Chère Azéline,
J'espère que tu es bien arrivée à Rennes, et que l'Ecole Normale te plaît. Je pense que vous ne pouvez pas sortir beaucoup, mais tu as peut-être déjà eu l'occasion de visiter un peu la ville.
Je t'embrasse,
Guillemette
On est en 1913, début Octobre, Azéline prend le train pour Rennes, elle est arrivée à la gare de Pontivy à pied sa valise à la main. Elle a dû marcher 7 kilomètres à travers champs, pour arriver jusque là, dans un petit panier elle a des provisions pour la route : deux galettes de Sarrazin, de la grosse saucisse cuite et des pommes, sa mère a aussi mis dans son panier une bouteille de cidre pour étancher sa soif. Elle est tellement contente d'être là, elle a réussi son Brevet élémentaire, et a été acceptée à l'Ecole Normale Primaire de filles, elle va devenir institutrice. Elle va habiter dans la capitale de la Bretagne pendant au moins trois ans, adieu le petit village de ses parents, les ragots, et les médisances. Là bas, personne ne la connaîtra, elle sera à l'internat avec des jeunes filles de son âge. Dans le train, Azéline s'assoit sur une banquette en bois dans un wagon de troisième classe, elle sera à Rennes dans deux heures. Le train s'arrête dans de nombreuses gares, les gens montent et descendent, ils sont tous chargés de paniers et de sacs, certains transportent même des poules et des canards. C'est une aventure pour Azéline, elle n'a jamais pris le train, elle a un peu peur, mais les gens autour d'elle ont l'air confiant. La locomotive fait beaucoup de bruit, c'est assez impressionnant, par la fenêtre elle voit le panache de vapeur. Elle a mis ses habits du dimanche, les femmes doivent être élégantes dans la grande ville, elle va être institutrice, elle ne doit pas avoir l'air d'une campagnarde.
Elle arrive à Rennes en début d'après midi, une voiture tiré par des chevaux l'attend, elle a la surprise de voir qu'elle n'était pas la seule dans le train à vouloir rejoindre l'école des futurs instituteurs, trois autres jeunes femmes montent avec elle, la première est petite et boulotte, elle est blonde et frisée :
« Bonjour, je m'appelle Augustine, je viens de Ploërmel »,
« Moi c'est Germaine, Pont Hamon ».
Germaine a les cheveux courts, elle est très brune et à un petit air effronté qui plaît tout de suite à Azéline.
« Bonjour, je m'appelle Azéline et j'arrive de Lannargan près de Pontivy ».
La dernière s'appelle Antoinette, elle a l'air très timide, et semble très impressionnée par la grande ville, elle vient de Josselin. Azéline ouvre grands les yeux, la voiture traverse le centre de Rennes, et elle passe devant le Parlement de Bretagne, le Jardin du Thabor, de belles dames avec des ombrelles marchent tranquillement dans les avenues du parc. Azéline pense à ses voisines qui sont toujours habillées de noir, avec leur gros bas de laine grise, et leur coiffe. Ici les étoffes des robes sont légères, les manteaux ne sont pas crottés, et les chaussures n'ont rien à voir avec les sabots des paysannes, elles sont fines et élégantes. La jeune fille se dit qu'un jour elle aussi marchera nonchalamment avec un petit sac à la main, elle rentrera chez elle dans un appartement du centre ville, où elle retrouvera son mari et ses enfants. Azéline est perdue dans ses pensées, ce sont les commentaires de Germaine qui la tire de ses rêveries :
« la ville est à nous les filles, je sens qu'on va s'amuser ici, je suis sûre qu'il y a des petits cabarets où on peut aller rencontrer d'autres jeunes de notre âge ».
Antoinette a l'air horrifiée en entendant le mot « cabaret », Augustine répond :
« n'oublie pas que nous sommes là pour travailler, nous devons absolument réussir si nous voulons devenir institutrices ! ».
Augustine est la raisonnable du groupe visiblement, quant à Azéline, elle se sent prête à tout, elle a enfin le sentiment de vivre.
En arrivant à l'école, une femme d'une cinquantaine d'années les accueille :
« Bonjour mesdemoiselles, bienvenue à l'école normale de Rennes, je me nomme Madame Menesguen, et je dirige cet établissement depuis sa création, je vais vous présenter la directrice de l'internat, Madame Quéré ».
