Chapitre 4 : Lettres de sang (3eme partie : Invitations)

Gaelyn et Marco furent emmenés à l’écart, « traitement spécial » avait demandé pour eux le capitaine pirate. Ils avaient les bras, les jambes et la bouche scellés dans des positions inconfortables par les runes du capitaine. Ils étaient en outre soumis à une étroite surveillance.

Dès leur capture, les pirates et le clan de la trinité avaient lancé leur assaut sur la plage. En leur qualité d’organisateurs, les membres du clan de la trinité étaient bien plus nombreux que les autres clans et dès que la bebida d’invincibilité avait été concoctée par les anciens, ils se l’étaient appropriée. Des géants obèses, immunisés à la plupart des agressions avaient ainsi pris le pouvoir sur la plage. Le capitaine marchand Améri Désio fut rapidement fait prisonnier alors que son navire subissant un assaut brutal, préparé depuis plusieurs jours par les pirates, se rendit rapidement.

Une fois le calme revenu, le Morse fit le point avec son second sur les détails encore à régler : 

— Les deux vieux sont partis donner nos conditions aux insulaires encore libres ? demanda-t-il.

— Ouais, les anciens en ont choisis des dociles et qui parlent bien il parait, lui répondit Crochet, on a perdu quelques insulaires dans la forêt mais on tient leur famille, ça devrait les calmer. Sinon l’entrée du lagon est bouclée et les patrouilles s’organisent.

Grâce au navire mirovan et ses défenses, les pirates contrôlaient totalement l’accès au lagon par son entrée principale. L’île de Ja et son lagon peu profond parsemé de récifs et de coraux étaient une forteresse naturelle qui devait protéger les insulaires d’une attaque extérieure pendant les célébrations de Ja, mais elle s’était transformée en prison… Le plus grand risque à présent venait de commandos d’insulaires, célèbrent pour leur tactiques de guerilla, infiltrant le lagon par une issue insoupçonnée.

— Très bien. Bon, écoutes moi bien maintenant, je veux que ce soit clair pour tout le monde, dit le Morse très sérieusement, jusqu’à ordre contraire cette île et son lagon sont mon navire. Donc on applique les mêmes règles que lorsqu’on est en mer : mes ordres sont absolus et doivent être pris au pied de la lettre, y compris pour les insulaires. Les anciens me confient la gestion du merdier pour le moment. On ne touche pas aux butins, et là je compte la nourriture, le matériel et aussi les femmes ! Ca il faut que ce soit très clair t’entends. Ceux qui font les fortes têtes, rappellent leur ce que ferait les insulaires si on se loupe. Si ça ne suffit pas, explique aussi ce que ferait Mirova si on la fâche…

Le pirate toussota et finit par cracher par terre : 

— Ensuite, veille à ce que les buveurs de bebida gèrent bien leur stock et les temps de pause entre les prises. Les prisonniers doivent être répartit en plusieurs groupes, veillent à mélanger les clans, comme ça si un groupe veut se rebeller il saura que sa famille en paiera le prix… Dilue aussi les marins de Mirova dans les différents groupes et je veux pas de brimades, ça sert à rien de les énerver… Surtout qu’ils prennent soin des anciens et des enfants. Allez, je te laisse répandre la bonne parole, je vais faire un petit tour moi aussi…

— Ca marche chef, lui répondit laconique Crochet en se grattant sa barbe crasseuse, j’y vais avec joie eh oh !

La voix caverneuse et le regard de psychopathe du second rendait sa dernière réplique particulièrement glauque.

— Ah oui Crochet ! le rappela son capitaine alors qu’il commençait à partir, rappelle aussi à nos hommes le plan, qu’un de ces abrutis ne loupe pas le coche !

Le Morse soupira en pensant à tout ce qui lui restait à faire et se mit lui aussi en marche pour vérifier que tous ses ordres étaient bien respectés. Les prisonniers furent répartis en trois groupes. Le moins dangereux, comprenant surtout des anciens et des enfants, fut placé sur la plage, cerné par une barricade de matériel récupéré, le second était situé en bordure de la forêt où un camp avait été préparé par les organisateurs des festivités, prison de bois, de lianes et de ronces. La plupart des prisonniers étaient enchainés, ligotés ou liés par des runes. Le dernier groupe avait embarqué sur de petites embarcations sur le lagon, ils avaient été placé entre des massifs de coraux gélatineux qui avaient été soigneusement brisés pour les enfermer corps et bien. 

Le Morse vérifia un par un chaque dispositif en flattant ses troupes lorsqu’il le fallait et en les insultant quand elles le méritaient. Il garda ses alliés les moins dociles pour la fin, les anciens du clan de la trinité.

