Chapitre 8 : Les noms

Notes de l’auteur : TW : la dernière scène de ce chapitre (un POV Conan) est assez trash (sexe + gore), vous pouvez donc la passer si vous ne vous sentez pas à l'aise avec. J'ai fait en sorte que l'on comprenne la suite sans avoir besoin de la lire en entier

Keira regarda Kurtis disparaître dans la hutte des Arsalaïs, à la fois enthousiaste et anxieuse. Elle n’eut pas plus le temps de se préoccuper de son frère, elle fut entourée par une foule d’inconnus. On lui passa un collier de bienvenue autour du cou sous une avalanche de questions. Elle se contenta d’un sourire hésitant, hébétée par le fouillis d’âmes qui bruissait autour d’elle. Une main chaude attrapa la sienne, elle se tourna vers Oèn. Ils restèrent ainsi liés l’un à l’autre alors qu’on les entraînait vers les cercles de fêtes. Les feux étaient éteints à cette heure, mais certains musiciens et danseur n’avaient visiblement pas attendu le soir pour célébrer le Sabbah.

Ici, la foule se clairsemait, ils purent enfin respirer. Plusieurs Ardyens vinrent leur offrir des corbeilles de fruits et autre mets.

— Reposez-vous bien, leur dit une femme qui croulait sous les parures.

Keira saisit une pâte de miel et la dégusta en écoutant la musique que jouait un groupe d’Astures à l’aide d’instruments qu’elle n’avait jamais vus.

— T’entends ça ? fit Oèn en pointant discrètement trois Orobiens qui discutaient bruyamment.

La jeune fille tendit les oreilles. Elle ne put saisir que quelques mots à cause de leur accent très prononcé.

— On comprend pourquoi on parle shelka pendant le Sabbah, commenta son compagnon, et elle hocha la tête.

— C’est impoli de dire ça, lança une voix derrière eux.

Ils sursautèrent dans un bel ensemble et se retournèrent. Keira mit quelques secondes à reconnaître l’homme qui leur souriait.

— Dâlan !

Elle bondit dans ses bras, vite imitée par Oèn.

— Je t’avais pas reconnu, désolée ! Tu as changé !

— Et vous alors, vous avez tellement poussés ! Vous étiez hauts comme trois pommes la dernière fois que je vous ai vus !

Dâlan se dégagea doucement, son sourire bien qu’éclatant portait une fissure. La jeune Hekaour se pinça les lèvres.

— D… Daïré n’est pas venue.

— Je sais.

Il haussa les épaules, la fissure s’agrandit.

— Il faut croire que même après sept ans, elle boude toujours.

Il jeta un œil à la mine triste des deux Laevis et éclata de rire.

— Faut pas faire cette tête, l’heure est à la fête.

Son visage reprit toute sa joie.

— J’ai des gens à vous présenter. Venez !

Keira et Oèn échangèrent un regard. Ils suivirent leur aîné qui les mena jusqu’au village des Ardyens.

— C’est moi ! lança gaiement Dâlan en ouvrant la porte d’une maison.

— Attaque surprise ! cria une voix aiguë.

Une fillette surgit de l’ombre et sauta sur le jeune homme qui tomba en arrière.

— J’t’ai eu ! s’exclama l’enfant, ravie.

Dâlan gémit. Une femme accourut, l’air furibond.

— Darina ! Tu veux tuer ton père ou quoi ?!

— Je m’entraîne !

— Je te l’interdis, en tout cas pas comme ça !

— Mais heu !

— Il n’y pas de « mais » ! Si tu continues à être une vilaine fille, tu seras envoyée au-delà de la Frontière et poursuivie par les humains.

La fillette pâlit et cessa de protester. Son père en profita pour la repousser gentiment et se relever.

— Oui, donc… voici ma famille. Ederna…

La jeune femme parut remarquer leur présence et se fendit d’un grand sourire.

— Désolée pour cette entrée en matière un peu brusque.

