Chapitre 4 : Symptômes - Partie 2

Par Myfanwi

Aranwë quitta le vieux chêne après plusieurs minutes de course. Essoufflé, il se laissa tomber contre le tronc qui poussa un craquement plaintif sous son poids. Il ignorait ce qui venait de se produire mais son origine était déjà claire dans son esprit : cela provenait de la potion. Se pouvait-il que cette dernière ait réellement un effet ? Il ne le savait plus. Il doutait de lui-même. Perdait-il la tête ? Il jeta un regard inquiet à ses mains. Les brûlures s'étaient évaporées. Finalement, il décida de regagner le palais d'un pas ferme et décidé. Il ne pouvait décemment pas rester planté là sans réaction.

Le ciel s'était calmé et une éclaircie avait percé sa route parmi les nuages lorsqu'il approcha de l'entrée du majestueux édifice. Messire Bruneaux, toujours à son poste, lui lança un regard plein de reproches à son passage que le prince persista à ignorer, toujours en colère. Cette dernière ne fit que s'accroître quand, devant lui, la longue robe noire d'Alveas Gariwel se figea. Lentement, Aranwë releva la tête vers son précepteur, le visage fermé, contrarié.

« Je viens d'avoir vent de votre récente discussion avec votre père, jeune homme. C'est intolérable. Je me dois de vous rappeler que vous êtes de sang royal et que... »

Le jeune homme venait de pousser un long soupir fatigué. Un poil trop fort, se rendit-il compte en voyant le visage de son instituteur virer au rouge, visiblement outré par ce manque de respect évident.

« Aranwë Joseph Eridur Balrarion, vous allez me faire le plaisir de changer de comportement sur le champ. Le royaume tout entier est bien embarrassé par votre attitude et je ne peux que vous suggérer d'en changer immédiatement. Si devenir roi ne vous préoccupe pas, je vous rappelle que j'ai, moi, en revanche été mandaté par votre père pour vous éduquer et je ne faillirai pas à ma tâche. Maintenant, jeune insolent, je vous conseille vivement d'aller vous changer et de me rejoindre à la bibliothèque sous peine de sanction disciplinaire.

— Je n'ai plus six ans, répondit Aranwë, sur un ton arrogant. Me mettre la fessée devant les servantes du palais va s'avérer plus compliqué maintenant que je vous dépasse d'une tête et demie. »

Le vieil homme chauve poussa un cri outré alors que son élève fuyait vers sa chambre, ravi de son petit effet. Il avait presque pitié. Ce pauvre mage méritait plus de considération, c'était certain. Il s'agissait du troisième précepteur d'Aranwë, les deux premiers ayant claqué la porte du château après respectivement deux jours et une semaine au service du roi. Alveas était différent. Son image de mage de la cour, associée à son désir de pouvoir et de richesse, le contraignait à se plier aux exigences de son monarque et de son difficile héritier qui lui compliquait la vie un peu plus chaque minute s'écoulant.

Aranwë traversa le grand hall, saluant de la tête les servants qui y travaillaient. En plein cœur de la journée, ils étaient une centaine à s'activer dans tout le palais et le prince ne manquait pas d'attentions envers eux. Il admirait ces braves hommes et femmes, occupés toute la journée à récurer la crasse s'accumulant au passage des nobles et des marchands. Alors qu'il s'apprêtait à disparaître dans les escaliers, son regard fut attiré par des ombres dans la salle du tribunal.

Curieux, il entra discrètement pour connaître les raisons de la tenue d'un conseil judiciaire à cette heure tardive. Dans la cage près de l'entrée, réservée aux accusés, un homme était assis à même le sol. Son visage, boursouflé et toujours sanguinolent, avait été violemment maltraité peu de temps auparavant. Les vêtements de voyage de ce dernier, arrachés et tranchés nettement par endroits, peina immédiatement le jeune homme. Aranwë jeta un regard à l'assistance, occupée à discuter à bonne distance de lui, puis s'approcha lentement du prisonnier.

« Que vous est-il arrivé ? »

Le prisonnier releva la tête vers lui, surprenant Aranwë. De chaque côté de sa tête, de longues oreilles pointues pendaient, celle de droite semblait avoir été partiellement arrachée. Il constata également la disparition de son œil droit, de toute évidence très récemment à en juger par le sang et le pus s'échappant toujours de la blessure. Amaigri, pâle, il ressemblait à un cadavre. Le prince n'osa plus le regarder, mal à l'aise. Il n'arrivait pas à imaginer la douleur que ce pauvre elfe subissait actuellement. Malgré tout, ce dernier prit la parole, difficilement, courageusement.

