Hadz, Marco et Ancenata pénétrèrent dans la chambre. Face à eux, Gaelyn armé de son regard dur, la bouche pincée, l’air décidé :
— Asseyez-vous je vous prie.
La phrase n’avait rien d’une question et, à leur propre surprise, les trois s’exécutèrent en silence. L’un s’affala sur son siège, l’autre s’installa avec un mélange de nonchalance et de distinction, la dernière s’assit au bord de sa chaise, les mains sur la table, le dos droit. La jeune femme qui logeait dans cette pièce et qui usait son parquet en faisant les cents pas depuis le matin même, fini par s’arrêter un instant et observa ses invités.
Le danseur portait, comme à son habitude, un costume noir légèrement passé, le visage marqué par les coupures et les coups, Ancénata, les yeux papillonnants, avait mis une longue robe multicolore, des boucles d’oreilles composées de trois perles bleutées et le comptable du palais, les cheveux et la barbe en bataille, les paupières lourdes, portait une chemise bien ajustée fermée par deux rangées de trois boutons bleus rois.
— J’ai pris une décision.
Le ton de la jeune femme était ferme. Marco observa ses yeux, tout au fond dansait une sorte de feu intérieur, une résolution implacable. Son corps tout entier était tendu, elle était sûre d’elle.
Deux mots s’inscrivirent dans son esprit : « Oh non… »
— Je peux poser une question ? demanda Hada Cuenta en levant la main.
— Non.
— Et si je dis s’il vous plaît ?
— Non mais non.
— Allez soyez chic…
Gaelyn soupira d’exaspération :
— Bon qu'y a-t-il ?
— Non je me demandais juste ce que je faisais là en fait. Déjà on ne se connait pas, moi c’est Hada Cuenta, enchanté. Gaelyn Hastin pas vrai ? Bon non je ne vois pas pourquoi vous m’invitez pour discuter de vos choix de carrières ou je ne sais quoi….
Gaelyn Hastin commença à tapoter le sol du bout de son pied, les mains sur les hanches. Son front se plissa alors que ses sourcils s’approchaient dangereusement de ses yeux. Marco passa une main sur son visage, si on commençait comme ça…
— C’est moi qui vous ai invité, intervint Ancénata, je vous fais confiance et je crois que ça vous intéressera. Gaelyn est une femme très intéressante à tout point de vue.
Gaelyn rougit, son pied martela le sol encore plus rapidement mais ses épaules et ses sourcils se décontractèrent et elle perdit son aura de furie guerrière.
Hada Cuenta leva les mains au ciel et les laissa retomber sur la table :
— D’accord ça me va, non c’était juste pour savoir. Désolé pour l’interruption on peut reprendre.
— Bon… dit Gaelyn qui se redressa, son expression changea à nouveau, Marco reconnu l’air qu’elle prenait lorsqu’elle était sur le point d’expliquer quelque chose de technique en détail, j’ai beaucoup réfléchi, à tout ce qu’il s’est passé, ce que j’ai fait, ce que je dois faire…. Ce n’est pas facile alors à partir de maintenant je vous interdis de me couper, laissez-moi dérouler mon jeu et après on pourra discuter, d’accord ?
Ce n’était pas une question et le ton catégorique de la chercheuse fit comprendre, même à Ancénata, qu’il valait mieux se taire à présent. Gaelyn commença à parler, maladroitement au début, cherchant ses mots, un angle d’attaque, puis une fois que son discours avait été mis sur les bons rails, elle se lança à corps perdu. C’était une avalanche de mots, empressés mais précis malgré son mirovan encore imparfait. Elle se déplaçait, utilisait ses mains, des changements de ton pour exprimer ses idées, prenant son public à parti et termina par une phrase qui légitimait tout :
— C’est la seule solution envisageable, c’est dans l’intérêt de tous.
Elle laissa le silence retomber avant d’ajouter :
— Merci de m’avoir écouté.