— Alors heureux ? leur dit-il en préambule en les voyant rassemblés, inutiles, pendant que lui se démenait pour que rien ne soit laissé au hasard.

— On a bien bossé oui, ricana Carneiroa le plus influent des anciens, bientôt mon clan va enfin avoir le pouvoir ! Depuis le temps, fini l’humiliation…

— Comment allez-vous garder le contrôle sur la durée ? demanda le pirate, vous ne pourrez pas conserver autant de prisonniers et les autres clans vous en voudront éternellement…

Les anciens ricanèrent tous en chœur : 

— On s’en fiche qu’ils nous en veulent, reprit Carneiroa, il faut qu’ils nous respectent ! Avec Mirova et sa grande puissance, et nos connaissances de l’archipel on a déjà gagné ! Lorsque le volcan gronde, tout le monde se couche…

— Oui on a plein de projets pirate, continua un ancien à la voix suraigue, on va moderniser l’archipel ! Avec des tours, des ports….

L’ancien continua à parler de ses rêves d’aménagements. Le Morse faillit leur dire que pour le moment, ils n’avaient pas d’accord avec Mirova et que sans ça… Mais autant qu’ils soient contents pour le moment… Il les quitta sans qu’ils ne s’en rendent compte, obnubilés par leurs discussions à propos de l’établissement d’un tout nouveau centre culturel et des futures taxations de transports inter-îles établies sur un quotient familial. 

La journée était bien avancée et le pirate avait encore quelques personnes à voir, il se dirigea donc vers le capitaine contrebandier, attaché et surveillé en bord de mer. Il aida le marin à s’asseoir et demanda à ses gardes de s’éloigner.

— Alors qu’est-ce que tu en dis ? demanda t-il à son ancien allié.

— Tu es fou le Morse…, lui répondit l’ancien capitaine respirant difficilement, ça va être un massacre…

— On verra on verra… Dis-moi l’ami ça fait quoi de savoir que tu as aidé un complot qui veux faire tomber Mirova ?

Tant bien que mal le contrebandier se redressa en veillant à ménager son épaule : 

— Qu’est-ce que tu racontes pirate ? Je ne vois qu’un traitre ici et c’est toi !

— Allons, tu sais bien que si la Guilde des Musiciens amène des armes et des troupes par ici ça va mal se passer… Et je sais que Mirova est ta patrie, pas vrai ? T’es un trafiquant, un type qui fait des affaires et qu’aime pas trop l’autorité mais t’es un bon patriote. Et là t’as signé un pacte avec l’ennemi de la mère patrie, ça craint…

Le contrebandier respirait bruyamment, le visage jaunit, les yeux rouges : 

— Et alors ? C’est toi le héros c’est ça ? T’essaye de me mettre les nerfs à vif ? Ou t’essaye de me faire oublier que t’as fait boucler tous mes hommes ?

Le pirate marcha de long en large, se raclant la gorge : 

— Non je suis un enfoiré l’ami. Et toi aussi ! Mais Mirova cette putain on l’aime bien ! T’es un bon combattant et un meneur d’hommes. Sans ton fichu caractère on pourrait croire qu’on est fait de la même trempe toi et moi… Rejoins-moi ! J’ai besoin de types comme toi !

Le contrebandier rit comme un dément avant de tousser et de cracher sur le sable : 

— Ca se trouve je vais crever d’ici peu… T’as pas besoin d’un cadavre « l’ami » ! Bientôt t’en aura plein, ta petite révolution va pas marcher !

— Je sais pas si tu as remarqué l’ami mais je vais bientôt dégueuler mes poumons moi aussi, répondit le Morse avec un grand sourire, j’ai pas beaucoup de temps non plus et j’ai la faiblesse d’être mégalomane. Je veux apposer ma signature dans l’histoire, tant pis si c’est tracé avec des lettres de sang…

— Dégages…, murmura le contrebandier avec un tel dédain que le mot avait bien plus d’impact que s’il l’avait hurlé.

Pour une fois le Morse écouta ce qu’on lui dit sans faire de commentaire et s’éclipsa, laissant souffrir son ennemi affalé sur le sable. 

Il se rendit ensuite vers Gaelyn et Marco, emprisonnés sous une barque de l’autre côté de la plage. En chemin une violente toux l’obligea à poser un genou à terre le temps que la crise se calme. Il se redressa avec peine, une respiration sifflante et les pupilles dilatées. Un médecin de la Guilde des Sens lui avait fait comprendre que la guilde possédait des moyens pour prolonger sa vie. Mais implicitement, il avait bien compris que le prix à payer serait plus que conséquent… 

Avant d’arriver devant ses hommes gardant les deux voyageurs, il se redonna une prestance, le maintien fier, les moustaches lissées, un léger sourire sur les lèvres. Il aida à soulever la barque d’ajoncs qui gardait Marco et Gaelyn dans le noir et s’apprêtait à leur verser de l’alcool sur les lèvres pour effacer la rune qui les empêchait de parler.

