Le vent venait du nord et soufflait sur les ruines. Des vagues de nuages obscurs masquaient le soleil au-dessus de Rivebois. Au loin, le grondement d'un orage s'approchait, l'horizon s'éclaircissait au gré des éclairs qui trouaient les ténèbres par-dessus le village.
Quelques jours plus tôt, avant le désastre, les habitants animaient les longues et larges rues, dont les allées avaient désormais cessée de vivre. À présent, seule l'émanation désagréable du brûlé flottait encore dans l'air. Il faudrait plusieurs jours pour qu'elle se dissipe, car l'odeur fraîche et sucrée de la pluie ne pouvait pas dissiper ce relent.
Le volet d'une maison claquait et le sifflement du vent accompagnait les croassements des charognards dans le ciel.
Un corbeau descendit vers un bâtiment abandonné, attiré par l'arôme de la viande cuite. Il se posa sur le toit et observa avec avidité la nourriture tant convoitée près du foyer un peu plus bas. Un second arriva à ses côtés, puis d'autres les rejoignirent.
Ils n'avaient rien mangé depuis des jours et il ne restait pas grand chose dans les débris. Mais des individus avaient apporté une pépite. Elle se tenait là, devant eux. Il y avait bien assez pour tous les gaver.
Si proche, elle les appelait... et pourtant un gouffre immense les séparait.
Soudain, la charpente sur laquelle ils étaient tous posés émit des craquements aigus. Des tuiles glissèrent et se fracassèrent sur les pavés noircis.
La toiture trembla et les corbeaux prirent leur envol, tandis que la maison s'écroulait dans un bruit assourdissant.
Des morceaux de pierres roulèrent jusqu'aux pieds de Démétria. Assise sur un muret, la paladine n'avait pas touché à sa brochette de viande.
Perdue dans ses pensées, elle fixait les flammes du feu de camp se rappelant les événements récents. Devant ses yeux défilaient les images d'une créature titanesque formée d'obsidienne, traversant une brèche qui séparait les réalités. Son rugissement monstrueux grondait encore dans sa tête.
Anxieuse, Démétria passa une main sur son visage. La situation était pire qu'elle ne le pensait.
Les élémentaires de feu vivaient dans les Terres de Béléroch, un monde loin du leur où le dieu du feu, Sorangar, reposait dans sa citadelle ardente. En temps normal, ils défendaient le domaine de leur maître, mais durant la Guerre des Flammes ses serviteurs les invoquaient pour dominer le champ de bataille.
Après la défaite de Sorangar, ceux qui lui étaient loyaux avaient longtemps conspiré dans les ombres avant d'être exterminés par l'Ordre du Jugement. Aucun n'avait survécu. Du moins, c'était ce que croyait Démétria.
Il était de retour. Une annonce qui ne réjouirait pas Sa Sainteté. Un nouveau conflit pouvait éclater entre les forces de la Lumière et celles du Feu. Pour éviter cette guerre, ils devaient mettre un terme à ces étranges événements qui frappaient la province.
L'histoire ne se répéterait pas. Elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour l'en empêcher. Absolument tout.
Démétria avait l'obligation d'avertir la Matriarche de la situation. Quand elle apprendrait que des ennemis ancestraux parcouraient leurs terres sacrées, sa fureur serait à son paroxysme. Elle en frissonnait rien que d'y penser.
Heureusement, l'adjuration avait été un échec. Un rituel capable d'invoquer une telle monstruosité nécessitait une grande quantité d'énergie. Sans ça, il était impossible de maintenir assez longtemps une brèche qui séparait leurs mondes.
Cependant, un malencontreux problème venait compliquer les choses.
Elle détourna son regard argenté sur le disque doré qu'elle tenait en main. La fissure dans le joyau blanc incrusté dans l’artefact témoignait le besoin d'une réparation. La pierre avait perdu son éclat. Dépourvue de son moyen de communication, Démétria ne pouvait plus contacter la Matriarche.