Elle toucha son front de ses deux doigts avant de les tendre vers les nouveaux venus.

— Je suis Ederna du Daim, fille de Rhosyn du Paon et Idig du Blaireau, membre de la tribu des Ardyens du clan des Démétéens.

— Pas la peine d’être si protocolaire, voyons, lança Dâlan. Voici Keira et Oèn, deux Laevis qui avaient à peine dix ans quand je suis parti au Sabbah.

— E… enchanté, fit Keira.

— Et cette petite teigne, là, poursuivit Dâlan. C’est Darina. Elle est à l’opposé de son jumeau.

Il se tourna les yeux vers l’intérieur de la maison.

— Allez, viens, ils ne vont pas te mordre, tu sais.

Une petite tête aux grands yeux apeurés émergea de l’obscurité. Cependant, le garçonnet n’osa pas sortir plus.

— Et voici Efflam, il est un peu timide, désolé. Ils ont cinq ans.

— Cinq ans et demi ! corrigea Darina.

Dâlan soupira et ébouriffa un peu plus la tignasse brune de sa fille.

— C’est une vraie furie, elle me rappelle ma sœur au même âge. On aurait peut-être pas dû lui donner un nom si ressemblant.

— C’est ça, plains-toi ! tempêta Darina donnant lui donnant un coup de pieds dans les mollets.

— Aïe !

— DARINA ! cria Ederna.

Keira ne put s’empêcher de s’esclaffer.

 

*

 

Kurtis partageait ses journées entre la méditation et la danse. Il tentait d’ignorer la faim qui le taraudait, il n’avait droit qu’à une maigre ration de nourriture par jour. Trois jours avant la cérémonie, il effectuerait un jeûne total.

La présence de Maig à ses côtés était distrayante mais paradoxalement inspirante. Les angoisses qui l’avaient empêché de méditer lors de sa retraite s’étaient effacées. Il goûtait de nouveau le plaisir du Monde Invisible et explorait même de nouveaux terrains. Quant à la danse, il avait fait des progrès étonnants depuis qu’il dévorait celles de Maig du regard.

Il ne dormait pas très bien, en revanche. La faim et le manque de confort de la natte sur laquelle il était couché n’étaient pas propices à son sommeil. Et il n’était pas le seul à faire des insomnies.

— Kurtis, tu dors ? résonna la voix de Maig.

Elle paraissait étrangement feutrée dans le noir épais de la hutte.

— Non, je n’y arrive pas…

— Moi non plus.

Il l’entendit se tourner vers lui.

— Dis…

— Oui ?

— Je voulais te poser une question…

— Vas-y.

La jeune fille hésita encore.

— Je… je voulais savoir comment… enfin, qu’est-ce que tu as fait pour être marqué du signe du Rituel Brisé. Je l’ai remarqué tout à l’heure…

Kurtis ne répondit pas tout de suite. Comme à chaque fois qu’on l’évoquait, sa cicatrice se mit à le démanger.

— Tu n’es pas obligé de répondre hein, s’empressa de rajouter l’apprentie.

— Non, c’est bon. C’est que… j’ai arrêté de faire ma retraite.

— Comment ça ?

— Je suis sortie du périmètre qu’on m’avait assigné, et j’ai parlé à quelqu’un alors que la tache n’était pas apparue.

Maig garda un instant le silence.

— Mais… pourquoi ?

Kurtis rentra légèrement la tête dans les épaules.

— Je… je n’en pouvais plus d’être tout seul.

Il entendit sa compagne avancer à tâtons vers lui. Il sentit soudain un souffle chaud sur son visage et sursauta. Ce faisant, il cogna son front contre quelque chose. Le quelque chose gémit.

— Aïe !

— Pardon ! Je n’avais pas compris que tu étais si près !

— Non, c’est moi, j’aurais dû te prévenir. Ça va ?

— Oui, je n’ai rien. Et toi ?

