L'étude du dossier nous pris le reste de l'après-midi et une partie du début de la soirée.
Il s'avéra rapidement que nous n'avions pas du tout les mêmes habitudes de travail : quand je m'installais en tailleurs par terre, Lassa'h s'installait à une table ; là où j'étalais toutes les feuilles autour de moi, avec un ordre ne faisant sens que pour mon esprit, iel organisait soigneusement ses papiers, avec des jeux de pinces et de trombones de couleurs ; si je criblait mes documents de post-it colorés et de notes au crayon, man camarade surlignait les siens avec soin et utilisais un code couleur préexistant ; alors que j'avais changé de position au moins sept fois1, Lassa'h restait tranquillement penché.e sur ses feuilles, le visage sérieux et concentré.
Durant mes moments de divagation (j'ai besoin de laisser mon esprit se promener régulièrement pour mieux laisser mon cerveau structurer mes pensées) j'eus aussi l'occasion d'admirer sa façon de resté en hyper-focus: pas une seule fois, je lea vit lever les yeux de son dossier, fixer le vide, jouer avec un stylo, m'observer, ou triturer quelque chose. En dehors de ses cheveux, une ou deux fois, lorsqu'iel lu un passage que j'avais moi aussi trouvé ardu.
Vers 20h, je jetais l'éponge.
J'avais mal au dos, faim, soif et envie de faire pipi. Sans bruit, pour ne pas déranger Lassa'h, je quittais mon carré de plancher jonché de feuilles volantes, et filait vers la salle de bain. Sur les deux pièces d'eau de la maison accessible aux enfants (mes parentes avaient leur propre petite salle de bain attenante à leur chambre) celle du second était de loin ma préférée. Grande baignoire, toilettes séparés et assez de place devant les lavabos pour se brosser les dents à plusieurs.
Alors que je remontais mon pantalon, la réalisation me frappa de plein fouet : Arën allait avoir le cœur brisé2.
Et le Club des 90% voudrait avoir ma peau.
Oh ch...
Saisi par l'idée, je tirais la chasse et filais me laver machinalement les mains avant de m'asseoir sur le rebord de la baignoire.
Si je n'y prenais pas garde, mon année allait tourner à l'enfer.
D'autant que Lassa'h et moi allions devoir travailler en plus étroite collaboration que ce que la présentation de Monestre Thaïs ne m'avais laissé l'envisager. D'après le dossier, en plus de deux cours en commun, nous aurions aussi des travaux pratiques et des activités à effectuer ensemble. Des trucs allant des complexes communions magiques à des choses plus simples, comme être à la colle toute une semaine pour voir si notre proximité influençait nos pouvoir.
Donc, en plus de mon vendredi cours normaux, de mes huit cours de troncs commun, mes six cours de spécialité et les sept heures (plus ou moins) de travail solo que je m'accordais dans la semaine, j'allais devoir encaisser quatre heures de cours supplémentaire, et l'attention d'une grosse partie de ma promo.
Les semaines de quarante deux heures, sous surveillance et haine scolaire, mon grand kiff...
Sans compter le tourbillon de sentiments qui encombrait ma poitrine depuis le moment près du ruisseau, et que j'évitais soigneusement de regarder.
J'inspirais un grand coup, puis frottait énergiquement mon visage.
Ne pas paniquer.
Surtout.
Ne pas.
Paniquer.
Quelques coups à la porte me firent sursauter.
- Eden ? Tout vas bien ?
- Ouais. Ouais je sort, une seconde.
Une rapide vérification de braguette plus tard, j'ouvrais la porte à an Lassa'h à l'air inquiet.
- Ça va ? Tu as mal au ventre ?
Ce fut plus fort que moi : je me mis à rire.
A cause des nerfs, d'abord, qui menaçaient de craquer à peine deux minutes plus tôt, et à cause de la situation, ensuite. Voir Lassa'h, coqueluche de l'école, s'inquiéter de mes problèmes d’intestins, c'était drôle.Tout comme l'idée qu'iel puisse être amoureuxe de moi.
On ne se connaissait pas. J'étais personne.
Ça devait être une erreur, ou une mauvaise blague.
Même si bon, la piste de la blague était un peu incompatible avec le profil de Lassa'h... sauf si quelqu'an l'avait manipulé.e pour en arriver là. Cette idée ouvrait vers de telles abîmes de méchanceté que je préférais ne pas aller l'explorer plus avant.
