Le reste de la journée s’était écoulé dans la plus grande simplicité. Après avoir terminé sa réparation chez le voisin, Léo avait proposé à sa sœur de se rendre aux ruines pour passer un peu de temps ensemble. Bien que Lydia souhaitât être seule, elle accepta la proposition. Cela aurait paru étrange à son ami qu’elle refuse puisque d’habitude, c’était elle la première qui l’entrainait de force. Ils étaient rentrés avant la nuit et attendaient désormais dans le salon que leur grand-père finissait de cuisiner le repas du soir. Une douce odeur épicée provenait des fourneaux où s’activait le vieil homme. Si Lydia avait souffert d’une boule au ventre depuis sa discussion avec Mati, celle-ci avait instantanément disparu quand une assiette bien garnie de riz sauté fut placée devant elle. Elle patienta l’eau à la bouche que le reste de la table fut servi avant de se jeter sur la nourriture. Elle souffla avant d’engloutir une première bouchée qui engendra une explosion de saveur dans son palais. Le viande de bœuf tendre à souhait se mariait parfaitement bien avec les petits pois et les oignons coupés finement. Le tout était relevé par un mélange d’épices dont seul son grand-père avait le secret et qui rendait ce plat divinement bon. Elle dégusta son bol puis se resservit un nouveau à ras bord. Léo la regardait amusé. Le remarquant, la jeune fille ne put s’empêcher de demander :
- Je peux savoir ce qui te fait sourire à ce point ?
- Les grains de riz sur ta joue.
Elle posa ses doigts sur l’endroit indiqué et découvrit le reste de nourriture qui y était collé. Son grand-père lui tendit une serviette qu’elle s’empressa d’empoigner pour se frotter la bouche.
- Un peu de tenue, jeune fille, la réprimanda-t-il plus pour la forme que par colère.
- Un vrai ventre sur pattes, rajouta son frère hilare.
- Je fais honneur au plat, rétorqua Lydia avec une mine boudeuse.
Ils éclatèrent tous les trois de rire avant de reprendre leur repas. Après un moment de silence, le vieil homme demanda :
- Demain, je dois me rendre au marché, dois-je vous ramener quelque chose ?
Si Lydia secoua la tête, Léo au contraire commença à faire ses commandes.
- Je suis à court d’encre. J’aurais également besoin que tu ailles chez l’armurier pour qu’il me répare un de mes poignards.
- Tu ne pourrais pas le faire toi-même ? s’étonna la jeune fille.
- Malheureusement non, la lame est cassée.
- Autre chose ? s’enquit le grand-père.
- Ah, je sais, s’exclama Lydia. Est-ce que tu pourrais passer à la boulangerie pour acheter un feuilleté aux amandes ? Ernest m’a appris qu’il allait en faire une fournée demain.
- Fais attention à pouvoir encore rentrer dans ta robe, miss, déclara Léo. Avec tout ce que tu avales, pas étonnant que…
Il ne put éviter le coup que la jeune fille lui colla derrière la tête.
- Goujat. Plus légère que moi, cela n’existe pas.
Son frère leva les yeux au ciel, mais s’abstient du moindre commentaire. À côté d’eux, le vieil homme riait sous cape. Après que la tension se fut un peu détendue, il décalera :
- Cela me manquera ces repas de famille.
Bien que banale, cette phrase rappela douloureusement à Lydia que désormais le temps lui était compté. Qu’elle choisisse Mati ou les anciens, la vie qu’elle avait menée jusqu’à maintenant allait bientôt prendre fin. La nourriture qu’elle avait mangée se mit à peser lourdement sur son estomac. Elle devait donner sa réponse à Mati demain. Même si fond d’elle-même, elle connaissait déjà son choix. Mais ce soir, elle ne voulait plus y penser. Comme l’a dit son grand-père, ces moments passés à trois seraient d’ici peu de l’histoire ancienne. Elle ravala sa peine et sourit à pleine dent au vieil homme.
- C’est pourquoi je compte en profiter jusqu’au bout.
Le lendemain, le déserteur se présenta à elle de la même manière que la veille, c’est-à-dire au moment où Lydia l’attendait le moins. Elle était en train de laver le linge de la famille. C’était à son tour de s’occuper de cette corvée. Léo était allongé dans l’herbe non loin et s’était accordé une sieste. Après deux nuits blanches à monter la garde, il avait besoin de repos. Elle s’acharnait sur une tache qui refusait de disparaitre quand Mati l’interpella. Elle réussit de justesse à réprimer un cri de surprise.
