Chapitre 7 - Sehar

La tasse se brisa entre ses mains.

La seule chose que Sehar souhaitait, en cet instant, était d’entendre la voix de son père. 

Une de ses blagues déplacées, ou n’importe lequel de ses quolibets affectueux ferait l’affaire. Même juste son rire. Il avait besoin de lui.

Si tu continues comme ça, tu sera capable de déchirer des armures entre tes petits doigts de guerriers en un rien de temps ! 

C’est ce qu’il aurait dit. Sans doute.

— Sehar ?

Il releva les yeux vers Lo, qui le regardait avec une inquiétude marquée. Il ne se souvenait plus exactement de quand ni comment il était arrivé dans le fauteuil où il était assis, ni depuis combien de temps il avait une tasse - déjà froide - dans les mains. 

Il ne sut qu’elle était là, et qu’elle était froide, que lorsqu’elle avait éclatée sous la peau dure de ses paumes.

Est-ce que c’était lui qui l’avait cassée ?

— Toi, tu vas aller dormir, petit bonhomme. Tu n’es pas en forme et si la nourriture n’y change rien, alors y’a rien à faire, au lit !

Avant de pouvoir répondre ou bouger un seul muscle, Maro, la mère du gnome Chaussette, qui était une naine de laquelle il semblait avoir hérité une partie de son caractère, s’avança vers lui pour récupérer les morceaux brisés. Elle lui arrivait à peine à la hanche, lorsqu’il était debout, et le gnome était encore plus minuscule. Depuis quand Sehar était-il si grand ? Il avait toujours été le plus petit, dans la tour…

— Désolé…

La naine le fixa avec suspicion, ses rides plissées autour de ses yeux marrons presque gris. Elle retroussa son large nez, et secoua la tête.

— Tu feras gaffe, Lo. Ton pote a dû se prendre un coup sur la tête en tombant, il fait la même tête que mon frère quand il a trop bu, constata Chaussette.

— Il continue à boire, c’t’andouille ? » Râla Maro, avant de tapoter le bras de Sehar. « Peu importe. Monte, va. »

Sans un mot, Sehar suivit Lo à l’étage, légèrement courbé pour ne pas se cogner au plafond bas. Del était déjà endormi dans un des deux lits de la petite chambre que Maro leur avait laissé, et ne bougea pas lorsque la porte grinça sur ses gonds. Lo se débarrassa de son armure, pièce après pièce - quant à Sehar, il resta debout à l’entrée, incapable ne serait-ce que de prendre une décision aussi insignifiante que de savoir s’il voulait s’allonger ou non.

S’il respirait trop fort, il risquait de casser quelque chose d’autre. Et s’il faisait le mauvais choix, peut-être que Lo et Del disparaîtraient, et qu’il se retrouverait encore tout seul.

— Sehar ?

Lo avait fini de défaire son armure, et ne portait plus qu’une chemise sans manches, boutonnée jusqu’au col. Ses cheveux bouclés flottaient au-dessus de ses larges épaules, et ses yeux gris sombre le fixaient avec inquiétude.

— Tu n’as pas dit un mot depuis longtemps, est-ce que tout va bien ? insista-t-iel.

Sehar baisse les yeux - et, sans préavis, il fondit en larmes.

— Oh, okay… murmura Lo. Ce doit vouloir dire non...

Iel posa une main sur son bras, et le poussa doucement vers le lit pour le faire s’y asseoir.

Pendant une durée qui lui parut interminable, Sehar pleura. 

Il ne se souvenait pas de la dernière fois qu’il avait autant pleuré. Il ne savait pas vraiment que c’était possible de pleurer autant.

Mais il pleura quand même, et Lo resta à côté de lui, sans l’interrompre.

Lorsque Sehar parvint enfin à lea regarder en face, iel lui adressa un sourire encourageant, et il s’essuya les yeux avec le dos de sa main.

— J’imagine que tu n’avais pas prévu de devenir un explorateur aujourd’hui, hein ? constata Lo.

Sehar rigola nerveusement, et secoua la tête.