— Mon nez me fait mal, mais ça va, souffla Maig d’une voix nasillarde.

Un silence étrange suivit sa phrase.

— Heu… pourquoi tu t’es approché ? s’enquit le jeune garçon.

— C’est que… je voulais te faire un câlin…

Kurtis fut content que l’Ardyenne ne puisse pas voir ses joues s’embraser.

— Moi ma retraite n’a duré que trois lunes, elle a été facilitée par la présence d’Hênora. Son influence spirituelle est grande, ici.

— Elle m’a l’air incroyable.

— Elle l’est. Je l’admire tellement.

Nouveau silence, le jeune Laevi sentait le genou de Maig toucher le sien.

— Je… je… enfin, je… je veux bien mon câlin, bafouilla-t-il.

Il n’en revenait pas d’avoir osé dire ça.

— Bien sûr !

Des mains touchèrent son torse, elles tâtonnèrent un peu avant de trouver les contours des épaules. Des bras l’enlacèrent, une chaleur douce l’envahit. Le jeune garçon sentit son cœur s’emballer tandis qu’il rendait l’étreinte. Il percevait bien trop puissamment le corps de Maig contre lui. Lorsqu’elle recula doucement, il n’avait qu’une envie, c’était de la serrer de nouveau dans ses bras.

— Bon, il faut… il faut qu’on dorme, balbutia l’Ardyenne.

— B… bien sûr. Mer… merci.

Il l’entendit se recoucher, les battements de son cœur résonnaient bien plus fort. Il se rallongea en sachant qu’il ne trouverait pas plus le sommeil.

Son esprit n’était pas, comme il était censé, tourné vers son totem, mais plutôt vers cette douceur électrique qui s’épanouissait en lui.

 

*

 

Tous ceux qui ne travaillaient pas avaient rejoint le convoi qui accompagnait les dernières foulées des Rauraques. Cette tribu du grand nord était la dernière à arriver, les festivités allaient pouvoir commencer.

Keira n’était pas petite, mais un groupe de Carniens — une tribu du même clan que les Rauraques — lui barrait la vue. Oèn remarqua son agacement et l’invita à monter sur son dos, elle accepta avec un sourire.

— Oupf, je veux pas te vexer, mais t’es pas légère, souffla-t-il.

— Chut !

Elle tendit le cou et put voir le groupe de Larix qui faisait face à Hênora. Leur meneur, un Hekaour gigantesque dont les exploits étaient parvenus jusqu’aux oreilles des Laevis, prononça les paroles rituelles. La moïa répondit sur le même ton et Keira se fit la remarque que c’était la première fois qu’elle voyait quelqu’un plus grand que l’Élue — si l’on ne comptait pas les bois.

Les premiers rangs de spectateurs s’ébranlèrent, la foule se mit à crier sa joie. La jeune fille joignit sa voix aux autres tandis qu’Oèn la reposait à terre, les bras tremblants. Les nouveaux arrivants furent guidés vers les différents cercles et l’assemblée redevint calme. Keira aperçut alors le chef des Hekaours des Rauraques en grande discussion avec son père. Elle donna un coup de coude à son compagnon.

— Et t’as vu ? Je savais pas qu’ils se connaissaient !

Il haussa les épaules.

— Ça ne m’étonne pas tant que ça, ils sont taillés du même bois, tous les deux.

Les meneurs ne semblaient pourtant pas s’apprécier, leur conversation paraissait très sérieuse. Andraz, le Rauraque, était même contrarié, secouant ses épaisses tresses rousses.

— Ce que dit Père n’a pas l’air de lui plaire…

— Tu crois qu’ils sont en train de se fâcher ?

— Je ne crois pas…

— Je peux savoir ce que vous faites ?

Keira et Oèn sursautèrent. Isbail les observait d’un air suspicieux.

— On… on discute…

— C’est ça, prenez-moi pour une cervelle de moineau.

L’Arsalaï eut un regard vers les deux chefs.

