William décida de prolonger la fermeture du restaurant de deux jours supplémentaires. Il avait besoin de faire un point sur la situation des derniers jours et surtout planifier la suite des événements. Maintenant que Henry avait foutu le camp, il se retrouvait seul à gérer l’établissement, sans la capacité de pouvoir embaucher un autre employé actuellement. Il ne comprenait plus son vieil ami. Il avait mis autant d’énergie que lui dans ce projet, alors pourquoi tout abandonner maintenant ?
Bien sûr, l’idée qu’il ait pu commettre le meurtre et paniquer ensuite restait ancrée dans son esprit. Mais il était le type d’homme à croire aux secondes chances, et Henry le savait. L’accident n’aurait vraisemblablement pas de conséquences et il voulait lui dire de vive voix qu’il ne lui en voulait pas vraiment de l’avoir abandonné dans cette situation.
Il passa son premier jour de repos à se promener en ville à la recherche d’une maison assez grande pour accueillir sa famille. Plusieurs avaient déjà attiré son attention et l’une d’elle, juste derrière la pizzeria, lui plaisait particulièrement. Certes, il n’y avait pas de jardin, mais un grand sous-sol qui pourrait relier le restaurant et l’habitation avec quelques mois de travaux. Ce serait un avantage pour y créer un véritable atelier, bien plus grand et complet que celui de son arrière-bureau. Même si l’espace confiné lui plaisait, il aurait bientôt besoin de plus de place pour en faire une salle habilitée pour enfiler les costumes à springlocks de manière efficace et sécurisée. Leur maniement était trop dangereux en l’état pour être négligé. Il faudrait donc trouver un nouveau refuge pour Foxy et les trois autres mascottes dont la construction serait lancée à la fin du mois : Freddy, Bonnie et Chica, un quatuor de musiciens inspiré d'un vieux dessin animé de son enfance, créé spécialement pour accompagner les danses de Fredbear et Springbonnie. Le travail à venir était titanesque et il commençait à s’inquiéter de l’absence d’aide pour le réaliser, ce qui prolongerait les travaux et par conséquent l’argent à investir dans le projet.
Il profita du deuxième jour pour s’occuper de ses précieux robots : maintenance, réglages, gestions de problèmes techniques, c’était avant tout ce qu’il recherchait et aimait faire dans ce travail. Henry était plus branché restauration. Lui préférait le bruit de l’acier et les étincelles. Il commença sa tournée par les deux stars du spectacles. SpringBonnie eut le droit à un lustrage des circuits et deux nouveaux yeux d’un vert profond, pour remplacer ceux violets qui s’accordaient mal avec le teint doré. Il n’osa pas beaucoup toucher à Fredbear : un test de commandes, un tour de la salle et ce fut tout. Depuis la macabre découverte, il rechignait à ouvrir de nouveau ses circuits, de peur que le cauchemar ne recommence.
Une fois assuré que tout fonctionnait bien, il regagna son atelier presque en sautillant, tel un gamin excité par ses nouveaux jouets. Il déplaça soigneusement Golden Freddy dans un coin de la pièce et s’approcha de son chef d’œuvre : Foxy le pirate. Le robot n’avait pas encore exactement l’allure du renard qu’il était censé représenter. Il n’était pour l’instant qu’un squelette de métal désordonné sur lequel deux yeux jaunes vifs avaient été vissés : l’un factice, l’autre movible. Le premier serait caché derrière un cache-oeil et n’avait de ce fait pas besoin de circuits complexes comme sur le deuxième.
William avait choisi de concevoir un endosquelette plus fin et plus petit afin de lui donner une taille humaine. Malheureusement, le poids du costume était trop important et avait plusieurs fois fait chuter le robot. La tige du milieu, la colonne vertébrale du robot, avait même fini par se tordre sous le coup des nombreuses chutes de la machine. De ce fait, Foxy ne pouvait pas tenir droit. Bien loin de trouver ce détail dérangeant, William trouvait qu’il apportait un peu de réalisme au robot. Un pirate est cabossé par la vie, il voulait la même chose pour Foxy.