— Euh capitaine vous êtes sûr là ? lui demanda l’un des deux gardes, un type à la peau sombre et à la barbe épaisse.

— Qu’y-a-t-il les gars ? se retourna surprit le Morse.

— Ben c’est quand même celle qui fait j’sais plus quoi avec les chimères chef, répondit le second garde, un bandana sur l’œil gauche, déjà qu’on l’a capturée, elle va pas être contente là.

— Pis l’autre il met le feu aux navires dès fois, reprit le premier garde.

— Oui aussi m’sieur Morse.

Le capitaine referma la bouteille d’alcool et s’approcha de ses hommes : 

— Mes amis, mes amis… Jusqu’ici ça s’est bien passé pas vrai ?

— Oui.

— Ouai c’est pas faux.

— Et depuis que vous êtes avec moi, il vous ait jamais rien arrivé, n’est-ce pas ?

— Ben moi j’ai perdu un œil quand même, dit l’homme au bandana qui lui cachait la moitié du visage, et puis trois doigts à la main gauche…

— Ouai et puis moi j’ai perdu mes cheveux aussi…

Le capitaine Morse soupira longuement : 

— Oui mais les gars si ça se trouve, toi Hermon t’aurais perdu les deux yeux sans moi. En plus t’as perdu le gauche, ça porte bonheur ça ! Et toi Darill franchement t’as l’air plus féroce comme ça. Au début tu faisais trop gentil, avec Crochet on se disait c’est pas sérieux pour un pirate, mais là… t’as une vraie tête de tueur mon gars !

— Ouai c’est pas faux.

— C’est vrai m’sieur Morse ? Je vous plais comme ça ?

— Oui c’est vrai les gars, dit le Morse en leur tapant sur l’épaule, au pire elle risque juste de vous insulter, elle a pas son instrument de malheur avec elle !

Les deux gardes se regardèrent en souriant : 

— Ah ben ça va, reprit le premier, s’faire insulter on a l’habitude avec vous chef, pouvez y aller on surveille c’qui s’passe.

— Merci les gars, dit le capitaine en débouchant à nouveau sa bouteille dans un « plop » caractéristique et fit disparaitre les runes scellant les lèvres des deux voyageurs.

Marco se retourna en se contorsionnant pour pouvoir voir le pirate. Une marque violacée marquait sa tempe gauche : 

— J’aurais bien dormi encore un peu le Morse, qu’est-ce que tu veux, répliqua le danseur d’une voix neutre.

— T’es en forme danseur, tant mieux j’ai encore des questions pour vous. T’inquiètes pas cette fois tu finiras pas avec la tête qui bourdonne et les yeux qui piquent !

Gaelyn profita d’avoir la bouche libre pour enfin relâcher toutes les insultes qu’elle connaissait dans trois langues pour le plus grand bonheur des deux gardes. Le pirate la laissa finir avant de reprendre.

— C’était quoi cette histoire de travailler pour la guilde danseur ? Et d’où connais-tu les noms que tu m’as sortis ? Un type doué comme toi que je retrouve sur un navire bourré de clarinettes de combat, tu vas me faire croire que tu es un petit espion des senseurs ?

Marco se débattit en grognant et jurant : 

— C’est toi qui me dit ça ? Avec tes calligraphies et ton équipe de boucaniers ? En tant qu’agent de la guilde tu n’es pas franchement plus crédible. Et je ne crois pas que la guilde t’ait demandé de prendre d’assaut l’archipel…

Le Morse commença à ricaner mais il n’osa aller plus loin, sentant encore ses abdominaux et sa gorge le bruler : 

— Tu marques des points danseur. Pour répondre à ta question, c’est Anafesto qui m’a engagé. Et la gamine elle roule pour qui ? dit le Morse laissant le danseur jurer contre son commanditaire.

— Elle ne bosse pour personne, elle voulait juste aller à Mirova, répondit-il.

Le pirate hoqueta : 

— Tu te moques de moi ? Une musicienne pareille qui se promène dans la nature à bord d’un navire de contrebande ? Gamine pour qui tu bosse ?

— Elle comprend mal le mirovan, répliqua Marco.

— J’ai compris…, lâcha Gaelyn d’un ton exaspéré, je suis pas musicienne, je suis joueuse.

Le pirate ricana : 

— Ouais d’un côté ça se tient, à part les joueurs, personne n’est assez tordu pour faire des bulles de savon musicales ! Bon chacun ses petits secrets, je ne vais pas insister pour le moment… Je suis venu pour vous inviter, rejoignez moi ! Avec deux monstres comme vous ça va être la fête !

