La foule bigarrée du port de Saint John’s se pressait comme toutes les semaines sur les quais pour le retour des pêcheurs. Le marché aux poissons avait été ouvert, et chaque habitant, quelqu’il soit, déambulait dans les allées, promenant un oeil attentif sur les échoppes nauséabondes. Le frère et la soeur, affairés, fendaient cette joyeuse effervescence, les bras déjà chargés de marchandises. Ils s’extirpèrent de la foule et se mirent à longer les quais en direction de leur bateau. Alors qu’ils passaient devant une ruelle sombre, la soeur s’arrêta, le regard perdu dans l’obscurité étroite de la venelle.
- Qu’est-ce qu’il y a, Kat’ ?
- Il n’est pas là, c’est étrange. Tout à l’heure il ne semblait pas prêt à bouger pourtant.
- Qui ça ?
- L’homme-ours.
L’autre écarquilla les yeux.
- L’homme-ours ? Mais qu’est-ce que tu racontes encore ? Ce doit être une autre de tes fantaisies.
Katharina ne répondit pas, le regard pensif. Une clameur soudaine résonna depuis le marché aux poissons.
- Qu’est-ce qu’il se passe là-bas ? se demanda le frère. Encore une échauffourée entre vendeurs ? Hé, Kat’ ! Attends !
La jeune fille avait lâché ses paniers remplis et s’était mise à courir vers la place.
- Attends ! On ne peut pas laisser les paniers comme ça ! Kat’ ! Qu’est-ce qui te prend tout à coup ?!
Il se précipita à la suite de sa soeur, tendant de porter à lui seul toutes leurs courses. Katharina l’avait déjà distancé, et s’était perdue dans la foule agitée. Alors qu’il la cherchait des yeux, un rugissement se fit entendre.
Au milieu des échoppes renversées, un ours blanc se dressa de toute sa hauteur et commença à battre l’air de ses pattes gigantesque. Chaque coup dans le vent semblait agir comme un aimant sur la foule qui reculait. Pourtant, tous criaient de rage et jetaient des cailloux sur le monstre pris de furie. Un amérindien était accroché à sa fourrure, lui hurlant des mots incompréhensibles, le visage paniqué. Une détonation pareille à un claquement de fouet retentit, l’immobilité gagna la scène un court intant jusqu’à ce que l’animal se courbe en rugissant de douleur. Un ruisseau de sang s’écoula sur son épaule. Des cordes furent lancées par la masse grouillante, et malgré ses efforts l’ours se retrouva prisonnier, tordu et écartelé de tous bords.
- Arrêtez ! cria l’indien.
Il ne reçut que les hués de la foule et une pierre le percuta au crâne, le faisant s’écrouler à demi-conscient sur le sol. L’ours rugit de plus belle, tandis que tout autour de lui les couteaux et hachoirs qui tranchaient normalement le poisson sortaient à découvert. L’animal furieux poussa un grondement sourd, protégeant comme il pouvait l’indien et défiant d’un regard féroce ceux qui s’approchaient précautionneusement de lui, une lame scintillante à la main.
- On n’attend pas la police ? proposa quelqu’un. Il parait qu’ils sont en route.
- On peut se débrouiller tous seuls ! Mieux vaut neutraliser ce monstre tout de suite !
- Il parait que sa graisse se vend cher, laissez-moi lui trancher la gorge et je partagerai toute sa chair équitablement.
- N’essaie pas de nous tromper, fourbe, et pousse-toi de là que je lui règle son compte. Je suis chasseur, je m’y connais.
- Il a détruit mon échoppe, c’est à moi qu’il revient !
- Il a blessé ma femme ! Je demande le droit de vengeance !
Une nouvelle protestation s’éleva, le ton monta dans la foule, la secouant de vagues ravageuses. Elle resserra son étau autour du monstre. Celui-ci grognait et ruait, mais dans ses petits yeux noirs perlaient le désespoir. L’indien quant à lui tentait de se maintenir debout, adossé, chancelant, à son animal. Les deux virent clairement le hachoir déjà rouge de sang s’approcher d’eux et se dresser au-dessus de leur tête.
L’ours se cabra en poussant un rugissement, mais les cordes se tendirent à l’abattit au sol. Alors que le hachoir entamait sa descente, l’indien se jeta désespérément sur sa route avec un cri de supplication.
Alors que sa chair était à la merci de la lame gourmande, cette dernière disparut.
- Arrêtez !
La jeune fille se tenait droite, sa main serrant le poignet d’un marchand de poisson si fort qu’il lâcha le hachoir avec une grimace de douleur. Le silence se fit instantanément, tous les regards convergèrent sur l’impudente qui les défiait d’un air fier.
- Je réclame tous les droits sur cet animal et cet homme, clama-t-elle.
- De quel droit ?! répondit la foule en une clameur furieuse.
Katharina souffla sur une mèche brune qui lui tombait devant les yeux. Elle ne cilla pas devant la nuée de regards acérés et répondit d’un ton souverain :
- Le droit de propriété. J’ai acheté cet ours, et l’indien est un de mes employés. Enfin, celui de ma famille.
Un silence empli de murmures s’installa, chacun tournait la tête vers les autres en quête de réponses.
- Vous êtes un dresseur, mon employé, et cet animal vient d’un cirque, n’est-ce pas ? fit la jeune fille ne se penchant sur l’indien.
Il la considérait tel un ange tombé du ciel.
- C’est… c’est exact… Je m’excuse, Mademoiselle, je n’ai pas pu retenir Oka, j’ai manqué à mes devoirs.
- Ne vous en faites pas, nous savons tous les deux à quel point cette chère Oka est tapageuse, heureusement rien de grave.
Elle se retourna vers la foule.
