Cela faisait quelques minutes que la voiture s'était arrêtée devant l'établissement privé. Le préau extérieur grouillait de monde et Gabriel était loin de se sentir à l'aise. Il ne put s'empêcher d'ajuster sa capuche et de se renfrogner dans son siège. Peut-être que s'il s'enfonçait suffisamment, il pourrait disparaître complètement.
À sa gauche, il pouvait sentir le regard insistant de sa mère. Cette dernière était particulièrement silencieuse. Gloria ne le pressait pas. Il était difficile pour elle de le voir si anxieux. Si elle avait réagi plus tôt, il n'aurait pas autant de mal avec le monde qui l'entoure. Elle s'en voulait beaucoup.
- Tout va bien se passer, mon ange, tenta-t-elle de le rassurer malgré tout. Tu vas te faire plein d'amis, tu verras.
Gabriel en doutait beaucoup. Son visage n'était pas assez lisse et naturel pour attirer qui que ce soit à moins de 5 mètres. Il resserra sa prise sur son sac et prit une profonde inspiration. Son regard parcourut les arbres et les fleurs qui entouraient le lycée. Il n'avait plus l'habitude de voir une telle végétation en dehors du jardin de sa mère. Cela faisait des années qu'il n'était plus sorti pour autre chose que des dîners en famille. Il ne se sentait plus en phase avec la réalité. Il y avait beaucoup trop de jeunes gens de son âge.
- Tu veux que je t'accompagne ?
Il était tenté de répondre par l'affirmative mais il répondit d'un geste négatif à la place. S'il venait à être accompagné de sa mère, il risquerait d'attirer encore plus l'attention. Sa main trouva la poignée qu'il déclencha avec hésitation. Il ne s'agissait que d'une matinée après tout.
Les yeux rivés sur le sol, il entama des premiers pas dans ce monde qu'il avait quitté, traumatisé, quelques années plus tôt. Il fit un simple signe de la main à sa mère. S'il croisait son regard, il risquait de revenir se réfugier dans ses bras et il voulait à tout prix éviter d'en arriver là, surtout entouré de cet entourage méprisant.
Dehors, il faisait plus frais qu'il ne le pensait. Il réajusta sa capuche puis analysa son environnement. Les panneaux d'affichage étaient à quelques mètres de là où il se trouvait. Par malheur, il croisa le regard d'un groupe de filles. Sans plus de cérémonie, son attention revint sur ses converses immaculées. C'était le seul présent qu'il avait accepté de sa mère pour la rentrée. Pour l'instant, il avait passé plus de temps à les observer qu'à évaluer les alentours.
Il se dirigea rapidement vers les listes et jeta un rapide coup d’œil pour trouver son nom et la salle. Quand l'objectif fut atteint, il ne perdit pas plus de temps pour entrer dans l'établissement. Gabriel fut étonné de constater l'espace intérieur. Il pensait le lycée plus petit et contraignant. En réalité, la décoration se rapprochait plus du moderne et du contemporain que de l'ancien poussiéreux auquel il s'attendait.
Les murs étaient blancs et gris, apportant de la luminosité et de la chaleur à la pièce. Il y avait des chaises et des poufs de différentes couleurs qui égayaient les lieux et les rendaient plus chaleureux. Il n'avait jamais vu un lycée aussi propre. Pour le jeune homme, sa vision de l'école n'était constituée que de brèves images négatives aperçues dans les séries américaines. Il avait l'impression d'entrer dans un nouvel univers. Il pourrait bien se plaire ici, se dit-il. L'espace était suffisamment grand pour accueillir du monde. Il suffirait qu'il se terre dans un coin de la salle et qu'il attende que le temps passe.
Gabriel quitta ses contemplations pour suivre avec discrétion un groupe de jeunes gens. En passant, il vérifia le numéro inscrit sur les portes. Il ne mit pas longtemps à tomber sur sa classe. Une bonne partie des élèves se trouvaient déjà à l'intérieur ce qui fit ralentir sa progression. Il était sur le point de faire marche arrière quand il croisa le regard de la professeure. Elle l'intima à entrer d'un simple sourire.
