Les ruelles de cette partie de Bushwick étaient très étroites et sombres, formant un labyrinthe digne de dédale, entre les hauts immeubles abandonnés aux façades aveugles. Les passants pouvaient aisément se perdre ici. Mais de passants il y en avait peu, ici. C’était de fait le territoire des marginaux du Collectif, des sans domiciles fixes et de quelques revendeurs de drogue.
Abbie connaissait bien le quartier. Après tout il faisait partie de son domaine, et de celui de Tomàs apparemment. Abbie avait envoyé un message à Tamaryn, qui était avec les membres du Collectif. Elle leur avait donné rendez-vous à minuit. Il était minuit quinze. Tomàs et elle attendaient, bien visibles, devant l’entrée du repaire de Jonas : la porte de service de ce qui avait été une quincaillerie à en juger par les inscriptions délavées sur la façade.
Mais Tomàs ne regardait pas la porte : son attention était entièrement fixée sur une fresque peinte sur le mur du bâtiment voisin. C’était une fresque comme il y en avait de nombreuses, dans tout le quartier. Quand il était passé devant en arrivant, il avait senti quelque chose se tordre dans son ventre et un sentiment de malaise l’envahir. Il avait toujours senti quelque chose lorsqu’il passait devant les œuvres de street art qui ornaient les grandes avenues de Bushwik, mais jamais cela ne lui avait provoqué un tel frisson d’horreur.
Celle-ci représentait des hommes et des femmes dans diverses scènes de la vie de la rue, avec un certain talent. Tous jeunes, ils portaient jeans déchirés, des pulls à capuche ou des hauts colorés. Des origines variées étaient représentées, tout au moins au premier plan. Les visages de ces personnages étaient joyeux. Il émanait de cette scène une insouciance qui contrastaient avec la misère qui y était dépeinte en même temps.
Alors qu’il regardait à nouveau l’œuvre, ce sentiment devint plus intense. Il s’intéressa davantage au second plan. Là, les figures étaient toutes vêtues de noires, certaines de haillons ; leurs visages étaient pâles. A part leurs bouches tordues dans des grimaces de souffrance et de détresse, aucun autre trait du visage n’avait été représenté : on aurait dit que c’était des spectres. Un personnage en particulier attira son attention.
- Abbie ! regarde !
La vampire, qui commençait à être frustrée par la longueur de l’attente et devait être en train de songer sérieusement à aller fracasser la porte, s’en détourna pour suivre son regard. Elle eut une brusque inspiration lorsqu’elle reconnut la créature, en partie cachée derrière l’un des personnages, mais très bien représentée : elle avait l’apparence d’un arbre vivant, avec des jambes et des bras, un visage aux yeux émeraudes et de longues griffes au bout des mains. Sa peau était d’écorce et sa bouche édentée souriait, laissant voir un gouffre obscur et sans fond. Il lui sembla qu’une substance verte luisait au niveau de sa poitrine, comme si la peinture n’avait pas séchée.
- C’est dingue ! murmura-t-elle. On dirait le Leschein. Cette représentation est si vivante. On dirait …
- que le monstre est en train de sortir du mur et de nous rejoindre, termina Tomàs, avec un frisson. Et tu as vu les personnages, au second plan ?
Sa blessure qui s’était apaisée recommençait à le lancer depuis qu’il avait découvert cette créature. Il avait l’impression qu’elle le fixait d’un regard maléfique.
- Quelque chose ne va pas avec cette fresque. Quelque chose ne va pas dans cet endroit, continua-t-il, en posant son regard sur son amie.
Elle aussi sentait un malaise et cette représentation provoquait un sentiment d’horreur. Ce qui l’inquiéta encore davantage, ce fut le frisson de peur qui émana soudain de son passager clandestin. Mais Tomàs paraissait particulièrement touché. Elle allait lui parler lorsque la porte s’ouvrit dans un bruit métallique et que Tamaryn leur fit signe de la rejoindre. Elle paraissait gênée, voire même énervée.
- Tu auras mis le temps, ne put s’empêcher de faire remarquer Abbie, plus pour évacuer une partie de son angoisse que par réel reproche.
- Suivez-moi.