- Je dédommagerai tous ceux dont les biens matériels ont été endommagés par mon ourse, déclara-t-elle d’une voix forte. Y a-t-il des blessés ?
Quelques personnes égratignées s’avancèrent, mais aucune n’était gravement atteinte.
- Je paierai vos frais médicaux, promit Katharina.
L’ours, toujours couché, l’observait sans un bruit, une lueur reconnaissante dans les yeux.
- Kat’ ?! Qu’est-ce qu’il se passe ?! Qui est-c…
Il ne put finir sa phrase, elle lui avait bondi dessus.
- Wolf’ ! Tu en as mis du temps ! Viens donc m’aider à ramener notre cher employé à la maison !
Elle lui fit un discret clin d’oeil, son iris bleutée étincelait gaiement.
***
Perdue dans un nuage de douceur, Lucy se fit tirer de son édredon de sommeil par des éclats de voix. Elle glissa un œil hors de la couette. La haute stature de Klein projetait sur les murs du refuge une ombre titanesque, devant laquelle la silhouette élancée de Wolfheim faisait pâle figure.
Pourtant, il se dressait contre son père, le visage tordu de colère.
- C’est hors de question ! cria-t-il. Cette folie a assez duré ! Tu veux nous mener à la mort ?!
- Il ne s’agit pas de mort, ne déforme pas tout. C’est moi le chef ici, alors obéis au lieu de discuter. Nous la trouverons, j’en ai fait le serment, alors cesse ces enfantillages ridicules et comporte-toi en enfant bien élevé.
- Pour quoi ?! Pour finir comme Katharina ?! C’est ça un enfant bien élevé pour toi ?! Je ne te suivrai pas jusqu’à la mort ! Si tu t’entêtes, jamais je ne te mènerai à elle !
- C’est une menace ?! rugit Klein de toute la force de ses immenses poumons.
Wolfheim parut prêt à céder, mais il serra les dents, jetant toute sa rage dans son regard sombre.
- Parfaitement !
Un silence assourdissant s’abattit sur le refuge. Tous fixaient la scène avec appréhension, n’osant intervenir face à la furie du père et du fils. Klein ne disait plus rien, mais il semblait exercer une pression colossale sur Wolfheim, l’écrasant de sa stature imposante et de son regard d’airain.
- Tu viendras, fit le géant d’une voix caverneuse. Tu viendras ou jamais ton vœux ne sera exaucé.
Le jeune homme déglutit, les yeux soudain pleins de doute. Il parut faire un effort immense pour baisser raidement la tête, vaincu.
- Bien, reprit Klein. Maintenant attelez-vous aux préparatifs ! Frank, Marc, Angus et Rickon vous m’accompagnerez. Je veux que tout soit prêt dans trois heures !
La troupe sembla sortir de sa torpeur et chacun bondit sur ses pieds pour s’activer au préparatifs sous les ordres du chef. Seul Wolfheim n’avait pas bougé, ses mèches noires cachait ses yeux.
- Quels préparatifs ? demanda Lucy à Curtis. Et pourquoi Klein et Wolfheim se sont disputés si violemment ?
- La tempête a cessé, annonça-t-il avec un grand sourire. Klein veut retourner au bateau pour prendre des provisions, dans le but de repartir chercher la Maät, mais Wolfheim est contre car il pense que nous allons être coincés par l’hiver.
- Hé Curtis ! T’es pas autorisé à glander ! cria Frank.
Lucy regarda son ami s’éloigner, muette. Elle se leva et s’approcha timidement de Wolfheim.
- Ça va ? murmura-t-elle mal assurée.
- Oui, répondit-il d’un ton sec.
À travers ses cheveux sombres, Lucy put apercevoir ses iris bleues dans lesquelles hurlait la rage, et un sentiment plus sombre encore.
Sympa (enfin façon de parler) cette petite scène qui nous permet de découvrir comment est arrivé Oka dans ce petit groupe :)
Et le fait qu'il y a peut-être bien plus important pour cette famille que le simple fait d'aller trouver cette légende...
Merci pour ton com' !
Bon mais sinon c’est très beau et imagé, bravo.
Ah et juste pour un grain de sel perso : un marché au poisson, ça ne sent pas mauvais (parce que le poisson est frais, il vient d’être péché, surtout si il fait froid...). En plus dans le précédent chapitre, ça sentait déjà mauvais, il faut varier les plaisirs, haha!
Oui ça a un lien, tout cela sera expliqué plus tard^^
Bah.. je suis pas spécialisée dans les marchés, mais j'ai déjà senti des chalutiers qui revenaient de la pêche et ça sentait pas bon du tout, c'est pour ça que j'ai mis ça. Faudrait que je me renseigne un peu pour être sûre
Mais heureusement, tout va bien.
Qui est cette Katarina et son frère ? que sont-ils devenus ? a cause du "pour finir comme Katarina", je pense que la scène avec Ajaruk est un flash back, mais ce n'est pas évident, d'habitude tu amènes tes flashbacks comme une pro, là j'ai mis un petit peu de temps à m'y retrouver.
Je trouve que Klein est un super perso ! charismatique et écrasant, on sent bien qu'il va potentiellement tous les mener à leur perte, et en même temps on comprend que personne n'arrive à lui résister.
Oui.
Oui, c'est un flashback et on va dire que c'est plus ou moins volontaire que ce soit aps clair. Je vais rajouter un petit truc à la fin du flashback pour replacer un peu le truc, je te conseille d'y jeter un coup, tu me diras si ça marche. Sinon je peux l'amener au début du chapitre, mais comme ce n'est pas un POV lucy il sera forcément moins bien amené que ceux d'Alex.
Ah bah écoute moi je l'aime pas vraiment mais j'essaie effectivement de faire ressortir sa puissance, je suis contente que ça marche^^