Même si ma famille avait plutôt bien accepté la venue de Blaine, je ne pouvais m'empêcher d'angoisser et de craindre le moment où tout allait vriller. Parfois, je me disais que ce n'était qu'un rêve duquel je me réveillerais rapidement. En même temps, je n'aurais jamais cru que ça se passe aussi bien...
Malheureusement, j'en étais venue à douter de ma propre famille ces derniers temps. Peut-être même que partir un an en France m'avait fait prendre du recul sur des domaines insoupçonnés jusqu'alors. J'avais beaucoup mûri à travers mes dernières expériences, mais quand on parlait à peine avec ses proches sur plusieurs mois, tout était amplifié.
Au cours de ses derniers jours, tout avait été bien plus calme et j'avais pu proposer à Sydney un rendez-vous ce jeudi. En plus, Blaine était parti pour rejoindre sa sœur. Autant dire que nos rendez-vous tombaient pile au bon moment.
Sydney me proposa de traîner en milieu d'après-midi dans un café du coin, juste le temps de prendre un café ou un thé autour d'une bonne discussion.
Pendant le trajet jusqu'au café, je me demandais si je devais lui parler de mon récent mariage avec Blaine. Puis mon regard se posa sur l'alliance à mon annulaire. Elle le remarquerait bien vite quoi qu'il arrive.
D'ailleurs, nous avions beau nous être mariés à l'arrache, sur un coup de tête, on avait quand même pris le temps de s'arrêter à une bijouterie pour acheter des alliances. On s'attendait à ce que le vendeur nous prenne pour des guignols, mais selon ses dires, on était "pas les pires dans le genre". En même temps, quand on se pointait à Las Vegas pour un mariage rapide, on devait voir des tas et des tas de profils.
En franchissant le seuil du café, j'aperçus Sydney installée à une table en compagnie de son enfant Brandon. Dire qu'il n'avait pas un an et il me semblait déjà si grand.
Dès que mon amie croisa mon regard, un sourire se dessina sur son visage. Un sourire que je lui rendis aussitôt. Je m'approchai rapidement de sa table pour m'installer en face d'elle. Son enfant était tout juste à ma droite et ma venue sembla l'enthousiasmer. Il tendit ses mains vers moi et je lui tendis la mienne pour qu'il la rattrape.
— Il est vraiment toujours aussi heureux de te voir, me fit remarquer Sydney.
— Je suis sûre qu'il se réjouit de toute personne qui lui tend la main, esquivai-je maladroitement.
— Non, clairement pas de tout le monde...
Je continuai de jouer avec son fils qui riait de plus belle. Je n'avais jamais été très proche d'enfants, mais cette fois-ci, j'étais assez étonnée que le contact passe aussi bien.
J'aperçus alors le regard froncé de mon amie et m'arrêtai de jouer avec son fils, le laissant gagner en prenant sa main totalement dans les siennes.
— C'est moi ou... tu as une alliance ? s'enquit-elle d'une voix tremblante.
— Je voulais justement t'en parler...
— Tu t'es mariée avec Blaine ?
Quand bien même je ne lui avais pas encore répondu, elle était déjà surprise par le simple fait de me retrouver mariée.
Je pris une longue inspiration avant de lui répondre simplement :
— Oui.
— Mais pourquoi ? Vous vouliez garder votre relation secrète à cause de vos familles... Alors pourquoi vous avez pris ce risque ?
— En fait, nos familles sont désormais au courant. Mais c'était surtout pour que Blaine évite un mariage forcé... Alors autant assumer notre relation.
La réalité était bien plus complexe, mais ce serait bien trop long de tout expliquer et je n'avais clairement pas envie de tout dire au sujet de Kate, en particulier à propos de son homosexualité.
— Mais ça a pas été la merde pour vos familles ? Enfin... Vous évitiez de vous montrer à cause de ça...
Elle était complètement perdue et à vrai dire, pendant un moment, je l'avais été. Lors de mes noces avec Blaine, j'avais douté, jusqu'au dernier moment. Je me disais qu'à tout moment, je pouvais toujours faire demi-tour. Certes, il y avait l'amour et cet attachement si fort qui me retenait, mais il y avait une voix dans ma tête qui me maintenait, m'empêchait de juste profiter totalement du moment.
— Ma famille l'a étonnamment bien pris et a plutôt bien accepté Blaine... Mais la famille de Blaine, ça a été plus compliqué. Son père l'a tout de même foutu dehors...
— Pardon ? Il l'a foutu dehors juste parce que vous vous êtes mariés ?
Mon amie n'arrivait pas à croire à cette éventualité, comme si ça lui semblait bien trop léger comme raison. Mais il y avait tout un passif entre Blaine et son père. Un passif qui s'était construit sur plusieurs années.
— Malheureusement, Blaine avait une relation assez tendue avec son père... Disons que ça a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.
— Est-ce que... c'était lié à Wade ?
— En partie, je crois bien.
