Chapitre 6 : coupé

Par Drak

Rapport de mission de récupération :

A-E récupéré avec succès.

Incident à signaler : le Porteur a tenté de sceller son Anneau, nous obligeant à l’abattre pour l’en empêcher.

Archives de l’Apsû, branche Italienne, 115

 

Inès m’enlace, à mon grand malaise, alors qu’elle me souhaite un excellent week-end, puis me permet de rejoindre la Aston-martin d’Hector.

À son habitude, il m’a suivi des yeux depuis la seconde où il m’a aperçu de loin. 

Au moins, il ne m'attend plus devant le portail du lycée, c'est déjà un progrès…

Sans souffler un mot, je grimpe sur le siège passager et claque la portière

Mon oncle démarre de sa conduite brutale coutumière, alors qu’il m’interroge :

« Ce n’est pas la première fois que je te vois avec cette fille… Qui est-ce ? »

C’est une bien ridicule tentative de faire la conversation... mais dans mon infinie diplomatie, je daigne le gratifier d'une réponse :

« Inès. Une camarade de classe. Un peu envahissante, mais sympa. »

Il attend que je poursuive… sauf que je n’en ai aucunement l’intention. Je ne vais pas gaspiller toute la précieuse énergie dont je vais avoir besoin pour le supporter ce week-end, tout de même !

Pas non plus idiot, il comprend que je ne compte pas développer plus, et émets un soupir résigné.

La suite du trajet s’effectue par conséquent dans un long silence pesant.

 

Les pneus crissent bruyamment quand Hector freine, avant de se parquer dans le garage.

Alors que je m’extirpe du véhicule, je plonge les mains dans mes poches, appréciant la sensation apaisante de la chevalière qui se loge naturellement entre mes doigts.

Je monte dans ma chambre sans plus tarder, jette mon sac dans un coin, puis m’effondre sur mon lit.

Je suis fatigué d’avance…

Si quelqu’un m’avait un jour dit que je préférerais être au lycée qu’à la maison… Je l’aurais sans le moindre doute pris pour un demeuré, doublé d’un total ignorant !                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          

…J’ai envie de ressortir l’épée.

Le bijou glissé à l’annulaire, comme le portait mon père, je plonge la main dans le mur, à l’intérieur duquel je saisis le pommeau de l’arme qui m’y attend sagement.

Si j’ai, très rapidement, remarqué que toucher la chevalière a la propriété de m’apaiser, le contact de l’épée me procure, quant à lui, une sensation de force intérieure… comme si elle me communiquait son soutien dans mes phases difficiles.

…Au point où j’en suis, je ne serai même pas si étonné qu’elle me donne réellement de l’énergie.

J’exécute quelques moulinés, toujours au tant émerveillée par son poids équilibré à la perfection, ainsi que par l’invraisemblable naturel avec lequel je peux la manipuler.

C’est une danse, singulièrement peu hasardeuse, que j’effectue peu à peu avec l’épée, tandis que je me redresse, puis me lève, sur mon lit.

Le fil de la lame tranche l’air tout en fluidité.

C’est la première fois que je manie aussi longtemps l’arme… C’est étonnement jouissif !

Je bondis au sol, trop instable sur mon matelas.

Debout sur le tapis, je reprends ma valse, ignorant la voix de la raison qui chuchote au fond de moi, inquiète de cette accumulation de comportements et de sensations inexplicables que me procure cet objet.

Un pas après l’autre, j’escrime souplement dans le vide, maniant l’arme tantôt à une main, tantôt à deux, alors que je progresse au rythme d’une musique inexistante.

Prise au jeu, j’accélère !

Ma mauvaise humeur est comme mise entre parenthèses ! Je…

La lame tranche un vase posé sur une étagère.

« Godammit ! »

Honteuse, je rengaine vivement l’épée dans le mur, avant de me précipiter pour juger de l’ampleur des dégâts !

…Bien que l’objet soit en verre, aucune fissure n’est visible : la coupe est nette. Je l’ai décapité proprement !

Je peste. Je peste, aussi bien contre mon manque d’attention, que contre cette idée saugrenue qu’à mon oncle à disséminer des vases et ornements sur toutes les étagères ! Chez mon père, ses roches étaient dans un bazar invraisemblable où lui seul se retrouvait, mais au moins, elles étaient absolument toutes dans son bureau !

