stupide, elle n’allait pas avoir de chance de ce côté là :
— Oui.
— Raconte-nous ! continua son frère en ignorant les suppliques silencieuses de sa mère.
— Nous avons été enlevées par des soldats d’autres dimensions, qui nous ont séquestrées, puis nous sommes avons réussit à nous enfuir avec Ariane en passant par un miroir magique.
Silence.
Pas de bruit.
Pas de montre.
Ariane ne savait pas combien de secondes s’écoulèrent avant que Liz n’éclate d'un rire faux, mais elles étaient de trop face au mine inquiète qu’abordaient ses deux parents.
— C’est pour ça qu’on m’a enfermée en hôpital psychiatrique. conclut la jeune fille en continuant de manger son riz à la crème.
Dans un sens, l’expression horrifiée de sa mère à la mention du mot “psychiatrique” était assez pour faire esquisser un sourire à Ariane. Son frère, bien loin de se laisser impressionnée par les réponses décalées de Liz, s’empressa d’ajouter :
— Je savais qu’Ariane ne pouvait pas avoir d’ami, elle est juste dérangée.
— Oh oui, c’est ce que tout le monde me dit, que je suis folle. Mais ne vous inquiétez pas, Ariane va m’aider à retrouver ma sanité perdue. Pas vrai Ariane ?
Même Pesée ne savait plus quoi répondre à Liz, sa mère n’avait même pas eu le temps de le reprendre pour avoir insulté sa sœur. La jeune fille était simplement en train de l’emmerder tout en renvoyant l’impolitesse de sa famille et leurs questions intrusives.
— Je verrais bien… finit par lâcher la collégienne, en essayant de paraître la plus détaché de la situation possible pour ne pas faire croire à ses parents qu’elle approuvait du comportement de la petite.
— On est amie, Ariane ? Mm ?
— Comme tu veux…
Liz parut satisfaite de cette réponse et entreprit de finir son assiette en vitesse, se levant d’un coup, remerciant sa mère pour le repas et intimant à Ariane de la suivre. Au point où elle se demandait si Liz n’allait pas rester pour en faire sa propre maison. Ariane prit son assiette à moitié finie pour la déposer au frigo, suivant la petite folle jusque dans l’entrée, elle mettait déjà ses chaussures. Elle s’en va ? Bien, enfin.
— Arrête de me fixer avec cet air satisfait et habille-toi aussi !
— Je ne vais nulle part. répondit Ariane, incertaine.
— Ah si, tu me suis. Je veux te montrer quelque chose.
Ariane ne bougea pas pour autant, et Liz se mit alors à la fixer avec insistance et, voyant que son adversaire n’allait pas flancher, ajouta avec une pointe de défi :
— Je peux te montrer un chemin pour éviter les journalistes.
Sortir à nouveau ? Pour quoi faire ? Ce n’est pas comme si je sortais régulièrement avant d’être harcelée jour et nuit. songea la jeune fille avec une pointe de scepticisme. Peu importe ce qu’elle dira, la petite continuera de la tanner jusqu’à ce qu’elle accepte.
— D’accord…
— Super. Mets tes chaussures, on sort par la porte du garage.
Liz était venue uniquement pour lui donner des ordres et choisir à sa place… Bien, elle n’aura qu’a jouer le jeu jusqu’à ce qu’elle s’en lasse et qu’elle ne réalise qu’il n’y a plus aucun espoir. Ariane entreprit de mettre ses bottes marrons, les mêmes qu’elles avaient aux pieds lors de son voyage dans le monde magique, et se dirigea vers la porte de la cave. Elle descendit les escaliers sans allumer la lumière par habitude, se glissant entre les différents cartons entassés de part et d’autres du chemin. La jeune arriva devant la porte du garage et l’ouvrit, se glissant dehors. Le vent frais du soir vint se plaquer contre son visage, l’odeur de la forêt la rassurant.
— T’es rapide ! J’ai faillit te perdre de vue ! C’est par là !
Liz la dépassa pour l’emmener derrière la haie de sa maison, entraînant Ariane en lui tirant la manche entre les branchages qui s’enfonçaient dans ses côtés avant de se briser net. Ses parents n’entretenaient pas la végétation du jardin, une perte de temps à leurs yeux ; les haies avaient finit par grandir bien plus que prévu.
— Voilà ! Fait attention à ta tête !
La petite se glissa dans une faille du grillage qui les séparaient du jardin de leurs voisins. Un trou assez grand pour la faire passer, et pour être remarqué. Ariane en était sûre : elle n’existait pas dans son monde, sinon, elle s’en serait servie pour… Oh c’est vrai… Elle ne sortait pas… La jeune fille se pressa contre la terre humide, sentant les pics lui rentrer dans le dos, son sweat restant coincé.
— Arrête de forcer ! s’exclama Liz en libérant sa capuche. Voilà ! Allez vient !
— Moins fort. souffla Ariane plus bas. Il ne faut pas que les voisins nous voient…
— Pourquoi ? Ils sont dangereux ? ricana la petite, peu impressionnée.
— Non… Mais ils ont un gros chien.
— Quoi ?