Surtout vu qui ça risquait d'impliquer.
Mon rire se calma tout seul, me laissant rasséréné face à an Lassa'h qui j'imaginais de plus en plus perplexe. Et qui m'étonna en haussant tout simplement les épaules.
- Je suis encore tombé.e à côté.
- Un peu, mais c'est gentil de t'être soucié.e de moi.
- Mh. T'es parti depuis un moment... et tes parentes appellent pour le repas du soir.
Oh. Iel avait remarqué mon départ ?...
J'ignorai la sensation que provoquait cette idée dans mon ventre, et lui offrit un sourire :
- On descend dans ce cas (je lui passais devant, puis m'arrêtai brusquement) j'ai oublié de te le dire tout à l'heure : mais ce soir, ne te force pas à tout manger si tu n'as pas assez faim.
Lassa'h fronça légèrement les sourcils, ce qui m'incita à préciser.
- Shabbat.
- Oh.
Je lui souri.
- Avec un peu de chance, Moune aura fait son poulet aux herbes et à la crème... tu vas voir, avec du riz c'est une tuerie !
Rendu guilleret par la perspective d'avoir ce plat à table, je dévalais les escaliers sans l'attendre.
Petit, j'adorais le samedi à cause de l'ambiance festive, des gros repas et du fait qu'on avait une totale liberté quant à nos occupations, du moment qu'on ne bricolait rien. Lorsque je fus assez grand pour comprendre les raisons de cette douce oisiveté du samedi, le fait de nous découvrir une religion me fit basculer dans un long questionnement métaphysiques et dans des discussions interminables avec Moune. A l'époque, je ne comprenais pas comment on pouvait encore s'attacher à une croyance religieuse alors même que la magie était partout, remettant en question l'ordre du monde en même temps que les questions métaphysiques.
Voire même l'existence d'un Dieu.
Mais j'ai cette chance phénoménale d'avoir des parentes à la fois ouverte à la discussion et sereines sur leurs positions. Si le concept de foi m'est totalement étranger, je suis cependant capable de le comprendre et reconnaître l'apaisement et le réconfort que ça apporte à Moune... tout comme à Ilan d'ailleurs. Rachel et Tamar ne se sont pas encore décidé.es sur la question, tandis que Mams soutien Moune sans pour autant partager ses croyances.
Bref, notre famille est un grand mélange de pleins de trucs très disparates fonctionnent étonnamment bien ensemble.
Le repas se déroula dans la même ambiance joyeuse et détendue que le brunch, à la différence près que Tamar avait retrouvé sa langue, et bombarda Lassa'h de questions plus ou moins polies. Heureusement, man camarade y répondit sans se vexer, ce qui permis à toute la table de s'instruire au passage. Connaissant mon adelphe, iel reviendrai d'ailleurs sûrement à la charge dans le week-end... tant que Lassa'h ne l'enverrai pas paître. Ce qui, vu sa patience, ne risquait pas d'arriver.
Le reste de la soirée fut agréablement léger, entre discussions et jeux de société, et nous montâmes nous coucher avec, pour ma part, le ventre encore prêt à exploser. Un passage à la salle de bain plus tard, je m'affalais sur mon couchage avec la vague sensation d'oublier quelque chose. J'avais bien sûr vaguement envisagé de ne pas aller me coucher en short usé/t shirt troué par égard pour Lassa'h3, mais j'avais finalement statué que si on devait se fréquenter plus, iel allait forcément voir mes tenues pour traîner. Et que s'il y avait vraiment des sentiments de son côté, ça devrait inclure ma tronche pas fraîche du matin et mes vieux t-shirt décolorés.
Alors que je m'enfouissais confortablement sous mes couettes, man camarade revint de la salle de bain, presque royal.e dans son pyjama vert brodé. Iel avait natté ses cheveux (probablement pour s'épargner un démêlage pénible demain), et avançait en faisant le moins de bruit possible, comme s'iel avait peur de réveiller Ilan à l'autre bout de l'étage.
Ou de me déranger, moi.
Ce qui était plutôt mignon, si on y pensait bien.
- Eden ?
Oui bon. Visiblement, c'était pas le cas.
J'émis un vague bruit depuis mon nid de couverture, pas vraiment motivé pour me relever : maintenant que j'étais couché, la fatigue de quarante huit heures sans dormir me rattrapais, et je comptais bien ne pas louper le coche du sommeil.
- Eden.
- Quooooiiii ?