Elle laissa ensuite la parole à son auditoire, basculant son poids d’une jambe à l’autre, les bras croisés dans son dos. Son regard montrait clairement qu’elle attendait des remarques avec la plus grande impatience.
C’est Marco qui s’exprima le premier :
— C’est… N’importe quoi. C’est de la folie, du délire, tu ne sais même pas à quoi tu t’expose !
La réaction résonna dans la pièce, exprimée d’une voix forte et sèche, elle cogna contre les murs comme un coup de gong puissant et imprévisible. Se tordant les mains derrière son dos, Gaelyn se força à ne pas répondre malgré tous les mots qui lui parvenaient dans le désordre et en trois langues différentes.
Hada se racla la gorge et se redressa pour n’être qu’affalé et non plus couché sur sa chaise :
— Je rejoins assez l’avis de notre danseur… C’est honorable et plutôt bien vu, mais c’est suicidaire votre truc. Et je doute que le triumvirat accepte. A la limite la guilde serait plutôt ouverte à ce genre d'idées mais… Non c’est complètement fou, je suis contre.
— Votre truc !? s’étrangla Gaelyn qui se retint difficilement de lui sauter à la gorge, vous osez appeler ça un truc ?
— Nan mais votre idée, votre solution, votre plan, j’en sais rien moi… je disais ça comme ça.
— Eh ben dites ça autrement ! Vous parlez votre langue quand même, moi j’ai fait ce que j’ai pu alors c’est un minimum… Sinon c’est pourtant vous qui avez le plus intérêt à dire oui ! riposta Gaelyn, c’est votre ville, on ne se connait pas, qu’est-ce ça peut vous faire ?
— Ça ne me coûte rien en effet, mais ce n’est pas pour ça que je souhaite lancer le monde contre vous… C’est pas que ce soit idiot - il remarqua tout de suite qu’il n’aurait pas dû utiliser ce mot, heureusement pour lui le dernier fusible de patience de la jeune chercheuse n’avait pas encore lâché - mais c’est dérangeant et dangereux… Là, on efface tout et on invente un nouveau bilan. Outre ma conscience de comptable qui hurle à la mort en imaginant cette idée, on ne peut pas prévoir les conséquences que ça va avoir… Et puis s’il faut remettre le couvert à Mirova, le triumvirat ne sera pas d’accord…
— Mais c’est la seule solution ! s’emporta Gaelyn.
— Le suicide n’est pas une solution Gaelyn, intervint Marco d’une voix sèche, je croyais que tu avais arrêté de te morfondre et t’étais décidée à vivre…
Alors que la jeune femme allait réagir, plutôt violemment, Ancénata Mez éleva sa petite main dans les airs pour prendre la parole. Elle n’avait encore rien dit et tous dans la pièce savait que c’était elle qui avait le plus de poids s’il fallait négocier avec la Guilde des Sens. Alors que tout le monde se tournait vers elle, elle attendit qu’on lui donne la parole pour s’exprimer.
— Gaelyn, pourquoi tu veux faire ça ?
La question décontenança la jeune femme :
— Eh bien… Je crois que j’ai déjà pas mal répondu, c’est la meilleure solution pour tout le monde, on peut sauver la ville et…
— Non non, pourquoi toi tu veux faire ça ? C’est pour ton projet ?
— … Oui je… Il n’y a que comme ça qu’on me laissera partir et…
— Alors ça me va !
Les deux hommes de la pièce regardèrent la maître-parfumeuse en grimaçant :
— Qu’est-ce qu’il y a de bien dans ce projet ? Et elle va faire comment pour s’enfuir !? C’est n’importe quoi !
— Déjà, tu pourrais l’aider Marco, répliqua Ancénata d’un ton de reproche alors que le danseur commençait à ronchonner en levant les bras au ciel, toi aussi tu es enchaîné ici. Il faut que tu ailles respirer le grand air un peu. Pour l’aider j’ai aussi trouvé un de vos anciens amis, un pirate de la tour du pain perdu. Je l’ai vu, il est d’accord.