La petite pâlit à vu d’œil et tira la manche de la plus grande pour l’emmener rapidement vers la porte arrière du jardin, celle qui menait vers la forêt, où est-ce qu’elle allait ? Il allait bientôt faire nuit, la pénombre dans la forêt était quelque chose qu’il fallait absolument éviter. Mais sa camarade était bien loin de se laisser impressionner par les bêtes sauvages, peut-être bien plus effrayée par le Bouvier bernois des Lennions.
— Où allons-nous ? finit par demander Ariane après quelques minutes de marche dans la forêt, sans savoir le temps exacte qui s’était écoulé et le froid lui léchant la peau.
— Tu verras ! Allez marche ! On y est bientôt !
— Il va faire nuit, tu sais ?
— Encore mieux !
Ariane devait rester calme, si elle s’énervait et laissait la jeune fille plantée au milieu des bois, ses parents l’enfermeraient dans sa chambre pendant au moins une semaine. Enfin, ses vrais parents… Ceux-là seront sûrement bien plus indulgent et tenteront de raisonner leur fille à coup de discours sur l’amour et la paix. Peut-être que l’expérience de Liz les aura convaincu qu’elle aussi, avait besoin de se faire interner pour retourner à une vie sociale normale.
— On est arrivées ! s’écria Liz bien trop fort en se mettant à courir.
Surprise, Ariane dut la poursuivre pour ne pas la perdre de vue. Elles étaient arrivées… Au lac d’Ambre… Sauf qu’il n’y avait plus une seule goutte d’eau à l’intérieur, et à la place s’étendait un renfoncement tapis de goudron et des infrastructures colorées de sport destinés aux jeunes.
— Tu as vu ? Dans ce monde, ils ont construit un skatepark à la place du lac. C’est les parents de Maï Rose qui ont lancé le projet après… Voilà. C’est pour ça que j’ai réussi à trouver un article dessus.
Autours se trouvaient toujours les nombreux arbres rayonnant de printemps, les fleurs qui ont refermés leurs pétales au coucher du soleil. Ariane pouvait apercevoir des silhouettes en contrebas, munis de téléphones portable servant de lampe torche. Des enfants rebelles qui devraient dormir au lieu de jouer la nuit dans un endroit comme celui-ci.
— On a fait tout ce chemin pour que tu me montres… Ça ?
— Ce n’est pas que “ça”, Ariane, c’est encore une preuve qu’on n’est pas dans le bon monde, voir même, qu’on est dans un meilleur monde.
— Tu appelles un monde où Maï Rose est morte, meilleur ?
La petite se tourna vers elle, les sourcils relevés, la bouche ouvert comme pour se justifier, sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche.
— Pardon…
L’expression de pitié qui se dessinait sur son visage créa une boule dans la gorge d’Ariane, elle ne voulait pas être prise en pitié, surtout par quelqu’un d’aussi vulgaire, sans considération et sans jugement que Liz.
— Je ne voulais pas dire que le monde était meilleur sans elle, mais… Que sa mort ici, à entraîner des décisions qui ont radicalement changé la vie de certaines personnes. Tu ne te rappelle pas du petit Léo ? Qui a bu la tasse dans le lac et est mort d’un empoisonnement ? Il est vivant, grâce aux parents de Maï Rose, grâce à elle.
— Je n’en ai rien à faire d’un enfant, je préfère avoir ma meilleure amie vivante avec moi.
Liz, pour la première fois depuis son arrivée, aborda une expression peinée.
— Pourquoi tu es comme ça ?
— Comme quoi ? Que je préfère mes amis à des inconnus ?
— Non, non, pourquoi tu aimes autant Maï Rose ? Ce n’est pas pour être cruelle, mais tu n’es pas le type de personne que je verrais être amie avec une fille aussi gentille et joyeuse qu’elle. Pourquoi elle t’apprécie alors que toi, tu n’es pas capable de voir la moindre bonne chose chez les autres ?
Ariane serra les poings, quelle question. Une question à laquelle elle connaissait déjà la réponse.
— Je l’ai… Aidé à surmonter le traumatisme de sa noyade…
— Et c’est tout ? Ça a suffit à ce que vous deveniez amies d’un coup ?
— Je l’ai protégée contre ses harceleurs…
— Mais encore ?
— Mais qu’est ce que tu veux que je te dise de plus ? J’ai vraiment besoin de justifier mon amitié avec elle ?
— Je sens juste que tu ne me dis pas toute la vérité.
Elle fit un petit geste vers sa tête, puis vers elle.
— Tu me caches quelque chose, et je le sais. J’ai un don pour ça.
— Je ne cache rien.
— BEP mensonge. s’exclama Liz si fort qu’elle en sursauta. Essaie encore. Je sais que tu me mens.
Cette bouille ronde horripilante allait finir par être abandonnée au lac d’Ambre très rapidement si elle continuait à fourrer son nez dans les affaires des autres.
— A quoi ça te sert de me mentir ?
— Pourquoi ça t’importe autant de le savoir ? Ce n’est pas important.
— C’est important ! Je veux être sûre que tu es une bonne personne ! Et que Maï Rose n’était pas simplement une petite poupée manipulable pour toi !
Qu’est ce qu’elle dit ? fuma Ariane de rage, elle ? Considérer sa meilleure amie aussi vulgairement ? Non. Elle avait toujours été là pour elle, même dans les moments les plus difficiles, surtout dans les moments de honte et de douleur.
— Parce qu’elle n’est pas tombée dans le lac ! Elle a sauté.