Chapitre 7 : Mousse de fruit (4eme partie : Coeur Noir)

Notes de l’auteur : Voici donc la seconde partie du troisième épisode (oui on dirait du star Wars ou du Kaamelott. Je peux bien m'inspirer des plus grandes sagas si je veux)

Remontant l’univers montagneux du bureau, ils sortirent dans une aile du palais allouée aux archives, rejoignirent les cinq membres de la garde et sortirent au grand jour. Il faisait plutôt beau, même si le vent agitait encore un air frisquet. Sur la grande place du palais, sillonnée de patrouilles plus nombreuses qu’à l’accoutumée, ils se dirigèrent vers le Siroppo, embarquèrent sur une large gondole tirée par quatre otaries arlequins et partirent en direction de la demeure des Taralli. 

Celle-ci donnant directement sur le Siroppo, elle n’était pas très loin du palais. Alors qu’ils voguaient dans sa direction, une gondole plus fine les rattrapa. A son bord, un homme au ventre particulièrement rond, le maintien fier, un large chapeau à bord mou, un visage orné d’un collier de barbe les interpella. 

Sa voix était aussi chaude qu’un four de boulangerie : — Mademoiselle Mez je présume, dit-il en enlevant son chapeau. Je suis le cantateur Cargass. J’aimerais au nom de la Guilde des Musiciens venir vous proposer notre appui… La situation est compliquée en ville et nos deux guildes ont toujours eu un rapport privilégié. J’aime à croire que nous pourrions poursuivre notre développement à l’unisson, et que main dans la main nous puissions avancer vers un monde meilleur.

Hada Cuenta émit un bref ricanement. Ancénata observa l’homme dont l’embonpoint tendait le costume, tirant sur les nœuds à double boucles qui montraient fièrement son appartenance à la Guilde des Musiciens.

— Et comment comptez-vous faire ça ? demanda le comptable du palais qui était plus couché qu’assis dans la gondole, le pouvoir des autres guildes est limité dans cette ville…

L’homme le regarda de haut, ce qui était d’autant plus simple qu’il surplombait complètement le comptable, debout sur le petit banc de son embarcation que son propriétaire maintenait avec acharnement à la hauteur de la gondole du palais en plantant frénétiquement sa perche dans les flots.

— Oh bien sûr, cela signifierait que vous nous offriez un peu plus de liberté. Mais en retour, je peux vous assurez que nous saurons nous montrer efficaces… Des danseurs ont été identifiés parmi les agresseurs. Deux d’entre eux au moins ont su mettre votre garde en déroute. Laissez-nous agir, ce genre d’individus qui discréditent nos nobles arts, nous sauront leur faire entendre la voix de la raison…

Ancénata gloussa intérieurement en voyant le cantateur si sérieux. Sa voix trahissait une menace tout à fait explicite, mais ces belles paroles n’avaient jamais réussi à atteindre Marco…

— C’est gentil à vous de nous offrir vos services mais nos ressources humaines et artistiques sont suffisantes, lui répondit le comptable en s’installant encore plus nonchalamment dans la gondole, pour vos danseurs, ne vous inquiétez pas, nous saurons bien assez leur apprendre à ne pas jouer avec la nourriture. Je crois que votre guilde a de plus en plus d’influence dans cette région du monde, contentez-vous de ce résultat-là.

— Je parlais à mademoiselle Mez, l’enquêtrice en chef dans cette affaire de terrorisme et Nez de la guilde. Chez nous le respect des grands artistes est très important, dans cette conversation vous ne devriez donc même pas être autorisée à utiliser vos cordes vocales. Mademoiselle Mez, je vous rappelle que nos guildes ont des accords privilégiés que nous respectons et nos voies de développement n’ont rien de concurrentielles. Je vous signale aussi que nous n’avons jamais refusé l’implantation de vos centres de soins où que ce soit. Aucune autre guilde ne peut se prévaloir d’une telle faveur de notre part…

Hada rit dans l’indifférence générale.

— Je vous parle en tant que partenaire. Cette ville je la côtoie quotidiennement, je serais peiné de la voir sombrer tout autant que vous. Je vous offre nos services sans arrière-pensée. Ecoutez votre cœur, il vous dira ce qu’il convient de faire.

La petite parfumeuse, assise sur un coussin bleu roi dodelina de la tête en fixant intensément le cantateur : 

— Mon nez m’inspire mes sentiments, mon cœur bat et ne fait que pomper du sang. Mon nez me dit que nous allons continuer sans vous. Nous avons assez de cris et de folie, pas besoin de mettre tout cela en musique. Merci de votre proposition, au revoir.