Il alluma le robot. Immédiatement, les jambes de l’Animatronique s’agitèrent comme s’il s’apprêtait à courir un marathon et le crochet qui lui servait de main gauche se leva et s'affaissa sans contrôle, manquant par deux fois de lui embrocher la main.
“Encore ? souffla William, manifestement habitué aux pertes de contrôle du robot. Mais quand fonctionneras-tu correctement ?
- Ya-a-a-a-a-a-rr ! cria le robot. Je suis Fo-Fo-Fo-Foxy le pirate ! Rejoi-joi-joi-joignez l’antre pour de-de-de-de nouvelles aven-ven-ventures !”
La boîte à musique, qui gérait également les lignes de dialogue du renard, surchauffait une nouvelle fois. Un problème courant pour le technicien, le même qu’avait rencontré Fredbear le soir de l’inauguration. Il ouvrit un tiroir sur sa droite et saisit un fusible. Il l’inséra dans une encoche de la jambe du robot qui cessa immédiatement ses mouvements de jambes effrénés.
“Com-comment rester grands-grands-grands et fo-o-o-o-rts les-les-les enfants ? Man-man-mangez de la sa-sa-salade, moussaillons ! reprit le renard de plus belle.”
William saisit la boite à musique et la débrancha. Il la déposa rapidement sur la table de service, les doigts en feu tant elle brûlait. Un peu plus et elle s’enflammait ! Foxy continuait de parler, mais plus aucun son ne sortait de sa bouche. William cliqua sur un bouton entre ses canines et le robot cessa de bouger.
“Nouvel essai de costume, lui annonça t-il comme s’il était vivant.”
Il ouvrit une armoire grise derrière lui et en sortit une tête de pirate-renard rousse aux longues dents aiguisées. Il fut soulagé de la voir rentrer parfaitement sur l’endosquelette. Il passa quelques seconde à la fixer, avant de rallumer le robot. Il s’agita de nouveau. A chaque fois qu’il tournait la tête, sa mâchoire s’ouvrait et se fermait, tout comme son cache-oeil. Il installa ensuite le reste du costume : le haut du renard, et un pantalon brun en bas. Il s’agissait du seul animatronique à avoir un pantalon, étrangement. William se sentait mal à l’aise à l’idée d’offrir un renard nu aux enfants, là où il n’avait aucun problème avec Fredbear, SpringBonnie ou Golden Freddy, tous trois ours ou lapin de la tête aux pieds.
William sourit en appréciant le résultat. Foxy tenait debout, légèrement courbé vers l’avant. Il en profita pour saisir la nouvelle boîte à musique, celle avec un refroidisseur et la raccorda à la place de l’ancienne.
“A-a-a-a-a l’aide ! cria le renard. A l’aide ! A l’aide ! A l’aide ! A l’aide !”
William sursauta, surpris. Ce n’était pas la voix de Foxy. Ces lignes de dialogue n’étaient même pas les siennes.
“A l’aide ! A l’aide ! A l’aide ! A l’aide ! A l’aide !”
L’homme à la chemise violette donna un coup dans le torse, pour essayer de faire taire le robot. Sa voix se modula un instant avant de reprendre de plus belle.
“Mort ! Mort ! Mort ! A l’aide ! A l’aide ! Mort ! Meurtrier. A l’aide !”
Il arracha la boîte à musique et la laissa tomber au sol dans la panique. Elle se brisa à son contact et les petites pièces qu’il avait mis tant de temps à monter s’éparpillèrent dans tout l’atelier. Il resta un moment à fixer le robot avant de le désactiver prudemment, les mains tremblantes et le souffle court.
Qu’est-ce qui venait juste de se passer ?
