Chapitre 5

Par Éclat





 

       Le plateau cyclopéen s'élevait impérialement au sommet de la structure glaciale. Autour de lui une muraille de bourrasques hagardes le cercle,  se tend de bas en haut, à l'affut. Par son aspect, parfaitement lisse et brillant, comme la bave d'une immondice fantomatique ou le galbe fulgurant du verre en fusion, et sa hauteur,  il constituait son plus haut point de lumière. Le reste était caressé par une obscurité plus froide et matte que celle du Dzêtachrome, que même les vents cobalt du centre de la sphère n'étaient en mesure de troubler.

 

 Rien de prédestinait qui que ce soit à pénétrer dans ce rectangle aux volumes tranchants et statufiés dans le temps, à la solidité millénaire qui  ne pouvait chuter en désuétude. Entouré de vide immobile, à l'affut sur ses faces latérales, emmuré par rafales, bourrasques et tramontanes en furie depuis son abîme  qu'on ne défit jamais impunément, scellé dans l'espace par un mur sans aucune ouverture. Lisse, glacé, noirceur marmoréenne, galvanisé par le silence,  à en pulvériser sans ciller l'esprit malingre d'un voleur qui tenterait de s'y aventurer - et donc de le bafouer. Froidement inanimé, tel le cœur d'un cadavre assombri par les heures d'errances, ou celui d'un papillon, prisonnier à jamais dans une bille de verre dont l'éclat au soleil construisait le tombeau. Mais le rempart dissimulait merveilleusement bien son jeu ; ce n'était qu'en surface que le polaire sévissait le plus. Au sein des veines serpentantes du matériau dans lequel on lui avait sculpté un squelette, au plus profond du mur, de lui-même, c'était différent. Il y avait des traces de cendres bleue millénaires, encore pourvues d'une soif remuante qui les empêchaient de se noyer.

Même si en bas, l'atmosphère célestiale ahurissante paraissait plus prospère à l'intrusion, il était en fait impensable pour le souilleur d'emprunter cette voie de passage pour parvenir au butin. Seule une personne pouvait pénétrer dans ce sanctuaire. Sa créatrice, évidemment. 


 

      Hécate, le corps tordu, assommé par le sommeil de titane assaillant qui transperce sauvagement l'esprit blanchit par l'effort avant même qu'il ne puisse émettre un battement d'aile,  respirait lentement sur le sol. Il était presque bizarre d'avoir une position aussi sereine et grave, si parfaitement droite et axée qu'elle en paraissait artificielle, mystique ; le dos étrangement rectiligne, les bras posément entrecroisés juste au niveau du plexus solaire, comme ceux légèrement hâve d'un mort venant juste d'être embaumé, les jambes parfaitement droites et relâchées, les cinq doigts aux phalanges endormies effleurant légèrement le sol froid et sans aucune irrégularité, et même la nuque,  parfaitement axée sur une ligne imaginaire scindant le corps en deux,  qui trouvait son origine au nombril en furetant par le sexe, avant de s'arrêter sur le point le plus haut du crâne, le bregma.

 

 Un ronflement étouffé en provenance du visage mercurien d'Hécate, dont les traits étaient adoucis quand ils s'enveloppaient dans l'endormissement, vocalisait quelques secondes brèves dans la structure, avant de se dissiper dans son propre écho. Sa narine gauche était obstruée de morve cireuse. Avant, c'était la droite. Mais vraisemblement, la nouvelle lubie de son habituel rhume  était de voyager de cavité nasale en trou de nez, et d'apprécier sa mobilité fraîchement acquise.

Son visage se flouta légèrement, avant que sa chair aqueuse ne reprenne sa forme normale. Soudainement empêtrés dans un dilemmatique entredeux, le corps voulant continuer de s'émerveiller, d'inhaler pleinement les songes comme on siffle dans son bâton d'opium, tandis que l'esprit placide grondait pour se replonger dans la réalité fumeuse, fuligineuse, celle de la Valeur d'Hécate, indécise et changeante, contrairement aux autres, solides et franches.

