Chapitre 6 : Normalité

Par Malodcr
Notes de l’auteur : Désolée pour cette longue absence, entre les vacances et les fêtes, je n'ai pas vu le temps passer :')
En premier lieu, merci de lire cette histoire, elle a subi mes nombreuses pauses, mon syndrome de la page blanche et les doutes incessants.
Ensuite, ce que l'histoire retranscrit n'est pas scientifique ou médicinal, c'est un propre ressenti, des expériences, un vécu et un besoin d'exprimer tout ceci. Si vous vous sentez mal, parlez-en !

Enfin, n'hésitez pas à commenter cette histoire, je prendrai à cœur de vous répondre :)

Assis à leur table, ils avaient pu s'installer sans réservation, ce qui ne les étonna pas au vu du peu de monde présent. Ils patientaient dans un silence reposant.
Une fois servis, ils se régalèrent : leurs moules étaient fondantes et bien garnis, et les frites croustillantes, ce goût leur avait manqué à chacun. Durant quelques heures ils pouvaient s'éloigner de leur quotidien. Ils eurent un petit échange de sourire en constatant qu'ils avaient tout deux la même technique pour manger leurs moules : utiliser une coquille vide pour attraper l'aliment dans les autres, bien qu'elle soit très répandue cela fait toujours plaisir de voir quelqu'un faire la même chose que soit sans se concerter.

Rassasiés et leur repas payé, ils retournèrent sur la plage, la mer encore loin. Juste avant, ils avaient pris le temps d'acheter une serviette de plage à un commerçant adjacent au restaurant, cela leur permettait de s'y installer et d'observer cette agitation marine qui semblait se corréler au ciel gris effrayant mais tranquillisant.
Pendant de longues minutes, leur silence était comblé par le bruit de l'eau. Le vent s'infiltrait entre eux, comme pour inviter leur distance à se raccourcir.
Finalement, la tête droite et le regard fixe, Léon prit une petite inspiration pour s'emplir de courage.

— J'ai été un enfant battu.

Le choc envahit Emy qui fit volte-face, pour le confronter à ses paroles et chercher la vérité derrière ces paroles. La stupeur et la peur glissait en elle. Léon lisait parfaitement ce qu'il y avait écrit sur son visage.

— Il n'y avait pas de raison particulière, pas de méchanceté, pas de mots déplacés, pas de mauvaises notes. Juste le besoin avide d'exprimer un rapport de forçe, venant de mon père en particulier.

Il baissa la tête ce qui ramena des mèches noires devant ses yeux.

— Cela a commencé assez tôt globalement. Vers mes dix ans je dirais, je pense qu'il se retenait car j'aurai pu, par inadvertance, en faire par à mes professeurs d'école ou bien peut-être que les bleus ce seraient vus. C'est approximatif, le cerveau sait supprimer les mauvais souvenirs, les traumatismes il kiffe pas forcément. Au collège, je sais que c'était plus régulier et surtout plus fort, plus intense et plus long. Il m'enfermait, me frappait et si je tentais de me défendre, j'étais privé de nourriture et de lumière. Honnêtement, cela devait arriver quatre jours par semaine, cela rendait mon corps beaucoup plus fragile face aux nombreux chocs. Le pire, c'est que je ne sais pas pourquoi, peut-être que si j'étais nul en cours j'aurai pu accepter plus facilement mais il y avait seulement sa haine dirigé vers mon existence. Mon père était riche mais sous pression, peut-être l'évacuait-il ? Sa richesse lui servait à acheter mon pardon pour mieux me tourmenter ensuite.

Emy gardait le silence, attendant que Léon poursuive, son sang semblait ralentir, glaçé par l'effroi.