Enfer et damnation ! Il ne manquait plus que ça, fulmina-t-elle intérieurement.
Elle fronça les sourcils. D'un coup de pied rageur, elle envoya un caillou se loger dans les flammes. Tout ce qu'elle pouvait faire dans l'immédiat était d'attendre que Remak se réveille pour continuer leurs investigations.
Par chance, deux individus qui passaient dans les environs les avaient sauvés d'une mort certaine. Démétria n'avait aucune idée du temps passé ensevelie sous les décombres, mais elle l'était restée assez longtemps pour être pratiquement vidée de sa magie. Son estomac le confirmait avec un gargouillement peu discret.
Elle planta ses dents dans la viande cuite et en arracha la chair. Elle devait retrouver ses forces et vite.
Le temps s'était refroidi. Le paladin dormait à côté d'elle, près du feu de camp. Démétria remonta l'épaisse couverture brune jusqu'au menton de son compagnon, le choyant d'une prière discrète.
Combien de temps allez-vous me faire attendre, Remak ? se demandait-t-elle en humidifiant ses lèvres.
Une voix grave attira son attention.
— Tenez. Je vous ai préparé un petit remontant.
Derrière elle, un homme vêtu d'une longue veste brune usée par le temps lui tendait une petite coupe en métal. Une agréable odeur de menthe envahissait ses narines.
— Ça vous réchauffera, dit-il en s'asseyant en tailleur dos aux ruines de l'église.
Démétria accepta la boisson et hocha la tête en guise de remerciement.
— Je m'appelle Hadvar, je viens d'un petit bourg à une journée d'ici. Heureusement que mon compagnon et moi passions dans le coin et que je vous ai trouvée. On a dû vous tirer d'un impressionnant amas de pierres. Ça relève presque du miracle que vous soyez toujours en vie.
Démétria reprit une bouchée et l'observa. Il cherchait une position confortable.
Cet homme devait avoir dans la quarantaine et il semblait prendre soin de lui, malgré ses vêtements en mauvais état et sales. À sa taille se trouvaient deux pistolets aux formes familières.
Elle plissa les yeux. Où avait-elle... ? Ah, oui. Des vieux modèles d'armes portatives, légères et maniables, capables de percer des armures en plate si on les sertissait d'une pierre de psynergie.
Visiblement, elles ne l'étaient plus.
Était-il un ancien soldat ? La paladine se le demandait.
— Je suis Démétria et lui c'est Remak, répondit-elle en détournant la tête vers son compagnon allongé. Je remercie la Lumière de vous avoir guidé jusqu'à nous.
— En arrivant ici, je dois avouer que je ne m'attendais pas à trouver des survivants.
Hadvar marqua une pause et balaya du regard le village en ruine avant de continuer.
— Et encore moins des paladins. Il n'y a pas si longtemps, cette bourgade était encore animée par ses habitants et votre présence en ces lieux n'est certainement pas dûe à un hasard. Savez-vous ce qu'il s'est passé ?
C'est l’œuvre d'un élémentaire de feu, pensa Démétria.
— Sa Sainteté a ressenti une anomalie dans cette province, nous avons été chargés d'en découvrir son origine. Depuis deux semaines, nous la parcourons à la recherche de cette irrégularité. Ce village n'est pas le premier que nous retrouvons détruit. Je crains que d'autres localités subissent le même sort dans les jours qui viennent, si nous ne trouvons pas la cause de ces désastres.
Hadvar sentit son estomac se nouer. Ses craintes se confirmèrent. Les terres ne devenaient pas ingrates et stériles sans raisons. Des choses d'étranges et peu rassurantes se produisaient. La découverte des cristaux de psynergie tombait à point nommé.
— Qui est derrière tout ça ? s'inquiéta-t-il.
— Des hérétiques, sans doute. La Matriarche a beaucoup d'ennemis, ça ne serait pas surprenant qu'un groupe occulte joue avec des forces qui les dépassent.