Madame Pervenche se rendit compte qu'il devait s'agir du nouveau lycée quand elle vit son visage si particulier. La capuche ne cachait rien de la marque qui enlaidissait ses traits et, si elle parut choquée aux premiers abords, elle s'en accommoda rapidement. Elle ne voulait pas le rendre plus nerveux encore. Sa cicatrice n’était pas le résultat d’un accident. La marque parcourait son visage de part et d’autre, et l’incision fine racontait une histoire plus tragique que celle d'un simple accident.
- Monsieur Anderson, il est interdit de porter la capuche à l'intérieur de l'établissement.
La professeure de littérature avait lu son dossier. Depuis le collège, le jeune homme recevait des cours par correspondance. Et elle en déduit que la cause de cet isolement provenait de son visage. Elle savait à quel point des élèves pouvaient se montrer cruels quand il était question de différences. Elle se concerterait avec les autres professeurs pour garder un œil tout particulier sur ce nouvel arrivant, pensa-t-elle. Ce genre de jeune avait besoin qu'on le pousse vers le haut et non vers le bas.
Elle le vit triturer les cordons de son pull avant qu'il ne daigne baisser sa capuche. Sans le tissu qui masquait ses joues, l'entaille était bien plus impressionnante. Cette manœuvre sembla déclencher un élan de panique chez ce jeune étudiant qu'elle tenta de rassurer avec de simples mots :
- Bienvenue dans cette école.
D'habitude, elle obligeait les nouveaux arrivants à se présenter mais elle fit une exception pour cette fois-ci. Madame Pervenche ne voulait pas l'accabler davantage. Elle l'invita donc à s'asseoir à une table laissée vide en face de son bureau.
Le cœur de Gabriel était sur le point de s'arrêter tant la pression était énorme. Il pouvait sentir leurs regards, pire encore, leurs jugements. Toute la conviction qu'il s'était forgée quelques minutes plus tôt commençait à s'effriter. Pour lui, rien n'avait changé. Il redoutait déjà l'heure de la pause. Histoire de se protéger de la curiosité d'autrui, il remonta un peu plus le col de son pull. C'était un besoin presque maladif chez lui. Il aurait voulu devenir invisible aux yeux des autres mais ses cicatrices le faisaient apparaître comme un fard en pleine nuit, on ne regardait que lui au final, et pas pour l'admirer malheureusement.
Durant l'heure qui suivit, il ne releva pas le visage de sa table. Il avait sorti quelques affaires comme les autres jeunes gens présents dans la salle mais il n'avait pas touché une seule fois ses crayons. Il n'avait pris aucune note. Il attendait visiblement que le temps s'écoule pour qu'il puisse enfin rentrer chez lui et ne plus jamais revenir. Il savait que cela avait été une mauvaise idée.
Quand la professeure proposa une pause, le jeune homme se renfrogna un peu plus sur sa chaise. Il priait pour que personne ne vienne l'aborder. D'une certaine manière, il espérait que son visage refoule quiconque venant faire connaissance pour x-raison. Gabriel entendait leurs messes basses, et il ne voulait en aucun cas subir une interrogation ou pire, leurs moqueries concernant son apparence.
Pour se distraire de toutes ces pensées négatives, Gabriel sortit son téléphone pour voir si sa mère lui avait envoyé un quelconque message. Malheureusement, son écran de verrouillage ne renvoyait qu'un arrière-plan sombre, accentuant l'heure encore plus. 10h06. Il faillit soupirer en observant les chiffres mais s'en abstient : il ne voulait pas attirer l'attention. Son pouce glissa sur l'application Candy crush sur laquelle il essaya d'oublier l'endroit où il se trouvait. Il ne parvint pas à se détendre complètement, mais le jeune homme se tenait un peu moins sur ses gardes. Quand il atteignit un nouveau niveau, il entendit quelqu'un s'éclaircir la gorge ce qui lui fit automatiquement relever la tête.