- … Il y a des feuilles partout entre nos lits. Je ne peux pas passer.
Mes épis, mon envie de dormir, et moi, émergeâmes des draps, contrariés.
- Y'a pas tant de... oh. Ouais. Si. Pardon.
Bizarre ça. D'ordinaire, la Maison prenait soin de ranger nos documents si on avait l'étourderie de les laisser traîner. Mais là, les feuilles du dossier de Monestre Thaïs traînaient toujours par terre, à l'endroit exact où elles se trouvaient avant qu'on descende manger.
Je sorti du lit de mauvaise grâce.
Rassembler les papiers ne devraient pas prendre beaucoup de temps, et la partie en manque de sommeil de mon être se fit la réflexion que Lassa'h aurait pu se contenter de les pousser du pied. Ou de les enjamber. Ou de marcher dessus. Bref, de se débrouiller quoi.
Qui ça surprend encore que j'ai ce genre de pensées ?
Je suis quelqu'an de ronchon bon sang ! Suivez un peu !
A genoux sur le plancher, je pris le temps d'organiser un peu mes feuilles les unes sur les autres (flemme de devoir re-trier le lendemain) avant de les fourrer dans leur pochette, puis levait les yeux vers Lassa'h, qui avait attendu patiemment que je lui dégage le chemin.
- Wala (j'étouffais un bâillement dans mon coude) maintenant bon dodo.
- … tu as vraiment très sommeil ?
Je levais les yeux (larmoyants, les yeux. Je pleure toujours quand j'ai trop sommeil) vers ellui. A sa tête, l'option « maintenant on dors » n'était pas pour tout de suite.
- … Dépend... y'a vraiment besoin que ce soit là maintenant ?
Man camarade hésita une seconde avant de hocher la tête, et de s'asseoir soigneusement en tailleur face à moi. L'idée m'effleura qu'on devait présenter un contraste amusant : moi avec mes jambes à l'air, mon t-shirt moisi, les cheveux en pétards, à genoux sur le sol, et ellui, en tailleur, le dos bien droit, son pyjama couvrant impeccablement lissé, la pointe de sa tresse enroulée autour de ses doigts.
Je posais le dossier sur mon sac abandonné aux pieds ma banquette.
- Vas-y.
- Je voulais te présenter encore mes excuses. Pour hier.
- Ah. (je changeais de position pour être plus à l'aise, ramenant mes jambes contre mon ventre pour les cercler de mes bras) … J'ai dis que je les acceptais, non ?
- Non.
- Hein ?
- Non (iel secoua la tête, rougissant un peu) la... conversation a dérivé. Et tu ne m'as pas dis si tu acceptais mes excuses ou pas.
Oooooh.
Oh.
Mh.
Ok.
- … j'accepte ta présentation d'excuses.
Je sentis que la formulation lea mettait mal à l'aise, et je m'en voulu brièvement de l'avoir fait exprès.
- Mais c'est comme toi avec ce qu'il s'est passé à la cantine. Je suis toujours un peu en colère. Et toujours blessé.
Bizarrement, j’eus la sensation que cet état de fait lea rassurait plus que si j'avais simplement répondu oui. Un sourire fleurit sur son visage.
- Ça me vas. Un partout.
Je pouffais.
- Ouais. C'est la magie des nouvelles relations.
Le sourire s'agrandit un peu, révélant une fossette.
Évidement, il fallait que Lassa'h ai une fossette !
Si cette particularité n'avait pas été génétique, j'aurais soupçonné la petite magie de me refaire le coup du cliché de romance.
Tien d'ailleurs... ça me faisais penser...
- Tu as la certitude de ne pas pratiquer de petite magie ?...
- Oui. Pourquoi ?
Uh. Question embarrassante que j'avais eu la stupidité de ne pas anticiper. Allons-y pour un haussement d'épaules. Je suis an ado, je réalise très bien les haussements d'épaules.
Haussement d'épaules, donc.
- Parce que c'est une magie indépendante de notre volonté, la plupart du temps. Tout le monde en fait un petit peu. Ça va de ralentir légèrement le temps pour ne pas arriver en retard, à avoir un timing incroyable en matière de transports en communs.
- Ou faire en sorte que quelqu'an que tu aimes bien travaille avec toi sur un projet ?
Débusqué.
Cinquième info sur moi : j'ai beau avoir un visage inexpressif au repos, je suis nuuuuuullliiiiiisssiiiiiime pour manipuler les gens. Ou mentir. Ou faire en sorte d'extorquer une information.
