En quelques jours à peine et surtout grâce à la révélation du lourd secret d'Ombre, les deux garçons s'étaient encore plus rapprochés. Ils riaient à des boutades qu’eux seuls pouvaient comprendre. Ce qui semblait ravir les deux parties. Aujourd'hui, c'était le week-end, et voyant que son enfant avait fait de nombreux efforts, la mère d'Ombre lui avait autorisé à aller passer du temps avec son ami en centre-ville.
Le jeune sorcier était vraiment heureux. Enfin un peu de temps pour lui et pour se détendre. Magnus l'avait rejoint devant le collège pour l'amener dans un coin du centre qu'il ne connaissait pas vraiment. Pourtant, il n'avait fait que de s'amuser. Ayant même mal aux joues à force de rire. Son ami roux lui avait fait découvrir le cinéma. C'était donc de ça que découlait la télévision. Il avait enfin pu l'essayer, mais en version bien plus grande. Le tacheté était émerveillé par sa découverte. Pendant tout le film, il n'avait pas arrêté de pousser des petits gémissements, comme s'il était vraiment dans l'action. Magnus n'avait pas pu s'empêcher de l'observer avec un sourire presque amusé, heureux de voir sourire son ami.
Puis finalement, ils avaient fait les boutiques. Ombre lui avait dit aimer les romans Nivanhiens, alors ils étaient aller dans une librairie pour lui conseiller ses ouvrages préférés. Ombre ne savait plus vraiment ou donner de la tête. Tellement de nouvelles choses. De livres, de films. C'était vraiment intéressant et il avait envie de tout découvrir. C'est armé de leurs grands sacs de courses qu'ils continuèrent à arpenter la ville. Ombre n'avait jamais vraiment de mal à marcher beaucoup de temps. Magnus non plus apparemment. Tant mieux. C'est alors qu'ils s'arrêtèrent dans un parc, pour prendre une pause. Tout de suite, le sorcier attrapa un livre dans son sac pour commencer littéralement à le lire, sous les gloussements du rouquin.
- Tu as si hâte que ça ?
- Oui ! J'adore lire et j'ai très envie de devenir libraire tu sais. Les nouveaux livres j'y résiste pas ! Et puis, je n'ai pas grand-chose chez ma mère…
- Libraire ? C'est super ça ! s'enthousiasma Magnus.
- Et toi ? Tu veux faire quoi après tes longuesssss études.
- Longues ? Ah oui, c'est vrai que toi, dans trois ans, tu pourras ouvrir ta librairie… Je t'envis tu sais. Hum…
Le garçon aux taches de rousseur se mit à réfléchir avec une main sur le menton. Il ne semblait pas vraiment savoir ce qu'il avait réellement envie de faire une fois entré dans la vie d'adulte.
- J'ai un rêve, mais c'est pas sûr que je puisse… dit Magnus, d'une petite voix, les joues rouges.
- Ah bon ? Pourquoi ? le questionna Ombre.
- Bah… C'est un métier en train de disparaître… Il y a très peu de place.
Ombre eut d'un seul coup des étoiles dans les yeux. Il adorait les vieux métiers. Alors il insista pour que son ami lui réponde.
- Vitrailliste…
- Oh ! Trop bien ! Chez nous aussi, il y en a ! Mais bien évidemment, les vitraux sont aussi enchantés.
- Ah oui ? Ça doit être vraiment magnifique.
- Oui, beaucoup ! Je suis sûr que tu vas réussir à faire le métier que tu veux Magnus.
C'est après un échange de sourire que le garçon aux cheveux mauve se leva, il était temps d'aller prendre une collation. Mais Magnus ne le suivit pas. Il était debout, mais avec toujours les joues rouges.
- Ça ne va pas Magnus ? Tu ne te sens pas bien ? s'inquiéta son ami soudainement.
- C'est juste… Tu as dit que la biscuitière que tu as découvert était une sorcière, non ?
- Euh… Oui ? Pourquoi ?
- Tu crois… Qu'on pourrait aller goûter là-bas ?…
Magnus était très gêné de demander ça. Mais son camarade comprit tout de suite son envie. Il avait simplement l'espoir de rencontrer une autre sorcière. Avec le sourire, il prit la main de son ami pour se rendre ensemble dans sa petite boutique. En voyant arriver les deux amis, la biscuitière les accueillit avec chaleur, les amenant dans l'arrière-boutique pour prendre le gouter ensemble, avant d'aller mettre le panneau « fermé » pour enfin les rejoindre.
