Chapitre 5 : Embrun

Par Joffrey

Lorsque Rose émergea enfin de la tente, ses deux compagnons l’accueillir autour du petit feu qu’Élias avait rallumé. Agathe lui offrit une tasse de café alors que le botaniste s’improvisa cuisinier. Il prépara une kacha tout à fait correcte et parvint presque à arracher un compliment à Lièvre. La nouvelle arrivante frissonna lorsque le froid mordit sa peau et s’enroula dans sa cape. Alors qu’Hirondelle profitait de la chaleur du breuvage, l’autoproclamée chef du groupe commença à plier bagage et lança :

-Si nous nous dépêchons assez le dîner de ce soir n’aura pas le temps de refroidir qu’on aura déjà les pieds sous la table !

-J’avoue que dormir à Embrun me rendrait très heureuse, j’ai cru que j’allais mourir de froid la nuit dernière. En plus, Agathe avait les pieds glacés !

-Tu n’es pas mieux! On aurait placé un amas de neige dans la tente ça aurait été la même chose.

Élias esquissa un léger sourire et railla :

-Eh bien si vous voulez la prochaine fois vous pourrez dormir avec Belladone. Je suis sûr qu’entre femmes vous vous entendrez à merveille.

-Tu ne payes rien pour attendre le nabot. Rétorqua Lièvre.

Le périple reprit rapidement et les trois voyageurs atteignirent enfin la Serpentine. Le fleuve coupait en deux le nord du pays, seul un gigantesque pont de pierre magnifiquement ouvragé permettait la traverser. Alors qu’ils s’approchèrent du titanesque édifice, un grand nombre de caravanes marchandes, en retard sur la saison, avaient rejoint le convoi à l’entrée du pont. Chaque année, les négociants de tout genre faisait route vers le sud à l’arrivé de l’hiver. La trêve hivernale, comme l’appelaient les voyageurs, allait bientôt commencer. Une fois Embrun atteint, ils profiteraient de cette longue pause pour fêter la nouvelle année avec leur famille et amis. Nouant de nouvelles alliances, préparant leurs futurs déplacements autour d’alcool divers. Cette trêve, d’abord fêtée seulement par les marchands, devenu avec le temps une période importante pour n’importe quel habitant du sud. Mais pour l’instant l’accès au pont était bloqué par l’une de ces caravanes. Le chef donnait de la voix face à trois membres de la garnison. Les gardes en faction bloquaient l’accès à l’autre rive. Rose et Élias abandonnèrent Agathe avec la ménagerie et jouèrent des coudes pour avancer dans la foule. Hirondelle murmura « Encore une affaire d’argent, c’est d’un ridicule ». Après quelques bousculades dues à l’effervescence du moment, le jeune homme percuta une solide masse qui sembla inamovible. Le gaillard se retourna. Sa peau verte et l’air d’avoir été grossièrement taillé dans un bloc de pierre laissa aisément deviner ses origines. L’Oruhorc dévisagea le petit bonhomme. Élias n’en avait vu que peu dans sa vie et encore moins d’aussi près. Les descriptions physiques qu’il avait lues à leur propos semblaient être remplies de doux euphémismes. La taille ainsi que la musculature du spécimen qu’il avait sous les yeux était impressionnante. Le géant d’émeraude dépassait d’une épaule le conseiller. Son regard se posa sur le botaniste et il posa une main amicale sur sa tête « Attention petite, les grandes foules sont dangereuses. » dit-il d’une voix gutturale. Le marchand s’égosillait encore et bloquait toujours la route menant à Embrun :

-N’avez-vous donc aucune honte ! Je suis un honnête marchand, je reviens d’un voyage long de six mois ! Croyez-vous que j’ai le moindre temps à perdre avec des gens aussi infâmes que vous ! Ma famille est influente dans les deux parties du royaume, s’il le faut j’aurais recours à la voix du roi lui-même pour vous apprendre le respect !

-Tes menaces ne nous effraies pas marchand. De plus évoquer le roi ainsi, tu mériterais de tâter de nos lames. Mais si tu as la menace aussi facile, je suppose que tu n’as pas peur du choix de l’acier. Fit l’un des soldats.

A ces mots le marchand recula d’un pas et s’essuyer le front baigné de sueur. Ses yeux scrutaient l’auditoire comme à la recherche d’une aide. Il vit l’Oruhorc alors qu’un sourire sardonique se peigna sur son visage. Un second soldat répliqua :

-Alors le lâche, aurais-tu perdu ta langue ou peut-être que tu as fait dans tes braies !

Le négociant darda un regard sans équivoque à ce dernier, si ses yeux avaient pu lancer des éclairs il était clair que le soldat aurait cuit sur place. Pourtant lorsqu’il reprit la parole, son intonation ne laissa rien transparaître.

