Chapitre 4

  Elerinna fut la première à briser le silence qui pesait maintenant depuis une dizaine de minutes dans la pièce à vivre.

- Maman...Je...Je ne sais plus quoi faire...

- Oh ! Mon petit flocon...Fit sa mère en se précipitant vers elle, la gorge nouée. Je suis tellement désolée.

- Pourquoi maman ? Tu n'as rien fait ! Ce n'est pas ta faute ! Lui souffla Elerinna en l'enlaçant. Les larmes aux yeux.

- Je suis désolée parce qu'en tant que mère je n'ai pas su te préparer à ce poids et pourtant, je te l'ai imposé en te révélant aux yeux de tous.

- Maman ! Tu ne m'as rien imposé ! La vérité aurait éclaté d'une manière ou d'une autre. Au contraire, je suis contente que tu m'aie présentée au monde telle que j'étais réellement car désormais j'aurais le choix. Sans cela, Falathar aurait eu la mainmise sur mon pouvoir et je ne voudrais pas médire de l'un de nos grands sages mais Falathar est un homme de pouvoir... pas de sagesse. C'est un grand stratège et un valeureux guerrier mais il ne comprend pas l'amour qui lie une mère à son enfant et tous les sacrifices que cela demande.

- Merci ma chérie. Je sais que tu es perdue mais tu ne dois pas te laisser influencer. Milglia l'a dit, quel que soit ton choix, nous le respecterons qu’il s’agisse d'eux ou nous.

- Mais après...Si on me regarde de travers ? Si on me juge parce qu'on estime que j'ai fait le mauvais choix ?

- Depuis quand ma curieuse petite hermine se soucie-t-elle du regard des autres ? Cela ne te dérangeait pas lorsque tu n'étais encore qu'une enfant. Sourit Tylline, une lueur de malice dans les yeux.

- C'est vrai. Sourit la jeune adulte en retour. Le problème c'est que c'est ici que j'ai grandi, c'est ici que se trouve ma vraie famille, mes racines. Je vous aime tous inconditionnellement et je ne veux pas vous perdre mais d'un autre côté, je rêve depuis que je suis toute petite de voir de mes propres yeux ce monde au delà de la barrière et ça me fait mal de devoir choisir. Je n'en ai pas envie...Je veux pouvoir faire les deux. Termina-t-elle enfin, la gorge serrée par l'émotion.

- Ma petite perle...Quoi que tu fasses, tu ne perdras jamais l'affection des elfes de ce village. Et tu sais pourquoi ? Parce qu'au fond de nous, on sait que face au poids que tu endure, chacun d'entre nous aurait choisi d'aller explorer le monde. Et je peux t'assurer que si tu fais l'autre choix, les élus ne t'en voudront pas non plus car eux aussi ont un foyer qu'ils ont dû quitter et savent ce que cela fait de devoir s'en séparer. Alors tu vois ma fille, quoi que tu choisisses, il n'y a pas de bon ou de mauvais choix et personne ne t'en tiendras rigueur. Expliqua Tylline avec fermeté.

- D'accord maman...Renifla Elerinna, ravalant une boule de sanglot qui la prenait à la gorge. Tu veux bien me chanter la comptine des êtres de feu ? Comme quand j'étais petite ?

- Bien sûr ma puce. Sourit Tylline avec tendresse.

  Et alors qu'Elerinna posait sa tête sur les genoux de sa mère, cette dernière se mit à fredonner la comptine demandée par sa fille tout en caressant sa longue chevelure blonde.

  Elles restèrent ainsi un moment puis Elerinna, souhaitant continuer sa journée comme si de rien n'étais, se leva pour aller cueillir des herbes médicinales et ainsi continuer son travail de guérisseuse. En effet, même si Lulla lui avait assuré que tous les anciens du village seraient pris en charge par ses consœurs et confrères, Elerinna voulait continuer à s'améliorer, encore et encore.

  Elle se rendit donc à la hutte des anciens et commença malgré les protestations de ses aînés à prodiguer les soins du quotidien. Au final, ils décidèrent de la laisser tranquille. Après tout, Elerinna avait cette capacité à se plonger dans son travail en oubliant tout ce qui se trouvait autour. Potions, cataplasmes, massages, onguents, Elerinna enchaîna les traitements avec une discipline quasi-parfaite.