Madame Quéré semble être la copie conforme de l'autre directrice, elles sont toutes deux habillées de noir, avec une robe boutonnée jusqu'en haut du cou, un col noir, recouvre leurs épaules, et Madame Ménesguen qui doit être frileuse, porte un cardigan tricoté en laine grise.
« Suivez-moi Mesdemoiselles, vous devez être fatiguée, je vais vous montrer le dortoir ».
A droite du bâtiment se trouve une petite école primaire, la cour est déserte à cette heure, mais Azéline l'imagine déjà pleine de petites filles qui jouent. Elles montent un escalier de bois, le dortoir se situe au deuxième étage.
«Voilà, vous pouvez choisir vos lits, dit Madame Quéré, les autres jeunes filles arriveront dans la journée de demain, cette chambre est réservée aux premières années, les deuxièmes années sont de l'autre côté du couloir ».
Quatre lits sont alignés de chaque côté du mur, entre les lits, une armoire fermée à clef permet de ranger ses affaires. Azéline trouve tout formidable, elle a l'impression d'être en vacances.
« Toute à l'heure Madame Ménesguen viendra vous chercher pour vous faire visiter l'école »,
la directrice de l'internat a l'air très stricte, mais on sent de la bonté chez cette femme, son regard bleu et doux.
« Vous pouvez ranger vos effets dans les armoires, nous ne tolérons pas le désordre dans les chambres, vous êtes de futures institutrices et vous devez montrer l'exemple, si l'ordre règne dans votre environnement, l'ordre règnera aussi dans vos têtes ».
Elle montre les lits qui ne sont pas faits, deux draps, une couverture, et une taie de traversin sont posés dessus.
« Vous devez commencer par faire vos lits, il est hors de question de sortir de la chambre avant cela »,
elle parle d'une voix ferme, et on sent qu'elle n'hésitera pas à faire respecter le règlement.
« Près de la porte, il y a une feuille avec les tâches à effectuer par chacune d'entre vous »,
Azéline et les autres filles s'approchent de la feuille en question.
« Vous êtes chargée du nettoyage et du ménage de votre dortoir. Chaque lit a un numéro, à côté est écrite la corvée à faire pour la journée, par exemple, demain, c'est l'utilisatrice du lit numéro 1 qui doit balayer la pièce, le 2 doit laver par terre, et ainsi de suite, il y a huit lits et sept choses à faire, il y a donc une personne qui se repose chaque semaine, le lundi suivant, on décale les corvées pour que ce ne soit pas toujours la même qui fasse la même chose ».
Madame Quéré sort de la pièce,
« suivez- moi »dit-elle avec autorité.
Au fond du couloir se trouve les lavabos,
« vous partagez ce lieu avec les deuxièmes années, vous aurez le droit de les utiliser le soir, et elles le matin, les toilettes se trouvent dehors dans la cour. »
Les jeunes filles dociles, l'écoutent en silence, la directrice poursuit,
« réveil à six heures tous les matins, petit déjeuner de six heures quarante-cinq à sept heures quinze, des questions ? ».
Les jeunes filles se regardent, tout paraît clair, elles ont l'habitude de se lever tôt, et cet emploi du temps à l'air tout à fait bien pour quelqu'un comme Azéline qui a l'habitude de se lever à cinq heures pour aider ses parents à s'occuper des bêtes.
« La chambre doit être impeccable quand vous la quittez chaque matin, je vérifierai personnellement que chacune d'entre vous à bien accompli sa tâche quotidienne, si il y a un problème, j'avertirai une première fois la responsable, mais sachez que l'on peut être renvoyée de l'internat, si tout ne se passe pas comme prévu, je sais qui doit faire sa corvée chaque jour, j'ai d'ailleurs un double de la feuille dans mon bureau »,
son regard bleu scrute chaque visage pour voir si le message est bien passé. Germaine ose une question :
« le soir, à quelle heure doit-on être rentrées ? »,
Antoinette n'en croit pas ses oreilles, jamais elle n'aurait osé demander une chose pareille ! de toutes façons dans une grande ville comme Rennes elle se sent déjà perdue. Madame Quéré semble quelque peu amusée par l'audace de Germaine,
« le dîner est servi à 19 heures précises, la bibliothèque de l'école est ouverte jusqu'à 22 heures, extinction des feux à 22 heures 30. Ai-je répondu à votre question ? », répond-elle en regardant la jeune fille droit dans les yeux.