« Je suis le... J'étais le soldat Lazare, éclaireur des terres de l'ouest et messager de ma tribu. »

Il poussa un gémissement de douleur en se traînant vers l'entrée de la grille, pour se rapprocher de son interlocuteur qui ne bougea pas, fasciné. La jambe de la créature, tournée de manière peu naturelle, le faisait souffrir. L'elfe mit une main à sa poche et en sortit un long parchemin, tâché de sang, qu'il lui tendit. Aranwë s'en saisit doucement et prit le temps d'observer le sceau, couvert de symboles étranges ressemblant à des calligrammes.

« Je sais qui vous êtes, souffla t-il, douloureusement. Ma tribu possède des instruments très précis, qui permettent de surveiller la région. Et nous avons vu... Quelque chose. Une immense créature, ailée, qui se dirigeait vers la ville. J'ai été envoyé pour vous prévenir... »

L'elfe referma la main du prince autour du parchemin, insistant pour qu'il le garde. Le jeune homme se raidit en constatant qu'il ne lui restait que quatre doigts valide, le cinquième pendant mollement.

« Quand... Quand j'ai approché votre village, je suis tombé sur un groupe de paysans. Leur voiture était embourbée dans un marécage. J'ai sauvé la jeune fille qui s'y trouvait, mais les hommes ont cru que je voulais l'enlever. Ils m'ont passé à tabac et dénoncé aux gardes. Ils... Ils n'ont pas voulu me croire... Messire, j'ai... j'ai deux filles qui m'attendent, chez moi, je leur ai promis de rentrer... »

Aranwë resta un long moment silencieux, analysant la situation. Ses doigts hésitants caressaient le parchemin tandis que son visage affichait une intense réflexion. Il n'avait pas le droit de le sauver, son père avait été assez clair quelques jours plus tôt. Mais voir ce pauvre homme dans une telle détresse, fataliste, ne lui plaisait pas. Sa tête lui disait de ne pas intervenir, son cœur lui hurlait de faire le contraire. Puisque son géniteur était incapable d'éprouver des remords, ou de la compassion, alors il incarnerait cette image pour lui. Finalement, le prince s'accroupit près de la cage et posa une main rassurante sur le pauvre homme.

« Il y a une écurie à la sortie est du palais. A l'intérieur, il y a de jeunes chevaux, à peine dressés. Par hasard, il y en aura un scellé ce soir, prêt à partir. »

L'elfe releva son deuxième œil vers lui, brillant de joie.

« Je vais vous trouver la clé avant ce soir, ne laissez rien paraître en attendant.

— Votre Majesté... N'allez-vous pas vous attirer des problèmes en me venant en aide ? »

L'intéressé se redressa et dépoussiéra ses vêtements. Derrière lui, le tribunal figé observait la scène sans mot dire, suspicieux. Aranwë sourit tristement à son interlocuteur, mains dans les poches.

« Il paraît que le royaume tout entier est embarrassé par mon attitude. Une bêtise de plus ou de moins... Je ne suis qu'un enfant, je ne suis pas responsable de mes actes. Je vais vous sortir d'ici, chuchota t-il en apercevant un conseiller s'avancer dans sa direction. Ne dites rien. »

L'homme qui s'approchait, en robe pourpre, se trouvait être le juge inquisitorial en personne, un des archevêques généraux de la ville. Âgé d'une cinquantaine d'années, ses sourcils lui donnaient un air constamment dur et sérieux. Suspicieux, il prit quelques secondes pour observer le prisonnier, puis le garçon, avant de s'incliner respectueusement, comme les bonnes mœurs le voulait.

« Votre Majesté, puis-je connaître la raison de votre présence en ces lieux ? Désirez-vous vous entretenir avec nos ordres ?

— Je ne faisais que passer, mon Père. Je me demandais ce qui justifiais la tenue d'un tel conseil de bon matin.

