Agenouillé au bord du ruisseau, Oliver s’aspergea la tête d’eau froide. Elle apporta un peu de répit à sa peau brulante. Dans la fraicheur de la clairière, à l’abri du soleil, sa migraine faiblissait. L’air qui balaya son visage le fit frémir, mais c’était une sensation apaisante.
Son regard plongea dans son reflet et s’accrocha à la partie gauche de sa figure. Le masque de métal qui remplaçait sa chair calcinée était tout ce qu’il pouvait voir. Sa peau irritée dans les régions où l’objet avait été fixé l’élançait douloureusement. Cet implant – comme l’appelait son père – lui avait sauvé la vie, mais il n’en éprouvait que de la honte.
Il se releva, s’installa sur un gros rocher plat et ferma la paupière, bercé par les murmures des arbres et de l’eau qui rebondissait sous les buissons épais. Un craquement tout près le fit sursauter. Il attrapa son bandeau et se hâta de le replacer.
Trop tard. Il s’en rendit compte quand il croisa les yeux écarquillés de Lily, à l’entrée de la clairière. Son cœur se serra et il attendit, certain que son amie allait partir en courant. Le silence s’étira, comme les secondes.
— Je suis désolée de te déranger, fit-elle. Si tu veux que je te laisse seul…
— Non.
Le mot avait jailli sans qu’il puisse le contrôler. Il perçut le soulagement de Lily. Elle pénétra dans la clairière et s’agenouilla devant lui. Oliver la suivit des yeux, figé dans la crainte de sa réaction. La douleur pulsait sur son visage et dans son crâne. D’un geste doux, l’alfrée ajusta le tissu.
— Je vois bien que tu ne te sens pas bien, Oliver. Et je suis là. Je peux t’aider.
— Tu as vu…, souffla-t-il, sans même pouvoir terminer sa phrase.
— J’ai aperçu une sorte de masque de métal.
Lily attendit, en le fixant d’un regard attentif et patient. Alors les remparts d’Oliver se brisèrent sous la puissance de son désir de se livrer, de se montrer. Les mots jaillirent de leur propre volonté :
— J’ai été piégé dans un incendie. Des produits chimiques m’ont brulé la peau très profondément et détruit l’œil. Les dégâts étaient trop importants et la nécrose allait me tuer, alors mon père a accepté qu’un chirurgien m’opère. La plaque remplace ma peau et mon œil est une bille de pierre bleue.
— Est-ce que tu vois… avec cet œil ?
— Non. C’est purement esthétique.
Une grimace dépara le visage du jeune homme. Lily s’alarma ; Oliver paraissait de plus en plus pâle.
— Est-ce que je peux regarder ? demanda-t-elle.
Oliver hocha la tête piteusement. Il ôta le tissu. Lily ne pouvait détacher ses yeux de l’étrange appareillage. Elle l’avait à peine aperçu tout à l’heure. Si proche, elle discernait mieux l’agencement des plaques très fines et ciselées, dans un métal argenté brillant, reliées par des fils cuivrés. Il s’arrêtait au niveau de la joue, dont il épousait parfaitement la forme, le long du nez et sur la tempe. On aurait dit un masque luxueux. Encadré par sa chevelure noire ondulée, le reste du visage à la peau légèrement hâlée, garnie d’une courte barbe, était encore rehaussé par les reflets de l'alliage. Lily fut prise d’un puissant désir de le toucher. Puis, elle repéra ce qui n’allait pas.
— C’est ce qui te fait souffrir ? demanda-t-elle, en frôlant la chair gonflée sur sa tempe.
Il ferma à demi l’œil et eut un soupir, qu’elle eut du mal à interpréter, mais qui fit tambouriner son cœur si fort qu’elle en perdit le souffle.
— Je dois mettre une crème, expliqua-t-il d’une voix sourde. Un baume. J’en avais un certain stock, mais je n’en ai pas retrouvé dans la ville précédente. La peau est devenue très douloureuse. J’aurais pu aller en demander à Dame Vauvert. Mais je ne sais pas pourquoi, je…
Sa voix s’éteignit et il détourna les yeux. Une profonde tristesse envahit Lily.
— Ce n’est pas si grave si tu le montres, fit-elle, avec douceur.
Il riva son regard sur elle, avec une expression craintive.
— Je ne veux pas. C’est une horreur. C’est…
— C’est beau, intervint Lily.
Elle rougit, consciente du ton énamouré qu’elle avait pris. Oliver la fixa avec intensité. Tant d’émotions se dessinèrent sur son visage : espoir, inquiétude, désir, tendresse… Son esprit fut emporté dans une chaleur bienfaisante. Oliver grimaça, ce qui ramena Lily à la réalité.
— Acceptes-tu mon aide ?
Oliver hocha la tête.
— J’ai un remède qui pourrait te soulager. Les acrobates s’en servent après leur entrainement.
— Je veux bien essayer.
— Je te rejoins dans ta roulotte.
Deux êtres qui se rapprochent. Les peurs s'éloignent grâce à la bienveillance et à l'absence de jugement. Le rythme entre description et dialogue est bien mené. Les paroles judicieusement choisies.