— Non, vraiment pas… J’attendais mon père…

Il lui raconta tout : les Gardiennes, le pouvoir qu’il avait reçu et dont il ne voulait pas ; le plan de fuir avec son père, même s’ils n’avaient aucune idée d’où aller ensuite, parce que partir au plus vite était plus important que la destination ; le départ raté, et l’attente dans le désert ; son hésitation à quitter sa cachette, et sa décision de prendre le risque de sortir quand même.

— Je parie que tu regrettes un peu d’être venu ramasser nos fesses, en conclut Lo.

Il n’osa pas dire qu’une part de lui le pensait vraiment - il n’était pas assuré, comme son père, ni solide comme Ressa. 

— C’était effrayant et difficile, et tu l’as fait quand même, continua lea faune. Quand c’était important, tu as agis. Tu flippes maintenant parce que tu as eu trop de temps pour réfléchir, mais sur le moment ? Tu étais là, et c’est quand même plutôt impressionnant.

— Je… Ce n’est pas vrai ? couina-t-il. 

— Je suis un excellent juge de caractère, ria Lo. Et toi, Sehar, tu es quelqu’un avec qui je serais ravis de partager un morceau d’aventure.

Sehar avait dû mal à le croire - et pas seulement parce qu’iel venait de le rencontrer dans la journée, et qu’il était bien trop tôt pour former un quelconque jugement sur qui que ce soit. Lui-même n’avait aucune idée de quoi penser de ses deux compagnons d’infortune, si ce n’était que Del avait un joli visage et un humour étrange, et que Lo semblait capable d’affronter toutes les pires situations du monde avec calme et raison.

— Et maintenant, que fait-on ? demanda Lo.

Sehar n’osa pas lea regarder. Il avait trop honte d’avouer qu’aussi impressionnant qu’il soit, la seule chose qu’il voulait désormais, c’était de retrouver son père. Lea faune ne laissa pas le silence s’étirer, et posa une main sur son épaule.

— On peut discuter de comment on s’y prendra demain, mais il semblerait que notre prochain objectif, c’est de te ramener à ton père, hein ?

— Tu lis dans les pensées, c’est ça ?

Lo rigola, et secoua la tête.

— Je te l’ai dit : je suis un très bon juge de caractère.

Sehar lui rendit faiblement son sourire, mais ce dernier retomba presque aussitôt. Est-ce qu’il pouvait retrouver son père sans risques, cependant ? Tsisco lui avait bien dit de ne pas le rejoindre sans message indiquant qu’il pouvait le faire. Mais il ne pouvait pas vraiment lui envoyer de message d’aussi loin… il n’avait aucun moyen de lui dire quoi faire.

La seule chose dont Sehar était certain, c’était que son père lui manquait trop. Alors, si le revoir impliquait de devoir être une Gardienne ou de risquer le sortilège, tant pis. Il reviendrait pour lui.

— Essaie de dormir, okay ?

Sehar acquiesça, et Lo se leva pour s’installer sur la banquette au sol, allongé de côté à moitié roulé en boule. Il l’imita, les yeux tournés vers l’autre lit, dans lequel Del n’avait pas bougé de toute leur conversation. Son joli visage fendu en deux était caché derrière le filtre et les tubes, et le générateur à nimbus auquel il était branché, posé à côté de lui, était désormais la source de lumière la plus forte de la pièce. Les yeux perdus dans les remous paisibles des nuages, Sehar s’endormit quelques instants plus tard, bercé par la respiration paisible des deux chevalieresses.

Lorsqu’il rouvrit les yeux, il faisait encore sombre dehors. 

Il n’avait aucune raison de s’être réveillé - les deux autres étaient toujours endormis, pour le moment, et il n’avait pas l’impression que quiconque ait bougé dans la maison de Maro.

Est-ce qu’il avait envie d’uriner, peut-être ? Mais non, il n’en avait pas l’impression…

Cette raison, il l’entendit.

Un grognement, bestial et terrifiant, qui résonna contre les murs.

Sehar rampa jusqu’au pied de son lit, et regarda par la fenêtre.

Là, dans la nuit, se tenait une gigantesque créature. 

