Chapitre 57 : Ceci n'est pas drôle

Par Kieren

« Je me demande à quoi va ressembler ma porte d'entrée... »

« De quoi avez vous peur Monsieur à la longue barbe ? »

« De quoi j'ai peur Billy ? Je ne sais pas. Retrouver ma cabane en rose fuchsia, les moutons sur le toit en guise d'isolation, que Riton et le Gamin aient réparé la porte mais en cassant les fenêtres. Je veux dire, dans le meilleur des cas ils ont peut être brûler toute la maison en ne laissant que la porte intacte. Parce que Riton est consciencieux. Je ne sais pas, on ne sait jamais avec Riton. »

« Vous fabulez, il ne ferait jamais ça. Il n'est pas malveillant. »

« Je ne dis pas qu'il est malveillant, je dis qu'il est improbable, et certainement fou, ou génial. Et je te rappelle que pour un de tes anniversaires il avait ramené toutes, et je dis bien ''toutes'', ses vaches dans ton jardin, et il leur avait fait porter des chapeaux d'anniversaires, et ils les engueulaient lorsqu'elles les mangeaient. »

« Oui, je m'en souviens, c'était une bonne façon de commencer la journée. »

« En remplissant les trous dans l'herbe qu'elles laissaient derrière elles. Tu leur demanderas à tes parents, ils s'en souviennent encore. »

« Ça crée des souvenirs. »

« Des fois les souvenirs feraient mieux de rester dans une malle que l'on ne rouvre jamais. » dit la Gamine en se retournant, et nous échangeâmes un regard l'espace d'un instant. « Mais certains valent le coup d'être racontés et de les faire revivre, pour soi ou pour les autres. » Elle haussa les sourcils et je lui jetai un regard qui signifiait ''Oui je suis hypocrite, mais je le fais pour ton bien, alors ta gueule.''

J'ai des regards très expressifs s'il le faut.

« Au fait Gamine, puisque je te tiens, est-ce-que tu peux m'expliquer pourquoi tu as laissé ton frère seul avec Riton. Je pensais que tu ne faisais confiance à personne. Tu es revenue sur ton avis ? »

« La seule personne en qui j'ai confiance, c'est en vous Vieux Gamin. Le Gros je ne peux pas l'encadrer, il est irresponsable, il prend tout à la légère. On ne peut pas compter sur lui. »

« Alors pourquoi n'es-tu pas rester avec eux, pour les surveiller ? »

Elle ramassa deux glands par terre et les fit tourner dans sa paume. « ...Parce que mon frère...a pris la décision qu'il n'avait plus besoin de moi. »

« Qu'est ce que tu racontes ? Il a pris une décision par lui-même, c'est très bien, mais ça ne veut pas dire qu'il t'a jeté comme une vieille chaussette. Tu comptes pour lui. »

« Qu'est ce que vous croyez Vieil Homme ? Que je sers à quoi mis à part protéger mon frère contre le monde immonde qui nous entoure ? Ce monde qui m'a fait tel que je suis. Je ne veux pas que mon frère doive porter les cicatrices brûlantes et les plaies purulentes que je garde sur mon âme. Il peut s'en sortir et je dois être là pour prendre les coups pour lui.

Et là vous faites quoi ? Vous le montez en bourrique pour qu'il aille vers le Gros plutôt que vers moi ? » Elle serra le poing et les glands craquèrent. « Et moi ? Je fais quoi là-dedans ? Mon frère a fait son choix, et vous me dites de faire confiance en votre ami. Très bien ! Alors je le laisse faire, on verra bien comment il sera à la fin de la journée ! » Les glands n'étaient plus que de la purée qui sortait de son poing. Elle tombait par terre comme les larmes de la fillette. Elle hurlait maintenant. « Et si ça se trouve, il sera très content, tout se sera bien passé pour lui, et il n'aura plus besoin de moi ! Et moi, j'aurais fini ma mission ! Je pourrai enfin mourir et disparaître de cette fichue planète ! »

La claque vola.

Cela gela la Gamine dans son discours. Théo et Billy aussi d'ailleurs. Ils nous regardaient avec des yeux écarquillés.