  Finalement, après quelques heures de dur labeur, la jeune elfe décida de se poser au milieu d'une clairière pour se restaurer.

  Elle inspira une grande bouffée d'air frais puis lâcha un profond soupir de soulagement : Elle était enfin seule !

Alors qu'elle buvait doucement sa soupe de légumes, Elerinna entendit une branche craquer derrière elle. Comprenant qu'elle n'était plus seule, Elerinna fronça les sourcils de mécontentement en espérant qu'il ne s'agissait de personne d'autre que Delvaar.

Elle tourna la tête afin de regarder par-dessus son épaule et fut soulagée de constater qu'en effet, la personne qui se trouvait là n'était rien d'autre que son meilleur ami d'enfance.

- Bien le bonjour messire-de-la-boue ! Le taquina-t-elle. Que me vaut l'honneur de votre visite ?

- Bien le bonjour à vous aussi dame-limace. Rien en particulier si ce n'est le plaisir de nos discussions.

  Les deux amis s'esclaffèrent avant de s'asseoir ensemble au centre de la clairière.

- Alors ? Demanda Delvaar. Tu sais ce que tu vas faire finalement ?

- Non...Grogna Elerinna. Parfois je me dis que j'aimerais juste pouvoir faire les deux. Vous aider et partir à l'aventure...Ce serait juste un miracle de pouvoir éviter ce choix...se plaignit-elle ensuite.

- Et bien si on y réfléchit...énonça prudemment Delvaar. En théorie c'est tout à fait possible. Regarde : si tu sors, et que tu explores le monde tu découvriras forcément des herbes médicinales que tu pourras faire sécher et nous envoyer sans parler des denrées alimentaires dont la conservation reste simple. Il suffit que tu te balade avec l'un de nos pigeons voyageurs !

- Et comment ferait le pigeon et le chargement pour passer la barrière ? Demanda Elerinna sceptique

- Consulte les dieux : je suis sûr que Deliarra et Folliera t'accorderont une séance. Les dieux nous ont peut-être punis nous mais pas les animaux. Ils peuvent bien faire une exception pour un pigeon non ? Rigola le jeune homme.

- Mouais je veux bien essayer mais le truc c'est que tu vas quand même me manquer si je pars... protesta Elerinna en faisant la moue.

- Hey ! Je t'interdis de rester à cause de nous : tu as la vie devant toi Elerinna et on t'offre l'opportunité d'en faire ce que tu veux. Quel que soit la distance on restera amis et si cette histoire de pigeon fonctionne, on s'enverra des lettres !

- Merci Delvaar. Sourit Elerinna, sincèrement reconnaissante. Je file chez les prêtresses. Si on veut voir les possibilités de réussites de ton plan, autant que ce soit maintenant. Tu veux m'accompagner ?

- Je te rappelles que je suis toujours banni du temple de Folliera et Deliarra pour avoir gâché leur messe il y a de cela dix ans. Ricana Delvaar. Et puis je dois continuer l’entraînement avec mes aînés cet après midi.

- Je vois alors à plus tard monsieur le blasphémateur ! Se moqua Elerinna en s'éloignant.

- A plus miss laideron ! Répliqua Delvaar, le sourire aux lèvres.

  Le jeune soldat regarda son amie s'éloigner puis laissa tomber son sourire. Pourquoi devait-il l'exhorter à partir lorsqu'il n'avait qu'une envie c'était qu'elle reste ? Pourquoi était-il incapable de lui avouer que cela faisait longtemps que son amitié s'était muée en sentiment plus fort ? Le jeune elfe lâcha un petit soupir de découragement puis se dirigea vers le camp d'entraînement afin d'y rejoindre ses aînés.

  Pendant ce temps là, Elerinna courait à en perdre haleine en direction du temple. En la voyant Arriver, Folliera et Deliarra s'avancèrent jusqu'aux portes de leur temple :

- Elerinna ? Que fais-tu ici mon enfant ?