Le cantateur visiblement vexé ne répondit pas, mais il salua la parfumeuse d’un signe de son chapeau et signifia à son gondolier qu’il pouvait arrêter de pousser l’embarcation. Celui-ci soupira de soulagement, plantant une dernière fois sa perche dans les flots pour freiner la gondole.

— Il était sincère ou non ? demanda le capitaine de la garde qui accompagnait les deux enquêteurs.

— Il sentait la sueur surtout. Trop de stress.

L’embarcation avait dépassé la demeure des Taralli. Durant la discussion avec le cantateur, le capitaine de la garde avait pris soin de demander au pilote de continuer sa route tant que le chanteur serait présent. Ils firent ensuite demi-tour et pénétrèrent rapidement sous le porche de débarquement de la famille marchande.

Derrière l’enceinte de marbre blanc de la demeure, Ancénata, Hada et leur escorte furent invités à traverser le jardin de la propriété, havre de paix au sein de la cité à l’activité frénétique. Sur les marches de l’hôtel particulier, attendait la matriarche de la famille, une jeune femme au sourire charmeur et au maintien noble. Elle était habillée d’une robe longue qui marquait ses formes autant qu’elle les couvraient et d’un collier composé de deux rangées de trois saphirs d’un bleu profond.

— Je comprends ce qui a pu influencer les contrôleurs à classer le dossier des erreurs comptables de cette charmante dame, glissa le comptable au capitaine de la garde qui approuva d’un bref signe de tête.

— Bienvenue à vous, déclara la jeune femme en ouvrant les bras avec grâce, je suis Agrippina Taralli, moi et ma famille sommes honorés de vous accueillir ici. En particulier vous mademoiselle Mez. 

La jeune femme porta sa main à sa joue, son nez, ses lèvres puis son cœur avant de baisser la tête devant la parfumeuse : 

— Je ne peux, malgré ma position, me targuer d’avoir une personne d’une telle valeur si souvent en ma demeure. Veuillez me suivre.

La jeune femme suivie de deux domestiques pénétra dans la bâtisse. Ancénata eut l’impression que la jeune chef de famille marchait sur un bateau pris d’un roulis lent mais régulier et se demanda si elle devait l’aider. Certains des gardes à sa suite, fixés sur les formes de la jeune matriarche, trouvaient eux que ses mouvements étaient tout à fait charmant. 

La maîtresse de maison les fit pénétrer dans un salon de formes hémisphériques. Une fontaine de sucre cristal le perçait en son centre, une voûte de sucre forgé offrait aux rares raies du Soleil de venir s’y refléter. Contre les murs, des arbres en pot cernaient la pièce, de petits arbres de la famille des rosacés, aux petites fleurs en grappes et à l’agonie : des néfliers bibassés. L’odeur des fleurs en train de faner sauta au nez des nouveaux arrivants. Le mélange puissant rappelait l’automne, avec quelques relents d’ammoniac en sourdine. Une odeur complexe et dérangeante, qui masquait toutes les autres.

Une petite table ronde et trois fauteuils en osier avaient été installés pour la petite entrevue. 

— Je suis navrée, déclara la propriétaire des lieux, je comptais profiter du printemps pour vous inviter dans mon jardin, mais le temps semble se gâter. Je n’ai préparé que trois sièges pour mademoiselle Mez, messire Cuenta et moi-même. Dois-je faire venir d’autres sièges pour ces messieurs de la garde ?

— Nous resterons debout, lui répondit d’une voix ferme le capitaine. Ce qui fut suivi d’un ou deux soupirs dans son dos.

Avec des mouvements parfaitement chorégraphiés, la maîtresse des lieux s’installa dans un des fauteuils qui craqua légèrement sous son poids et invita ses invités à en faire de même :

— Vous voudriez peut être quelque chose à boire ou à manger ? Par nos activités je peux vous proposer tout ce qu’il vous siéra en matière de douceur. Pour la boisson, je peux vous suggérer une infusion, des jus de fruits ou quelques liqueurs madrisées parmi les plus recherchées…

— Nous ne sommes pas là pour cela, répondit Hada Cuenta en se laissant tomber sur son fauteuil, l’osier râla fortement en réponse à cette soudaine agression, mais si vous avez une liqueur d’échalote pourquoi pas…

— Mademoiselle Mez ?

— Cachaça.        

La matriarche des Taralli claqua des doigts, faisant apparaître une servante à ses côtés, et lui transmit la commande en ajoutant une infusion pour elle-même et quelques sucreries.

— Bien, je sais que vous venez me voir par rapport aux troubles qui agitent notre belle cité. Tout ceci me bouleverse, il n’y a plus de respect pour nos produits et le peuple si peu propice à la raison risque de s’en émouvoir d’une bien violente manière… Si je puis vous être d’aucune aide, j’en serais honorée. Nous autres seigneurs-marchands souhaitons que l’ordre soit rétabli au plus vite et je gage que mes confrères sont aussi avides que moi de vous apporter leur aide.