Ses yeux scintillèrent d'un éclat argenté.
— Écoutez, continua-t-elle entre deux bouchées, le temps n'est pas un luxe dont je dispose, le véritable désastre peut encore être empêché. Vous êtes un habitant de cette région, n'est-ce pas ? Tout ce que vous pourriez me dire pourrait sauver des vies.
Ai-je bien entendu ? Depuis deux semaines, ils n'ont croisé personne ? Tu m'étonnes pourquoi ces derniers temps c'était calme. Même les brigands ont pris leurs jambes à leur cou. Merde, mais qu'est-ce qui se passe ? se questionna Hadvar.
Démétria se tenait droite, sévère, ne laissant échapper la moindre émotion.
— Compris, déglutit-il. Si je peux vous aider, ça sera avec plaisir.
Hadvar expliqua la raison de sa venue à Rivebois. Bien sûr, il omit de mentionner l'existence des cristaux de psynergie découverts dans la mine. Avec la menace présente, il préférait ne pas prendre le risque de négocier leur utilisation. Selon la gravité de la situation, la paladine pouvait avertir l'armée et ils viendraient récupérer leurs ressources pour les mettre en lieu sûr.
Ce n'était pas surprenant que des villages aient été détruis, l'Archonte gardait jalousement toutes ces ressources pour lui. Les habitants de la province ne bénéficiaient pas de ce confort, sauf les citadins.
Alors, il en garderait le secret. Rachel obtiendrait ses cristaux comme convenu. Une fois entre leurs mains leur sécurité serait assurée.
— C'est alors que nous avons vu des yeux bleus perçants rivés sur nous. D'après Moji, c'étaient des Esprits de Bois. Nous avons réussi à fuir de la forêt avec l'enfant et quelques heures plus tard, nous vous avons trouvés.
— Des Esprits de Bois, répéta Démétria pensive.
— Vous connaissez ces créatures ?
Démétria se pencha, plongeant son regard argenté dans le sien.
— J'ai entendu des histoires cocasses à propos de voyageurs se faisant agresser par de féroces arbres. En réalité, ce sont des âmes emprisonnées par les dryades. Les Esprits de Bois sont revêtus d'une apparence de végétaux pour tromper leur proie et leur force colossale leur permet de plier les meilleurs armures comme de simples feuilles de papier. Même le plus courageux des guerriers ne souhaiterait pas en croiser un. Quant aux créatures aux yeux rouges que vous avez mentionnées, il est possible que ce soit des hurleurs des lunes En temps normal, les dryades ne sont pas belliqueuses. Au contraire, elles sont assez timides. Rare sont ceux pouvant se vanter d'en avoir vu une. Tant que vous ne souillez pas leur environnement, il n'y a aucune raison de les craindre.
Hadvar se raidit. Son cœur bondit dans sa poitrine. Apprendre que de telles bêtes vivaient si près de Bourg-d'Argent ne le rassurait guère. Il remercia intérieurement Rhamée de l'avoir protégé. Toute cette histoire renforçait sa détermination de tenir secret l'existence des cristaux.
Des croassements résonnèrent au-dessus d'eux. Attirés par une quinte de toux sèche, les corbeaux s'approchèrent de la charrette, là où l'enfant malade se reposait.
— Du balai oiseaux de malheur ! cria Hadvar, en se dirigeant vers le chariot au pas de course.
Le garçonnet était réveillé.
— Comment tu te sens bonhomme ?
Le gamin crachait abondamment du sang entre une expiration bruyante et saccadée. Son état avait empiré.
Hadvar soupira, impuissant face à cette situation. L'aide espérée du village s'était volatilisée dès leur arrivée.
— Laissez-moi l’examiner, dit Démétria qui l'avait rejoint.
Mais bien sûr ! Pourquoi n'y avait-il pas pensé plus tôt ? Les rumeurs disaient que les paladins possédaient quelques capacités curatives, comme soigner les maladies et poisons grâce à leur magie sacrée.
