Plongée dans une flaque d’ombre, Solaë commençait sa traque. Les yeux rivés sur le dernier endroit où avait été vu sa cible. En face d’elle se trouvait un bâtiment à étages, particulièrement bien entretenu. Au-dessus de l’entrée principale, une petite lanterne rouge flânait paisiblement. À la nuit tombée, ce fut un ballet de va-et-vient d’hommes et de femmes. Le froid, naissant, ne semblait en rien freiner leurs ardeurs. Le territoire humain était réputé pour ses plaisirs charnels et ses lieux de débauche en tout genre.
N’ayant plus la patience d’attendre, la jeune femme émergea de l’ombre. Ce fut sa tête qui sortit en premier. Sa longue chevelure blanche ondula légèrement face au vent frais de la nuit. Son visage couleur porcelaine, ses pommettes légèrement rosâtres lui donnaient l’air fragile. Solaë ouvrit ses yeux gris clair pour les réhabituer à la luminosité environnante. Le reste de son corps s’extirpa de la noirceur. Elle portait des vêtements aux teintes discrètes, ajustés à sa morphologie athlétique. La tueuse remit sa cape en place, la recouvrant entièrement et baissa la capuche pour dissimuler son visage.
La jeune femme entra dans l’hôtel aux mille plaisirs. Elle avait entendu un homme le nommer comme cela, en sortant de l’établissement, l’air béat. Le hall d’entrée était dénué de décorations, il y avait juste un bureau en bois. Solaë ayant été formée par un maître assassin, observa l’intégralité de la pièce en un coup d’œil. Sur la partie supérieure du secrétaire, une bougie servait de mesure du temps. Sûrement changé chaque nuit. Sur la partie inférieure du meuble, se trouvaient une plume et un encrier. Le registre des entrées devait être dissimulé dans un tiroir caché. La femme se tenant derrière le bureau était propre sur elle, bien coiffée. Elle portait de fines lunettes noires. Une subtile odeur de jasmin parvint à ses narines, mélangée avec celle de la graisse pour gond. Preuve qu’il y avait une porte non visible, permettant au garde d’intervenir en cas de litige.
— Bonsoir, comment puis-je vous aider ? Demanda la brune aux cheveux bouclés.
— Je suis à la recherche d’une amie. Dit Solaë, d’un ton faussement embêté. Elle s’appelle Eulalie. Nous devions nous retrouver hier soir, mais elle n’est pas venue. Je suis tellement inquiète. Je me suis souvenue qu’elle fréquentait régulièrement votre établissement. Pouvez-vous m’aider, s’il vous plaît ?
Mylodie, loin d’être idiote, flaira le mensonge. La sorcière avait toujours été correcte et respectueuse avec elle. Impossible d’oublier la nuit qu’elles avaient passée ensemble.
— Effectivement, je pense connaître votre amie. Dit l’intendante, en remontant ses lunettes du bout du doigt. Elle était ici, il y a deux jours.
— Savez-vous où elle est allée après ? Se hasarda la tueuse.
— Ici, la clientèle est discrète. Nous ne posons aucune question superflue. Une fois la porte passée, je ne l’ai pas revue. Je ne sais pas où elle est. Vous devriez peut-être aller voir dans les auberges aux alentours ou dans les tavernes de la ville ! Dit Mylodie, en la fixant dans les yeux.
L’hôtesse se garda bien de dire qu’Eulalie avait déjà quitté la ville. Tentant de faire gagner un temps précieux à son amante d’une nuit.
— Merci beaucoup pour votre aide, je vais me hâter d’aller à l’auberge la plus proche. Prenez, ceci est pour vous !
Solaë déposa sur le bureau une pièce d’or. Elle était consciente que la dénommée Mylodie lui mentait. L’argent ne l’intéressait nullement, par contre, elle mettait un point d’honneur à récompenser l’honnêteté et la fidélité des gens. Pourtant, l’intendante avait commis une erreur. Toute petite, bien sûr, mais une erreur quand même. En l’envoyant fouiller dans toute la ville, cela impliquait que sa proie n’y était déjà plus.
***
La tueuse, sachant que sa cible avait quitté la ville, se rendit à la cité la plus proche. Solaë savait que deux jours les séparaient. Elle ne pouvait pas se permettre de perdre plus de temps. Les sorcières vagabondes comme Eulalie n’avaient pas de chemin précis. Quand l’argent venait à manquer, elles acceptaient les contrats disponibles dans chaque localité et dans les grandes villes. Il y avait toujours une liste de missions disponibles pour les aventuriers chevronnés. Parfois, il fallait chasser des monstres proliférants, retrouver des habitants disparus ou chercher un artefact perdu. Négocier les récompenses faisait partie intégrante de la quête. Tout avait un coût dans ce monde. Surtout ce que l’on n’avait pas.