Marco et Gaelyn réagir en même temps :
— Monsieur Morse !
— Ah oui je crois qu’il s’appelle comme ça.
Le danseur et la joueuse commencèrent à hurler, Ancénata attendit patiemment qu’ils se calment, Hada coula sur son siège et le menton dans le col de sa chemise, il commença à s’assoupir.
Pour commencer : Dès le départ : deux hommes et une femme ?! Les nouveaux venus ? J’ai cru à l’apparition de nouveaux personnages… mais pas du tout ! Du coup, l’effet de surprise tombe un peu a plat sur ce passage.
Certes, la fourberie est au rendez-vous dans ce chapitre, et la tension monte avec efficacité. Mais pour une fin d’histoire, il manque une touche de finesse, un souffle d’émotion. Que dit exactement Gaelyn ? Et surtout, quel est ce plan mystérieux qui fait bondir Marco ?!
Une certaine frustration s'impose dans cette fin d'intrigue !
A bientôt
Bon... Décidément ne pas nommer les personnes dès le début de l'épisode n'est pas une bonne idée !
Merci de me le signaler.
Pour le plan, il arrive à l'épisode suivant, c'est pour ça que ce passage est fourbe, car il cache l'essentiel. J'espère que tu trouveras plus d'achèvement avec la suite, tu me diras.
Merci pour ta lecture en tout cas et bonne journée !
En attendant que Moebius cavale, je viens lire ton chapitre :)
Alors oui, c'est fourbe ! Elle a annoncé quoi en fait, on veut savoir ! Après c'est une construction intéressante, surtout qu'effectivement ça se place en fin d'intrigue et ça permet ensuite de clôturer sans avoir vendu "le plan" ici ^^
C'est bien joué ^^
Pour revenir à mon commentaire du chapitre précédent, on retrouve un peu le même "soucis" ici au début : "Ils étaient trois, deux hommes et une femme. Face à eux une jeune femme au regard dur, la bouche pincée, l’air décidé : "
Et comme en plus ensuite tu dis "les nouveaux venus" ça donne vraiment l'impression que ce sont des nouveaux personnages (si ce n'est que j'ai compris le fonctionnement donc mon cerveau s'auto-corrige)
Il faudrait relire les premiers chapitres avec attention, savoir si ça passe juste mieux en début d'histoire car ça te permet de poser le ton tout en donnant bien envie de s'enchaîner le chapitre, ou si c'est utilisé plus fréquemment à la fin. Parce que je ne me souviens pas d'avoir été marquée par ça au début.
Une idée pour garder le ton et diminuer l'impression de détachement pourrait être " Gaelyn leur faisait face, la bouche pincée et l'air décidé. Deux hommes et une femme à convaincre." (voir un homme et une femme à convaincre, et un autre homme à amadouer / contraindre / ignorer... )
Je jette mes idées en l'air ...
Peut-être aussi que, sachant que l'histoire approche de la fin, j'ai envie de plus de "rondeur" dans la narration ? D'un mouchoir narratif tout doux pour y verser ma petite larme de fin de livre ?
Je suis curieuse de savoir s'il n'y a que moi qui fait une fixette là-dessus haha
Rassures toi, l'explication arrive dès le prochain épisode. On raccroche un peu tout les wagons et roulez jeunesse !
Pour le début où je ne présente pas directement les persos présents, ça sera facile à corriger. D'un côté c'est plus simple et en effet, c'est faire le malin pour pas grand chose...
Et oui, vu qu'on arrive vers la fin, on a une habitude des persos, on a envie de les sentir plus proche tu as raison.
Merci de me l'avoir signalé, je vais rebosser dessus! Un jour...
J'ai la pression déjà pour ne pas décevoir en fin d'histoire 😶
Ceci dit les dés sont jetés, Gaelyn a déjà pris sa décision, je n'ai pas les moyens de l'arrêter maintenant !