Sa fourrure noire se fondait presque dans les ténèbres, mais il n’eut qu’à abaisser sa paupière transparente pour voir le museau pointu et les oreilles usées de la bête, sa truffe humide et ses griffes acérées, et ses yeux rouges qui chassaient les ombres.

Lo s’était réveillé aussi, et observa à son tour l’extérieur, dans un silence pensif. Del les imita, un peu plus engourdi, les yeux plissés contre la fenêtre. 

— S’passe quoi ? maugréa-t-il. 

— Aucune idée, murmura Lo en retour. Je vais descendre voir.

Iel enfila la veste qu’il portait entre sa chemise et son armure, à défaut d’avoir le temps de remettre cette dernière, et récupéra son épée avant de descendre. Del passa les bretelles du générateur pour le hisser sur son dos, et sans aucune hésitation, suivit lea faune en bas, son pas encore tremblant.

Sehar jeta un dernier coup d’oeil dehors - la créature avait disparu.

Il aurait préféré se cacher que de chercher à s’approcher de la chose - mais rester tout seul lui paraissait pire, alors il sauta de son lit, et descendit à son tour.

Il s’attendait à ce que Maro et Chaussette, qui étaient restés en bas, guettent à la fenêtre avec terreur, les armes au poing ; mais la porte était ouverte, et ils étaient tous les deux dehors, face à la bête, plongés dans une conversation paisible.

Sehar ne prêta pas attention à ce qu’ils disaient, cependant. Invisible depuis l’étage, il pouvait désormais voir très nettement que dans les griffes de la créature se trouvait une jeune fille, à la peau bleu nuit, aux longs cheveux noirs et aux courtes oreilles pointées vers le bas.

Et cette fille, elle avait le même visage que lui.

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Tac
Posté le 18/11/2022
Yo !
J'aime beaucoup comment Lo prend Sehar sous son aile. je trouve Sehar très réussi dans sa relation avec son paternel et l'espèce de relation-tuteur qui s'installe avec Lo. Je trouve ce chapitre très réussi ; il amène une petite pause que je trouve bienvenue dans l'action, avec des moments qui permettent aux personnages de tisser des liens.
J'ai hâte de découvrir ce que ce nouveau personnage va nous réserver ! Clairement, tu ne nous laisse pas le temps de nous ennuyer !
Plein de bisous
DraikoPinpix
Posté le 28/01/2022
Ce trio devient de plus en plus attachant et j'aime leurs hôtes ! Je continuerai ma lecture. J'avais un peu peur qu'il y ait beaucoup de personnages, mais on s'y retrouve finalement. Leurs caractères sont bien définis.
A bientôt !
AnatoleJ
Posté le 30/01/2022
Pied-de-Troll est un excellent arrêt pour passer la nuit :D
Pour la quantité de personnages, le compteur va doubler d’ici la fin, mais j’espère que j’y suis allé assez progressivement dans les présentations pour que ça reste vivable x)
Merci encore pour ton commentaire, à bientôt :)
DraikoPinpix
Posté le 31/01/2022
Nan, franchement, aucun souci au niveau des persos : on ne se mélange pas :)
Nanouchka
Posté le 17/12/2021
Bonjour Anatole,

Je ne m'attendais pas à ce cliff, et il marche bien !

J'aime bien la mission d'aller retrouver son père, aussi, quelles que soient les conséquences.

Ce chapitre m'a semblé un tout petit peu trop statique. J'aurais aimé un peu plus de chair et d'action.

Des détails :

"Il n’osa pas dire qu’une part de lui le pensait vraiment - il n’était pas assuré, comme son père, ni solide comme Ressa."
J'aime bien cette phrase.

"— Je… Ce n’est pas vrai ? couina-t-il."
Bizarre, comme formulation. Est-ce qu'il veut dire "C'est vrai ?", ou est-ce qu'il affirme "Ce n'est pas vrai" ?