La demoiselle était tout sourire, sûrement heureuse que le jeune Ombre rencontré en pleine nuit pendant une fugue, ait un ami en qui il semblait avoir confiance. Magnus de son côté observait l'intérieur du petit commerce avec des yeux grand ouvert. Après tout, depuis qu'il savait pour son camarade de classe, il cherchait partout des détails pour essayer de deviner ou se cachait la sorcellerie. Mais il n’en vit pas grand-chose, semblant presque déçu, son ami gloussa.
- Ce n'est pas parce qu'on est sorcier que la magie est partout.
- Oui, surtout dans votre monde, affirma Eglantine en servant du jus d'orange.
- Mais pour le coup, certains biscuits d'ici viennent de chez nous. J'en mangeais enfant.
- Moi aussi, c'est pour ça que j'en fais ici. Pour faire connaître nos petites traditions.
Ombre prit d'ailleurs un petit gâteau dans ses mains, expliquant avec application quels étaient les biscuits originaires de Glavanh et dans quelles occasions ils étaient préparés. Alors qu'Eglantine parla de la confection. Des ingrédients inconnus qu'ils pouvaient contenir.
Le rouquin était admiratif, jusqu'à ce que finalement, il baisse les yeux. Son ami s'approcha, posant une main sur son épaule, inquiet.
- Magnus ? Qu'est-ce qu'il y a ?
- En fait… Je me demandais… Vous croyez qu'un jour… Je pourrais venir dans votre monde ?
Eglantine se rapprocha à son tour, un sourire rassurant aux lèvres, mais le regard triste. Comme Ombre, qui s'attristait petit à petit.
- Normalement, c'est quelque chose d'impossible, lui répondit-elle. Tu ne peux pas devenir un sorcier, tu sais ?
- Oui, mais ce n'est pas pour ça… Je ne veux pas ça. Juste, j'aimerais passer du temps avec vous, voir votre monde. Et… Ombre m'a dit qu'il y avait pleins de vitraillistes chez vous. Ici… Il n'y en a presque plus. Même s'ils sont enchantés… Vous croyez que je pourrais venir travailler chez vous quand même ? Pour la conception ?…
Eglantine était soulagée. Faire venir un humain, pour qu'il devienne sorcier était quelque chose d'interdit. Mais tout n'était pas interdit. Elle afficha un petit sourire complice.
- Cela pourrait être possible, en effet.
- Comment ça ?! lâcha Ombre, complètement surprit.
- Il faudra aller plaider sa cause à Lias. Seul lui peut décider si Magnus pourra passer les portails.
Les deux garçons retrouvèrent le sourire d'un seul coup. Oui, il y avait un peu d'espoir. L'espoir que Magnus découvre le monde dont Ombre était si fier, le monde dont il ne pourrait jamais se passer. Finalement, les deux sorciers montrèrent leurs baguettes au rouquin. Celle de la biscuitière était justement, une belle baguette en pate de petit gâteau sec, décoré de glaçage royal. Comme celle d'Ombre, elle était recouverte de verni éternelle pour ne pas pourrir, s'effriter ou se casser au moindre choc.
C'est alors qu'après ce goûter, il fut décidé que les camarades rentrèrent. Le vitiligo lui proposant de passer un peu chez lui. Il voulait lui montrer son coquillage et pourquoi pas faire une discussion à quatre pour présenter son nouvel ami à ses meilleurs amis sorciers. Il leur en avait déjà parlé, mais discuter avec lui en direct était une idée des plus plaisante.
Ils marchèrent avec tous leurs paquets tranquillement, même s'il fallait avouer que c'était quand même Ombre… Surtout Ombre qui avait le plus grand nombre de sacs. Sa mère lui avait gentiment donné un peu d'argent. Il ne s'était pas fait prier, ça c'était sûr. Arrivant dans son quartier, il ne savait pas encore pourquoi, mais le sorcier avait une boule au ventre. Sa mère était-elle à la maison ? Si oui… Il avait un peu peur de sa réaction. Elle pouvait autant laisser passer que pas du tout.
Alors, il attrapa la poignée de porte pour finir par entrer dans la petite maison, à petit pas, espérant ne pas être trop remarqué, sauf que dès que Magnus referma la porte derrière lui, la mère d'Ombre fit son apparition. Toujours aussi parfaite, aussi sévère.
- Tu es enfin rentré, tu en as mis du temps. Tu vas prendre du retard si ça continue, lança-t-elle la voix presque glaciale.
- C'est toi qui m'a donné les horaires. Rentrer avant dix-neuf heures. Il n'est que dix-sept heures… tenta-t-il de se défendre, tout penaud.
- Hum. Soit. Et c'est qui lui ?