Ce fut le calme sommeil, aux cheveux grenat de cachemire et à la langue douce tatouée des étoiles baroques qui s'effeuillent aux heures bleues miroitantes , comme la plupart des cas, qui l'emporta finalement. Hécate, gênée par la lumière, se retourna dans un ultime moment de conscience sur ses flancs douloureux, disloquant ainsi sa parfaite position de base, plia une de ses jambes pour la ramener au niveau de la ligne de taille, puis logea ses bras dans le creux qui s'était formé. Ses vêtements feutrés, évidemment changés de ceux du Dzêtachrome Primaire, bruissèrent en même temps que ces mouvements les emportaient ailleurs. Durant l'opération, la bouche d'Hécate se raidit brusquement. Aigres, ses lèvres semblaient mystérieusement s'être mise à trembler de colère.

La morve se mut en même temps que le corps, la voila transfusée dans la narine droite. Son léger brondissement s'amplifia quelque peu, gravit les aigus cristallin, puis cascada rapidement dans les octaves sentencieux et trompetant.  Étrangement, il était toujours affabulé de son élégance mal placée.


 

      Hécate n'était pas tout à fait centrée dans l'immense tâche de lumière du rectangle noir, son corps en léthargie sommeillait quelques centimètres plus loin.  Cependant son visage, lui, reposait presque entièrement dans la splendeur solaire, sans pour autant que son éclat bleuté ne le gêne dans son repos.

Autour de sa silhouette il n' y avait, seuls, que le parallélogramme de sombre, sa couronne azurée mouchetée de lumière,  les zéphyrs qui tornadent et le mur sans armure pour garde suprême. Tout le reste de la Valeur Repliée était soigneusement escamoté du regard de l'espace par les vents mercure de ses entrailles mouvantes, qui saisissaient doucement de leur mains grises argent ongulantes ses formes, avant de les ensevelir brusquement dans les hauteur sans qu'elle ait le temps de réagir. 

 

De loin, avec sa position de sommeil repliée au centre du corps, son visage parfaitement détendu, et son ronflement bruissant décroissant, Hécate ne paraissait plus humaine, mais animale. Il n'aurait alors pas semblé braque d'observer de la fourrure cendrée noire s'échapper de son épiderme, des moustaches , graciles comme la svelte soie des arachnides croître lentement aux légers plis creusés de ses lèvres, une queue en point d'interrogation pousser au niveau de son coxys, de voir ses ongles s'obscurcir et s'allonger en pointe, et de constater que ses yeux présentaient désormais deux grand traits noirs verticaux, fragmentant en deux leur iris souffre et zircon bleu. Hécate, féline,  s'était métamorphosée en jeune chatte ensommeillée qui ronronnait doucement, apaisée et gentiment perdue au milieu du grand rectangle noir.


 

      Bientôt, la lumière sera cependant trop forte, le mur de froid le devinait aisément, dominant sa créatrice sommeillante. Le soleil à son zénith perdra de sa moiteur veloutée et deviendra de moins en moins paisible et tamisé. C'était en soi toujours le même problème : par souci d'orgueil, l'astre de l'horloge ne pouvait pas s'empêcher de briller avec toujours plus de candeur, de force et de vulcanisme, quitte à s'immoler avec ses propres flammes de blancheur. Ce soleil-là n'est pas si différent de son reflet jumeau brillant dans le réel pétrifié, même s'il est plus lisse et matériel que son confrère brasier de poche. Tout deux finiront un jour par s'annihiler d'eux-mêmes, leur cruelle vanité voulait toujours les faire flamboyer plus fort,  en emportant dans leur cruelle explosion de désespoir toutes les choses sublimes qu'ils avaient enluminé. Autrefois, ils avaient prêté allégeance à la vie. En se tuant, ces anciens rois de l'obscur ne seront plus que les empereurs du risible.