La paladine monta dans le chariot. Le petit garçon de quatre ou cinq ans était recouvert d'une couverture brune tâchée de traces rouges. Elle s'accroupit près de lui et retira un de ses gantelets.
— Comment t'appelles-tu petit bout ?
— Lucius, répondit-il d'une voix fluette.
— Je suis Démétria, une paladine, connais-tu les paladins ?
— Oui.
Il fut pris d'une violente quinte de toux et recracha une gerbe de sang.
— As-tu des parents ou de la famille ?
Il secoua la tête et ses yeux s'humidifièrent après un instant.
— Ne pleure pas, dit-elle d'une voix affectueuse, alors qu'elle lui séchait ses larmes avec le pouce, la Lumière ne t'a pas abandonné. Cette douleur qui te ronge, je vais t'en soulager. D'accord, Lucius ?
L'enfant hocha la tête.
Démétria sourit chaudement et lui caressa la joue. Elle était froide. Il tremblait, aussi. L'épaisse étoffe en laine ne suffisait pas à le protéger du froid. La paladine pria sa déesse. La Lumière lui répondit et une vague d'énergie douce et pure enveloppa le jeune garçon qui arrêta de grelotter.
Baigné par la chaleur de Rhamée, ses maux s'atténuèrent et il rendit le sourire à Démétria qui le regardait avec compassion. Ils restèrent ainsi, silencieux, pendant un moment jusqu'à ce que la magie se soit dissipée.
— Ceci est un antidote.
La paladine tenait en main une petite fiole verte, dont elle venait de retirer le bouchon.
— C'est un puissant médicament qui t'aidera à guérir, par contre le goût est un peu amer. Bois-le. Doucement, prends ton temps. Ça n'a pas bon goût, n'est-ce pas ? Je suis désolée.
Lentement, les paupières de Lucius se refermèrent. Il se sentit glisser hors de son corps, comme attiré vers les cieux. Une douce voix susurrait son nom.
Lucius...
Son monde devenait flou. Un sombre et long tunnel se formait. Au bout, une lumière intense et grandissante l'appelait, elle l’entraînait à elle. Elle n'était pas aveuglante, mais plus il s'en approchait, plus il se sentait paisible et calme.
Quand il arriva dans cet halo gigantesque, Lucius comprit que Rhamée venait le chercher. Alors que son cœur cessait de battre, un flot d'amour et de paix indescriptible l'envahit. Le temps ne semblait plus exister. Puis, les bras de la déesse le serrèrent avec tendresse et elle l'emmena avec elle dans la Lumière pour l'éternité.
— Ton supplice est terminé, murmura Démétria.
— Est-il guéri ? demanda Hadvar.
— Je regrette. Je n'ai rien pu faire pour le sauver.
— Comment ? Vous venez de lui donner un antidote et avez fait usage de votre magie, qu'est-ce que vous me racontez ?
Démétria sauta en bas du chariot. Elle remit son gantelet et quand celui-ci fut ajusté correctement, elle le regarda droit dans les yeux sans un mot.
— Attendez... vous voulez dire que ce n'était pas un antidote, mais du...
— Du poison, confirma-t-elle d'un ton détaché.
Il n'en croyait pas ses oreilles. Comment avait-elle pu ? N'était-elle pas un paladin ? Son sang ne fit qu'un tour. Sans réfléchir, il agrippa le col du manteau de la paladine et la plaqua contre la charrette.
— Pourquoi ? cria-t-il. Cet enfant était malade et vous l'avez abandonné ! Vous avez le pouvoir de guérir ! Pourquoi l'avoir tué ? Pourquoi ?
Elle plissa des yeux, mais il continua.
— N'êtes-vous pas censée protéger ceux dans le besoin ? Répondez-moi !