Elle ne plaisantait pas. Elle venait de recevoir une mauvaise nouvelle ou quoi ? À voir ses yeux perçants, ce devait être le cas. Son travail devait lui donner du fils à retordre…
- C'est… Magnus. Un ami de ma classe. J'étais avec lui en ville. Est-ce qu'il pourrait rester une heure, s'il te plaît ?
- Quoi ? Non, hors de question, trancha-t-elle, sans même réfléchir, sûr de sa décision.
Ses paroles firent blêmir Ombre qui commençait déjà à se sentir mal, comme s'il allait vomir. Sa mère lui donnait toujours cet effet-là, qu'il se sentait malade en sa présence. Il se retourna vers Magnus, la mine triste, alors que le rouquin semblait simplement inquiet pour son ami, ayant pris conscience de la rigidité de celle-ci.
- Je… Désolé Magnus, je…
- Écoute Ombre, ce n'est pas grave, d'accord ? On a passé du temps ensemble, c'est déjà super.
Il lui avait répondu avec un grand sourire compréhensif. Il était une vraie crème avec lui. Pourtant, de son côté, on dirait que rien ne semblait déraper dans sa vie comparait à Ombre. Magnus était parfait. Un premier de la classe en tout. Même le joueur de l'équipe de foot le plus apprécié.
Après de rapide au revoir, les deux compères se séparèrent, pour rentrer chez eux. Même si Ombre était déjà chez lui. La soirée se passa calmement, sa mère le laissa un peu tranquille, il avait sûrement deviné juste, vu les grossièretés qu'elle aboyait dans le salon, devant son ordinateur. Alors, après le repas, il décida à nouveau de faire le mur. Il avait appris un sort des plus essentiels pour un sorcier. Le vol. Enfin, ce n'était pas du vol à proprement parlé, mais de la lévitation bien plus poussée. C'était le genre de lévitation qu'utilisaient les enfants pour les parties de balle spirituelle. Le sorcier se concentrait pour lancer un sort de lévitation, bien plus complexe que le basique, sur leurs chaussures, de façon permanente. Ce qui faisait que quand ils mettaient un pied dans les airs, comme qu'ils montaient un escalier invisible, ils s'élevaient vraiment. Il suffisait de marcher normalement dans les airs.
C'est comme ça qu'il sorti de sa chambre, pour finir par s'élever bien haut, à hauteur de toit pour chercher la maison de Magnus. Il lui avait montré cette après-midi. La trouvant, il remarqua un balcon à la chambre du garçon. Bingo, c'était le mieux. Se posant, il frappa à la baie-vitrée. Ce qui fit sursauter le rouquin qui était en pyjama à lire un livre. Souriant à pleine bouche en voyant son ami. Il entra dans la chambre.
- On peut rester ici, mes parents sont en bas, devant la télévision, ils n'entendront rien.
- Cool, ohh, j'adore ta chambre ! s'exclama Ombre. Elle était remplie de livres à ras-bord, avec des posters de représentation de vitraux magnifiques. Le rouquin semblait être comme lui, passionné. S'asseyant en tailleur sur le lit, Ombre fini par commencer la discussion.
- Je suis vraiment désolé pour tout à l'heure… Tu sais, ma mère… Elle est vraiment très stricte. En fait, depuis que je suis là, j'ai plus l'impression d'être un employé qu'autre chose…
- Ah oui ? Elle est du genre « je pense à ton avenir, tu me remerciras plus tard » ?
- Euh… Ouais ? Comment tu sais ça ? demanda-t-il en relevant la tête.
Magnus soupira.
- Eh bien parce que mes parents sont les mêmes avec moi. Tu vois, j'ai quand même du temps pour moi, mais… Si je ne suis pas le premier en tout, ils me suppriment du temps libre, ou mes livres préférés, la console, le téléphone…
- Moi qui pensais que tu étais juste parfait, exceptionnel… En fait, tu es comme moi. Poussé par tes parents. J'avais dit oui pour le foot en pensant que ça allait me détendre, entre les cours du collège et ceux de l'Académie. Mais non, elle m'a dit que si l'équipe perdait un match, elle me forcerait à arrêter…
- Ne t'inquiète pas, ça n'arrivera pas. Je te le promets d'accord ? On va se soutenir tous les deux. Si tu n'arrives pas dans une matière, je t'expliquerais. On restera ensemble, soudés.
C'est les larmes aux yeux qu'Ombre vint prendre dans ses bras Magnus, avant d'éclater dans un sanglot silencieux, alors que le rouquin lui frotta le dos. Ils restèrent ainsi longtemps, avant de continuer à discuter une grande partie de la nuit.