Il n’y eut pas de réponses.

— Vous êtes timide, c’est normal… Je ne vais pas vous brusquer, restons courtois. Darill !, hurla-t-il à ses hommes, emmènes les sur le bateau et démerdes toi pour retrouver l’instrument de la fille.

Avant de repartir, le pirate fit couler de l’alcool sur les jambes de ses prisonniers pour libérer leurs jambes, noua de manière experte une corde autour de leurs bras et de leurs corps, puis accrocha des poids aux jambes du danseur : 

— On est jamais trop prudent, murmura-t-il pour lui-même.

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Luvi
Posté le 06/05/2025
Bien le bonjour 👋,
Voici un point qui ne transparaît pas dans tes chapitres précédents : l'alliance inattendue de Le Morse avec les anciens ! Ce personnage a du charisme et j'espère qu'il rejoindra notre duo de choc dans leur quête ! Même si cela semble mal partie pour eux ! C'est fou mais cette belle brochette de pirate légèrement diminué me fait penser à la bande de Barbe Rouge ! Manque Baba et le perroquet, et la boucle est bouclée 🤣
A bientôt
Plume de Poney
Posté le 06/05/2025
Oui Le Morse a fait le coup classique pour coloniser un territoire : avoir des alliés en interne
Plume de Poney
Posté le 06/05/2025
Jouer sur les divisions.

C'est un personnage que j'aime bien j'avoue. L'un des seuls où je n'ai pas besoin de réfléchir pour le faire parler, il faut ça tout seul et je retranscris.
Pour son avenir je ne peux rien promettre...

Pour barbe rouge j'avoue ne pas connaître donc je te fais confiance. Mais faire écho à d'autres oeuvres c'est toujours positif je trouve!
Et c'est vrai que ça manque de perroquet... Faudra que je lui trouve un oiseau à l'occasion...

Merci pour ta lecture, tu verras que le Morse a encore les moyens de faire le malin, notamment dans le prochain épisode.

À la prochaine
Luvi
Posté le 07/05/2025
Bien le bonjour 👋,
Nan ne pas connaître Barbe Rouge ! Shame on you et jet de 🍅 ! La bande de pirate dans Asterix !! 🤣
A bientôt !
Plume de Poney
Posté le 07/05/2025
Bonjour à toi,

Ah mince oui je n'ai pas pensé au Barbe Rouge d'Astérix, les tomates sont méritées ! Vise bien, je ne me déroberai pas.
Et le Baba je vois mieux... Je n'ai pas l'équivalent et c'est vrai que je détaille assez peu les membres d'équipage, mais on a par exemple Tamelhanos la Téméraire, dont voici ce qu'on peut en dire :
"— Regardez la petite Tamelhanos par exemple, et bien…
— Celle que vous appelez la téméraire ?
— Oui c’est elle !
— Mais elle est totalement hypocondriaque, c’est n’importe quoi !!
Monsieur Morse ricana : — Justement, elle est tellement persuadée qu’elle va mourir à chaque instant, qu’elle fonce au-devant du danger comme une damnée, c’est un sacré avantage !"

Merci en tout cas de m'avoir ramené à la raison.

A la prochaine!
Phideliane
Posté le 28/04/2025
bon ok il y a peut être un peu de "Morse" en moi, j'aime bien comme il manipule ses gars, sa mégalomanie me fascine. Sérieux, s'il était politicien au lieu de pirate, il serait président. Bravo pour l'écriture de ce perso et de ses deux acolytes (Karadoc et Perceval?). J'ai beaucoup ri. Trés trés bonne scène!
Plume de Poney
Posté le 28/04/2025
J'étais tenté de te demander si c'était la moustache en crocs le morse en toi, mais si c'est ton aptitude à la manipulation je ne sais pas si c'est mieux...

Et c'est clairement son atout principal, sa manière de composer avec les cartes entre ses mains.
Comme il le dit lui même quelque part d'autre : "N’est-il pas profitable à tous que chacun trouve sa place et fasse valoir au mieux ses compétences ? Chaque lettre est unique, mais avec les mêmes caractères on peut écrire les mots « proies » ou « espoir », lequel préfère tu?"
Pour la politique, d'une certaine manière il est trop honnête, trop direct dans son approche.

Je ne peux que reconnaitre un côté Kaamelott dans cette scène et je te remercie de l'apprécier :)
Phideliane
Posté le 28/04/2025
non, tu m'as mal comprise MDR ! C'est le panache, j'aime le panache et parfois j'en fait preuve (notamment lorsque je me fous dans des situations compliquées).....
Plume de Poney
Posté le 28/04/2025
Ah oui le panache c'est bien aussi :)
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