— J'avais finis par croire que c'était normal, que tout le monde vivait la même chose, cela me rassurait de penser que je n'étais pas seul. Malgré tout, je savais que c'était faux, dans les vestiaires, les garçons n'avaient pas blessures dû à des coups ou même de pincement provoqués par des portes. De peur qu'on ne me voit, je me changeais en dernier et j'évitais de parler avec les autres, pour ne pas qu'ils m'attendent, j'étais volontairement devenu le mec bizarre de la classe pour n'impliquer personne dans cette histoire. J'évitais même les filles alors qu'à cette époque j'étais déjà beau, il pouffa légèrement, beau mais meurtri. Un jour, il a ramené un fouet, pas très grand mais en cuir, il l'a essayé et je n'ai rien malgré cette douleur affligeante, parce que le lendemain j'avais une évaluation et je devais réviser, j'ai saigné abondamment mais les plaies n'étaient pas profondes alors ce nétait pas grave. Mon sang a suinté durant tout mon repas, il coulait dans mon dos et s'accrochait à mon tee-shirt et au final, j'avais eu dix-huit sur vingt au contrôle, je me suis dit "j'ai bien fait de ne pas me plaindre". Mon père est profondément mauvais et a entrainé ma mère dans sa folie. Au début, elle n'était pas au courant mais elle a finit par le surprendre et ça a complètement dérapé pour elle. Pour qu'elle se taise il s'est mis à la frapper aussi et pour que je me taise, il la menacait. Puis, il a trouvé un autre moyen de me détruire : utiliser ma mère, il la forçait à me battre en utilisant les menaces mais aussi les coups et moi, je suppliais ma mère de me frapper plutôt qu'elle ne souffre pour moi. J'avais appris à encaisser, j'avais quatorze ans à cette époque il me semble, à force je connaissais les méthodes pour éloigner la douleur. Au lycée, ça contuinait, même si j'avais pris en muscle et en corpulence, je ne lui faisais pas façe, il ne pouvait que gagner car il était calculateur et manipulateur. J'encaissais encore et encore, mon corps ne criait plus mais mon esprit était épuisé. Ma mère se faisait battre aussi parfois mais comme elle ne l'avait jamais connu comme ça, elle n'arrivait pas à y croire. Le problème dans leur couple c'était moi, mon départ apaiserait sans doute sa haine. Après l'obtention de mon BAC, j'ai tout déballé à mon meilleur ami, qui avait littéralement forcé pour ne plus me laisser seul en cours, persuadé que je n'étais celui que je laissais paraître, cela a conduit son groupe de pote - si je puis dire - à le délaisser. Quand je lui ai montré mes bleus et cicatrices, il a pété un plomb, il a vrillé et il a même culpabilisé. Ce fut la seule fois où je l'ai pris dans les bras en lui disant un au-revoir qui avait le goût d'un adieu. Il avait été mon seul ami et mon égoïsme a été satisfait de voir quelqu'un en colère pour moi. Le soir même, mon diplôme dans la main, j'ai pris mon téléphone, du liquide, mes papiers et ma carte bancaire puis je suis parti de chez moi, j'ai fuis. Préalablement, j'avais bloqué l'accès à mes comptes bancaires de la part de mes deux parents mais j'avais en plus placé de l'argent dans une autre banque. Après huit mois de vadrouille j'ai atteri en Normandie et je suis tombé sur toi, sur le quai de cette gare, posée là comme un cadavre, j'étais terrifié de la même manière que l'a été mon meilleur ami en voyant mes blessures. J'avais envie de t'aider, c'était plus fort que moi, même si..

— Même si tu as hésité à partir lorsque tu m'as déposé sur mon lit.

— Oui.

— Le lendemain, devant le lavabo tu avais murmuré "maman", n'est-ce-pas ?

— Oui, je pense régulièrement à elle, je ne sais si il la frappe ou si il s'est calmé.

— Tu culpabilises d'être parti ?

— Je me suis enfuis, c'est différent.

— Ta mère est apaisée, j'en suis sûre. Aucune mère n'aurai voulu ça pour son fils encore moins y participer de forçe. Peut-être même qu'elle a fui aussi.

— Non, elle l'aime. une fois encore, un sourir amer se dessina.

— Si tu estimes t'être enfuis, soit, mais sache qu'on ne parle pas de fuite quand nous n'avons pas commis de crime. Mais dans ce cas, je te remercie de t'être enfui et d'être rester en vie.

Elle ébouriffa les cheveux du jeune homme.

— J'ai été harcelée pendant de longues années.