Elle les guida à travers le bâtiment entièrement vide, si ce n’est quelques étagères et des bureaux, dernières traces de l’activité d’origine de l’endroit. Les cloisons avaient été abattues. Abbie soupçonnait que Jonas et sa bande avait récupéré ce qu’il restait dans le magasin pour s’équiper. Tamaryn les mena jusqu’à un escalier qui s’enfonçait dans le sous-sol. Une porte bloquait l’accès, mais la jeune fille frappa trois coups qui résonnèrent dans le silence et le battant s’ouvrit silencieusement. A priori ils entretenaient bien leur château-fort. Un jeune homme leur ouvrit et Tamaryn entra sans un mot. Elle avait l’air furieuse, et Abbie ne pensait pas que elle ou Tomàs en était la cause.
La pièce dans laquelle ils pénétrèrent était immense. Des cloisons avaient été disposées pour créer des espaces de vie dans lesquels se trouvaient des lits de camps et des meubles fabriqués avec des éléments de récupération. Elle compta une dizaine de ces petits logements. Ils remontèrent l’allée centrale et atteignirent un espace de vie, constitué de plusieurs canapés défoncés et d’un espace cuisine rudimentaire. Sur le mur du fond, une porte s’ouvrait sur une autre pièce, de laquelle émanait une lueur verte étrange.
Dans cet espace, les attendaient Jonas et quatre de ses sbires, ceux qu’ils avaient déjà croisés dans les égouts. Tamaryn traversa le groupe sans un regard ni un mot pour eux et s’approcha d’une sorte de petit couffin posé sur une table. Abbie et Tomàs la suivirent et ils découvrirent Séraphin, un bébé difforme, installé sur une couverture et vêtu de vêtements de nourrisson. Ses yeux étaient fermés, il respirait et avait des petits mouvements des mains et des pieds, qui prouvaient qu’il était en vie.
- Comment va-t-il ? demanda Tomàs en se retournant vers Jonas, qui n’avait pas esquissé un geste.
- Il semble en bonne santé. Nous n’avons pas encore pu vérifier s’il est conscient, s’il a gardé une partie de sa personnalité. Ce n’est pas un bébé à proprement parler, il n’est pas retombé en enfance. C’est une sorte d’homoncule.
A ce mot, Abbie leva la tête brutalement et planta son regard froid dans les yeux du jeune homme.
- Homoncule … Drôle de mot pour parler d’un être humain, de votre ami …
Sa voix avait pris une tonalité hostile et dangereuse. Elle contourna le berceau et se plaça droit devant Jonas.
- C’est pourtant le mot qui correspond à ce qu’il est. C’est compliqué et nous n’avons pas le temps de rentrer dans des explications complexes …
Agacée, Abbie l’interrompit :
- Je m’attendais à des réponses, Jonas, pas à des évitements et des demi-vérités !
Ces loqueteux ne faisaient que tourner autour de la vérité, sans jamais rien lui expliquer. Les compagnons de Jonas la regardait d’un air inquiet et penaud. Jonas, lui, exsudait l’arrogance. Certes, elle était dans son territoire, mais leur domaine était aussi le sien, et elle allait leur rappeler.
- Ce qui est arrivé à Séraphin ne te dérange pas, donc ? reprit-elle, en tendant un bras vers le berceau dans lequel dormait le petit homoncule qui avait été l’un de ses meilleurs amis.
Il était vivant, mais à quel prix ? A sa grande satisfaction, le chef du Collectif tressaillit. Un éclair de culpabilité traversa son visage, mais cela dura peu. Il reprit très vite son expression stoïque et rebelle. Abbie se dit que c’était sa manière de survivre à sa vie dans les sous-sols de la ville, son existence de vagabond et de proscrit. Mais, là, maintenant, elle n’avait pas la patience de supporter ce type d’attitude.
Tomàs était resté silencieux jusqu’à présent. Elle lui trouvait l’air fatigué, mais elle avait repoussé son inquiétude pour le moment où elle n’aurait pas à gérer une troupe de jeunes gens têtus et déloyaux. Intéressant ! Parce que tu penses mériter leur loyauté ? Elle ne savait plus si cette voix venait d’elle ou de l’autre entité qui avait décidé de s’installer dans son esprit, et cela ne faisait qu’aggraver sa fureur.