Ses yeux bleus rencontrèrent une petite rousse aux formes volumineuses. Elle semblait quelque peu intimidée par sa présence mais cela ne l'empêcha pas de prendre son courage à deux mains pour lui poser la question que tout le monde se demandait :
- Comment tu t'appelles ?
Il vit son regard s'attarder un instant sur la marque qui ruinait son existence avant de revenir sur ses propres mains. Face à ces simples mots, Gabriel oublia pendant un instant son prénom. D'habitude, les gens qui ne possédaient aucun tact l'interrogeaient sur sa cicatrice. Il n'avait plus l'habitude d'aborder de simples sujets de discussion en présence d'inconnu. Il en était dérouté. Il ouvrit la bouche puis hésita. Et si c'était un plan pour se moquer ? Elle avait l'air gentille à première vue mais il n'était plus sûr de rien depuis que son meilleur ami l'avait laissé tomber pour des gamins à l'apparence normale.
Devant ce silence, la jeune fille ne savait plus où se mettre. Elle avait l'impression d'être complètement ignorée par le nouveau. D'ailleurs, elle hésita à retourner s'asseoir au fond de la classe. Alors qu'elle était sur le point de s’exécuter, elle entendit la voix grave de son camarade de classe :
- Gabriel.
Il n'osa pas lui demander son prénom. Le fait qu'il lui ait répondu était déjà une prouesse pour le jeune homme. Cela faisait des années qu'il ne s'était plus adressé à des inconnus. Il avait perdu la main avec ce genre d'échange social. Il s'inquiétait de la tonalité employée et de l'expression de son visage. Il ne voulait pas se montrer plus repoussant qu'il ne l'était.
- Je m'appelle Charlotte.
En entendant sa réponse, il se dit qu'il n'avait pas complètement tout gâcher. Il se permit même de la regarder quelques secondes afin d'imprimer les traits de son visage couvert de taches de rousseurs. Avec cette simple action, il eut peur de l'effrayer. Elle pouvait mieux voir son visage. Il fut perturbé de ne voir aucune trace de dégoût à son égard. Sa cicatrice n’existait plus.
La lycéenne avait compris qu'il complexait par rapport à cette profonde marque, tout comme elle complexait par rapport à ses formes. Charlotte espérait trouver en lui un ami en qui elle pourrait se confier, sans jamais craindre qu'il ne se moque de ce corps qu'elle maudissait. D'habitude, elle serait restée sagement dans son coin mais pas cette fois. La détresse qui émanait de lui la poussait à sympathiser.
Gabriel, quant à lui, ne savait plus où se mettre. La proximité de la jeune fille le mettait mal à l'aise. Il ne comprenait pas pourquoi elle l'avait approché en premier lieu. A vrai dire, il cherchait ses mots. Heureusement, la professeure mit fin à ce silence pesant en annonçant la reprise du cours. Charlotte rejoignit sa place et son camarade reprit la contemplation de sa table. Sans qu'il ne s'en rende compte, l'ébauche d'un sourire prit possession de ses lèvres jusque-là gelées par le passé.
- Gabriel, rangez-moi ce téléphone, le gronda gentiment Madame Pervenche.
Les joues rouges, il remit l'appareil dans sa poche. Il se trouvait en territoire inconnu, il ne devait pas l'oublier. Ses traits reprirent le masque de l'indifférence et son regard s'accrocha à l'horloge. Il pouvait bien survivre une heure de plus.
Elle a l'air adorable, ça va lui faire beaucoup de bien de rencontrer une personne comme elle. J'imagine à peine la réaction des parents si elle vient chez lui un jour...:D
Merci pour ce commentaire, à bientôt !
En tout cas, j'aime beaucoup le fait de découvrir les "premières fois" à travers les yeux du protagoniste! On se met bien à sa place, on comprend ses émotions, et c'est fluide! Bravo! Hâte de lire la suite!
J'aime bien ton style, la façon dont tu passes d'un personnage à l'autre est très fluide, T u fais bien comprendre ce que le héros ressent...
Gabriel ne se résume pas seulement à sa cicatrice et Charlotte sera l'une des premières à s'en rendre compte. D'autres suivront son chemin... ^^