Cette fois c'est Léon qui revêtit une mine de dégoût.

— Faut croire que le destin a de drôle d'idées, dit Emy.

— Ouai, apparemment.

Le regard d'Emy se porta au loin, se portant sur l'eau comme si il voulait s'y noyer.

— Au collège, je n'étais pas une excellente élève mais je me débrouillais bien, j'avais un groupe d'amies plutôt sympa, nous n'étions pas les populaires, ni les intellos mais ces filles qu'on apprécie et qu'on embête juste pour voir leur réaction. Mais dans ce petit groupe, il y en avait une toxique, elle parlait sur le dos de tout le monde, même de ses amies, par logique elle parlait aussi de moi aux autres. Elle critiquait ce que je portais et jugeait la tenue des autres, moi ça ne m'atteignait pas. Pourquoi se vexer ? Elle est débile et on ne peut pas changer ça en l'assomant. J'ai hésité à rompre contact avec elle mais j'avais peur qu'en faisant ça, on la choisisse plutôt elle que moi. Mais j'aurai dû. Elle est montée en vitesse supérieure et a répandue des rumeurs sur moi. C'est là que tout a commencé et il était trop tard pour m'éloigner d'elle. Je plaidais mon innocence et j'hurlais mon impuissance mais on ne m'écoutait plus. J'étais une amie loyale, qui n'a jamais pris parti pour qui que ce soit mais on m'a délaissé. Et cela ne s'est pas arrêté là.

Elle se colla contre Léon, pour y chercher de la sécurité, tout raconter lui donnait la sensation que son passé allait surgir devant elle. Aussitôt, Léon passa son bras - encore - sur les épaules de la jeune fille.

— L'Homme est mauvais et influençable, surtout au collège et l'on justifie ça par : "oui mais c'est l'âge bête". J'étais seule, face tous ses mensonges qui se répétaient et se déformaient chaque fois qu'ils changeaient de personne. Notamment une rumeur selon laquelle je voulais sortir avec le copain de l'une des filles de mon ancien groupe d'amies, il y aussi eu le cliché disant que j'étais pourrie gâtée, ça je ne sais pas d'où ça sort. Mais l'une des plus honteuse, c'est quand elle a répété que la seule chose que je monterai dans ma vie, c'était des chevaux et ils en riaient, tous. Parce que pour eux une rumeur sans fondement était divertissante. Pour elle, j'étais une trainée qui n'avait pas le droit d'avoir un corps aussi bien foutu, c'est là que j'ai compris : la jalousie, de mon corps, mes connaissances, ma relation avec mes amies, ma parole facile avec les garçons, mon charisme supérieur à sa beauté éphémère, de moi. Dans les vestiaires, motivées par cette leadeuse, elles me regardaient, me coincaient et me touchaient. Ces filles, dont certaines avaient été mes amies, avaient même fini par faire entrer les garçons dans notre vestiaire après avoir volé mes vêtements, j'étais en sous-vêtement et tétanisée, je voyais mes affaires se faire passer de main en main et cela me répugnait. Un des garçons s'est placé dos à moi pour leur faire face, il m'a protégé de leurs regards, c'est le seul qui m'a pris en considération à ce moment.

Une petite larme glissa sur sa joue et Léon reserra son étreinte.