Il ne me restait plus qu'à me racler la gorge, gêné :
- C'est le moment où je prend la fuite d'embarras, c'est ça ?
A mon grand soulagement, Lassa'h se contenta de rire.
- Met un pantalon et un pull si tu dois faire ça, il fait froid dehors.
J'esquissais un sourire tandis qu'iel enchaînait :
- Je ne peux pas te jurer que la petite magie ne s'est pas mêlée de tout ça (iel me regarda bien en face, un sourire en fossette désarmant sur le visage) ni nier que ça me fais extrêmement plaisir qu'on doive passer du temps ensemble. Mais je peux promettre que si j'ai influencé les choses par magie mineure, c'est de façon absolument inconsciente. (iel tira sur le bout de sa tresse, soudain mal à l'aise) Le seul point sur lequel je plaide coupable, c'est d'avoir réactivé le sort de téléportation pour pouvoir te suivre... dans l'objectif de m'imposer comme aide si tu étais coincé sur l'énigme d'après.
Je plissais les yeux.
- C'est fourbe.
Iel eu le bon goût de rougir, mais de ne pas baisser les yeux.
- Un peu (le sourire à fossette4 revint) mais ça a fonctionné.
- Certes (je posais ma tête sur mes genoux avec un soupir à fendre l'âme parfaitement simulé) et en plus, tu as obtenu le fait de pouvoir observer ma magie sans avoir à m'expliquer comment tu as fais pour réactiver le sort. Je suis roulé !
- Est-ce que ça te réconcilie avec la vie si tu je te dis que j'avais prévu de te le donner quand même ?
Mon visage se para d'espièglerie.
- Ça me réconcilierai si tu me le donnais maintenant.
- Pour que tu passes la nuit à l'étudier et que tu sois aussi avenant que ce matin ?... Non merci.
- Hey ! C'est pas gentil ça ! Véridique, mais pas gentil. Je fais un excellent cadavre ronchon je te signale !
Cette fois, nous gloussâmes toustes les deux.
Il y avait quelque chose de bizarrement confortable à glousser avec Lassa'h. C'était presque aussi agréable qu'avec Amari. Le rire passé, nous nous sourîmes, environné.es d'un silence plaisant. Puis man condisciple se tourna pour attraper son sac, fouiller dedans et...
- Mon carnet ! Tu l'as récupéré !
Iel me tendis mon précieux carnet de note, que je récupérais avec une joie mêlée de profonde reconnaissance. Comme beaucoup de mages de cuisines, je tiens beaucoup à mes affaires, que ce soient des héritages familiaux comme le carnet, ou des choses récentes, et pouvais dire sans honte que ce dernier m'avais manqué. Je le cajolais sans honte, sincèrement heureux de l'avoir de nouveau dans les mains.
- Salut toi. Bon retour à la maison.
A mon grand plaisir, Lassa'h ne pouffa pas en me voyant bichonner mon carnet. Et iel ne rit pas non plus lorsque je récupérais mon autre carnet pour les réunir, tout en leur babillant combien c'était chouette de les voir de nouveau tous les deux ensemble.
Au contraire, iel avait l'air plutôt intéressé.e par mes interactions.
- Tu parles vraiment à tes affaires...
- Bah... oui ? Pas toi ?
- … Non.
- Même pas à tes plantes ?
- … Parfois... ?
- Sans raison particulière ?
- … sans raisons particulières. Les études qui disent que les plantes réagissent aux sons ne sont pas vraiment fiables...
- Bah c'est pareil. (je remisais soigneusement mes carnets dans leurs rangements respectifs) Je parle à mes affaires comme tu parles à tes plantes.
- Mais ça renforce aussi ton lien magique avec elles, non ?
Uh. Bon point.
- En théorie, oui. En pratique... C'est une habitude qui se transmet en famille et en communautés ? Si tu fais attention, tu verras que touste le monde ici touche les objets, ou leur parle. Idem pour les plantes, la maison, la terre, la forêt...
- C'est pour ça que tu marmonnes tout le temps ?
- Je marmonne, moi ?!
Alors là, j'étais scotché. Personne ne m'avais jamais fais cette réflexion, pas même Amari. Alors qu'on passait la majeure partie de notre temps ensemble. Ça dû se voir sur mon visage, parce que le sourire à fossette fit son grand retour :
- Oui. Pas forcément à haute voix ceci dit. Mais tes lèvres bougent souvent quand tu manipules quelque chose, ou que tu te balades dans les couloirs.