Mais la ronronnante a créé cet espace il y a bien longtemps, à moins que ce ne soit lui qui l'ait enfanté de ses murs de nuit sans que la conscience n'en saisisse l'esprit, et elle pourra s'éveiller très bientôt. Contrairement à l'Univers, elle sera enfumarder l'implosion de son soleil de pierre. Il suffira de l'enfermer de ses deux mains. Pour l'autre, il n'aura cas de débrouiller.


 

      Hécate ouvrit un œil, qui semblait alors presque surprit d'être aussi brutalement arraché à son bandeau d'obscurité parsemé de taches luisantes, puis l'autre. Elle attendit quelques instants que sa vision se stabilise, avant de se rendre compte qu'Anthea était provisoirement morte par incinération, calcinée sans un cri par la création de l'orbe rose. 

Hécate se sourit à elle-même, amusée par son propre oubli.

 Dans sa Valeur repliée, l'Intelligence Artificielle personnelle avait pourtant le droit juridique de s'activer, mais Hécate avait apprécié la saveur du splendide flou ambiant qui embaumait sa vison,  lorsqu'elle se situait encore dans le Dzêtachrome primaire, alors à moitié désamorcé par son  terrible enfant de rose, en se mouvant sans but. Son hypermétropie s'était alors infiltrée au plus profond de sa roche, et l'avait comme polie de sa voix brodée dans l'impalpable.

Le deuxième œil d'ouvrit plus doucement, avec patience. Il était plus fébrile et blessé par l'attente que son voisin, et ordonna à son corps de se réveiller. Le cœur obtempéra, désirant également immerger de sa léthargie à deux temps, le cerveau embué le suivi sans trop réfléchir, puis le reste se mut d'un même mouvement.

Une fois parvenue sur ses deux jambes, dans la plateforme noire, Hécate s'avança, d'abord lentement, claudicante, le temps que le plasma rouge se remette à s'écouler dans ses jambes endolories, puis avec plus de tonus. Vers le bord du rectangle. Derrière elle, le rempart sombre et impassible la regarda s'avancer durant quelques minutes vers les immenses escaliers qui chutaient en ligne droite la grande abîme. Hécate avait la mine trouble , enfin, cela, la connaissant, c'est ce qu'il croyait.


 

Si le malandrin vicieux parvenait miraculeusement, par on ne sait quel tour de passe-passe mêlant chance inouïe, presque impalpable par sa rareté avec immense étourderie de l'espace à pénétrer dans la structure, il pourrait se demander comment sa chair peinte dans la plus étrange des matières noires puisse être aussi lisse et galbée. Sa géométrie aussi parfaite et sans ambages ne pourrait n'être que l'œuvre d'un dieu, se dirait-il tout simplement, avant de continuer l'accomplissement de ses sévices. Mais en voyant les vents faussement lancinés par la fureur polir la pierre obsidienne de leurs ongles métalliques, depuis, penserait-il, des millénaires, il débusquerait ainsi facilement la vraie réponse à cette question, qui conviendrait à son esprit assurément monstrueux d'intelligence. Cela signifierait aussi que sa créatrice aurait parfaitement dessiné son trompe œil, sans doute plus pour se fourvoyer d'elle-même. Des volumes, formes et angles si empereurs, nonpareils, n'était pas de l'œuvre un peu au hasard des vents et leurs mains de sculpteurs.

Elle avait en fait juste besoin de choses solides, sans impuretés ni cicatrices, et brillantes, enveloppantes, comme le reflet des miroirs artificiels déposés en haut à gauche de la salle des essais cliniques. Pour se complaindre et rire de sa propre réalité, si hideuse, si dévorée par les couleurs criardes, éructantes qu'elle n'avait plus le sang sur les os, par rapport à celle de sa genèse. 

Curieusement, celle des deux la plus complexe et labyrinthique n'était pas celle de la Hiénasphère.

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