— Ce jour-là, je n'ai pas pleuré. Mais cela a engendré des TCA, je vomissais puis je mangeais comme quatre ou bien je refusais de me nourrir cinq jours de suite, mon corps ne suivait plus. Une professeur a constaté que je n'étais pas en forme et m'a gardé à la fin du cours, fatiguée par cette situation, je lui ai raconté les grandes lignes de mon harcèlement sans citer de noms, elle a accepté de passer chaque pauses avec moi, de manger avec moi, elle me ramenait même une gamelle le midi. Elle n'en a parlé à personne et même si elle n'a pas agi au sens propre du terme, elle m'a aidé, grâce à elle j'étais moins...Vulnérable. Mais cela ne pouvait pas durer, tu te souviens de mes cicatrices aux jambes ? Eh bien en troisième, après le cours d'EPS, aux vestiaires - à croire qu'elles se sentent toutes puissantes dedans - certaines filles m'ont de nouveau coincé, elles étaient moins nombreuses car quelques unes avaient lâchés le groupe mais elles n'agissaient pas pour autant. Celle qui a provoqué ma chute s'est approchée et m'a dit, droit dans les yeux : "un corps aussi bien foutu ne devrait pas appartenir à quelqu'un comme toi" et à deux, avec leur paire de ciseau, elles m'ont entaillés les jambes, plus ou moins profondément, une troisème avait mis sa main devant ma bouche et les autres me tenaient en souriant, persuadées que j'étais le monstre qu'elle leur avait décrit. Quand elles eurent finit, elles m'on simplement laissé là, mes jambes pissaient le sang, sans fin, je pensais mourir. Le garçon qui m'avait déjà aidé est rentré en panique dans le vestiaire, en voyant les entailles, il m'a remis je ne sais comment, mon jogging et a rangé mes affaires vite-fait et sans un mot, il m'a porté jusqu'aux urgences. Mes parents sont venus mais je ne lisais en eux que de la colère qui m'étais destinée. C'est à partir de là que je me suis détestée. Je n'ai jamais dénoncée qui que ce soit, le professeur de sport m'a même grondé pour être aller aux urgences pour rien et le garçon a tenté de prendre ma défense mais je l'avais coupé, je ne voulais pas que les autres sachent ce qu'il s'était passé. Au lycée, nous n'étions pas dans la même classe mais dans le même établissement. Et elle continuait de me détruire, mais son influence avait baissé. Petit à petit celles qui la suivaient l'ont complètement abandonné comprenant sans doutes leurs actions désastreuses mais elles n'avaient pas conscience des conséquences que cela avaient eu sur moi, elles n'y voyaient qu'une erreur de jeunesse. Elles ont voulu s'excuser auprès de moi, comme si des mots pouvaient effacer les atrocités qu'elles m'ont faites subir. Je leur ai montré mes jambes et je leur ai dit que je leur pardonnerai uniquement si ses traçes disparaitraient.Leurs visages se sont décomposés, elles venaient de réaliser. Je...Je n'ai pas pu leur pardonner. Je ne pouvais pas Léon...Je ne pouvais pas oublier et je ne peux toujours pas...Léon je suis désolée.

Le vent se leva comme pour lui apporter son soutien, soulevant légèrement ses cheveux.

— Merci de me l'avoir dit Emy.
 

La jeune posa sa tête contre l'épaule de Léon.

— La vie a une drôle de façon de nous aider, glissa doucement Emy.

— Les deux personnages d'une vieille comédie mal foutue.

— Tu crois qu'on pourra avoir une vie normale ?

— On demandera ça à nos démons.

Sur la joue de ces deux alliés, une larme s'écoula. Aujourd'hui, de nombreuses choses s'expliquaient.

 

À suivre

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Thi-Ha
Posté le 16/01/2024
Hello !

Je reviens de temps en temps pour voir si tu as publié un nouveau chapitre donc je suis contente de retrouver Léon et Emy même si je ne commente pas tout le temps.

Ce chapitre est un peu un rollcoster émotionnel : on a quand même une introduction détendue avec nos deux personnages qui vont au restaurant mais qui est coupée par la révélation de Léon. Ca m'a fait mal au cœur...

On perçoit que le lien entre Emy et Léon est en train de s'approfondir, ils échangent leur vécu, ils commencent à se faire confiance. J'ai vraiment hâte de savoir comment tu vas continuer leur drôle de comédie (oui j'ai appréciée cette phrase qui relate bien la vie en générale).

Thi-Ha
Malodcr
Posté le 16/01/2024
Hello !

Merci pour ce retour, c'est réellement très encourageant et réconfortant

C'est vrai qu'on passe du calme à une réalité plus brutale, j'ai étonnamment trouvé que c'était le moment parfait pour qu'ils se parlent ! Pour mieux se comprendre (normalement...)

Leur comédie continuera autant que possible ! (merci d'avoir soulevé cette petite remarque, j'ai bien aimé écrire cette phrase)
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