-Si je me fie aux règles j’ai le droit de nommer un champion qui devra accepter ma demande n’est-ce pas ?

-C’est bien vrai mais la plus proche guilde de mercenaires est bien loin et je ne crois pas qu’un de nos compatriote voudra vous aider.

-Oh mais je n’ai pas besoin de chercher si loin. Andrei, vient me prouver que je ne te paye pas pour rien !

Le géant qui se tenait au côté d’Élias réagit instantanément et se mit en marche dans ce qui sembla être une démarche d’une langueur infini. Il dominait d’une bonne tête les membres de la garnison. Les soldats eurent un geste de recule alors qu’un homme en armure du royaume arriva et les tapota chacun sur l’épaule. Le crâne rasé, une balafre traversant son visage du sourcil droit vers la joue gauche. La peau halée par les longues heures d’exercice sous un soleil cruel. Il n’était pas plus grand que ses compères mais il renvoyait l’aura d’un grand homme. Sa démarche rappelait un prédateur prêt à se jeter sur sa proie. Le chevalier se retrouva face à celui qui devait lui servir d’adversaire, le toisa d’un sourire narquois et lui exposa les règles :

-Bon, très bien peau verte, c’est simple. Il s’agit d’un duel. On se bat et le premier qui pose un genou à terre a perdu. Si tu gagnes on laisse ton chef et sa caravane passer. Si tu perds vous dégagez et on veut plus entendre parler de vous dans la région. Ça te va?

-C’est entendu. Répondit-il.

Il sortit une immense épée qu’il tenait de la main droite et une hachette dans la main gauche. Le garde, quant à lui, décrocha sa longue cape bordeaux qui s’envola au vent, puis dégaina une simple épée droite qui sembla luire un court instant. L’air était tendu entre les deux combattants, jamais Élias n’avait vu un tel face à face. En une fraction de seconde, Andrei abattit sa lame telle une guillotine. L’épéiste d’un habile jeu de jambes avait esquivé l’impact, puis, tenta de frapper au visage l’Oruhorc. La hachette vint à la rencontre de l’épée bloquant le coup d’une simple formalité. Une pluie d’estocades, de frappes et de bottes se déversa sur le colosse qui se servait de la protection toute relative de sa peau pour se protéger de certains coups qu’il ne pouvait esquiver. Le géant profita d’une ouverture et tenta de faucher de son gigantesque hachoir son ennemi. Le chauve ne se laissa pas avoir et se fendit sous l’attaque, esquiva aussi le coup ascendant de la hache avant de frapper d’un puissant coup de pied le thorax du colosse émeraude. Andrei recula d’un pas mais ne chancela pas. Son adversaire ne le laissa pas respirer, enchaînant de puissantes frappes capables d’abattre un arbre. L’épée droite fit une nouvelle percée qui racla l’épais cuir de l’Oruhorc, sa hache se perdant au pied de la foule.

Le combat reprit de plus belle, redoublant d’intensité. Andrei attrapa le poignet du guerrier et avant que celui-ci ne réagisse le frappa violemment à la mâchoire. Le chauve lâcha son arme, la rattrapa de son autre main et exécuta une estoc en direction de la gorge de l’adversaire. Le géant relâcha le tisserand et les deux reculèrent de quelques pas, essoufflés. Les spectateurs, fébriles, sentaient que l’affrontement touchait à sa fin. Les opposants commencèrent à charger, comptant en finir sur ce mouvement. Une pierre voltigea entre les deux guerriers avant qu’ils ne puissent attaquer et foudroya les pavés du pont.

Lièvre se tenait debout sur le chariot à la périphérie des marchands. Son masque sur le visage, quelques murmures se faufilèrent dans la foule de voyageurs. D’une voix courroucée elle annonça « Voici donc ce que font les soldats de notre magnifique patrie quand on ne les surveille pas ? ». Les visages des membres de la garnison se figèrent alors qu’un sourire triomphal se peignit sur la figure du marchand. L’attention de cette dernière se tourna alors vers le négociant et toujours sur le même ton poursuivit « Ne vous badinez pas de la situation, je tiens à vous faire remarquer que vous êtes à l’origine du problème. Trois choix s’offrent à vous : vous payez votre droit de passage comme tout le monde, vous déguerpissez loin d’ici ou je vous foudroie sur place sans attendre ! ». Le marchand blêmit instantanément, les autres voyageurs se poussaient afin de laisser de la place au convoi des trois conseillers. La caravane et son marchand qui bloquait le pont ne firent pas plus de problèmes et payèrent la taxe avant de partir en direction d’Embrun.

Alors que le pont avait retrouvé son activité habituelle, Agathe s’approcha du chauve qui donnait quelques ordres avant de se tourner vers la conseillère. Ils se faisaient face, d’un ton un peu plus enjoué la femme le piqua :

-Je ne pensais pas te revoir ici, de ce que je vois tu n’as pas perdu tes mauvaises habitudes.