— Nous avons attrapé cette... chose sur la route de Mornepierre. Il agressait de braves travailleurs et a tenté de s'enfuir avec leur cheval. Vous ne devriez pas prêter attention aux paroles hérétiques de ce monstre, votre âme doit être préservée du mal. Retournez donc à vos occupations, nous nous occupons de faire disparaître ce problème. Que les dieux vous bénissent, mon enfant. »

Il lança un regard explicite au prince qui soupira avant de tourner les talons. La porte se ferma sur lui sans plus de cérémonie. Frustré de n'avoir pas pu discuter la libération de l'elfe, il décida d'agir par lui-même. Il s'approcha d'un garde montant la garde près de la porte. Ce dernier le salua militairement, visiblement perturbé par la proximité du jeune monarque. En le détaillant, Aranwë déduisit qu'il avait environ le même âge que lui. Par conséquent, il débutait. Le prince sourit, ravi. Il avait beau être « inconscient et irresponsable », il n'en était pas moins un jeune homme lucide, mesurant parfaitement la portée de son pouvoir et de son charme. Il s'approcha du jeune homme en tâchant de paraître le plus naturel possible.

« Bonjour, quel est votre nom ? demanda courtoisement le prince. »

Il aimait mettre des noms sur les visages, les manœuvres étaient beaucoup plus faciles ainsi.

« Soldat Vignon, votre Majesté, balblutia t-il en se mettant au garde-à-vous. Douzième régiment de la garde royale. »

Sa voix, tout comme ses mains, tremblaient de peur. Le monarque se frotta les mains, prenant rapidement un air ennuyé et désolé.

« Vous allez pouvoir m'aider alors, Monsieur Vignon. J'essaye d'aider un garde qui est en service aux cachots dans la soirée et il a égaré les clés des cellules. Je n'ai pas très envie qu'il aie des problèmes inutilement. Puisque vous êtes affectés à cette partie du château, puis-je emprunter votre trousseau de clés un instant ? »

Le soldat, flatté d'avoir été choisi parmi tous les gardes du palais, lui tendit volontiers le porte-clés. Aranwë se retourna et tria celles-ci. Il subtilisa celle de la salle de jugement et celle des prisons, pour que son excuse tienne la route. Il rendit ensuite le trousseau au garde qui le raccrocha à sa ceinture en se confondant en excuses pour la saleté de ce dernier.

« Merci bien, Monsieur Vignon. Je ferai part à votre supérieur de votre grande aide dans ce moment délicat. »

Il lui fit un clin d’œil et tourna tranquillement les talons. Tout fut ensuite une question de patience. Il erra un moment dans le palais, sans but, patientant le temps que le conseil se termine. Caché derrière un mur, il attendit que le vieil archevêque et ses suivants quittent le château pour rentrer de nouveau dans la salle. Il referma la porte derrière lui, avec attention. Un garde surveillait la cage mais Aranwë eut juste à lui ordonner de sortir pour qu'il s'exécute docilement, sans se douter de rien. Le prince s'approcha ensuite de la prison.

« Lazare, pouvez-vous vous lever ? chuchota t-il.

— Je le crois, mon prince. Mais j'ignore si je pourrais marcher longtemps. »

Aranwë sortit la clé d'une de ses poches et ouvrit la cellule. Il sentait l'adrénaline monter en lui et c'était jouissif. Il avait l'impression de commettre une grosse bêtise et en même temps d'effectuer une action de la plus haute importance. L'elfe se redressa difficilement, en poussant un gémissement plaintif et sortit de la cage en boitant. Il ne mit que quelques secondes à s'effondrer, rattrapé de justesse par le prince. Ce dernier lui attrapa un bras, pour le soutenir.

« Je vais vous faire sortir par la fenêtre et vous conduire en sécurité, dans mon cabanon personnel. Je suis le seul à en posséder la clé. Nous devons faire vite, avant que les gardes ne s'aperçoivent de quelque chose. Une fois que vous serez en sécurité, je reviendrai ici et direz que vous m'avez trompé et avait fui. Ce soir, ils auront abandonné les recherches et vous pourrez partir tranquillement. Je vous apporterai de quoi vous changer, des provisions et un cheval dans la nuit.

— Merci infiniment. Je vous dois la vie, murmura l'elfe. Plus d'humains devraient être comme vous.