— Jusqu’à présent, vos confrères et vous-même avaient surtout râlé, lorsque vous n’accusiez pas les pâtissiers de cracher dans la soupe…, répliqua le comptable du palais, mais si vous souhaitez effectivement nous aider, ce sera bienvenu. Nous sommes ici car nous savons que vous avez eu des difficultés récemment, vos comptes n’ont pas été très clairs et il n’y a eu aucune justification de votre part. Le rapport d’enquête sur ce sujet est très restreint, j’aimerais en comprendre la cause.

— M’accuseriez-vous de quelques malversations monsieur Cuenta ?

— J’aimerais comprendre voilà tout… Si vous me dites que vous avez été volés par exemple, cela pourrait expliquer que les terroristes aient amassé un tel stock de pâtisseries… Nous n’avons aucune idée d’où peut provenir leurs réserves pour l’instant.

— Hum je vois…, dit Agrippina Taralli, mais même en considérant ma perte de stock, les terroristes auraient dû avoir accès à bien plus de marchandises pour réaliser leurs forfaits non ? Et puis il me semble avoir entendu que des pâtisseries avaient clairement été fabriquées par les malandrins. Cette idée me glace le sang je dois dire.

— Je ne dis pas que votre mésaventure explique tout, nous avons prévu de rendre visite à l’ensemble des seigneurs-marchands pour comprendre les failles de notre système. Comme il y a eu une erreur dans vos comptes de fonctionnement, vous êtes la première à nous voir. Nous cherchons simplement à comprendre comment se produisent ces erreurs, ce qui pourrait nous aider à comprendre comment des crimes pâtissiers peuvent survenir en dehors de notre contrôle. Nous souhaitons également pouvoir traiter directement avec vous pour agir en totale transparence et avoir votre soutien dans cette affaire.

— Bien sûr je comprends, répondit la jeune femme avec un sourire qu’elle voulait le plus charmeur possible.

Au fond de la petite pièce, une servante à l’allure frêle s’approcha dans le dos des deux visiteurs avec un plateau contenant sucreries et boissons. Elle avançait doucement, peu sûre d’elle. L’infusion encore fumante de la matriarche étant dangereusement proche du bord et la tasse pleine. La servante essaya de passer à la droite de la maître-parfumeuse, son pied s’accrocha dans une dalle, et le plateau tangua dans sa main gauche. Elle réussit à le stabiliser à nouveau, mais l’infusion de sa maîtresse ne supporta pas l’opération et se renversa en direction de l’enquêtrice en chef de Mirova. 

Celle-ci s’était décalée légèrement juste avant l’arrivée de la servante, mais son bras reçut le liquide noir sous les cris de son hôte. L’infusion imprégna rapidement la blouse de la parfumeuse et atteignit sa peau. Alors que tous se précipitaient vers elle pour l’aider, elle se leva et plongea son bras dans la fontaine pour limiter ses brûlures.

— Locuste ! hurla la maîtresse des lieux qui n’avait plus rien de charmante, qu’est-ce que tu as fait !? Tu es virée, tu m’entends ! Virée ! Et crois-moi tu vas le regretter !

— Madame comment allez-vous ? demanda le capitaine de la garde qui s’était porté au secours de la parfumeuse alors que ses hommes appréhendaient la fautive et faisaient barrage de leur corps contre toute nouvelle agression. 

— Ça pique un peu le bras et ça sent fort. Ça va sinon, répondit la parfumeuse en toussant plusieurs fois.

Malgré le rinçage de sa manche, l’odeur s’était imprégnée et avait fait assaut de son nez, une odeur puissante, amère, épicée. Un mélange détonnant qui était aussi énergisant que destructeur pour les papilles et les récepteurs olfactifs.

— Mademoiselle Mez, je suis vraiment plus que désolée pour la maladresse de mon employée. Sachez qu’elle sera très durement châtiée, à moins que vous ne vouliez le faire vous-même. Laissez-moi vous conduire dans mes bains personnels, nos soigneurs sauront prendre soin de vous et vous donneront de quoi vous changer.

— Non je reste.

— S’il vous plait mademoiselle Mez, la supplia son hôte, laissez-moi prendre soin de vous. Par ma faute vous avez été blessée et tachée, laissez-moi soulager votre peine et cet entretien pourra reprendre plus tard. Je suis tellement désolée, dites-moi comment je pourrais me faire pardonner ?