Je faillis faire un arrêt cérébral.
Comment ça Lassa'h fixait mes lèvres ?!
J'appuyais mon front contre mes genoux, dans l'espoir que la rougeur qui me montait aux joues ne se voit pas trop. Mais vu la chaleur irradiant de ma nuque et mon front, c'était probablement peine perdue. D'autant plus que la voix grave de Lassa'h vint caresser mes oreilles, probablement cramoisies elles aussi :
- Pardon... trop d'infos ?
J'agitais une main pour me faire de l'air.
- Ouais, trop d'infos. Et j'ai pas le droit de fuir d'embarras.
Ça vous paraîtra peut-être étrange, mais malgré notre embarras réciproque, nous pouffâmes de nouveau. La situation était gênante, mais... agréable aussi. Comme si quelqu'an avait tissé un sort de cocon autour de nous, excluant le reste du monde de nos échanges5. J'appris donc que ma manie de parler aux objets comme aux lieux n'était pas passée totalement inaperçue, puisque j'avais pris l'habitude inconsciente de bouger les lèvres lorsque je m'adressais à eux en pensée. D'après Lassa'h, qui tenait cette information de ses coloc', ça me faisais passer pour un mec un peu bizarre aux yeux de la plupart des élèves de la promotion. Mais que mon classement au sein de la promotion (et le fait que j'étais globalement sympas malgré ma tendance à râler) faisait tolérer cette manie un peu excentrique.
C'était vaguement vexant, et en même temps, je dois reconnaître que le sujet cessa de me préoccuper une fois que je su que mon interlocuteurice s'en foutait. Et puis, comme je lea lui fit remarquer, iel avait ses propres bizarreries.
La conversation s'éternisa jusqu'à tard dans la nuit. Si tard, que je loupais le coche du sommeil, et finis non seulement par arrêter de bailler, les larmes aux yeux, pour être parfaitement réveillé...
Même après que Lassa'h ai éteins la lumière, que sa respiration se soit apaisée, et que le silence confortable de la nuit ai recouvert la maison.
Je brassais un moment dans les couvertures, cherchant désespérément à m'endormir, avant de finalement abandonner pour descendre discrètement au rez-de-chaussée. Depuis aussi longtemps que je m'en souvienne, mon adelphie et moi avons toujours pu naviguer de nuit dans la maison, sans avoir besoin d'allumer une lumière. Il vient toujours un peu d'éclairage du dehors, de par la lune, les étoiles, ou simplement parce que la maison l'a décidé ainsi. Arriver sans éveiller personne jusque dans la cuisine, récupérer un peu de nourriture et de boisson dans le frigidaire, finir niché dehors dans un plaid, dans la nacelle extérieure... rien de plus simple. Ni d'inhabituel. En tous cas pour moi.
En m'installant, j'avais le vague espoir de finir par dormir.
Lorsque l'aube se leva sur mes cernes et mes vingt minutes de somnolence, je dû me rendre à l'évidence de mon échec.
Douce magie, cette journée de dimanche allait être atrocement longue...
Aussi frais qu'on peut l'être après trois jours sans dormir, je zonais jusqu'à la cuisine pour me faire un café. Je ne suis pas un grand amateur de cette boisson, mais mes parentes, si. Aussi pour leur faire plaisir, j'ai appris très tôt à préparer du bon café à l'italienne. Ce qui allait s'avérer utile juste là.
Je me laissais porter par l'automatisme des gestes, le regard perdu dans le vague, entouré par le silence bienveillant de la maison. Conforté dans mon sentiment de sécurité par la douce odeur de forsythia qui flottait autour de moi, je me permis de me détendre, autorisant ma magie à m'échapper. Elle se déploya avec joie dans la maison, dansant dans l'air du rez-de-chaussée sous forme de pétillements multicolores.
C'était comme s'étirer enfin après des heeeeures passées dans un bus : ça faisait un bien fou.