Germaine ne se laisse pas impressionner, « tout à fait Madame. »
Il est déjà 16 heures, la directrice de l'internat les laisse déballer et ranger leurs affaires. Dès qu'elle a quitté la pièce, Germaine s'exclame :
« si elle croit que je vais me coucher avec les poules, elle se fourre le doigt dans l'œil, j'ai bien l'intention de profiter de mon séjour ici, je ne sais pas dans quel endroit perdu je trouverai un poste, Rennes me voilà !! »,
la jeune fille amuse beaucoup Azéline, elle sent qu'elles vont devenir amies, elle est différente des autres, elle semble plus dynamique, les autres lui paraissent un peu éteintes. Elle n'avait jamais vu de femme avec des cheveux courts, elle en a bien vu dans des revues de mode qui trainaient un jour chez la couturière du village, mais elle n'imaginait pas rencontrer une de ces amazones un jour. Sa tenue aussi est osée, sa robe est courte, elle arrive à mi mollet, Azéline pensait qu'une des directrices ferait une remarque à Germaine sur sa tenue excentrique, mais personne ne lui avait rien dit.
« Bon je m'en grillerais bien une les filles », aussitôt dit aussitôt fait, Germaine ouvre la fenêtre et allume une cigarette au bout d'un long fume cigarette. Azéline est admirative.
Il est 19 heures, Béryl pose son stylo, Azéline se tient toujours près d'elle souriante.
« Toujours avec tes cartes postales Bébé ? As-tu des nouvelles de Florent ? »,
Marie-Madeleine est rentrée, et elle tire Béryl du monde où elle avait passé l'après midi, elle regarde en direction d'Azéline, elle a disparu, la jeune femme a l'impression de sortir d'un rêve,
« Florent ? Non, je vais l'appeler ».
Elle compose le numéro du portable de Florent, et tombe une fois encore sur la messagerie, ce silence devient inquiétant, que se passe-t-il ?
« Je n'arrive pas à le joindre, c'est bizarre, et il n'appelle pas pour me donner des nouvelles, je ne sais pas ce qui se passe ».
Les enfants sont chez leur grand-mère, ils préfèrent profiter à fond de la famille de leur père, et elle sait qu'ils n'aiment pas être dérangés quand ils sont là-bas. Marie-Madeleine sort une bouteille de Saint Joseph de son sac,
« pour se remonter le moral on va boire un petit coup de rouge à sa santé, ça le fera peut-être appeler ».
Elle coupe des tranches de saucisson et verse le vin dans deux verres à pied. Béryl est un peu groggy, le vin sent très bon, il a une belle couleur rubis, la première gorgée la sort de sa torpeur,
« Comment s'est passée ta journée Tantine, comment va ton amie ? »,
« très bien, les chiens ont joué comme des fous, elle a un boxer de deux ans, il adore la compagnie, elle m'a donné cette bouteille parce que je l'ai aidée dans ses démarches administratives, j'adore ce vin »,
« tu as raison, il est excellent »répond Béryl,
« tu devrais sortir un peu, ça n'est pas bon de rester enfermée comme ça tout le temps, tu vas t'anémier »,
Marie-Madeleine s'inquiète de voir sa nièce si lymphatique, elle n'a pas l'habitude de la voir bouger si peu, de grands cernes noirs apparaissent sous ses yeux.
« Tu te fatigues trop avec ces cartes postales, je regrette de te les avoir montrées, demain nous allons sortir toutes les deux, nous irons au village à pieds si tu veux. »
Béryl ne sait pas si elle pourra marcher aussi longtemps, elle répond
« nous verrons demain »,
elle ne veut pas décevoir sa tante, ce soir elle est tellement fatiguée qu'elle ne peut pas se projeter jusqu'à demain, elle a déjà fait un bon dans le passé aujourd'hui, restons dans le présent pour l'instant. Béryl part se coucher plus tôt que d'habitude, avant de s'endormir, elle entend distinctement une voix qui lui dit
« Merci mon amie ».
j'ai remarqué quelque chose concernant tes dialogues, notament sur la ponctuation. Tu mets des virgules à la fin de chaque réplique. Il serait peut être mieux de mettre des points.
Juste : "cernes" est masculin (je le sais depuis peu)