Elle le fixa impassiblement. Il s'écoula quelques instants et le ton fut glacial :
— Cet enfant avait un trouble respiratoire depuis sa naissance. Il a développé une hémoptysie suite à une maladie inflammatoire. Savez-vous ce que c'est ? À voir votre tête, j'en déduis que vous l'ignorez. Vous souvenez-vous du sang qu'il recrachait ? C'est ça, une hémoptysie. Vous devez vous demander comment je le sais, n'est-ce pas ? Je suis une paladine, l'auriez-vous oublié ? Son état était trop avancé pour qu'il puisse être sauvé, alors je l'ai guidé jusqu'à Rhamée sans douleur.
Démétria se dégagea de son étreinte.
— Si je n'avais pas agi, il aurait souffert pendant un jour ou deux. Voir une semaine, peut-être, dans le meilleur des cas.
Un silence total tomba entre eux, et chaque seconde qui passait ne fit qu'élargir le gouffre qui les séparait.
Quand elle reprit la parole, ce fut un ton sans appel.
— Que les choses soient claires, Hadvar. L'Ordre du Jugement n'a pas pour vocation de protéger les faibles et les gens dans le besoin. Ça, c'est le rôle de l'Ordre du Bouclier. Le mien est de faire régner l'ordre et vaincre les ennemis de notre glorieux royaume. Ni plus ni moins.
Un éclat mauvais passa dans son regard.
— Je ferme les yeux cette fois-ci, car vous m'avez sauvée. Mais n'oubliez pas à qui vous vous adressez, je serai moins encline à être tolérante la prochaine fois. Me suis-je bien fait comprendre ?
Hadvar pâlit, son front perlait de sueur. Ses sentiments avaient pris le dessus et sa réaction avait été disproportionnée. S'opposer à un paladin revenait au même que s'attaquer à la Matriarche. Un sort pire que la mort était réservé à ceux qui défiaient son autorité. Il s'estimait chanceux d'avoir eu qu'un avertissement, car les guerriers saints faisaient rarement preuve de clémence.
Soudain, le bruit d'une explosion retentit. Hadvar et Démétria se retournèrent dans la direction du son arrivé à leurs oreilles. Un nuage de poussière noire s'élevait au-dessus du village.
Boum !
Une nouvelle détonation éclata suivi d'une violente onde de choc. L'air sembla se mettre à trembler autour d'eux. Une fumée sombre envahissait les rues. Ils entendirent des cris. C'étaient ceux de Moji.
Ils coururent en direction des hurlements. Démétria utilisa un peu de sa magie pour se frayer un chemin à travers la purée de pois, tandis qu'Hadvar la suivait armes en mains. L'accès à la place du village était bloqué. Des débris étaient venus se loger sur leur chemin et ils durent emprunter des ruelles pour les contourner.
Ils traversèrent une maison abandonnée et déboulèrent un monticule de pierres. Ils n'étaient plus très loin, à la prochaine à gauche ils arriveraient à l'endroit où le vacarme avait lieu.
À travers les décombres, là où de la poussière retombait, deux silhouettes se dressèrent devant eux. Celle d'un homme grassouillet de petite taille et d'un golem de bronze massif qui faisait presque deux fois la hauteur de celui qui le sermonnait.
— Qu'est-ce que tu ne comprends pas quand je te dis d'y aller doucement ?
Hadvar relâcha un soupir de soulagement.
— Ce n'est que Moji, mon compagnon de voyage. Rassurez-vous, c'est une habitude que tout explose avec lui. Il est connu à Bourg-d'Argent pour ses inventions bancales et bricolées.
Démétria le regarda du coin de l’œil, puis elle s'avança sans hésitation dans le passage étroit. Quelque chose attirait son attention.
— Dux ! Gronda l'artificier. Ne m'ignore pas quand je te parle ! Et ne dépose pas cette pierre ici, nom de nom !
Il vit la paladine s'approcher de lui et l’interpella avec son plus grand sourire.
— Oh, bonjour vous ! On dirait que vous allez mieux !
Il se frotta frénétiquement la main sur son tablier gris et la lui tendit.