— Ils parlent de l’attaque que l’on a mené sur la ville des rebelles, si vous voulez savoir.

— Ah bon ?

Isbail arborait un air sombre.

— Ce genre d’évènement, c’est très rare, et ça n’augure rien de bon.

Elle haussa les épaules, ses boucles blondes s’envolèrent.

— Mais je ne suis pas venu pour ça. Vous devez me suivre, je vous rappelle que la Cérémonie des Noms a lieu ce soir.

— Ah oui !

Le cœur de Keira fit un bond dans sa poitrine. Oèn lui prit la main, aussi tendu qu’elle.

— Suivez-moi.

Isbail les mena derrière la triple hutte des Ardyens, sur un terrain d’entraînement normalement réservé aux Arsalaïs. Une assemblée de centaines de jeunes personnes y était réunie. Oanell et Ealys firent des gestes vers les deux Hekaours qui furent les derniers à aller s’assoir avec un groupe de Rauraques. Padraig, le doyen des Ardyens, accompagné de la moïa des Vénètes, se tenait face aux jeunes adultes. Isbail se glissa à leurs côtés.

— On vous a réunis pour vous distribuer vos tenues et vous rappeler l’ordre de passage, commença le vieil homme, je vous conseille de bien écouter. Ensuite, nous passerons aux tenues…

Keira, comme tous ceux qui avaient eu leur totem durant les sept précédentes années, ouvrit grand les oreilles.

 

 

La cérémonie se déroula à la nuit tombée. Un cercle immense avait été aménagé dans la prairie, tous les Sylviens présents s’y étaient assis, les chefs et les Arsalaïs au premier rang, les enfants ardyens au dernier. Le silence était palpable lorsque Hênora alluma le feu. Elle se présenta face à l’assistance, sa grande silhouette auréolée de sa couronne animale se découpait sur la lumière des flammes.

— Chers amis, chers camarades, tonna-t-elle, nous commençons ici une nouvelle commémoration. À tous ceux qui ont vécu, à tous ceux qui vivront, nous adressons un hommage. Il y a bien longtemps, nos ancêtres ont sacrifié leur vie pour celle des générations futures. Nous devons les en remercier. Je déclare donc officiellement ouvert le cent-quarante-deuxième Sabbah !

Un hourra traversa la foule, faisant vibrer la cage thoracique de Keira qui attendait derrière le foyer. Ses mains étaient crispées sur ses genoux. Près d’elle, les autres jeunes Laevis, Oèn, Ealys, Oanell,  Piala, Aïfé et Laric, n’en menaient pas large non plus.

Autour d’eux, les acclamations décrurent. La voix d’Hênora s’éleva de nouveau.

— Depuis sept ans, nous avons vécu. Certains sont morts, d’autres sont nés. D’autre encore sont devenus adultes. C’est eux, avec la bénédiction de nos ancêtres, que nous allons honorer aujourd’hui.

Elle leva les mains vers les étoiles.

— Regardez, vous qui êtes aux cieux, dix-huit tribus qui offrent sept années de leur vie.

Elle porta de nouveau ses yeux sur l’assemblée, Keira était contente de ne pas être face à elle pour ne pas subir ce regard puissant.

— Commençons, comme il se doit, par célébrer la mémoire de ceux qui nous ont quittés. L’année dernière, une tribu a subi de grandes pertes. C’est pourquoi ce soir, je commencerai par énoncer les noms des Laevis qui sont tombés.

Keira sentit sa lèvre inférieure trembler. Elle jeta un œil à Oèn qui pleurait déjà.

— Sagal du Furet, fils de…

Des sanglots s’élevaient du groupe de Laevis. Face à la moïa, Aedan restait de marbre, mais toute sa physionomie hurlait de tension.

— Artis de l’Ours Brun, fille de….

Keira laissa les larmes couler. Elle aurait dû être là, à cet instant. Savourer avec eux ce moment bref de gloire, fêter comme il se doit sa maturité. Mais elle ne pourrait jamais.