- Cela vous amuse d’effrayer les gens, s’indigna-t-elle.
- Il faut bien que je sois discret, dit-il en haussant les épaules. Vous ne voudriez tout de même pas que je débarque en faisant des cabrioles sur un son de trompettes. Dans ce cas, autant réveillez votre ami pour qu’il me passe les menottes aux poignets.
Lydia jeta un coup d’œil à son frère qui dormait comme un bienheureux.
- D’ailleurs son travail, laisse à désirer, continua le déserteur sur le ton d’un maitre faisant la morale à son disciple.
- Foutez-lui la paix, il en fait déjà assez.
Celui-ci s’apprêtait à répliquer, mais devant le regard noir de la jeune fille se ravisa. Elle ne supportait pas que l’on fasse des reproches à son frère qui prenait déjà beaucoup sur lui.
- Je vais être clair avec vous, Mati. Vous le laissez en dehors de vos manigances.
- Ne vous souciez pas de cela. Alors votre réponse ?
- J’ai décidé de vous aider.
- À la bonne heure.
- Mais à deux conditions, ajouta-t-elle directement après.
- Ce n’est jamais bon signe. Toutefois, je vous écoute, soupira-t-il.
- La première vous la connaissez déjà. Je refuse que ma famille soit inquiétée par cette affaire.
Lydia avait beaucoup réfléchi à la proposition du déserteur et sur ce que cela impliquait. Elle ne pouvait se permettre qu’il arrive quoi que ce soit à sa famille. Il représentait tout pour elle. Lorsqu’elle avait été seule avec son frère après sa discussion avec Mati la veille, elle avait hésité à lui parler du destin auquel les anciens la destinaient. Toutefois, elle s’était ravisée. Parce que si elle adorait Léo, il y avait quelque chose qu’elle ne supportait pas chez lui et c’était sa loyauté aux anciens. Il les avait toujours adulés presque. C’était grâce à eux que le pays n’avait plus vécu de guerres ces derniers siècles. Pour lui, faire partie de leur garde rapproché était un immense honneur qu’il convoitait depuis son plus jeune âge bien avant qu’il ne connaisse Lydia. C’est dire si c’était une vocation pour lui. Elle s’était demandé qu’il choisisse de croire entre les anciens et sa sœur. Elle espérait que ce serait elle, mais sans certitude, elle ne pouvait pas prendre le risque qu’il aille tout leur raconter. Elle reporta son attention sur Mati qui avait grimacé.
- Que vous le souhaitiez ou non, elle le sera. Votre frère est la personne dont vous êtes la plus proche. Les anciens ne l’épargneront pas.
Lydia sentit son cœur se serrer. Ça, elle ne pouvait l’accepter et pourtant elle savait que Léo allait en payer les pots cassés, malgré tout elle insista :
- Trouvez un moyen pour que ce ne soit pas le cas. Sinon, vous pouvez dire adieu à ma collaboration.
- Seule, vous n’y arriverez pas.
Elle sentit une pointe de colère émerger. D’accord, elle lui était redevable, mais il ne devait pas la sous-estimer.
- Rien ne m’oblige à sauver votre sœur, déclara Lydia avec le plus grand des sérieux. En vous aidant, je risque d’être capturé par les anciens. En partant dès maintenant, j’ai plus de chance de leur échapper.
- Croyiez-vous que Léo soit votre unique garde du corps ?
- Bien sûr que non. D’ailleurs, vous connaissant vous avez dû écarter ceux qui me surveillent avant de venir me parler. Vous faisiez partie de la garde rapprochée des anciens. Vous n’ignoriez rien de leurs procédés.
Le sourire de Mati s’élargit.
- Décidément, vous êtes perspicaces pour quelqu’un de votre âge.
- Que voulez-vous ? On m’a forcé à grandir trop vite. Alors que les gens de mon âge vivent insouciants, j’ai dû dès sept ans me préparer à mon rôle de Grande Sage.
Son interlocuteur posa sur elle un regard compatissant avant de poursuivre :
- Quoi qu’il en soit, revenons à vos conditions, je ne peux me permettre de demeurer plus longtemps ici.
- C’est vrai, sourit Lydia avant que son expression se durcisse. Si j’apprends que vous m’avez menti, peu importe, le temps et les obstacles, mais je vous tuerais.