A la fois inquiet et curieux, il saisit la vieille boîte à musique et la remit à sa place. Foxy réagit immédiatement.
“Ya-a-a-arr ! Je suis Foxy…”
William coupa le robot, perplexe. Peut-être que les gaz libérés lors de l’éjection de la boîte à musique lui montaient à la tête. Il rangea ses outils, nettoya le désordre laissé par la chute de sa pièce et replaça les robots à leur place. Plus rapidement que ce que son calme laissait penser, il quitta la pièce et referma tout derrière lui.
Il se remit de ses émotions en remplissant quelques papiers administratifs le reste de l’après-midi. Même s’il tâchait de se concentrer, les mots de Foxy tournaient encore et encore dans son esprit. Il se promit d’enquêter sur ce phénomène étrange dès le lendemain matin. Son regard se perdit sur une enveloppe au nom de Henry. Il s’en saisit et l’ouvrit. Il s’agissait du titre de propriété de la pizzeria, arrivé tardivement suite à la difficulté qu’ils avaient eu à acheter le bâtiment. Tout était à son nom, étant donné que les deux hommes s’étaient mis d’accord pour que ce soit Henry qui gère le domaine administrativement. Il n’aura pas fallu longtemps pour que le bateau prenne l’eau. Il rangea soigneusement la lettre dans son blouson afin de régler cette affaire au plus vite et mettre tout à son compte. Henry était parti, grand bien lui fasse, lui ne comptait pas lâcher l’affaire.
Son vieux téléphone sonna, le tirant de ses pensées. Il décrocha.
“Papa ! cria une voix féminine enthousiaste à son oreille.
- Liz’ ! répondit-il. Tu vas bien ?
- Oui. On est rentrées à la maison et maman dit qu’elle t’aime. Et qu’il faut que je mette la table.”
William sourit.
“Tu diras à maman que papa a trouvé une maison pour elle et qu’elle va être contente.
- Maman ! Papa dit qu’il a trouvé une maison ! … Elle dit qu’elle est contente, mais que je dois vraiment aller mettre la table.
- Fais donc.
- A demain !
- A demain, ma puce.”
Il raccrocha, le cœur un peu plus léger. Parler avec sa fille lui faisait toujours un bien fou. Il leva un regard curieux vers l’horloge. Il était dix-huit heures passées, l’heure de rentrer au motel. Il récupéra sa veste et ses clés et prit le chemin de la sortie, en prenant soin de fermer toutes les portes à clé.
Au moment de fermer la salle de restauration, un détail insolite attira son attention. Dans sa boîte de métal, à l’autre bout de la salle, le haut du corps de la Marionnette pendait mollement. Il fronça les sourcils et s’approcha de son robot. Les bras striés touchaient le sol et sa tête lui paraissait désarticulée. Étrange, il était pourtant certain de l’avoir remis correctement à l’intérieur. Il redressa le robot et le fit rentrer de nouveau dans sa boîte qu’il referma soigneusement ensuite.
Légèrement paranoïaque après ce qui s’était passé avec Foxy, il récupéra sa boîte à outils bien lourde et la posa au-dessus du couvercle, pour être certain que rien n’en sorte. Il se sentit tout de suite ridicule. Il était sans doute simplement fatigué. Après un dernier regard pour la salle de restaurant, il ferma les lumières et quitta le bâtiment.
A travers la vitre plongée dans le noir, seuls les paires d’yeux de Fredbear et SpringBonnie luisaient dans l’obscurité. Ils attendaient la suite des événements qui s’apprêtaient à prendre une tournure inédite dans l’histoire de la restauration.
William, lui, rentra dans son motel, l’air songeur. Demain, il devrait gérer le restaurant seul. Un nouveau défi qu’il ne se sentait pas encore spécialement prêt à relever. Il passa la soirée devant la télévision, à manger des chips et boire du soda. Demain serait un autre jour.
Bonne chance pour la suite que j'attend avec impatience.