- Je suis venue consulter les dieux...J'ai peut-être trouvé le moyen de réunir les deux propositions qui s'offrent à moi...

- Viens entre. Nous allons voir si les dieux veulent bien te parler.

  Elerinna suivit donc les prêtresses jumelles jusqu'au fond du temple. Là, se trouvait une petite pièce sombre sentant la sauge. Prise à la gorge par la puissante odeur des herbes, Elerinna fit une petite moue et ne put retenir une légère toux.

- Je sais que ce n'est pas très agréable mais c'est important de nous purifier pour entrer en contact avec les dieux. Expliqua Deliarra.

- Je comprends. Acquiesça Elerinna.

  Une fois assises sur les coussins de la pièce, les deux prêtresses invitèrent Elerinna à s'agenouiller sur celui restant face à elles.

  Pendant quelques minutes Folliera psalmodia des chants sacrés pendant que Deliarra récitait les prières pour initier et activer le lien en elle. Puis, un silence, soudain, pesant mais sacré. Les yeux de Folliera s'illuminèrent tandis qu'une voix paraissant venir de l'au-delà sortait de sa bouche :

- Elerinna Ferilliane Malgya. Née elfe de glace, fille d'Oilossë. Les dieux sont prêts à vous entendre. Accueillez dans le corps de votre semblable, Ginshi, la déesse de l'enfance. Prosternez-vous devant sa puissance.

  Ce fut alors au tour des yeux de Deliarra de briller d'une lueur irréelle. Une voix douce mais emplit de majesté emplit la pièce :

- Tu as demandé à nous parler jeune elfe de glace. Nous écoutons ta requête.

  Elerinna, toujours courbée, salua alors la présence divine :

- Ô Ginshi, déesse de l'enfance permettez-moi aujourd'hui de formuler une simple requête. Je souhaite déesse accomplir la prophétie en partant avec les aventuriers mais je souhaite venir en aide à mon village natal et a tous ses habitants. Je demande à pouvoir utiliser un pigeon voyageur malgré la barrière afin de permettre à mes pairs de recevoir mon aide ainsi que de mes nouvelles.

- Mon enfant. Répondit la déesse d'un ton emplit de tendresse. Tu ne le sais pas encore mais tu as déjà un moyen de communiquer avec ton village de l'autre côté de la barrière. Tu le découvriras au moment de partir.

- Comment cela ? Questionna l'elfe. Pardonnez-moi déesse. Se reprit-elle. Serait-il possible d'en savoir plus ? Notamment afin de mieux me préparer...

- Hélas mon enfant je dois te quitter. Le corps de mon hôte ne supportera pas le lien plus longtemps. Je te souhaite bonne chance et bonne route.

- Non ! Attendez ! Déesse Ginshi je vous en supplie ! S'exclama Elerinna d'un ton désespéré.

  Malheureusement, il était trop tard. La lumière dans les yeux de Deliarra s'était résorbée et Folliera se jetait en avant pour soutenir sa sœur, tournant de l’œil.

- Elerinna, Tu as eu ta réponse. Puis-je te demander de quitter les lieux ? Ma sœur a besoin de repos. Le lien lui demande beaucoup de son énergie.

  Dépitée de ne pas en savoir plus, Elerinna s'exécuta la tête basse et remercia Folliera, lui demandant de transmettre ses vœux de rétablissement à Deliarra. Cependant, une fois sortie du temple, Elerinna sourit légèrement. La possibilité d'aider son village tout en accompagnant les aventuriers la rassurait. Elle savait désormais quel était son choix.

 

***

 

  Cette nuit là, Elerinna n'arriva pas à s'endormir. Quel était donc ce moyen de communication qu'elle aurait avec son peuple ? Comment annoncerait-elle sa décisions aux grands sages puis à tout le village ? L'esprit bourdonnant de questions, Elerinna décida qu'aller faire un tour lui permettrait de se détendre.

  Elle enfila donc une simple robe de coton à manches longues. Se munit de sa cape en fourrure de daim et sortit discrètement de la hutte.