Elle savait que cela ne mènerait à rien de menacer cet homme qui pourrait facilement lui briser les os à main nue, toutefois elle préférait l’avertir. Elle ne comptait pas se laisser faire.
- Vous ne savez pas ce que c’est que réellement tuer, Lydia.
- Peut-être, mais au fond n’est-ce pas à quoi me destinent les anciens ?
Mati la regarda interdit.
- Vous êtes décidément quelqu’un d’à part, finit-il par déclarer puis rajouter un brin amusé. J’ai intérêt à couvrir mes arrières.
- C’est donnant donnant, Mati. Je compte sur vous pour notre collaboration. Ne me faites pas regretter mon choix.
Il empoigna la main qu’elle lui tendait.
- Au contraire, je suis ravi de faire affaire avec vous, Lydia. Vous me rappelez ma sœur. Douce en apparence, mais dangereuse en vérité. Pour vos conditions, je les prendrais en compte. Je vous donne ma parole. Je vous recontacte très vite. D’ici là, tachez de rester en vie.
L’instant d’après, Mati avait disparu. Elle entendit son grand-père revenir du marché. Après avoir étendu son linge, Lydia réveilla son frère pour rejoindre le vieil homme à l’intérieur. Elle ne put réprimer le sourire qui lui montait jusqu’aux oreilles quand elle remarqua sur la table de la cuisine, le feuilleté aux amandes tant désiré. Pourtant malgré la joie d’être avec les siens, la jeune fille se parvenait plus à se réjouir. Désormais, elle ne pouvait plus faire marche à arrière. Elle était la complice du déserteur. Toutefois, elle ne regrettait rien. Entre vivre enchainée et vivre libre, le choix était vite fait. Il lui restait juste à se convaincre qu’elle pourra se passer de sa famille et c’était là le plus difficile à accepter.
Après une longue pause, me revoilà et je suis très heureuse de pouvoir continuer à lire ton écrit.
J'aime toujours autant ta plume et la manière dont tu fais s'exprimer tes personnages : ils sont réellement vivants, on sent quand ils sont calmes, plus énervés, etc. La relation entre eux est aussi très bien décrite et je ne peux qu'imaginer le déchirement de Lydia quand elle va devoir quitter sa famille et les feuilletés aux amandes !
Ce chapitre semble être une transition pour la suite et le revirement de Lydia. J'ai hâte de voir ce qu'il va se passer par la suite, si elle va réussir à aider Mati !
On sent que c'est un chapitre charnière, une prise de décision importante avant de passer à l'action... évidemment, le chemin va être semé d'embûches !
Quelque chose que j'aime vraiment avec ton héroïne, c'est que malgré son future rôle de Grande Sage, elle reste une fille ordinaire. Avec des pouvoirs et des yeux rouges, certes, mais ordinaire tout de même, dans le bon sens du terme :)
J'ai déjà lu tous les chapitres publié à ce jour et j'apprécie vraiment le côté "Lydia aime les bons plats et manger pour le plaisir et/ou parce qu'elle a faim". Pour moi, ça rend son personnage tellement réel! J'ai l'impression qu'elle se fiche de son poids, sa silhouette, tous ces trucs qui peuvent tracasser une jeune fille de son âge; c'est loin du stéréotype "je suis une fille, mais quand je bouffe je ne grossis pas, mille merci à mon super métabolisme". Elle a faim, elle mange parce qu'elle en a envie sans se poser de question, point. Et en plus, elle en rit avec sa famille.
Merci d'avoir créer un tel personnage féminin, je crois que c'est la première fois que je le vois dans un récit. Ça peut paraître bizarre, mais ce trait de caractère chez Lydia a presque un côté "rassurant".
"Léo était allongé dans l’herbe non loin et s’était accordé une sieste. Après deux nuits blanches à monter la garde, il avait besoin de repos." Quel idiot... un garde du corps en carton... Il me fait rire.
"D’ailleurs son travail, laisse à désirer" Même les personnages le disent! XD
J'aime bien la fermeté de Lydia dans le dialogue à la fin, surtout quand elle menace de le tuer, qu'il ne la croit pas et qu'elle lui balance: "Peut-être, mais au fond n’est ce pas à quoi me destinent les anciens ?"
J'aime bien cette fille. C'est cool de relire les chapitres pour passer des moments avec elle. Merci de l'avoir imaginée!
Listes des coquilles vues en passant:
"je risque d’être capturé " -> capturée
"Croyiez-vous" -> Croyez-vous
"vous êtes perspicaces" il y a un "s" en trop
Et Léo qui s'en prend encore plein la tête ! Cela en deviendrait presque comique.