— Répondez aux questions d’Hada ça ira, dit Ancénata qui repoussa doucement mais sûrement les gardes et les serviteurs qui venaient s’enquérir de son état de santé.

Le dénommé Hada Cuenta, à nouveau assis nonchalamment sur son fauteuil regardait toute cette agitation d’un œil noir. Il demanda à la parfumeuse si tout allait bien, elle confirma malgré des yeux emplis de larmes et une toux chronique. L’entretien se poursuivit et la matriarche justifia ses erreurs comptables par sa jeunesse. Le précédent chef de la famille était mort subitement, ainsi que son proche conseiller des suites d’une maladie qui avait touchée plusieurs personnes dans la demeure et avait requis une mise sous quarantaine. Tout danger de contamination écarté, la jeune femme avait repris au pied levé les activités de la famille. Sous estimant la perte de confiance de sa clientèle, elle avait fait des achats inconsidérés, mal négociés et qui ne s’étaient pas vendus. Les pâtisseries s’étaient périmées et une bonne part du stock avait fini au rebut sans être prise en compte dans les bilans de l’activité de la famille. Il n’y avait eu ni vol, ni tentative de malversation. 

L’entrevue se termina rapidement, l’émotion de la jeune chef de famille était encore forte et elle demanda avec insistance à la parfumeuse ce qu’elle pouvait faire pour elle, promettant de mettre toutes ses ressources au service de l’enquête si besoin. Lorsqu’ils sortirent de la demeure, le comptable et la parfumeuse restèrent totalement silencieux, ils remontèrent à bord de leur gondole et ce n’est qu’une fois au milieu du Siroppo que le comptable du palais demanda si Ancénata allait bien : 

— La jeune Taralli a clairement essayé de vous causer du tort… Si j’avais des doutes quant à sa culpabilité, ceux-ci ont disparu. C’est assez grossier comme tactique, je suppose qu’elle souhaitait vous voir quitter la pièce pour n’avoir pas à subir votre jugement pendant notre entretien… Elle ne pensait pas que vous auriez le cran de rester. Une chance que seul votre bras ait été touché je suppose.

— C’est ma tête qui devait prendre le bouillon, je me suis un peu décalée au cas où, lui répondit la parfumeuse en regardant son bras, ça ne fait pas trop mal vous savez. L’infusion n’était pas si chaude. C’est autre chose qu’elle voulait.

Ancénata tendit son bras vers le comptable : 

— Sentez.

Celui-ci se pencha et renifla la manche tachée. Il recula vivement et toussa.

— C’est l’infusion « cœur noir » mais elle est très dosée. Trop. Ajonc mordoré, anis badiane, poivre-fleur, salpêtre, thym brûlé… C’est un mélange à la fois anesthésiant et tonifiant, pour rester éveillé longtemps et lutter contre de grosses douleurs, mais qui a un fort impact sur l’odorat. Les néfliers étaient là pour atténuer mes sens et ce mélange, pour les détruire.

— La saleté ! pesta le comptable, elle savait que notre visite la mettait dans une position délicate… Mais elle doit aussi savoir que sans preuves solides il serait très malvenu de notre part de s’attaquer à l’une des grandes familles marchandes de la ville. Comment va votre nez ?

Ancénata Mez renifla et ses sourcils se froncèrent l’espace d’un instant : 

— Ça va aller, mais ce n’est pas très agréable. Agrippina Taralli… Je sens qu’elle le regrettera amèrement.

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Luvi
Posté le 13/06/2025
Bien le bonjour 👋,
Hmm, tout cela a des allures de complot ! Même si le nez d’Ancenate est hors service...
L’arrivée du cantateur semble annoncer la déstabilisation du comptable, tandis que le piège tendu par Agrippina contre Ancenata ajoute une nouvelle profondeur au récit. On ressent le danger, et l’étau se resserre peu à peu.
A bientôt
Plume de Poney
Posté le 13/06/2025
reBonjour à toi,

A Mirova, le cantateur a assez peu de pouvoir comme la guilde des Sens chapote directement la ville, ce qui arrange bien Hada !

Agrippina a tenté son coup mais pas avec le succès qu'elle aurait pu espérer, ça risque de lui porter préjudice par la suite...

reBonne journée!
Luvi
Posté le 13/06/2025
Agrippana en a beaucoup trop fait... trop de détails tue le détail...
La bourde de son serviteur était bien trop flagrant pour n'être qu'un incident.
Bonne journée à toi aussi
Plume de Poney
Posté le 13/06/2025
Que veux tu, c'est la fougue de la jeunesse! Plus l'assurance des Seigneurs Marchands.
Elle a bien réussi à reprendre toutes les activités familiales après une malencontreuse maladie qui a causé bien du tort dans sa maisonnée...
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