Même si je savais exactement ce qui s'était passé entre Blaine et son père, les origines de leur divergence, je n'avais pas forcément envie de lui en parler sans l'accord du concerné. Après tout, c'était un thème extrêmement sensible, autant pour lui que pour elle d'ailleurs.
Mon regard se posa de nouveau sur Brandon, tout sourire. Il avait suivi notre discussion avec attention, sans faire le moindre bruit, même s'il n'avait probablement rien dû y comprendre.
— T'as déjà pensé à avoir des enfants ? m'interrogea-t-elle en penchant sa tête.
Je me tournai vers elle, la respiration coupée pendant un bref instant.
— Je... Je n'y ai jamais pensé...
En fait, c'était plutôt un mensonge. Bien évidemment que j'y avais déjà pensé. Mais à chaque fois, je n'étais pas allée jusqu'au bout de mes pensées. J'avais toujours peur de ne pas être à la hauteur pour élever un autre petit être. Certes, mes parents avaient fait du plutôt bon boulot avec moi, mais il y avait quelque chose de viscéral au fond de moi qui me poussait à croire du contraire.
— Enfin, j'ai vraiment peur de me foirer, repris-je de plus belle. Je ne suis pas quelqu'un d'exceptionnel et il faut déjà que je me gère moi-même...
— Tu sais que plein de gens qui ne devraient pas avoir des enfants en ont ?
Pendant un instant, je songeai au père de Blaine, surtout pour avoir osé abandonner son fils de la sorte. Mais sans lui, jamais je ne l'aurais rencontré et jamais nous n'aurions eu cette relation. Malheureusement — ou heureusement —, de mauvaises personnes pouvaient enfanter de personnes extraordinaires.
— Je ne suis pas sûre que ce soit un bon argument, répliquai-je en fronçant des sourcils. Ce n'est pas parce qu'il y a pire que ça devrait aller pour moi... Je veux vraiment offrir le meilleur pour un enfant et je ne pense pas être prête pour ça pour le moment.
Elle m'adressa un timide sourire. J'espérais ne pas l'avoir blessé avec mes sentiments aussi brusques, mais elle avait l'air de les comprendre et les entendre. Elle savait qu'elle n'avait pas été prête pour cet enfant et que les merdes s'étaient enchaînées bien avant la naissance de Brandon, mais elle avait tenu bon et elle s'en sortait à la perfection. J'avais beau avoir des doutes très fort quant à la maternité, elle me rassurait un peu sans s'en rendre compte.
— Mais peut-être qu'un jour, j'aurais envie de peupler ce monde de personnes meilleures, ajoutai-je d'une faible voix.
Sydney réagissait silencieusement à mes propos, par un simple sourire. En même temps, j'étais en partie en train de me perdre dans mes réflexions.
— C'est assez drôle en y repensant... Parce que mes parents ont pensé que j'étais enceinte de Blaine pour qu'on se marie ainsi et après tout, c'est ce que beaucoup de personnes auraient pensé aux premiers abords. Ils étaient même prêts à l'accepter...
— Tes pères sont adorables Charlie, répliqua mon amie d'une douce voix.
— Je ne peux pas m'empêcher de douter d'eux malheureusement... Alors qu'ils réagissent tout le temps bien.
— Normal. Le monde dans lequel nous vivons est extrêmement dur et on s'y habitue, quand bien même on est entouré des meilleures personnes du monde. Il faut aussi que tu prennes ton temps...
Je ne pensais pas entendre des paroles aussi sages provenant d'elle, mais ça me rassura, bien plus que je n'aurais voulu le croire. En même temps, j'avais toujours beaucoup de choses à apprendre de tout le monde. Le monde avait beau être horrible comme Sydney venait de me le dire, mais il pouvait être si riche et si riche par moment. Je préférais tellement embrasser cette beauté du monde, quitte à passer pour une idéaliste.
— J'espère qu'ils continuent de réagir aussi bien, parce que j'ai encore beaucoup de choses à leur dire, lançai-je à demi-voix.
— Je suis sûre que ça se passera bien. Après tout, tu leur as quand même dit t'être mariée à leur pire ennemi et ça se passe super bien... À partir de là, rien ne peut se passer mal.
— En effet...
Malheureusement, c'étaient des choses que je leur avais cachées durant des années. Mon mal-être croissant. Ce mal-être qui avait pris le dessus alors que j'étais en France et dont j'avais fini par me sortir. Sauf que j'en avais encore des marques visibles, notamment sur mes bras...
De toute manière, Sydney avait raison sur ce point. Rien ne pourrait être pire qu'épouser Blaine. Et dans le fond, ils étaient aussi prêts à accepter le fait que je sois enceinte de lui sans sourciller. Quels parents auraient fait ça ? J'étais extrêmement chanceuse de les avoir, contrairement à Blaine qui se faisait rejeter par son père.
Néanmoins, je ne pouvais m'empêcher d'angoisser. Probablement une réaction tout à fait humaine. Du moins, j'espérais vraiment que ce ne soit que des inquiétudes infondées.