La femme aux cheveux blancs ne se découragea pas. Elle excellait dans l’art de la traque. Son premier réflexe fut d’aller au hall des braves. Lieu très reconnaissable pour un aventurier. C’était une bâtisse à étages, toujours tenue par un homme et une femme. La pièce du bas servait uniquement d’affichage pour les quêtes en cours. La récupération des récompenses se faisait à l’abri des regards, au premier étage, avec le client.
Solaë entra dans le hall. Son examen de la pièce fut rapide. Des affiches étaient placardées au cordeau sur tous les murs, le plancher était propre et fraîchement ciré. Aucun doute ne plana dans l’esprit de la tueuse. Des soldats géraient cet établissement. Des gens difficilement manipulables. Les violenter ne servirait donc à rien non plus. La ruse était la seule option viable.
— Salutation cher ami, comment allez-vous ? Demanda Solaë d’une voix guillerette à l’homme assis devant le bureau.
— Pardonnez-moi, je ne vous ai pas entendu entrer, pourtant j’ai l’ouïe fine. Bien le bonjour à vous ! Répondit l’intendant en se levant de sa chaise.
Une fois debout, le fils d’Adam, au visage balafré, avait une carrure impressionnante. Son crâne était rasé, ainsi que sa barbe. Son pantalon vert et sa chemise blanche, lacée proprement, étaient impeccables. Sa posture était droite, ses jambes serrées et les mains dans le dos. Solaë eut la confirmation, c’était un soldat.
— Que puis-je faire pour vous, gente dame ? Dit l’homme à la voix rocailleuse.
— Je cherche des missions pour une sorcière aguerrie. Plutôt bien rémunéré si possible !
— Sauf erreur de ma part, cela fait plusieurs semaines que je n’ai pas vu une telle demande. Laissez-moi vérifier pour vous.
Tout en se grattant le crâne, le soldat examina l’ensemble des affiches une à une. Il était très méthodique. Quatre personnes descendirent de l’étage, dans un déluge de bruit métallique. Leurs armures cliquetaient les unes contre les autres. Trois hommes à l’air revêche apparurent, suivis d’une femme au regard pétillant.
— Messieurs, la navette sera prête ce matin, à dix heures ! Dit-elle promptement, agacée.
Les aventuriers quittèrent le hall, en dévisageant Solaë, tour à tour, avec un regard lourd de sens.
— Puis-je vous aider, madame ? Demanda-t-elle, avec le sourire retrouvé.
— Elle cherche une mission pour une sorcière aguerrie. Dit l’intendant, sans lâcher ses affiches du regard. Comme la femme d’hier ! Tu sais, celle avec des gros… Heu… Celle avec les cheveux roux.
— Ah les hommes… Irrécupérables…
Enfin, le début d’une piste. La tueuse jubila intérieurement. Moins d’un jour la séparait d’elle. Les heures de cette maudite sorcière étaient comptées.
— Il n’y a aucune quête pour une sorcière actuellement, c’est d’ailleurs ce que j’ai dit à votre consœur. Dit la femme, se demandant pourquoi son binôme continuait à chercher.
— Qu’avez-vous conseillé à ma consœur ? Demanda Solaë, en tirant sur ses manches, feintant d’être déboussolée.
— D’aller voir un autre hall des braves, bien sûr ! N’ayez crainte, gente dame. S’empressa d'affirmer le soldat. Nous avons une solution
Le soldat proposa gentiment de lui confier un laissez-passer pour se rendre à Drudil, la ville voisine. Chaque jour, un chariot de transport faisait la navette à heure fixe. Un service proposé, depuis peu, aux aventuriers solitaires.
— Combien de temps dure le trajet, s’il vous plaît, mon brave ? Dit la tueuse, en essuyant ses yeux humectés.
— En chariot, environ sept heures, madame. À pied, une journée et demie, sans compter la nuit à la belle étoile. Précisa l’homme, qui retourna à son bureau.
En sortant de la bâtisse, Solaë reprit son regard de prédatrice. Elle avait obtenu l’information, un laissez-passer et un moyen de transport. Le frisson de la chasse venait de monter d’un cran.
***
Dans le chariot couvert, chahuté par une route caillouteuse, se trouvaient huit passagers. Une forte odeur de transpiration flottait dans l’air. Solaë, comme à son habitude, examina et jaugea les voyageurs. Il y avait d’abord les trois brutes rencontrées plus tôt dans la journée. Ils étaient excessivement armés. Sûrement des mercenaires payés pour une tâche précise. À leurs droites se trouvait un homme avec une fillette d’environ une dizaine d’années. Le lien de parenté semblait flagrant. À gauche de la tueuse, deux vieilles dames qui discutaient à voix basse.
La jeune demoiselle, blonde aux yeux bleus, se tortillait sur son siège. Elle croisait et décroisait ses jambes. En étant la plus discrète possible, la fillette voulut susurrer quelque chose dans l’oreille de son père. Celui-ci ne se laissa même pas toucher.
— Fous-moi la paix ! J’avais bien dit à ta traînée de mère que je ne voulais pas de toi. Vociféra l’homme éméché.