— Je le sais bien. »

Aranwë ouvrit la fenêtre et se laissa glisser dans un buisson quelque mètres en contrebas. Il aida ensuite Lazare à se réceptionner et reprit la route vers le cabanon, à une dizaine de mètres. Devant le nombre de personnes présentes, le prince préféra la furtivité. Il décrocha sa cape et la plaça sur le dos du prisonnier en mauvais état, pour éviter d'attirer les regards. Au mieux, les courtisanes penseraient qu'il avait enfin trouvé une maîtresse et il aurait la paix sur ce genre d'affaires avec son père pour quelques temps. Il déboucha enfin devant le cabanon, juste derrière les écuries. Il ouvrit la porte et fit rentrer Lazare.

C'était un petit chalet en bois, tout ce qu'il y a de plus simple : une table, deux chaises, une armoire et un bazar sans nom un peu partout où les deux individus posaient leurs regards. Son père lui avait offert cette cabane pour ses douze ans, après un caprice. Il n'en avait jamais vraiment eu besoin au final, ne l'utilisant que pour y ranger son matériel d'équitation, de pêche et ses propres livres. Délicatement, Aranwë déposa l'elfe sur une chaise.

« Personne ne vient jamais par ici, mais par précaution, ne faites pas de bruit. »

Il tira deux malles de sous une grosse armoire et les ouvrit.

« C'est une trousse de soin. Il y a des herbes, des bandages, de la pommade, … Vous pouvez les utiliser sans problème. Dans celle-ci, il y a des biscuits secs et des confiseries, si vous avez faim. Ce n'est pas grand chose mais ça vous permettra de tenir jusqu'à ce soir.

— Ne vous inquiétez pas, je vais me débrouiller. C'est plutôt moi qui devrais m'inquiéter pour vous. Je ne veux pas vous attirer de problèmes.

— Et je ne veux pas qu'un innocent soit exécuté pour sa nature. Nous sommes quittes. Reposez-vous, la route sera longue.

— Merci, votre Majesté.

— Appelez-moi Aranwë. Nous sommes amis désormais. »

L'elfe lui sourit alors qu'il refermait la porte à clé. Il fit bien attention à fermer les volets et à effacer toutes les traces et fonça vers le palais, au pas de course. Il tenta de remonter à travers la fenêtre ouverte mais n'y parvenant pas, il lui vint une nouvelle idée. Il arracha un peu ses vêtements et les tâcha de boue, avant de se saisir d'une grosse pierre et de la lancer dans la vitre, l'explosant dans un bruit de tout les diables. Il se laissa tomber au sol, comme s'il avait été poussé et s'éclaircit la voix.

« A moi ! L'elfe s'est échappé ! Gardes ! »

Les visages de deux gardes ne tardèrent pas à apparaître par l'encadrement de la fenêtre. L'un d'eux se jeta par la fenêtre pour lui venir en aide alors que le second hurlait après la garde pour qu'on vienne l'aider. Aranwë reconnut le jeune homme qui lui avait donné les clés, un peu plus tôt et se sentit un peu coupable en voyant à quel point il paniquait.

« Mon Seigneur, êtes-vous blessé ? demanda t-il en vérifiant qu'il allait bien.

— Non, je pense que ça va, le buisson a amorti ma chute, mentit-il. »

Il attrapa volontiers la main que le garde lui tendait et se releva. Des chevaux, au galop, furent lâchés dans toutes les directions, montésn par des gardes armés et en colère. Le plan se déroulait sans accroc. Alveas apparut bientôt à l'horizon, courant vers lui en tenant sa longue robe pour ne pas qu'elle touche l'herbe. Aranwë retint un fou rire à cette vision insolite et le laissa venir à lui.

« Prince, êtes-vous blessé ?! hurla t-il en lui levant les bras pour l'inspecter. Votre père va me tuer si c'est le cas ! Que faisiez-vous avec ce monstre, pauvre inconscient ?! Et s'il vous avez tué ?!

— Tout va bien. J'ai entendu du bruit, je suis entré et l'elfe était sorti de sa cellule. Je l'ai poursuivi, il m'a poussé par la fenêtre alors que je tentais de l'arrêter. Je vais bien.

— Avez-vous vu par où il est parti ? demanda le jeune garde.

— Vers le sud, si je me souviens bien.

— Avez-vous besoin d'une escorte jusqu'au palais ?

— Non, ne vous en faites pas pour moi. Allez avertir vos supérieurs, Monsieur Vignon. »

L'intéressé hocha la tête et s'en alla avertir les gardes les plus proches, à la grande joie d'Aranwë.

« Qu'est-ce qui vous fait sourire comme ça ? »

Il perdit son sourire. Il avait presque oublié Alveas.

« C'est une journée splendide, vous ne trouvez pas ? répondit Aranwë.

— Pas vraiment, non. Et puisque je vous ai sous la main, vous allez me suivre gentiment à la bibliothèque, jeune homme. Nous avons du travail.

— Ça ne vous arrive jamais de rire ? Vraiment pas ?

— En avant. »

Le prince capitula et suivit son précepteur à travers le palais, vaincu, l'esprit néanmoins bien loin des leçons fatigantes de son professeur. La fin de la journée s'écoula dans une lenteur insupportable. Après quatre longues heures de travail, Alveas le laissa enfin sortir et il en profita pour voler un peu de nourriture dans les cuisines pour l'elfe. Il monta ensuite dans sa chambre et récupéra dans son placard deux vieilles tenues de voyage, amples, qui devraient largement saillir à son invité. Il rangea le tout dans un grand sac de toile et passa le reste de la soiré à flâner dans son lit, tantôt lisant des livres, tantôt analysant la fiole vide qu'il avait bue. Il pensait toujours à ce qu'il s'était passé dans le tombeau de sa mère. Il ne l'expliquait toujours pas, ce qui l'agaçait fortement. Il se jura d'y faire de nouveau un bond quand l'affaire de Lazare serait réglée.

Quatre heures passèrent encore avant que la nuit ne tombe entièrement sur la région. Assis à sa fenêtre, une bougie près de lui, Aranwë surveillait l'extérieur. La dernière ronde de gardes venait de s'achever, il avait donc une bonne heure devant lui. Les torches s'éloignèrent et il sortit par la fenêtre. Cependant, depuis le premier étage, il était beaucoup plus difficile de descendre sans se faire mal. La paroi lisse du palais ne lui garantissait pas de prises solides et il se fit par deux fois très mal en se griffant aux murs, arrachant même sa robe de nuit dans la manoeuvre. Tant bien que mal, il finit par atteindre la terre ferme, essoufflé, et il courut vers les écuries.

Le bâtiment était ouvert, une chance pour lui. Il s'y glissa et passa en revue les bêtes. Il opta pour une jument noire, robuste, Jaggadevi de son nom. L'animal ne se laissa pas franchement faire, n'appréciant pas d'être réveillé en pleine nuit. Aranwë la scella et la mena par la bride au cabanon. Il ouvrit discrètement la porte. Couché au sol, encore ensomeillé, Lazare se redressa doucement. Son unique œil brillait dans l'obscurité, un peu à la manière d'un chat, ce qui désarçonna un peu le prince. Voyant sa surprise, l'elfe réfléchit un instant.

« Quelque chose ne va pas ?

— Votre œil... Comment vous... ?

— Oh ! Les elfes sont nyctalopes. Nous voyons aussi bien le jour que la nuit. C'est vrai que vous n'êtes pas habitués à cela, ici. »

Lazare se redressa et boita douloureusement vers lui, en s'accrochant aux meubles. Ses genoux étaient bandés, tout comme le trou de son œil droit. Aranwë s'inquiéta pour lui.

« Vous allez réussir à chevaucher ?

— Ce sera toujours mieux que de rester enfermé. »

Le prince accrocha le sac de toile sur la selle.

« Je vous ai mis des provisions pour une semaine et deux tenues de rechange. J'espère que ça suffira.

— Merci de votre aide, Aranwë, répondit l'elfe en se hissant sur la selle avec l'aide du prince. Je ne l'oublierai pas.

— Faites attention à vous sur le chemin, évitez les grandes routes, les gardes vous cherchent toujours.

— J'ai bien retenu la leçon. »

Lazare décrocha une amulette de son cou et la posa dans ses mains.

« Prenez ça en guise de remerciement. Et de mon amitié. Si vous passez par chez nous, un de ces jours, montrez ceci à n'importe quel elfe, il saura que vous êtes un allié

— Merci Lazare, faites bon voyage. »

L'elfe donna un petit coup de pied au flanc de l'animal qui s'enfonça au galop dans la nuit, abandonnant le jeune homme, sourire aux lèvres, dans les ténèbres de la nuit.

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