-Moi aussi je suis très heureux de vous revoir maîtresse Lièvre, sachez que c’est un honneur que vous vous inquiétez de mes habitudes.

-Arrête ce petit jeu avec moi Tobias, tu me connais depuis assez longtemps pour savoir mon prénom. Que fais-tu là ? Lion t’a envoyé nous rejoindre je suppose ?

-Effectivement, c’est bien lui qui m’a demandé de vous accompagner sur la route du retour. Il m’a dit qu’avec Hirondelle et toi la mission devait être une réussite totale. Mais pour vous soulager sur le reste du voyage je suis venu avec deux de mes gars.

-Comme c’est charmant de votre part. Nous acceptons avec plaisir votre aide à tous les trois. Des nouvelles pendant notre absence ?

-Non Embrun est toujours aussi calme. Les terres du nord en viendraient presque à me manquer !

-Tu sais que Lion ne te retient pas, si jamais tu veux traîner à nouveau ta carcasse à la guerre tu es libre de le faire.

-Non merci, j’apprécie bien trop le confort de ma position actuelle.

-Bon, assez bavardé. Ni moi, ni aucun de mes compagnons n’avons envie de rester plus longtemps ici.

Tobias héla ses deux compagnons qui arrivèrent au pas de course et repartir aussitôt avec les ordres de leur chef. Ils reprirent alors leur route en direction de la capitale, il fallut un peu plus d’une demi-journée pour enfin atteindre le joyau de l’Est. Ils avaient continué à suivre l’exode des marchands et finalement Embrun fut en vue alors que le soleil brûlait de ses teintes vermeilles. La mer se lovant à la capitale reflétait l’embrasement céleste et offrait au paysage une allure presque onirique. Élias observa le panorama à la recherche d’une bâtisse chère à ses yeux. Sans difficulté, il la trouva. Son aspect à peine changée avait malgré tout, subit les outrages du temps. Cependant le jeune homme savait qu’il ne pourrait pas s’y rendre tout de suite, une personne attendait son arrivé plus que tout au monde.

L’homme répondant au nom de Léandre observait par la grande baie vitrée les va-et-vient apaisants de la plage. La journée n'avait pas été simple, il soupira avant de porter à ses lèvres un verre rempli d’un liquide ambré. Lorsqu’il posa sa boisson sur la table derrière lui, ses yeux se posèrent sur un ouvrage. Soupesant le livre, il l’étudia une nouvelle fois comme à la recherche d’un secret qui aurait échappé à l’une de ses multiples lectures. Puis reporta son attention sur une pile de documents urgents. Il lâcha plus pour lui-même que pour un quelconque domestique. “Mince, il me reste encore ça à gérer… Je crois que cette journée ne va jamais se finir." Ses yeux, bleus comme la mer, se posèrent sur l’un des deux domestiques qui l’accompagnait:

-Toi, monte ces dossiers à mon bureau. Ils peuvent attendre demain.

-Très bien maître, que fais-je de la documentation de maître Hibou?

-Monte ça aussi. J’ai bien assez travaillé pour aujourd’hui. Rangez aussi quelques ouvrages qui traînent, vous pourrez disposer quand vous aurez fini.

-Très bien maître, comme vous le souhaitez.

Son regard se perdit à nouveau dans le bleu de la mer. Après une gorgée de son verre, il ouvrit la baie vitrée et le vent le caressa de son souffle salin. Il laissa son esprit dérivé à un endroit bien loin dans le temps, à une époque plus calme. Le printemps avait été généreux et personne dans l’Est n’oublierait cette année-là. En plus des récoltes abondantes, le destin avait choisi de faire apparaître un nouveau porteur du don. Pour Léandre, ce n’était pas la première fois qu’il rencontrait ce jeune homme. Un petit orphelin recueilli par une amie de longue de date, sa mentor, Elisabeth, la Tortue de l’Assemblée. Le gamin était un brin chétif et cela semblait clair comme de l’eau de roche qu’une carrière militaire n’était pas faite pour lui. Cependant, ce jeune garçon à la crinière carmin avait développé une grande sensibilité dans l’art du tissage. Peu porté sur la discussion, Lion avait dû tester ses talents de manière détournée à leur première rencontre. L’orphelin était doué, terriblement doué. Léandre avait presque jalousé cet enfant. A seize ans aujourd’hui il devenait le membre le plus jeune de l’Assemblée, battant sans le savoir, le record de Lion. A ce moment, il lui parut claire que Élias le Hibou était destiné à de grandes choses.

Revenant au présent et face au bruit apaisant des vagues. Léandre lança face à la mer «  Je t’attends mon garçon, ne me déçoit pas en brisant les espoirs qui reposes sur toi »…

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