— Vous pouvez m'appeler Moji ! Je suis un modeste artificier qui...
Démétria passa à côté de lui sans le regarder.
— Moi aussi je suis heureux de faire votre connaissance, continua-t-il à voix basse.
La paladine s'arrêta près des escaliers qui menaient à un passage souterrain. L'entrée avait été complètement détruite. Une épaisse porte métallique, avec un grand trou béant en son centre, se trouvait plusieurs mètres plus loin au milieu du couloir dévoilé. De fines particules blanchâtres tournoyaient encore dans les airs. Démétria les reconnaissait bien. C'était de la magie sacrée.
Les verrous magiques qui scellaient cet endroit avaient été anéantis. À moins que...
Elle regarda par dessus ses épaules. Non, c'était absurde. Il n'en émanait pas, aucun résidu flottait.
— Quelque chose ne va pas ?
Moji se tenait à côté d'elle les mains sur les hanches. Il cligna ses grands yeux marron agrandis par ses épaisses lunettes, lui donnant un aspect drôle. Mais Démétria restait impassible. Son regard se posa sur le golem de bronze.
Les marches se fendaient sous le poids de la machine qui descendait les escaliers. Dans ses souvenirs, ces vieux automates n'étaient pas si grands. Ils avoisinaient une taille légèrement supérieure à celle de l'homme, mais celui-ci était et plus massif.
— Que recherchez-vous ici ? demanda-t-elle.
— De la poudre noire, pardi ! Nous avons une mine de charbon à exploiter, répondit fièrement Moji. Cet endroit appartient à une bonne connaissance. C'est un ingénieur, il y a son laboratoire au fond du couloir. Venez ! Je vais vous montrer. Avec un peu de chance, nous le retrouverons caché comme un lapin dans son terrier ! Suivez-moi !
Démétria le suivit jusqu'à une porte renforcée décorée du symbole du Sanctum. Intéressant. Ce lieu devait appartenir à un Ordre, mais lequel ? Une fois à l'intérieur, elle le saurait. Cependant, cette étrange et soudaine présence de la Lumière la disputait à l'agacement. Impossible d'en déterminer sa source ni son origine, et plus le temps passait, moins elle la ressentait. D'où pouvait venir cette émanation qu'elle n'avait pas ressentie plus tôt ?
La porte grinça. Ils débouchèrent dans une pièce mal éclairée par des cristaux artificiels blancs suspendus à un lustre en bois.
— Pouah ! Ça schlingue par ici ! s'écria Moji, en mettant son bras devant son nez.
Équipé de divers instruments de mesure et d'une installation technique, servant à la conception et fabrication d'objets mécaniques, ce local d'ingénierie semblait vide de toute vie. Seule une odeur de putréfaction flottait.
— Restez derrière moi, dit la paladine.
Démétria prit sa grande masse et la brandit en avançant lentement. Une armoire avait été renversée contre un établi sur lequel se trouvaient des fioles brisées. Sur sa droite, des livres et des notes dispersés sur la table trempaient dans un étrange liquide consistant et sombre. Elle y passa un doigt.
Du sang. Il avait eu le temps de coaguler. Ce désordre ne datait pas d'hier et cette odeur âcre, emplissant l'air le lui confirmait.
— Que s'est-il passé ici ? demanda Hadvar.
— Nous allons bientôt le savoir.
Elle progressa avec prudence à travers le laboratoire. Des boulons et les outils qui jonchaient le sol montraient que l'endroit avait été saccagé.
Ses pas continuèrent vers le fond de la salle, là où la puanteur devenait de plus en plus forte. Elle arriva près d'un haut meuble forgé en acier et elle écarquilla les yeux quand elle découvrit le cadavre d'un homme attaché à une chaise.
Les vêtements déchirés de l'individu dévoilaient plusieurs blessures faites à l'aide d'une lame et des hématomes recouvraient son corps dans un état de décomposition avancé. On lui avait crevé les yeux, coupé les oreilles, arraché ses ongles et doigts qui traînaient à terre dans une mare noire.