J'adore mon école, entendons nous bien, mais je ne peux pas y laisser ma magie errer et y faire ce qu'elle veut, contrairement à ce qu'on fait d'ordinaire. C'était d'ailleurs l'une des (nombreuses) conditions supplémentaires qu'il a fallut que je remplisse pour valider mon admission. S'il est notoirement acté qu'il est impossible de maîtriser la petite magie, une bonne partie de son usage étant inconscient, il est cependant connu des initiés qu'il est possible de la canaliser. Ça demande beaucoup d'entraînement, beaucoup de volonté, mais surtout la possibilité de pouvoir relâcher régulièrement la pression afin de laisser la magie s'exprimer et de ne pas se brouiller avec elle6. J'avais passé un trimestre épuisant à chercher et mémoriser le bon dosage, entre brides et expressions, qui me permettrais de canaliser juste ce qu'il fallait mon pouvoir pour avoir le droit de passer les examens d'entrée.
Et j'avais réussi.
En conséquence de quoi, j'avais intégré une des meilleures écoles du monde... et gagné une magie à paillettes.
Cette dernière s'en alla s'éparpiller dehors, fusionnant avec le jardin de simple, la terrasse, le bord de la forêt, et la façade de la maison, me synchronisant gentiment avec mon environnement tout en m'ignorant avec superbe.
J'allais passer les prochaines heures sans influence sur quoi que ce soit, mais c'était un prix à payer dérisoire en comparaison de l'euphorie et la détente qui nous envahissait. Très content de mon sort, j'enlevais la cafetière du feu, me servit un gigantesque mug de café, ajoutait du cacao amer, du lait d’épeautre7, puis filait de nouveau me nicher dans la balancelle de la terrasse.
Pour la trouver déjà occupée.
Un sourire étira mes lèvres, et je m'y installais avec précaution pour ne pas déranger le nouvel occupant. Je nous drapais alors tous deux dans mon plaid, faisant attention à bien garder la tête et les oreilles de mon compagnon hors de ce dernier, avant de m'absorber dans la contemplation de la forêt, mon mug de café-cacao serré entre mes mains.
Quelques secondes plus tard, je senti une paire de pattes se mettre à pétrir ma cuisse, tandis qu'un léger bourdonnement de contentement émanait du plaid. Nous n'avions aucune idée de où pouvait venir ce bakeneko8, mais il nous visitait de façon régulière depuis l'installation de mes parentes à La Rochette. Compagnon de bonne composition, il avait accompagné quelques unes de mes nuits blanches avant mon départ pour l'école... mais m'avais boudé après mon admission à celle-ci. Au point que je ne l'avais pas vu depuis près de deux ans.
L'avoir à mes côtés ce matin là fut un sacré plaisir.
Nous restâmes dans la nacelle jusqu'au milieu de la matinée. En partie parce que nous étions bien, lové l'un autour de l'autre, en partie parce que, malgré le café, j'avais finis par m'y endormir. Lorsque j'émergeais, j'appris que Lassa'h était parti.e courir, habitude que je ne lui connaissais pas, et qu'iel et mes parentes avaient eu une longue discussion à propos du projet de l'école, sur la terrasse avant.
Ce serait mentir que de dire que ça ne m'a pas un peu contrarié.
C'était adorable de leur part de m'avoir laissé dormir, et certes, la directeurice avait spécifiquement envoyé Lassa'h avec moi pour convaincre mes parentes de me laisser participer à l'expérience de la professoresse Huamaní mais... j'aurai tout de même aimé être associé à la discussion.
Conscient que ce ressentiment devait surtout être dû à mon manque de sommeil, je décidais de ne rien en dire. Après avoir arrangé le plaid autour du bakeneko qui pionçait toujours, je rejoignis Mams qui consultait des notes à la table la plus proche de la cuisine, et me mis à engloutir l'assiette de petit déjeuner que Moune venait de poser sous mon nez.
- Tu ne veux pas savoir ce que nous avons décidé ? Demanda Mams sans lever les yeux des papiers qu'elle consultait.
Je levais le nez de mon assiette, avalant ma nourriture en même temps que la première répartie à m'être venue à l'esprit.
- Je peux prendre un café avant ?
Mams esquissa un sourire, et ma tasse se retrouva soudain pleine de café au chocolat.
- Merci (je nouais les doigts autour) alors ?...
- Nous allons donner notre aval.
Je sentis un immense sourire illuminer mon visage, et tentais de le dissimuler derrière un flegme tout adolescent, et ma tasse.
- Cependant, nous posons certaines conditions.
Ah. Évidement. Il va sans dire que mon sourire se mis à faner.
- Quoi comme conditions ?
Mams abandonna ses papiers pour fixer son attention sur moi, et Moune, qui s'était approchée sans que je la sente ni l'entende, s'installa à mes côtés.
- Pour commencer, il faudra que l'école te permette de revenir ici une fois par mois, pour que tu puisses tranquillement relâcher ta magie.
Je laissais échapper une grimace.
- J'arrive très bien à la relâcher à l'école Mams...
- Certes, mais vu la pression que tu vas recevoir, tu auras besoin d'un endroit sécurisé dans lequel le faire.
- A vrai dire, enchaîna Moune, nous n'apprécions pas l'idée que l'école puisse être au courant du fait qu'à chaque relâche, tu es privé de tes dons de mage de cuisine pendant quelques heures.
- …
Dis comme ça... ça faisait sens... tellement que je ne pouvais pas aller à l'encontre de cette condition, d'autant qu'elle me permettrait de rentrer plus souvent.
- Okay... je ne sais pas si Monestre Thaïs acceptera, mais moi ça me vas.
- Oh ne t'inquiète pas, reparti Mams, iel acceptera. Seconde condition : nous voulons que tu nous racontes tout. (devant mon air perplexe, elle précisa:) Je n'ai pas confiance en Xinjian Huamaní... les dernières fois que nous nous sommes affrontées verbalement dans une agora universitaire, ses propos sur la petite magie étaient tout bonnement puant. Qu'elle s'y intéresse d'un coup me paraît bizarre.
- C'était il y a plus de quinze ans Ava...
Mams fusilla Moune du regard.
- Cette condition n'est pas négociable non plus (le regard noir se braqua sur moi) et tu n'as pas intérêt à arguer qu'on pourrait t'imposer le secret, toutes les personnes autour de la table savent que ça ne marche pas sur toi. Par contre, silence radio sur ce fait. Même auprès de Lassa'h.
Cette fois, pas de grimace. Je lui offrais ma meilleure resting bitch face tout en sirotant ma tasse de café-cacao. Certes, certaines contraintes magiques n'ont pas d'emprise sur les mages de cuisine, mais Lassa'h allait vite s'en rendre compte... et peut-être que les profs aussi.
- Eden ?
- … D'acc... j'aime pas du tout cette idée, mais d'acc.
- Concernant Lassa'h (mes parentes échangèrent un regard que je ne pu déchiffrer) s'iel veut revenir, iel est lea bienvenu.e à la maison.
Une tension que je ne savais pas éprouver quitta mes épaules. Je hochais la tête, continuant à boire ma boisson chaude sans un mot.
- Quatrième condition : si tu sens que les cours ou les essais te mettent en danger, ou risquent de te faire du mal, tu te retires de ce cours.
- Mams ! C'est le principe même de l'école que de prendre des risques pour faire avancer les connaissances sur la magie !
Moune posa doucement sa main sur mon bras pour m'apaiser.
- Ce que veut dire ta Mams, Eden, c'est que nous avons longuement discuté, et que... même si nous ne sommes pas d'accord quant au fait qu'à ton âge, on peut se montrer responsable, nous avons décidé de te faire confiance pour jauger ce qui te met en danger ou non. Tu connais mieux ton école que nous, et tu connais suffisamment tes pouvoirs pour savoir quand les cours te mettrons vraiment en danger.
A voir l'expression de Mams, c'était elle, la partie pas d'accord du duo. Le côté rationnel de mon esprit comprenais : j'avais 15 ans (16, dans un mois, pour ce que ça pouvait changer), j'étais un enfant (son enfant), et j'étudiais dans une école aux cours confidentiels pour la plupart, dont le contenu pouvait me tuer plus souvent qu'à mon tour. Mais la partie adolescente de mon esprit, elle, était tout simplement outrée qu'on n'ai pas confiance en mon jugement. Justement parce que j'avais bientôt 16 ans, âge auquel les mages de cuisine étaient considéré.es comme des adultes au sein de notre communauté, et que je connaissais très bien mon école, comme j'en maîtrisais ses dangers !
Bon, pas tous, d'accord. Mais la majeure partie.
Et que je ne serai pas seul.
Lassa'h serait en binôme avec moi. Avec ellui avec mes côtes, les chances pour qu'il m'arrive un truc grave avoisinait le zéro. Surtout si je lea convainquait de faire passer le mot après de son fan club afin que ce dernier me laisse tranquille.
Pendant que mon cerveau bouillonnait, Moune continuait :
- Simplement, nous souhaitons que la confiance que nous allons t'accorder sur le sujet soit honorée. (elle inspira à fond, avant de se lancer:) Nous sommes vraiment inquiètes. Je dirais même que nous avons peur pour toi. Mais que nous avons décidé de te laisser suivre ta voie.