— Et une enfant : Asha, fille de Séla du Cygne Noir et d’Aedan de l’Aigle Royal.

La jeune Hekaour baissa la tête, la gorge serrée. Hênora continuait de sa voix lourde mais imperturbable.

— Procédons désormais dans l’ordre rituel. Le clan des Démétéens a vu trois cents de ses membres mourir ces sept dernières années. Dans la tribu des Ardyens…

Keira ne parvint pas à tarir le flot de larmes, l’atmosphère sanglotant rendait toute joie incongrue. Ce ne fut que quand Hênora passa aux naissances qu’elle cessa de pleurer. Des sourires reparurent dans l’assistance. Elle retrouva un peu de gaieté en entendant les noms de Darina et d’Efflam.

Mais ce sentiment léger laissa vite place à de l’anxiété. C’était le tour des nouveaux adultes. Le clan des Démétéens ouvrit la danse, comme il se devait. Les Ardyens qui avait eu leur totem durant les sept précédentes années s’avancèrent et dansèrent en rond tandis que leur moïa énonçait leur nom. Lorsque chacun était appelé, il s’arrêtait momentanément de danser pour s’incliner vers l’assemblée qui criait sept fois son nom. Tous portaient des tenues vertes, assemblage d’étoffes nouées faites pour dévoiler les tatouages-totem. Keira avait donné du mal à la Teac qui l’avait habillée, elle ne portait qu’un pan de tissu pendu à son cou et quelques foulards aux bras et aux jambes.

La tribu des Silvanctes succéda à leur cousine.

— Gwenladys du Geai…

Parmi les rangs des jeunes adultes, la tension atteignait son paroxysme. Les mèches de cheveux étaient nouées et défaites par des doigts nerveux tandis que les hanches se dandinaient. Keira tenta de faire taire son trac, en vain. Une fois les Démétéens passés, ce fut le tour des Arvennes. L’anxiété monta d’un cran.

— La tribu des Reïs…

Les Arvennes ne comptaient que cinq tribus pour moins de trois mille membres. Autrefois, c’était le deuxième clan le plus puissant, avait-on dit à Keira. Mais cela n’avait désormais plus d’importance. Les trois clans survivants s’étaient alliés et aujourd’hui les rivalités claniques n’existaient plus. Seule l’appartenance à une tribu était réellement déterminante.

— La tribu des Laevis…

Keira bondit sur ses pieds, imitée par ses compagnons et se mit à danser. Elle avait du mal à respecter les mouvements pourtant simples tant ses membres étaient tremblants.

— Oanell du Raton Laveur, fille de…

Au fur et mesure que leurs noms étaient appelés, ils devaient se retirer de la danse. La jeune fille vit ses camarades partir un à un, resserrant l’attention sur elle. Elle était malheureusement la benjamine du groupe.

— Ealys de l’Ephyre, fille de Séla du Cygne Noir et Aedan de l’Aigle Royal… Piala de…

Le sang battait aux tempes de Keira. Ils n’étaient plus que deux en scène.

— Oèn du Sanglier…

La jeune fille déglutit tandis que son compagnon s’inclinait face à l’assistance. Puis il se glissa sur le côté, la laissant seule au centre de l’attention.

— Keira de la Panthère Noire, fille de Séla du Cygne Noir et Aedan de l’Aigle.

Elle s’arrêta et se pencha en avant, espérant qu’on ne remarquerait pas ses jambes flageolantes. Des milliers de voix se mirent à scander son nom. La vibration puissante traversa sept fois sa poitrine, la laissant hébétée mais étrangement fière. Elle aperçut son père hocher fièrement la tête alors qu’elle se retirait.

Elle alla s’assoir du côté de l’assemblée, le cœur battant la chamade. Oèn lui prit la main, imité par Ealys. La jeune fille répéta les noms des nouveaux adultes suivants, portée par ces innombrables âmes en effervescence. Elle ferma les yeux pour ne plus écouter que ce concert rugissant. Elle se sentait bien, tout d’un coup.