Voilà les maladresses que j'ai repérées :
Ils étaient rentrés avant la nuit et attendaient désormais dans le salon que leur grand-père finissait de cuisiner le repas du soir. → que leur grand-père finisse
Un peu de tenue, jeune fille, la réprimanda-t-il plus pour la forme que par colère. → Ici tu alourdit ta phrase. La réprimanda-t-il pour la forme suffit amplement :)
Goujat. Plus légère que moi, cela n’existe pas. → Excellent, j'ai adoré cette réplique !
Elle s’était demandé qu’il choisisse de croire entre les anciens et sa sœur. → Soucis dans cette phrase.
Il les avait toujours adulés presque. → Le presque n'approte rien.
Elle sentit une pointe de colère émerger. D’accord, elle lui était redevable, mais il ne devait pas la sous-estimer. → Je pense comprendre pourquoi elle dit ça et en même temps je terme redevable me semble fort. IL lui a appris la « vérité » du moins ça vérité à lui, lui est-elle redevable pour autant ?
Vers la fin du texte il y a encore quelques coquilles mais toutes les relever me coupe un peu dans ma lecture désolé ^^'
La première partie de ce chapitre est tout en douceur et en sérénité ! C'est un petit moment en famille sans prise de tête, un peu comme le calme avant la tempête ^^ On imagine bien que Lydia aimerait que ce genre d'instant ne finisse jamais mais, malheureusement, quoiqu'elle choisisse de faire, elle ne pourra peut-être plus jamais connaître de repas heureux en compagnie de son frère et de son grand-père. Dans un sens, on a peut-être assister à leur dernier repas en famille et c'est triste de se dire ça >.<
Maintenant, je savais qu'elle allait accepter la proposition de Mati mais je pense qu'elle est naïve si elle croit qu'elle va pouvoir partir en abandonnant son frère derrière elle xD Quelque chose me dit qu'il va finir par la retrouver tôt ou tard ! Quant à sa famille, malheureusement, je ne pense pas que les anciens la laisse tranquille. Bien au contraire ! Son grand-père et son frère sont leur meilleur moyen de pression pour la forcer à assumer son rôle de Grande Sage >.< Mati ne peut pas grand chose pour les protéger !
En tout cas, la relation entre ces deux-là s'annonce intéressante x) Entre Mati qui sait ce qu'il veut et qui sait comment l'obtenir et Lydia qui est aussi forte tête que lui et qui n'est pas la moitié d'une idiote, je pense qu'ils formeront un bon duo =D
Sur ce, je me hâte sur le prochain chapitre ^^
Natsunokaze
-Premièrement, on voit deux Lydia différentes. Celle "douce" et légère au contact de sa famille. Et celle "déterminée", intelligente et résolue. Seulement, elles sont complètement séparées. Dans 90% du chapitre, on ne voit que la "douce", et d'un seul coup avec Mati, elle devient comme schizo et passe en mode déterminée. Personne de sain d'esprit n'est aussi compartimenté. Ou du moins, je pense qu'il faudrait laisser davantage de place dans le récit pour laisser transparaître la Lydia d'avec Mati, même durant son temps avec sa famille. Tu pourrais par exemple mettre des moments où tu prends le temps de détailler sa réflexion avant de donner sa réponse à Mati. Ainsi, son comportement avec lui sort moins "de nul part".
- le second élément est en lien avec le premier. Tu es beaucoup trop superficielle dans ta narration. Tu abordes peu en profondeur les pensées et émotions de Lydia, on se contente presque de ne faire que suivre ses actions et ses choix.
Autre chose. Dans sa relation avec Mati, elle lui dit "tel que je vous connais". Chacun voit midi à sa porte, mais je trouve ça déplacé de lui faire dire ça, principalement parce qu'elle l'a rencontré seulement deux fois, et de façon très courte. Elle ne peut pas le connaître en profondeur. À moins qu'elle ait des mémoires en commun avec la précédente Grande Sage. Mais dans ce cas, il serait peut-être mieux d'au moins donner des indices narratifs dans ce sens avant.
En gros, il faut montrer davantage de ton personnage à tes lecteurs. Sûrement que tu la connais toi-même très bien, mais pas nous. Lydia doit prendre de l'épaisseur émotionnelle et "réflexionnelle" (j'ai le brevet de ce mot).