  Ce soir là, le ciel était entièrement dégagé, chose qui n'arrivait que très rarement à Oilossë. Elerinna, baignée dans la lumière de la lune, s'enfonça doucement dans la forêt. Elle finit par arriver à la rivière gelée, où elle passait tant de temps étant adolescente. La jeune elfe de glace contempla pendant de longues minutes la petite grotte par laquelle elle passait pour ne pas être vue. A présent, elle lui semblait minuscule.

  Une main se posa soudainement sur son épaule la faisant sursauter :

- Prince Ethan ? S'étonna-t-elle en découvrant qui se tenait derrière elle.

- Veuillez m'excuser...Je ne voulais pas vous effrayer ma chère. Seulement je n'arrivais point à dormir et je crois constater qu'il en va de même pour vous.

- Tout va bien Ethan. Cependant je préférerais user du tutoiement avec votre petit groupe si cela ne vous dérange pas...répondit Elerinna en se détendant.

- Cela me convient. Alors...Qu'est ce qui t'empêche de dormir ?

- Disons que ça concerne le choix que je dois faire.

- Bah il ne faut pas t'en faire pour ça. Que tu viennes ou pas, on respectera ta décision. Lui sourit Ethan. Je ne crois pas vraiment au destin ni au prophéties de toutes façons...

- Vraiment ? Mais alors pourquoi être parti ?

- Pour la même raison qui m'empêche de dormir ce soir...répondit le prince en soupirant de découragement. Mes devoirs royaux : depuis que je suis gosse j'ai détesté l'idée que mon destin était de devenir roi. J'ai jamais voulu de tout ce poids...Moi je rêvais de découvrir le monde, de partir à l'aventure mais...Mon père n’était pas vraiment d'accord avec cette idée jusqu'à ce que cette marque sacrée soit reconnue lors de la vingtième assemblée des peuples de Taïdo, en même temps que celle de Ferlonn et Maya. Pour moi, cette marque était une échappatoire, un moyen de clouer le bec à mon père et d'échapper au trône.

- Je vois...répondit simplement Elerinna.

- Tu dois penser que je suis juste un prince pourri-gâté, lâche, complètement idiot et inculte pas vrai ? Sourit tristement Ethan.

  Surprise de sa déclaration, Elerinna se tourna vers lui. Elle remarqua alors la fatigue et la mélancolie sur son visage d'ordinaire si souriant.

  La lune se reflétait sur ses cheveux ébène, attachés en courte queue de cheval basse. Ses yeux plongèrent dans son regard émeraude et elle y vit une profonde détresse et son désir de liberté.

  Brisant le silence, elle répondit doucement :

- Je n'ai jamais pensé cela de toi.

- Vraiment ? S'étonna le prince, une petite lueur d'espoir au fond de la voix.

- Vraiment. Confirma Elerinna d'un sourire bienveillant. Tout ce que je vois c'est un jeune homme qui a eu le courage de se battre pour ses choix, pour vivre sa vie comme il l'entendait. De plus, L'intelligence n'est pas que scolaire...Bien au contraire il existe tant de manière d'être intelligent : être manuel est une forme d'intelligence, savoir se battre aussi, savoir marchander, communiquer, se repérer dans l'espace, toute compétence est forme d'intelligence en ce monde. Tu n'es juste pas quelqu'un de scolaire.

  Face à ce discours, Ethan retrouva son sourire habituel.

- Merci Elerinna. Je ne te connais pas encore très bien mais je sais que tu es une bonne personne et probablement une excellente guérisseuse.

  Elerinna rougit du compliment et remercia son nouvel ami. Ils restèrent là un moment à contempler la lune et les étoiles.

  Le froid finis par convaincre le prince de rentrer dans la hutte qu'on leur avait prêtés.

  Elerinna quant à elle, sentant le sommeil finalement pointer le bout de son nez, ne tarda pas non plus à rentrer.

En pénétrant dans le hall d'entrée, elle se déchaussa silencieusement, monta sur la pointe des pieds à l'étage et atteint enfin sa chambre. Elle se dévêtit de sa robe et se glissa sous les fourrures qui lui servaient de draps.        

  Finalement, elle s'endormit quasi-instantanément et sombra dans un sommeil sans rêve, sans se douter que demain lui réservait bien des surprises.

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