- Nos questions sont légitimes, Jonas, fit soudain Tomàs. C’est vous qui vous êtes montrés à découvert devant Abbie, en sachant pertinemment qui elle était. Si vous avez fait cela, c’est que vous aviez un minimum de confiance.
Jonas soupira et se passa une main tremblante dans ses cheveux. Lui aussi avait l’air éreinté.
- Je ne peux pas vous faire l’historique du Collectif en détails. Mais nous ne sommes pas qu’une petite bande de taggeurs et de va-nu-pieds, qui vivent aux crochets de la société.
Il eut soudain un petit rire sarcastique.
- En fait, nous vivons chez nos parents, à Manhattan, Brooklyn, dans le Queens.
Abbie leva un sourcil : ce qu’elle voyait autour d’elle lui prouvait le contraire. Mais elle se garda d’intervenir quand elle croisa l’avertissement dans le regard de son ami. Elle se retint d’émettre un soupir boudeur et se contenta de croiser les bras. Jonas s’assit dans l’un des canapés défoncés et Tomàs fit de même, entrainant la vampire avec lui. Les autres restèrent debout non loin de leur chef. Elle remarqua que tous avait des cernes noires sous les yeux et les mains tremblantes. Elle reconnut les symptômes du manque.
- Nos familles ont des lignées qui remontent jusqu’à la nuit des temps, des lignées de sorciers et de magiciens, si vous arrivez à y croire. Mais la magie s’est affaiblie et a fini par disparaitre chez nos parents. Ils ont oublié leur histoire. Mais ce n’est pas notre cas. Depuis que nous sommes enfants, nous avons ces souvenirs, cet appel, ces cauchemars qui nous montrent ce qui a été et ce qui pourrait être. Cette force nous a fait nous rencontrer. Il y a une dizaine d’années, j’ai retrouvé des vieux livres chez mes parents et chez mes grands-parents. Mes camarades ont fait de même. A croire que nos familles n’ont pas osé s’en débarrasser. Nous avons d’abord lu en cachette : c’est là que nous avons appris l’existence des Vampires et des Loups-garous, de Gaïa et des Sorciers, nos ancêtres.
- Les Sorciers sont une légende, intervint alors Tomàs.
Abbie fronça les sourcils et lui donna un coup de coude dans les côtes. Qu’est-ce qui lui prenait ? Il voulait se faire repérer ? Jonas sursauta d’être interrompu, mais il semblait trop perdu dans ses souvenirs pour se rendre compte de quoi que ce soit. Ses mains tremblaient de plus en plus et de la sueur perlait sur son visage.
- Nous avons caché et conservé précieusement tous ces ouvrages. Nous en avons obtenu d’autres. Grâce à eux, nous avons retrouvé et contacté d’autres Descendants dans d’autres villes. Et nous avons cherché à reconquérir nos capacités.
- Séraphin et Tamaryn font donc partie de ces descendants ?
Jonas hocha la tête.
- Comment saviez-vous que j’étais une Vampire ?
- Vous n’êtes pas très discrète dans le quartier, fit-il avec un sourire. L’un de mes hommes vous a vu secouer Trax. Il a apprécié le spectacle d’après ce qu’il m’a dit.
L’un des compagnons de Jonas parut soudain gêné et se détourna.
- Celui qui lui a procuré la drogue pour Séraphin était l’un de vos hommes, accusa-t-elle.
Jonas se frotta les yeux. La partie la plus difficile de cette discussion venait d’arriver et il ne rêvait que d’une dose. Mais il suffisait de regarder le visage tendu et les yeux nimbés de violet de la vampire pour comprendre qu’elle n’accepterait pas d’attendre. Il avait beau paraitre confiant, il n’ignorait pas qu’elle pourrait tous les tuer si elle le voulait. Mais Séraphin lui avait dit qu’on pouvait lui faire confiance. Avant la catastrophe. Comment est-ce que cela avait-il pu autant dégénérer ?
- Trax était un intermédiaire, commença-t-il d’une voix lente et posée. Cette drogue a été fabriquée pour nous, pour stimuler nos pouvoirs, pour nous aider à progresser. Séraphin, comme nous tous, l’a prise volontairement, en toute connaissance de cause.