 

*

 

Adossé à son lit, Conan faisait monter et descendre le yoyo qu’il tenait dans la main. Le vieux jouet de bois était gravé d’une fleur. C’était son père qui l’avait fait, longtemps auparavant.

Le jeune homme était retourné dans le village de son enfance, Gueron, pour mettre les affaires de ses parents en ordre. Il avait raconté aux voisins que Bion et Ottia avait été tués par des bandits de grand chemin au cours d’une livraison. Il avait ensuite récupéré quelques affaires dans la chaumière familiale avant de la brûler. Voir sa maison d’enfance se faire dévorer par les flammes avait été plus difficile qu’il ne l’aurait cru, mais c’était nécessaire. Il n’y avait plus de retour en arrière possible, désormais.

Le yoyo toucha le sol de la chambre, Conan se pinça les lèvres. Il avait perdu l’habitude.

Quand il était allé à Gueron, il n’avait pas seulement vu son village. Il avait vu la forêt sacrée qui le bordait.

Une pensée insidieuse s’était alors glissée en lui.

— Ne le fais pas.

Le jeune homme garda les yeux rivés sur le mur en face de lui. Il l’ignorait, ou du moins il tentait de l’ignorer. Le spectre était là, tassé dans un coin de la pièce. Asha le fixait de ses prunelles laiteuses. Son corps décharné était rongé d’asticots, pourtant le sang qui s’écoulait sans fin de sa gorge était frais.

Conan avait été déménagé dans une chambre plus grande, il venait juste de s’y installer. Dès qu’il y avait mis un pied, elle avait frappé ses narines. L’odeur de la mort.

— Ils ne méritent pas ça.

Il serra les dents et continua à jouer au yoyo. Elle se leva et s’avança vers lui de sa démarche déliée. Une traînée de sang accompagnait chacun de ses pas. Elle s’accroupit près de visage. Elle exhala un souffle à la fois putride et ferreux.

— Si, siffla Conan entre ses dents.

Le spectre pencha la tête sur le côté. Il déglutit.

Ils voulaient simplement me venger… murmura Asha.

Sa voix éraillée était un supplice.

— Ils ont massacré des innocents !

— Parce que tu leur as ouvert la porte !

— Non !

Conan recula et commit l’erreur de la regarder. La vision immonde de ce visage en putréfaction fit monter nausée et larmes en lui.

— Ils… ils m’ont ensorcelé, manipulé…

Les lèvres en lambeaux d’Asha s’étirèrent en un sourire ignoble. Elle se mit à rire dans un bruit qui se rapprochait plus d’un râle d’agonie.

— Tu t’en persuaderais presque, hein ?

Le jeune garçon se leva, son cœur frappait ses tempes. Il tendit ses mains en avant pour l’étrangler. Mais à cet instant, la porte s’ouvrit, et Asha disparut.

— Ah, pardon, je ne voulais pas vous déranger…

Conan dévisagea la chambrière d’un air hébété. La jeune femme regarda autour d’elle, les joues rougies.

— Je… je suis venue changer les draps, mais je peux repasser…

— Non, vous pouvez rester.

Il se mordit la lèvre, il était pitoyable avec son ton suppliant.

Le teint de la femme de chambre vira au cramoisi tandis qu’elle entrait en portant un paquet de linge. Elle commença son travail avec des gestes tremblants. Conan l’ignora et alla à l’autre bout de la pièce où il pouvait contempler pour la première fois un miroir. Jamais il n’aurait cru avoir ce luxe, mais il faisait désormais parti des plus haut gradés de la Faction Étoilée.

Les miroirs renvoyaient l’image exactes des visages, paraissait-il. Pourtant, il ne se reconnaissait pas dans cet homme barbu dont les cheveux hérissés tombaient en cascade sur ses épaules musclées. Il avait dix-huit ans, il en paraissait quinze de plus.