« Je te l'avais dit Gamine, tu recevrais une tarte si tu menaçais une personnes à laquelle je tiens. Tu en fais partie. Tu ne mérites pas ce que tu te fais subir. Tu mérites tellement mieux. »

Elle serra les dents et elle pleura de plus belle. « Qu'est ce que tu crois le Vieux ? Que crois-tu que je sois ? Je ne suis qu'un putain de chien garde. Je protège mon maître, et si mon maître n'a plus besoin de moi, il ne me reste plus qu'à disparaître ! »

« Non. Si ton frère n'a plus besoin d'un chien de garde, il aura toujours besoin d'une sœur, une grande sœur, qui continuera à le protéger. » Je mis un genou à terre, pour la regarder de sa hauteur. « Mais qui le laissera vivre et grandir. Et toi aussi tu auras besoin de vivre et de grandir. Que tu apprennes à t'aimer et à aimer ce qu'il y a autour de toi. »

« … Désolé de vous décevoir, mais je ne vois rien d'autre autour de moi que la crasse que je débecte par dessus tout. » Et puis elle se tourna vers Théo, « Homme Noir, je ne vous ai pas remercié pour m'avoir sauver la vie, je m'excuse, mais vous aviez vraiment eu tord. Le Dalmatien, tu voulais apprendre à me connaître, mais je ne suis rien d'autre que le cadavre d'un chien. Je n'ai rien d'autre à vous apporter. Maintenant continuons, parce qu'au bout du voyage, il y aura peut être la fin du mien. Et j'ai hâte ! Oui, j'ai foutrement hâte ! »

La Gamine partait sans nous, Théo et Billy étaient figés sur place, pétrifiés et terrifiés. La Gamine repartait seule, alors je fis la seule chose sensé qu'il y avait à faire. Quelque chose que je n'avais pas fait depuis des décennies à qui que ce soit : je la pris dans mes bras.

« Qu'est ce que tu fais le Vieux ?! Lâche moi tout de suite ou je t'arrache ta barbe, je te crève les yeux, je te bouffe les doigts ! Lâche-moi ! Lâche-moi !! »

Elle se débattait avec une force inconcevable pour une fille de son âge. Je faillis la lâcher à plusieurs reprises, mais je tins bon. Elle hurlait à me briser les tympans. Elle pleurait de rage, de désespoir, d'annihilation, je ne sais pas moi. Je restais stoïque, mon visage du moins, pas mes yeux. Je pleurais aussi. Et je ne disais rien. Je recevais des coups de pieds et des coups de poing mais rien ne sortait de ma bouche.

Et puis la Gamine finit par pousser un hurlement. Une plainte déchirante. Un cri de banshee. Terrifiant, même pour moi. Ce qui ressemblait le plus à l'état de son âme.

Et alors une faille se créa. Derrière toute la haine, la souffrance et le désespoir, il y eut une fissure. Et elle perdit peu à peu sa force, elle donnait toujours des coups, mais ils étaient moins forts qu'avant. Et puis sa tête s'effondra en avant, toujours en pleurant.

Et d'une voix cassée, elle me supplia. « S'il vous plaît, lâchez-moi. Je ne mérite pas votre amour. Laissez-moi disparaître. Laissez-moi être votre chien. Je ne veux pas être seule. Mais je ne veux pas non plus être un être humain. Je ne veux être rien d'autre qu'une boule de poil qui tient chaud. Je n'ai pas besoin d'être autre chose... »

« Tu es et tu seras bien plus que ça Gamine. Il y a des gens qui tiennent à toi, et j'en fais parti. Je ne te laisserai pas t'infliger les lacérations de la culpabilité. Je vais t'apprendre à marcher, sans laisse ni collier. Que tu puisses regarder le Soleil avec ton frère, de l'espoir plein les yeux. Tu verras, ce sera mieux comme ça... »

...

Elle tourna la tête lentement, son œil rouge me regarda, pour chercher une trace de mensonge sur mon visage, mais il n'y en avait pas. Alors elle pleura dans mes bras. Ma chienne s'installa devant elle, et la fixa, impassible. La Gamine alors tendit sa main vers elle, et ma chienne la lécha. Je déposai la fillette à terre et elle la serra en gémissant. Ma chienne... resta impassible, mais elle se laissa faire malgré tout.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez