Chapitre 7 - Prise de conscience

Par Siocbo

L'odeur de brûlé lui faisait tourner la tête. Simplement observer l'enfer de flammes lui donnait l'impression d'entrer en combustion. Confusion, colère et regrets faisaient grimper un peu plus sa chaleur corporelle.

Je vais crever ici..? Sans n'avoir rien accompli ? Ces questions tournaient en boucle dans sa tête. La chaleur était si intense que le sol se dérobait sous elle. Ou bien n'était-ce que la conséquence de sa peau en train de fondre ? Peut-être un savant mélange des deux. Elle avait entendu dire que le temps ralentissait lorsqu'on était sur le point de mourir. C'était donc vrai. Voilà une éternité qu'elle se contemplait en train de brûler vivante. La catastrophe de flammes était pourtant toujours si haute dans le ciel.

La paix ne venait pas, la calme résolution qui suivait l'acceptation d'une mort plus que certaine ne faisait pas l'ombre de son apparition. À la place, la colère qui l'habitait ne faisait que grandir. Elle voulait hurler. Mais toute l'eau de son corps s'était évaporée et aucun son ne sortait maintenant de sa gorge.

La vision horrifique du roi démon qui était à l'origine de cette histoire n'aidait pas. Celui-ci, encore plus proche de la boule de flammes, en subissait d'autant plus les conséquences. Son corps se liquéfiait et prenait feu spontanément. Avec son visage complètement défiguré, seuls ses yeux abyssaux attestaient toujours de son calme absolu. Fixés sur elle, la dévorant, elle aurait juré avoir vu une lueur de jubilation en leur sein. Elle entendit quelque chose se briser. Etait-ce elle ?

Elle fut tirée de sa torpeur par la lumière éblouissante du soleil. Une sévère douleur la frappa à l'arrière de son crâne alors qu'elle ouvrait les yeux. Le plafond en pierre lui apparaissait flou, et il lui faudrait encore une paire de minutes pour enfin arriver à détailler le lustre rustique qui y pendait.

Une porte s'ouvra dans la pièce. Elle aurait bien essayé de détailler la personne qui venait d'entrer, mais une douleur encore plus aiguë répondait au moindre mouvement qu'elle entreprenait. Les petits pas légers qui tapaient sur les pierres s'approchèrent de là où elle était allongée. Tap tap tap ! Et ils s'en allèrent aussitôt à vive allure. Au loin, elle entendait la créature s'exclamer.

- Gihigibu ! Gigaaki !

Un gobelin ?

Plusieurs paires de pas ne tardèrent pas à rejoindre la pièce. Cette fois-ci, elle eut le luxe de comprendre ce qui se disait, mieux, on s'adressait à elle.

 - Ho, tu es enfin réveillée Azris !

Le grognement d'un animal vivant ses dernières heures était la seule réponse qu'elle parvenait à lui rendre.

 - Ne sois pas si renfrognée, si j'en crois mon expérience, tu seras en pleine forme d'ici trois jours. Tu auras alors une audience avec mon roi, il a des questions à te poser.

Un second grognement lui répondit, mais le géant pourpre n'y prêta pas d'attention et se dirigea vers la sortie. Alors qu'il allait sortir de la pièce, ses pas s'arrêtèrent.

 - Je te conseille de ne pas faire une scène lorsque tu pourras bouger, et de gentiment attendre ta rencontre avec le roi. Je ne compterai pas sur le roi pour te sortir une deuxième fois des portes de la mort.

Elle voulait rétorquer, mais un éclair se fraya un chemin parmi ses entrailles. Les paupières lourdes, elle constata que les foudres tétanisantes de la peur avaient englouti une part de sa colère habituelle. Et ainsi, les bras supposément apaisants du sommeil l'enveloppèrent à nouveau.

Nombreuses furent les fois où elle se réveilla en sueur après avoir revécu sa terrible défaite, mais à chaque fois, elle sentait son corps un peu plus capable que la fois précédente. À quel prix cependant ?

Il s'agissait encore d'un réveil mouvementé. Elle était épuisée. Assise sur le bord de son lit, trempée de sueur. Ses longues mèches de jade collaient contre ses joues tant elle était trempée. Elle n'était plus que l'ombre d'elle-même.

Un bourdonnement lui chantait dans les oreilles, mais elle n'y prêtait pas attention. Pour être tout à fait exact, elle ne pouvait plus lui prêter attention. L'enfer enflammé auquel elle avait assisté avait quitté le monde onirique et la tourmentait même lorsque ses yeux étaient ouverts. Une description effroyablement convenable qu'était celle de l'enfer enflammé. Et en son sein... Ces yeux...

Tak

Elle sursauta lorsqu'elle reçut un coup derrière la tête. S'éloignant maladroitement, elle jeta un regard apeuré à un Elmunneth confus. Ce dernier rit faiblement, visiblement gêné.

 - Cela ne va plus du tout, toi. Cela fait 5 minutes que je t'appelle.

 - ...

 - ...Ecoute, je ne sais que trop ce que tu ressens. Mais il est temps que tu te reprennes en main. La situation est grave, et si nous voulons nous en tirer, on aura besoin de ta force ! J'ai quelques questions pour toi, es-tu prête ?

Le général s'était assis à l'autre bout de son lit et son regard plongeait intensément dans le sien. La pression qu'il exsudait lui fit acquiescer mollement.

 - Lors du combat que tu as mené contre lui, comment as-tu échappé à la masse de mana qu'il invoque sur tes épaules pour te cloîtrer au sol ?

 - ... Il suffit d'utiliser le mana brut qu'il manipule pour projeter tes propres sorts à la place. Au plus tu en utilises, au plus la charge sur tes épaules diminue. Mais...

 - Mais ?

Il la pressa. Elle secoua faiblement la tête.

 - Mais c'est inutile dorénavant. Il sait fabriquer ses propres sorts, et le fait que je sois encore en vie en est la preuve.

Un pesant silence s'ensuivit. Elmunneth semblait perdu dans ses pensées tandis qu'Azris trouvait les mots adéquats pour sa prochaine question. Ou peut-être était-ce le courage qu'elle cherchait ?

 - ... Qui c'est ? Qu'est-ce que c'est, ce démon ?

 - ... Le point zéro. Mon roi démon est le phénomène qu'on appelle le point zéro.

***

Il était désormais l'heure pour l'audience prévue avec le roi immaculé. Face à la bâtisse en pierre haute de trois étages qui servait de palace pour l'être blanc, Azris enfouissait la scène qu'elle venait de voir dans son coeur. Au loin, le paysage encore fumant plus d'une semaine après sa rencontre s'était imprimé tel un négatif contre sa rétine. Et bien entendu, dès lors qu'elle y repensait, ses yeux lui apparaissaient. Ces mêmes yeux qui l'attendraient sûrement derrière cette porte.

Elmunneth, sans doute par considération pour la jeune démone, avait patienté quelques secondes avant d'ouvrir les portes et de pénétrer la salle amplement éclairée par des lustres luisant vivement.

Une vaste bouffée de mana s'écoula au travers de la porte nouvellement ouverte, à l'instar d'une bouteille de champagne dont le bouchon de liège fait pop. Au pas de la porte était disposée une flopée de gobelins, démons, et même de kobolds, une autre espèce de démons de bas rang proche du groupe des canidés. Tous ceux-là se prosternaient devant l'être immaculé qui trônait au fond de la salle. Il avait une main tendue, la paume vers le sol. Et face à lui, le mana dansait dans un rythme effréné qu'il lui était parfaitement impossible de déchiffrer.

Un frisson qu'elle tenta de réprimer longea sa colonne vertébrale.

Il ne lui fallut pas attendre bien longtemps afin de découvrir les conséquences de cette danse macabre. Du sol s'extirpait une créature tout d'os composée. Son blanc cassé contrastait avec le blanc impeccable de son créateur. Le roi contemplait sa création. En retour, le squelette lui adressait une profonde révérence, une rotule plaquée contre le sol froid.

 - Tu t'appelles Paul 7.

Avant même qu'elle n'ait eu le temps de s'offusquer du nom ridicule qui avait été conféré au squelette, sa mâchoire s'affaissa par stupéfaction. L'être d'os rayonna soudainement d'une intense quantité de mana. Elle savait qu'un nom était important pour un démon, mais elle n'avait jamais vu pareil phénomène. D'autant plus que le nom qu'il avait reçu laissait présumer qu'il y avait au moins 7 de ces créatures. Si elle devait tous les combattre, elle n'aurait sans doute aucun problème. La question en suspens était cependant la suivante : qu'adviendrait-il face à une vingtaine d'entre eux ? Une centaine ?

L'assemblée était sans voix. Certains par peur, certains par pure surprise, et d'autres semblaient ne même plus y prêter attention, occultant complètement la scène de leur radar. L'atrocité qu'ils prenaient pour un roi démon prit la parole.

 - Je comprends maintenant l'importance d'un nom. Elmunneth, Azris, Bogibu, vous possédez tous des noms. Il est temps pour moi d'en choisir un également.

Un déglutissement retentit. Nul ne savait d'où il venait, et franchement, tout le monde s'en foutait.

 - Mon nom est Burank.

 

Vrrrrrrrrroooooooooooooooooooom

 

Un sentiment familier, et ô combien terrible les traversa. Pendant un bref instant, ils furent exposés au point zéro dans toute sa splendeur.

Tous s'évanouirent, intoxiqués par la quantité massive de mana. Et tel un écho, le signal du point zéro qui avait refait surface pendant moins d'un instant attira les regards du monde entier.

 

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