— Oh la la, qu’est-ce qu’il fait chaud, bredouilla la chambrière en s’essuyant le front.

Ses yeux fiévreux volaient dans la pièce sans se poser, elle avait l’air malade.

— Vous allez bien ? demanda-t-il en s’approchant.

Elle sursauta et fit volte-face vers lui comme si elle se rendait compte de sa présence. Elle se mit à respirer plus fort qu’elle ne devrait.

— Je… je… je n’ai pas encore changé les draps…

— Et ?

Il s’approcha, les sourcils froncés, et se pencha légèrement pour l’examiner.

— Et…

Elle loucha sur son menton, sembla hésiter, avant de bondir sur ses lèvres. Conan sursauta et la repoussa violemment en arrière. Heureusement, elle retomba sur le lit. Elle se redressa, hagarde. Lorsque ses iris tombèrent sur le jeune garçon, elles s’emplirent de larmes.

— Je suis désolée, je ne voulais pas, je…

Conan écoutait à moitié. Qu’il avait été stupide.

— Attendez, c’est moi, lança-t-il, interrompant la litanie d’excuses.

Oh non, tu ne vas pas faire ça, souffla la voix du spectre.

— Vous m’avez simplement surprise, les réflexes de combattant, vous savez…

— Non !

Il crut apercevoir Asha au bord du lit, mais elle fut vite chassée par la chambrière qui s’était approchée, le fixant de ses grands yeux pleins d’espoir.

Ta première fois, ç’aurait dû être avec moi, gémit le spectre.

— Tu es morte.

— Pardon ? Vous avez dit quelque chose ?

— Non, rien.

Conan s’ébroua comme pour se débarrasser d'une mauvaise peau et grimpa sur le lit. Il approcha son visage de celui de la jeune femme qui accueillit son baiser avec ferveur. Ses mains élégantes se lancèrent à l’assaut de ses brais tandis qu’il glissait ses doigts calleux sous sa robe.

Conan se laissa guider par son corps. Sa partenaire, quant à elle, semblait apprécier chacun de ses gestes. Elle gémissait et se courbait de plaisir sous lui. L’espace d’un instant, il se sentit bien.

Un instant seulement.

L’odeur du sang prit bientôt le pas sur celle de la sueur. Des râles entrecoupèrent les soupirs. Sous les mains de Conan, la peau douce et palpitante devint rêche et glacée. L’horreur le saisit alors qu’il baissa le regard vers sa partenaire.

La jolie chambrière avait laissé place à un cadavre mouvant. Il voulut se retirer, s’échapper, mais des bras squelettiques agrippèrent ses épaules et plaquèrent son torse contre ce corps dégarni. Son cri fut étouffé par un baiser glacial. La nausée creusa un gouffre dans son ventre tandis qu’il tentait de reprendre le contrôle des événements.

Mon amour… souffla le spectre.

Il fixa un instant, les yeux exorbités, le visage troué d’Asha qui lui offrait un sourire affreux. Le fantôme balança la tête en arrière et ondula les hanches.

J’aime te sentir en moi ! clama-t-elle.

Cette voix déchirée frappa ses oreilles autant que son esprit. Il s’arracha à cette étreinte funèbre et attrapa son épée adossée à la table de chevet. Il abattit la lame avec un hurlement qui se mêla à celui de sa victime. L’expression d’Asha se para de terreur alors que l’arme venait briser son crâne.

Un sang chaud éclaboussa Conan et habilla les draps d’un rouge funeste. Il recula, les membres secoués de spasmes.

Asha avait de nouveau disparu. À sa place gisait une jeune femme dont les prunelles n’étaient pas moins vitreuses.

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_HP_
Posté le 04/09/2021
Hello !

