Quand on chasse, il y a un moment où l'on est au dessus de sa proie et où il ne se passe rien. Du moins, en apparence. Il s'agit du moment où l'on commet l'irréparable. La proie ne nous voit pas, l'arc est tendu, la flèche est prête à partir. Et nous, nous retenons notre souffle.
''Est ce que ma flèche atteindra sa cible ?'' n'est pas une formulation saine. La question est plutôt : ''Vais-je tuer ma proie ?''.
Je ne veux pas être hypocrite. Je sais que je vais effacer une vie. Je ne tiens pas à lisser mon cœur pour arrêter de me sentir coupable. Je ne m'en veux pas de tuer, attention, je ne fais que suivre la ligne de conduite de la nature. Non, ce que je ne veux pas, c'est d'oublier la responsabilité que je peux avoir dans cette affaire. C'est moi qui décide si je décoche la flèche. C'est moi qui détruit une vie pour en entretenir une autre. Je ne suis pas innocent non plus dans ma philosophie de chasse, je sais que je ressens au moins une satisfaction lorsque j'arrive à tuer une proie, une vieille connaissance vient alors me rendre visite : la soif de sang, de la mort que je connais que trop bie. Que j'ai beaucoup côtoyé dans le passé. Et que j'implorais fut une époque.
Maintenant, je sens cette soif monter dans ma bouche. L'instant se fige. Un choix se forme. Je vois ce lapin qui mange dans l'herbe. Il ne me voit pas, moi si. Il ne me veut aucun mal, moi si.
Il ne me tuera jamais... Moi non plus.
Je décidai de relâcher mon arc, la soif m’assécha, mais je ne le tuerai pas.
Peut-être vivra t-il un peu plus aujourd'hui ?
Peut-être pourra t-il revoir sa famille ?
Peut-être sera t-il heureux en s'endormant ce soir ?
Je n'ai rien contre ce lapin. Billy non plus. Mais je lui fis signe.
C'est lui qui tirera la flèche.
Il me regarda et acquiesça en silence. Il tendit son arc.
Cette conversation, je l'ai déjà eu avec lui. Il a déjà compris mon point de vue, et mais il n'a pas mon passé. Il fixa le lapin, sans haine, sans malice, sans orgueil. Sans fierté. Avec amour peut être. Avec respect sans doute. Enfin, on peut toujours espérer, mais Billy ne s'énerve pas quand je chasse avec lui. Il ne se vante pas non plus. Il est là, et il essaye de bien faire.
Il cherche à tuer net. Et ça s'arrête là. Il préparera ensuite le lapin, le lavera, l'écorchera, le dépècera, le cuisinera et le mangera avec sa famille.
Et il dira ''merci'' au lapin, et il lui demandera pardon.
Tchack !
Le temps s'était écoulé. La flèche était tirée.
Et le lapin s'était échappé.
« Mince. » dit Billy en sortant de sa cachette, et il alla ramasser la flèche.
Le temps reprit son cours.
Nous avions passé la soirée à la cabane, chacun était reparti dans sa maison respective. Et ce matin nous nous étions retrouvés devant la maison de Théo.
Riton avait prit le Gamin sur ses épaules et était parti avec des clous et des marteaux en direction de la cabane. Le gosse voulu serrer sa sœur dans ses bras, mais la Gamine ne lui retourna pas le moindre geste d'affection. Il versa quelques larmes sur le dos de Riton.
Théo et Billy prêts, ma chienne renifla une des écharpes de Sifil et entreprit de remonter la piste.
La Gamine restait silencieuse et jetait quelques regards derrière elle, anxieuse.
Sur la route, nous croisâmes quelques lapins, perdrix et grives que je décidai de chasser ou non. Théo ne voulu pas tirer, mais ne détourna pas le regard non plus.
La Gamine ne disait rien. D'ailleurs celle-ci avait disparu pendant que Billy tirait sa flèche, où était-elle passée ?
Elle réapparut quelques instants plus tard derrière les fourrés, avec un lapin inerte suspendu par ses oreilles. Elle se tourna vers Billy et dit : « Tu chasses avec calme... Toi aussi Vieux Gamin... Merci, pour n'avoir rien dit. »
Elle attacha le lapin à une cordelette que je lui avais donné au cas où elle réussissait à attraper une proie à mains nues. Ce fut le cas visiblement.
Elle ne se moqua pas de Billy, ni ne s'enorgueillit de sa prise. Elle me tira sur la manche et me fit signe de me pencher et elle me chuchota dans l'oreille :
« J'ai vu votre regard Vieux Gamin, je me posai la question, mais après tout, il semblerait que nous soyons tous les deux des monstres. »
Elle repartit sans attendre une quelconque réponse. Elle avait raison. La chasse reprit de plus belle.