Alors là.
J'étais scié.
Ému et scié.
Il faut savoir que dans ma famille, on est pas les derniers à se dire qu'on s'aime, à se mettre en colère les uns contre les autres pour mieux se réconcilier derrière, à communiquer sur ce qui nous anime, sur ce qui nous passionne, et pour nous, les enfants, sur tout ce qui nous effraie. Malheureusement, mes parentes se sont toujours refusé le droit de partager avec nous ce qui leur fait peur. Même avec les plus grand.es d'entre nous. Pour nous protéger, très probablement, mais aussi parce que nous restons leurs petit.es... alors les entendre avouer qu'elles avaient peur pour moi, ça me retournais l'estomac tout en me donnant le sentiment incroyable d'être enfin leur égal.
J'essuyais mes yeux d'un revers de poignet.
- Ok. Ok je ferai attention, je vous donnerai un maximum d'infos, et si ça devient risqué, je me retirerai du programme (je regardais alternativement mes parentes) et je ferai en sorte que Lassa'h se retire avec moi.
L'atmosphère autour de la table se détendit sensiblement, au point que Mams se laissa aller à sourire.
- Bien, dans ce cas, je pense que tout est réglé... tu peux aller finir ta mixture infâme loin de mon nez maintenant. J'ai du travail.
Et d'agiter la main pour me chasser. Je pouffais, agitant ma tasse vers elle pour la taquiner, puis quitter la table pour les laisser tranquille, écoutant d'une oreille la mélodie heurtée du yiddish, langue dans laquelle on communiquait le plus souvent à la maison, quand il n'y avait pas d'invité.es.
Ma tasse en main, j'allais m'installer sur la terrasse avant avec mon dossier (magiquement apparu sur la table extérieure), bien déterminé à l'éplucher en détail. Pour mon plus grand plaisir, le bakeneko se faufila entre les herbes pour venir s'étaler sur le plateau de la table, à la limite de mes papiers, ses deux queues balayant paresseusement le meuble en rythme avec ses ronronnements.
C'est à cet endroit là que Lassa'h me trouva en revenant de son jogging, profondément endormi.
Et du café-cacao plein mes pages.
_______________________________________________________________________
1 Dont au moins trois fois pour prendre des postures absurdes, genre sur le dos les jambes en l'air, ou allongé sur mon couchage, tête en bas pour contempler mes feuilles à l'envers...
2 Et à ce moment là, j'étais encore trop en train de me remettre de mon propre cœur brisé pour apprécier l'ironie de la situation.
3 Et un peu par vanité, aussi. Faut dire que tenues de nuits ne mettent pas à mon avantage
4 OUI j'ai une fixette sur les fossettes. Arën en possède deux, qui apparaissent même quand il parle, ou ne fais qu'esquisser un sourire. Me jugez pas T_T
5 Vous pensez bien que j'ai vérifié... et... c'était pas le cas.
6 Je ne connais pas de mage de cuisine à qui ce soit arrivé, mais je pense que c'est parce qu'on est toustes terrifié.es par cette perspective.
7 J'adore ce truc. C'est affreusement trop plein de sucre. Mais c'est boooooooooooooon !
8 Chat-fantôme japonais (loin de chez lui donc...) qui se caractérise en général par une queue bifide, une capacité à se déplacer sur les pattes arrières, et à prendre forme humaine. Croyez en l'expérience de certaines personnes à La Rochette, il vaut mieux rester dans leurs bonnes grâces...
J'avais pas capté que le dossier était si épais. Qu'est-ce qu'il y a dedans de si conséquent ? J'pensais y avait 3 feuilles, et éventuellement 2 exemplaires supplémentaires parce que toutes les parties sont censées avoir les papiers paraphés...
Je sais pas à quel point tu veux travailler le côté louche de Huamani et les "propos puants", vu que l'histoire est censée être légère, mais je sens que ça pourrait avoir une certaine ampleur intéressante.
Des bisous !
"Je sais pas à quel point tu veux travailler le côté louche de Huamani et les "propos puants", vu que l'histoire est censée être légère, mais je sens que ça pourrait avoir une certaine ampleur intéressante." Ah ! Je suis joie que tu l'ai soulevé ^^
Ca aura justement de l'ampleur plus tard. J'avais peur d'avoir été trop discrète sur la question XD #traumatismedelaRDL
Merci pour le com !