Mais... Serait-ce moi, de retour ? Je suis vraiment désolée de mon absence 😅😅
J'allais dire que ce chapitre était très mignon, et puis en fait, euh... xD
La fin est particulière mais assez intéressante, du fait de voir Conan sombrer un peu à chaque fois ! J'ai hâte de voir l'avenir de ce perso ^^
Et le début, avec Kurtis et Maig, aaaaah 😭😍😂 Ils sont tellement adorables !! 🥺 Je suis à la fois impatiente et un peu apeurée (ils viennent de tribus différentes, vivent loin...) de voir ce que tu leur réserves !
AudreyLys
Posté le 04/09/2021
Hello !
T'as pas à t'excuser enfin, tu lis à ton rythme^^
Merci pour ton com ' !
Guimauv_royale
Posté le 08/08/2021
Coquilles
- mais certains musiciens et danseur (danseurs) n’avaient visiblement pas attendu le soi
- tempêta Darina donnant lui donnant un coup de pieds (le 1er “donnant” est en trop)
- — Heu… pourquoi tu t’es approché ? (Approchée ?)
- — Keira de la Panthère Noire, fille de Séla du Cygne Noir et Aedan de l’Aigle. (Royal)
- Les miroirs renvoyaient l’image exactes (exacte) des visages
- mais des bras squelettique (squelettiques) agrippèrent ses épaules
AudreyLys
Posté le 18/08/2021
Arigatou !
Sorryf
Posté le 03/06/2020
"- Je… je… enfin, je… je veux bien mon câlin, bafouilla-t-il."
OMGGG C'EST TELLEMENT MIGNONNNNNNNNNNN Purée j'ai pas pu continuer a lire après ça j'arrivais plus a me concentrer ça m'a collé un sourire niais qui m'a bien duré 15minutes ! TROP ADORABLE !!

Bon ensuite, il a bien fallu reprendre, et passer de "je veux bien mon calin" a Conan, ça fait mal T.T
Conan ça faisait un moment qu'on le voyait plus, et dans mon précédent comm j'ai failli te demander ce qu'il devenait, puis je me suis dit : est-ce que j'ai VRAIMENT envie de savoir ? Purée, la réponse était non, j'aurais préféré ne jamais voir ça. Cela dit c'est intéressant cette évolution, il a passé le point de non retour, et les visions d'Asha, ça fait repenser au Conan des premiers chapitres et... aaah c'est déprimant. Mais j'ai plus aucun espoir ni pitié pour lui.

Toute la partie rituelle, personellement j'ai beaucoup aimé, depuis le début j'aime vraiment toutes les scènes ou ça danse, toujours tres belles et visuelles !

le calin omg
AudreyLys
Posté le 03/06/2020
XD j'aurais bien aimé voir ce sourire

Ah oui la transition est hard x) Bah écoute contente que tu trouves ça intéressant, mais c'est bien de pas l'aimer, ça veut dire que t'es plutôt sage d'esprit x)

Oki^^

XD merci pour ton com il m'a bien fait rire <3 ça m'avait manqué tes petits mots
Alice_Lath
Posté le 01/06/2020
Pitite coquille à un endroit: "il état pitoyable" -> "il était pitoyable"
Sinon, j'ai beaucoup apprécié ce chapitre, surtout la fin. La partie de la cérémonie était nécessaire, mais je n'y ai pas spécialement pris goût non plus. En revanche, voir Conan sombrer encore plus dans les ténèbres, déchiré comme il est, voilà qui est très intéressant. J'aime décidément beaucoup ce que tu réserves à ce personnage en termes d'évolution et de futurs. Par contre, que les choses soient claires, il touche à la tribu d'Asha et à Moïa, je me fais un steak de Conan en guise de petit-déjeuner héhé
AudreyLys
Posté le 01/06/2020
Ok merci, c'est noté !
Oui, ça fait pas partie des moments les plus palpitants, mais c'est nécessaire, et puis une petite pause pour reprendre son haleine ça peut pas faire de mal, je suppose.
XD alorkomanteudir...
Merci pour ta lecture et ton com' !
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