La petite ne comprit pas pourquoi son papa avait dit cela. Elle avait bien remarqué que son comportement changeait quand il buvait sa mystérieuse fiole cachée.
— J’ai besoin d’aller aux… Commença à demander la jeune fille.
— Tais… Toi… TAIS… TOI, j’te dis… Boucle-làaaaaaa Lolie… Déclara-t-il en hoquetant.
Lolie eut un moment de panique, se mit à genoux et pleura. Le temps se figea dans le chariot. Même le bruit ambiant n’était plus audible. Les dames âgées avaient stoppé leur discussion. Elles fixaient la scène, craignant une fin tragique. Les trois guerriers présents avaient tous les yeux fermés. Indifférents à la situation actuelle.
La fillette voulut se faire pardonner de quelque chose qu’elle n’avait pas commis. La jeune fille se releva difficilement à cause du tangage incessant du chariot. Elle écarta les bras et se dirigea vers son père. L’homme ivre, c'était retourné pour boire son précieux breuvage. Un obstacle volumineux sur la route souleva la charrette et fit tomber Lolie sur son géniteur. La fiole tomba sur le sol en bois poussiéreux et l’intégralité de son contenu s’échappa. Fou de rage, l’homme aux yeux rouges et aux joues violacés attrapa sa fille par la gorge. La souleva du sol d’une main.
— Mais qu'as-tu fait sale garce ? Hurla-t-il.
L’homme, en transe, mit une violente claque à la jeune fille, du revers de la main. Elle fut propulsée jusqu’au fond du chariot. Morte de peur. Le visage tuméfié.
C’est à ce moment précis qu’un souvenir de Solaë, volontairement oublié, revint à la surface. La tueuse lutta vainement pour garder le contrôle. Sa mémoire disloqua toute forme de résistance. Les verrous et les blocages mentaux cédèrent. Elle perdit momentanément la maitrise de son corps. Son esprit, pourtant si affuté, lui rejoua l’intégralité de la scène, sans rien omettre.
je dirais que c'est mon chapitre préféré pour le moment dans ton histoire. On est en mouvement, y a pas grand chose à comprendre à part qu'un assassin est aux trousses d'Eulalie.
Et Solaë on sent vraiment que c'est pas juste une tueuse sans coeur. Hâte de voir qu'elle scène elle va revivre. C'est des scènes que j'adore et que je déteste en même temps aha
Rien à remonter, la traque est fluide et le moment dans la charrette est vraiment cool.
A plus ^^
J’ai hâte de voir ta tête au prochain chapitre. Quand tu découvriras la scène que j’ai concoctée.
Ce chapitre a été plutôt intéressant à écrire. J’ai essayé de me mettre à sa place. Je me suis demandé comment faire pour la retrouver et voilà le résultat.
Pour la charrette, j’avais déjà cette idée en tête pour vous obliger à lire la suite. Cependant, j'avoue, je suis sadique avec vous… Pardonnez-moi…
Zao
Sympa la traque de la tueuse à gages. Celle-ci est bien amenée et crédible. C'est intéressant de voir comment elle arrive à remonter doucement la piste jusqu'à Eulalie. Le seul point que je corrigerais serait le surnom de tueuse que tu lui donne. Elle n'a encore tuée personne, et même si l'on se doute rapidement qu'elle est là pour assassiner Eulalie, je pense que ton texte gagnerait en étant plus subtile, quitte à simplement l'appeler la jeune femme. Laissant transparaitre sa traque (voir pourquoi pas sa soif de sang) uniquement dans des details ou des expressions ( tu l'as très bien fait quand elle sort de la guilde et arrete de porter son masque pour obtenir des infos). Ainsi l'on se doute quelle ne veut pas du bien à Eulalie mais on n'a pas la confirmation que c'est pour la tuer. En l'appellant la tueuse on sait d'emblée où ça va et cela retire un peu de suspens à mon gout.
En tous cas très bon chapitre et au plaisir de lire la suite,
Scrib.
Deux trois petites remarques sur la forme :
- Elle portait des vêtements aux teintes discrètes, ajustées à sa morphologie athlétique ( ajustés plutot car sont les vêtements et non les teintes)
- Il y avait d’abord les trois brutes rencontrées plutôt dans la journée ( plus tôt)
- deux vielles dames qui discutaient à voix basse. (vieilles)
Merci beaucoup pour ton passage dans mon univers.
Tu me parles d’un point que tu estimeras changer pour alimenter le suspense. Je te rappelle que dans le chapitre précédent, Palicron pactise avec une guilde d’assassins. Sûrement pas pour enfiler des perles. Je comprends ton point de vue. Mais, comme les deux chapitres se suivent, il va être difficile de faire croire qu’elle est douce comme un agneau. Ne pas voir les personnes se battre ne veut pas dire qu’ils sont gentils.
Cependant, je le garde en mémoire. Il ne faut jamais fermer des portes bêtement.
Par ailleurs, j'espère te régaler avec mon prochain texte.
Zao