Chapitre 4

Les jours qui ont suivi notre emménagement ont été propices à la découverte et au tourisme.

Mathieu est déjà venu une fois à Paris avec ses parents lorsqu'il était enfant, alors que moi jamais. Je ne connais la ville qu’à travers la série Emily in Paris, qui, soit dit en passant, met un sacré coup à l’égo parisien et à tous ses clichés que j’adore tant. Du coup, dans notre périple, nous avons fait tous les lieux touristiques que l'on a pu. De la tour EIFFEL, en passant par les Champs Elysées jusqu’au Sacré Cœur, nous nous sommes tout de même attardés pour une visite d'une partie du Louvre. C’est un endroit gigantesque mais j’avoue avoir été déçue par l’attraction inévitable du musée : Mona Lisa. Ce tableau que l’on imagine énorme est en réalité à peine plus grand que mon écran d’ordinateur, pour vous dire. Et puis la file d’attente pour y arriver est interminable. C’est à croire que tout le monde veut sa photo avec le tableau le plus célèbre de Léonard de Vinci. 

L’avantage non négligeable de ces journées, est qu’elles m’ont permis d'être reconnaissante d'avoir pu trouver un appartement près de la fac, nous évitant ainsi les transports en métro tous les jours. Je crois que je n'avais jamais vu autant de personnes agglutinées dans un même petit espace. Moi qui aie rarement pris le bus, puisqu'on se déplaçait à vélo avec Mathieu avant d'avoir nos permis, c'était pour moi le baptême du dégoût. C’est un melting pot d’odeur invraisemblable cet endroit : urine, tabac transpiration... C'est pourquoi, après plusieurs essais pour devenir de vrais petits « bobos » avec Mathieu, nous nous sommes mis d’accord pour faire nos promenades à pied. Grâce à cela, nous avons découvert de jolis petits coins isolés mais tellement charmants et surtout vides de monde. Il n’y a pas à dire, Paris ça remue.

Ces quelques jours ont aussi été l'occasion de découvrir les alentours de l'appartement. Avec la fatigue de la route, la première impression que m’avait laissé le quartier n’était ni bonne ni mauvaise, seulement après avoir fait le tour de Paris, je suis reconnaissante que notre rue soit en fait un cul-de-sac, minimisant ainsi le passage aux simple habitant des immeubles environnants. Bien sûr, nous ne sommes pas dans la plus belle ruelle de la ville mais c’est déjà énorme que l’on ne soit pas entassé dans un campus avec sa chambre de 14 m2 à partager à deux. Enfin, avec Mathieu, nous avons eu l’agréable surprise de découvrir qu’à quelques mètres de chez nous il y a un parc assez grand pour aller courir, se promener ou simplement étudier. Quand j’y ai mis les pieds, j’ai eu comme l’impression d’avoir quitté Paris tellement l’endroit était calme et apaisant avec ses grands chênes et ses bancs en bois disposés aux quatre coins. Cela m’a rappelé le jardin de mes grands-parents dans lequel je passais mes étés à bouquiner sous le vieux Saule Pleureur.

Un soir, alors que nous attendions l’ascenseur, nous sommes tombés nez à nez avec notre voisin de palier, Jonathan, que nous avons convié à un apéritif pour faire plus ample connaissance. Après quelques verres que nous avons appris qu’il passe en deuxième année de médecine et, de façon très sympathique, il en a profité pour me donner quelques conseils pour l’année à venir. C'est toujours intéressant de savoir que j'ai quelqu'un sur qui m’appuyer en cas de problèmes. Comme je m'y attendais, il m'a conseillé de tenir bon, car la première année est un peu comme « une jungle à traverser ». Cela a beaucoup faire rire Mathieu, qui en a profité pour glisser que dans une émission comme Koh-Lanta, je serais la première à sortir. Pff, qu’il peut être bête parfois !

Pendant les jours qui ont suivi, nous avons passé pas mal de temps tous les trois et je dois admettre que Jonathan est un assez beau garçon, ce qui rend sa compagnie plutôt plaisante. Pour vous la faire courte, il est châtain et de taille moyenne. Oui, du haut de mon mètre cinquante-six tout le monde est soit moyen, soit grand à mes yeux. Il paraît bien musclé à travers son t-shirt moulant et ses pupilles sont d’un marron sombre, ce qui lui donne un côté énigmatique. Ce qui me fait le plus craquer, ce sont ses lunettes carrées qui lui donnent un côté intello. Pourtant cela n’a jamais fait partie de mes fantasmes.  