"— Je suis un excellent juge de caractère, ria Lo. Et toi, Sehar, tu es quelqu’un avec qui je serais ravis de partager un morceau d’aventure."
ria > rit

"Sehar avait dû mal à le croire"
dû > du
AnatoleJ
Posté le 19/12/2021
Je suis rassuré de voir que le cliff était inattendu, il y a quelques indices dans les chapitres précédents et j’avais peur qu’ils soient trop « évidents » (quoi que ce ne serait pas un drame non plus si quelqu’un devinait, en réalité)

« Est-ce qu'il veut dire "C'est vrai ?", ou est-ce qu'il affirme "Ce n'est pas vrai" ? »
La réponse est oui au deux x) Sehar est confus, donc il ne parle pas de façon cohérente !

Merci pour les typos et erreurs perdues sur les deux derniers chapitres ! C’est aussi noté pour le côté trop statique de celui-ci. A bientôt :)
Mathilde Blue
Posté le 07/06/2021
Re !

C’était agréable de lire ce chapitre plus calme. La peine de Sehar est très bien retransmise et j’imagine très bien sa détresse d’être séparé de son père (surtout que c’est le meilleur papa ever, il me manque snif). Mais Lo est là pour le consoler (c’est ce que je te disais, figure parentale trop chou).

Très bon cliffhanger ^^ Je suppose qu’ils vont enfin rencontrer Nodia (même si cette grosse bestiole est… étonnante).

Mes notes :

« Il ne sut qu’elle était là, et qu’elle était froide, que lorsqu’elle avait éclatée sous la peau dure de ses paumes. »
Il y a un petit problème de concordance de temps je pense ! Ce serait plutôt « Il n’avait su qu’elle… ».

« Est-ce que c’était lui qui l’avait cassée ? »
Simple suggestion, mais je trouve toujours que « Était-ce lui » est plus agréable à lire !

« Sehar baissA les yeux - et, sans préavis, il fondit en larmes. »
Ben mon ptit Sehar T_T

« tu as agis »
« agi » sans s ^^

« Son joli visage fendu en deux »
J’ai un peu de mal à visualiser, c’est parce qu’il a une cicatrice ?

« mais il n’eut qu’à abaisser sa paupière transparente pour voir »
J’avoue que j’ai pas tout à fait compris cette histoire de paupière transparente ^^’

À bientôt :D
AnatoleJ
Posté le 09/06/2021
Lo est toujours prêt à adopter des petits frères sur sa route :D Mais iel ne peut pas faire concurrence à Tsisco, ses bras sont trop petits héhé

« J’ai un peu de mal à visualiser, c’est parce qu’il a une cicatrice ? »
Comme toutes les choses très simples, c’est assez dur à expliquer finalement x) En fait, quand on le regarde de face, c’est comme si quelqu’un avait tracé sur sa peau un axe de symétrie de haut en bas, ou l’avait coupé en deux et recollé. C’est effectivement une cicatrice (très flashy qui change de couleur)

« J’avoue que j’ai pas tout à fait compris cette histoire de paupière transparente ^^’ »
Il a une paupière normale/opaque comme un humain, et une autre paupère translucide qui lui sert de filtre pour voir dans le noir (c’est magique). Les deux fonctionnent de façon indépendante ^^ (et je crois que je vais caller une ou deux lignes de dialogues entre Del et lui à ce sujet pour que ce soit expliqué plus clairement !)

Merci pour tes notes :D
Le Saltimbanque
Posté le 18/05/2021
C'est vrai qu'il commence à me manquer aussi, le papa reptile.

C'était une bonne idée de mettre une "pause" émotionnelle dans ton récit, surtout après la tornade d'action dans le désert. Je trouve la peine de Sehar bien écrite, ni trop peu ni pas assez. Lo est ma foi parfait dans son rôle, à la fois amusant.e et rassurant.e.

Donc oui, je n'ai pas grand chose à dire sur ce chapitre, qui se lit vite et bien. Et le cliffhanger et... what ?

Voili Voilou
AnatoleJ
Posté le 20/05/2021
Tsisco me manque à chaque chapitre où je ne parle pas de lui, c’était presque un crime qu’il n’ait pas rejoins l’aventure (mais c’est pour la bonne cause)

Content que la descente de tension t’ait plu aussi, j’ai beaucoup aimé l’écrire ^^ (et le cliffhanger aussi héhé)
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