…Il faut que je trouve un moyen de faire disparaître ma gaffe.

Je ne veux pas qu’Hector apprenne pour l’épée. Cela m’obligerait à parler de la chevalière. Or, même si je n’en connais pas les raisons précises, il a sous-entendu qu’il la cherchait… Tout comme l’autre pyromane…

Une froide détermination s’allume instantanément en moi.

Ils ne l’auront pas.             

D’un revers de la main, je fais basculer le vase, qui se brise au sol, en une myriade de morceaux.

« Oups… » fis-je, faussement innocente.

Et voilà ! Ce n’était rien qu’un simple accident ! Mon oncle me grondera forcément, mais il ne pourra s’apercevoir de la trace de coupure !

Bon… Il faut que je récupère tous les éclats, maintenant…

Je crois me souvenir qu’il y a une pelle et une balayette, rangées dans un coin de la cuisine.

Je sors de ma chambre pour m’engouffrer dans l’escalier que je dévale à vive allure.

Mais alors que je m’apprête à arriver à la cuisine, j’entends la voix d’Hector qui claque plus loin dans le couloir :

« Bien sûr que non ! »

Son ton de voix laisse entendre qu’il a parlé plus fort que voulu.

La curiosité est un vilain défaut, dit-on… mais je suis fouineuse de nature.

Sur la pointe des pieds, je me glisse jusqu’à l’entrée du salon, où mon oncle est dressé dans un coin, un téléphone collé à l’oreille, alors qu’il vocifère à moitié :

« …Nous avons retourné tous les sujets de travaux de mon frère, mais nous n’avons pas retrouvé sa chevalière. Je suis désolé… Oui… Mais bien sûr ! Je vous ai déjà dit que nous avons visité les ruines ! …Non… Non. Je ne peux pas lui expliquer… Je m’oppose catégoriquement à la possibilité de mêler ma nièce à tout ceci. Je vais récupérer l’Anneau d’Arthur, puis vous le remettre. C’est tout… »

Je bas en retraite, refusant d’en entendre plus.

Il veut la chevalière, pour la donner à quelqu’un d’autre ?

Il veut donner mon dernier lien avec mon père ? 

Absolument, hors de question.

 

*

Une cigarette achève paresseusement de se consumer au coin de la bouche d’un homme.

À côté de lui, une femme en tailleur crème est écroulée contre le mur de la ruelle.

« Tu ne t’en sortiras pas si facilement, sale ordure… » articule-t-elle faiblement.

L’autre lui sourit, amusé, alors qu’il s’amuse avec le pistolet qu’il lui a confisqué.

« C’est une bien impolie belle bouche que tu as là. »

Il jette l’arme au sol, puis écrase sa fin de cigarette sur l’épaule de la femme, sans se préoccuper de son gémissement de douleur.

« Vous nous soulez, vous, les membres de l’Apsû, tu sais ? À tout vouloir contrôler… Vous nous pourrissez la vie depuis trop longtemps maintenant. Sauf que… les choses changent. Que ça vous plaise ou non. L’Erra bouge, bande de coincés. Votre temps est passé. »

L’une de ses mains se referme sans pitié sur la gorge de sa victime, dont il étouffe les hurlements de douleurs de l’autre.

 

Quand il s’extirpe de la ruelle, une odeur âcre de chair brûlée flotte dans l’air, tandis qu’il dégaine tranquillement son téléphone.

Son correspondant décroche après deux tonalités.

« Je me suis occupé d’une fouineuse qui me collait depuis quelque temps. Tu peux envoyer quelqu’un faire du ménage ? …Super, merci… Oui, oui, bien sûr, je retourne guetter la gamine Pangredon… Non, ils ne l’ont toujours pas lâché. Ça ne fait qu’une semaine… Oh ne t’inquiète donc pas ! Cela ne saurait plus trop tarder. »

Après quelques paroles passives agressives, il raccroche et reprend paisiblement sa route, sifflotant.

Mais les notes faussement sereines de l’air ne trompent pas vraiment.

Il n’est pas de si bonne humeur…

La fille n’est clairement pas une proie aussi intéressante que le père, pour l’instant.

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