Sa mort remontait depuis plusieurs jours. Bien avant que Rivebois ne soit ravagé par les flammes. Le meurtre n'était pas une coïncidence. Lors de ses investigations dans les trois villages visités, ceux-ci possédaient une infrastructure militaire. La paladine n'en avait pas fait le rapprochement plus tôt, car elle détenait trop peu d'informations. Mais avec cette nouvelle découverte, Démétria n'avait plus de doute. Un lien les unissait.
— Rufus ! Oh, non... Pas toi mon ami, pas toi ! s'horrifia l'artificier.
Hadvar restait silencieux. Son visage formait une grimace de dégoût face à cette scène. Depuis qu'il avait quitté Bourg-d'Argent, le monde semblait s'écrouler et le danger paraissait de plus en plus grand.
Démétria se tourna vers Moji.
— Vous avez l'air de le connaître. Étiez-vous proche ?
Un éclat passa dans les yeux argenté de la paladine.
— Oh que oui je le connaissais, répondit tristement Moji. Rufus était un ingénieur, un chic type j'vous dis... Nous étions de bons amis.
— Avait-il des ennemis ou connaissez-vous des individus qui lui voudraient du mal ?
— Eh bien, comment dire...
Démétria sentait l'indécision dans sa voix.
Soudain, elle fit volte-face.
Les deux hommes sursautèrent.
— Démétria ? Tout va bien ? s’inquiéta Hadvar.
La paladine restait immobile, silencieuse.
Elle se concentra et projeta son esprit vers cette force mystérieuse qui venait d'apparaître. Des picotements désagréables parcouraient son corps et son cœur se mit à battre très fort.
Un rugissement guttural retentit et l'orage gronda.
Ton univers se développe et devient intéressant. J'aime aussi l'ambiance sombre qui s'y est installée :) Moji donne un peu de lumière dans cette noirceur avec ses manières familières, j'aime bien ^^
Sinon, malgré quelques répétitions (peu nombreuses, hein), ça a été très agréable de reprendre la lecture de ton roman ;)
Oui, heureusement qu'il y a Moji pour un peu détendre l'atmosphère !
Merci pour ta lecture et ton enthousiasme, j'espère que la suite te plaira. :)
Bon... Ben c'est intéressant ça ! On voit un début de deconstruction du mythe des paladins pour Hadvar, ça promet mais honnêtement ça aurait pu être encore plus accentué sacs problème, à moins que tu n'aies pas l'intention de t'attarder là-dessus (je trouve que dans un univers où la place de la religion, de la Matriarche, etc est tellement importante, ce serait dommage de ne pas en livrer une petite analyse critique)
Sinon, toujours cette montée de l'horreur de chapitre en chapitre avec les découvertes qui s'amoncellent. Et je ne sais pas vraiment si c'est parce que ça se passe en même temps, mais le fait de suivre en parallèle Rachel et Hadvar donne une impression de décousu qui s'ancre très bien dans ce qui commence à sembler être un début d'apocalypse.
Bon courage à nos héros, ils en auront besoin on dirait 😅
La monté d'horreur que tu ressens devrait atteindre son paroxysme très prochainement, mais sois rassurée il y aura des moments plus calme. Bien qu'ils pourront s'avérer crus et froids !
Merci pour ton assiduité et désolé pour ma réponse tardive ainsi que du retard de la publication du chapitre 8. J'ai eu peu de temps à moi ces dernières semaines. ^^
J'aurais bien aimé jeter un peul à cette nouvelle, mais j'ai moi aussi très peu de temps à moi, peut-être ce week-end si je ne suis pas débordée, et que j'aurais lu les chapitres de retard 😂
C'est pas la peine de t'excuser, tu avais dis déjà à l'origine que tu ne resterais régulier qu'un certain temps alors on était prévenus...