Même cette agréable rencontre n’a pu m’ôté de l’esprit bien longtemps toute cette histoire avec mes frères. J'ai beau réfléchir encore et encore, je ne vois pas de bonnes façons de procéder pour les approcher. Plus les heures passent, plus cela devient une obsession dans mon esprit et plus je me fais tout un tas de scénarios.

Nous sommes tranquillement installés sur le canapé face à Netflix, mais je suis incapable de dire qu’elle série nous regardons. En fait je ne me souviens même pas avoir participé au choix, j’ai l’esprit bien trop embrouillé. Me connaissant, Mathieu a dû proposer quelque chose et j’ai répondu « oui » machinalement comme de toute façon toutes mes préoccupations vont ailleurs.

- Arrête, c’est vraiment stressant, m’interpelle Mathieu sans détourner son regard de la télé.

J’ignore de quoi il parle jusqu’à ce que je me rende compte que je suis en train de me ronger les ongles. C’est une manie chez moi que Mathieu a toujours détestée. En soi, ce n’est pas le fait que je me retrouve avec des mains toutes moches qui le gênent, mais plutôt le bruit qu’il trouve agaçant.

- Tu penses encore à tes frères ?

Je ne suis que peu surprise qu'il m'ait percé à jour. Je me contente de hausser les épaules en guise de réponse et de faire la moue.

- Je te connais, Cara, depuis que l’on est petit tu n’as eu de cesse de me parler de Paris, de tes frères et de ces retrouvailles que tu espères tant. Et bizarrement, depuis notre arrivée, tu n'as jamais ouvert le sujet, dit-il d'un ton inquisiteur. Qu'est-ce qui te tracasse ?

Je ne le pensais pas aussi observateur. Comme quoi, même après des années on peut toujours se laisser surprendre par les personnes qui nous entourent.

- Eh bien, je suis un peu perdue, je crois, avoué-je en triturant mes doigts. Je me pose tellement de questions et il y a une multitude de scénarios qui tournent dans ma tête et je suis complètement perdue. Seulement, tu imagines s’ils me rejettent tous les deux. Qu’est-ce que je fais, moi, s’ils se moquent de moi, qu’ils m’humilient ? Ou pires, s’ils se rangent du côté de notre père et qu’ils refusent tout contact ? Je finis par me dire qu’un rêve de gosse devrait peut-être rester ce qu’il est : un rêve.

Mathieu s'approche de moi, me prend les mains et plonge son regard dans le mien.

- Cara, je sais que tu attends ce moment depuis des années et je n'imagine pas un seul instant ce que tu peux éprouver, mais il y a certaines choses dont je suis sûr. La première, c'est que tu es une femme incroyable. Malgré ce que tu as enduré, tu es généreuse, joyeuse et attentionnée et tous les jours je suis reconnaissant d'avoir été celui qui t'a guidé jusqu'à ta classe de CP permettant ainsi une si belle amitié. Si j'avais dû avoir une sœur, je l'aurais voulu à ton image. Deuxièmement, ne crains pas d'essuyer un échec, après tout rien n'arrive facilement. Sois toi-même et ils t'aimeront, j'en suis sûre.

Il a dit tout cela si calmement que je sens mes pulsations cardiaques redescendre lentement. Il est incroyable mon Mathieu, il a toujours su trouver les mots justes sans jamais me juger.

-N'essaye pas d'en faire trop ou de trop anticiper, conseille-t-il sincèrement. Souviens-toi que Nate ne t’a pas vu depuis des années et Simon lui ne t'a carrément jamais vu. Cela va être un choc pour eux aussi, d'autant que tu ne sais pas comment tu as été présenté à eux.

C'est vrai que j’ai tendance à l’oublier mais on est trois dans cette histoire. D'un côté, ils ont l'avantage d'avoir noué des liens tous les deux, de l'autre, j'ai celui d'avoir eu de leurs nouvelles toutes ces années. Mes grands-parents s'étaient toujours bien gardé de me dire si mes frères entendaient parler de moi.

Après cette discussion avec Mathieu, je me sens plus légère et je décide de prendre du recul concernant mes attentes. Le destin ne nous a pas été favorable jusque-là mais peut-être, faut-il s'en référer à lui pour la suite.

Le mieux est de laisser le temps au temps et qui sait peut-être que tout cela se fera naturellement.

Je décide de laisser Mathieu devant la télé et c'est avec une énergie nouvelle que je prépare mes affaires pour le lendemain. Je veille à ce que tout soit prêt et organisé, comme à mon habitude. Il y a déjà beaucoup d’impondérables dans cette rentrée, pas la peine d’en rajouter en oubliant des feuilles ou des stylos. Après une bonne douche, j’ai les idées plus aux claires et je suis détendue.  C’est avec une certaine légèreté que la soirée se déroule et je me surprends même à m’endormir rapidement.

 

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