- Et dans vos idées de progression, où se situe la métamorphose en monstre ? fit Abbie en se penchant vers lui.
Sa voix était devenue plus craquante, plus rauque. Ses traits commençaient doucement à prendre un aspect monstrueux. Jonas déglutit. Tomàs posa une main sur le bras de son amie et fit un signe de tête en direction du jeune homme pour qu’il continue. A son grand étonnement, ce simple toucher calma instantanément Abbie. Cela dut la surprendre aussi, car elle posa un regard déconcerté sur lui.
- Cela n’était pas prévu. Cette chose était une horreur, que nous n’aurions jamais voulu voir naitre, vous devez me croire. La substance devait simplement nous aider à parfaire notre magie, pas à nous faire devenir … ça. C’est ce qu’elle nous a promis …
Il s’interrompit soudain, se mordant les lèvres. Ses compagnons avaient tous tournés des yeux effrayés vers lui à cette mention.
- Qui est « elle » ? Qui a fabriqué la drogue ? demanda Tomàs
Jonas se leva lentement.
- Vous devez nous laisser.
- Quoi ? Non, nous …, fit Abbie.
- Non. Ecoutez, je ne peux pas en dire plus. Laissez-nous.
Il fit un signe à ses amis et ils s’éloignèrent tous dans l’autre pièce dont ils fermèrent la porte. Abbie faillit les suivre et la défoncer, mais à quoi cela servirait-il ? Elle avait bien compris dans quel état ils étaient. Elle espérait juste que la dose qu’ils allaient prendre n’allait pas les transformer à leur tour. Tamaryn sortit de l’ombre pour les rejoindre. Elle posa un regard soucieux sur Tomàs qui semblait à peine tenir sur ses jambes, mais n’osa rien dire.
- Tu étais au courant ?
Le ton d’Abbie était beaucoup plus accusateur qu’elle ne voulait, mais elle était à bout de nerf. La jeune fille secoua la tête.
- Je savais pour la magie : c’était mon héritage, mais je n’ai jamais voulu m’en mêler. Séraphin lui s’y est engouffré avec exaltation. Il est celui qui a fait le plus d’expérience, qui est allé le plus loin.
Pour la drogue, je n’en savais rien. Mais Jonas m’a dit qu’il était le premier à en avoir pris et celui qui en a pris le plus longtemps.
- Alors on a peut-être un peu de temps encore avant d’avoir une horde de Leschein lâchée dans la ville, fit Tomàs.
- Je veux vous montrer quelque chose, quelque chose que mon frère m’a montré il y a très longtemps, quand il essayait encore de me convaincre de le rejoindre.
Ils la suivirent alors dans l’une des galeries étroites qui partaient de la vaste salle principale. Le couloir était très court et fermé par une lourde porte métallique, sur laquelle était dessiné un symbole étrange. Elle l’ouvrit avec la clé qu’elle avait dû subtiliser et la poussa à deux mains. Ils entrèrent dans une large pièce obscure. Lorsque Tamaryn enclencha l’interrupteur, ils écarquillèrent les yeux. La salle, qui faisait au moins vingt mètres carrés, était encombrée d’étagères et de boites faites dans des matériaux totalement disparates : du métal, du bois, du plastique. Certaines avaient été fabriquées à partir des restes d’autres meubles ou de palettes, certaines venaient sans aucun doute du magasin au-dessus d’eux. Sur toutes ces étagères se trouvaient des dizaines de livres de toutes les tailles et des centaines de feuillets empilés.
Abbie s’avança, abasourdie par la quantité de documents. Elle s’approcha d’une caisse renversée sur laquelle était posé un gros ouvrage ouvert : elle effleura la page craquelée et admira la couverture épaisse, en cuir cramoisi.
La pièce avait dû être un local technique, mais il avait été entièrement vidé de tout appareillage. Aucun grain de poussière ne déparait le sol, les meubles ou les livres. Des déshumidificateurs avaient été placés dans les angles. Certains feuillets étaient enfermés dans des protections plastiques. Le collectif prenait grand soin de ces œuvres.
- C’est extraordinaire. Comment ont-ils réussi à maintenir cet endroit avec leurs ressources ?
- Ils en sont pleins, de ressources, répondit Tamaryn, avec une certaine fierté. Mais venez voir autre chose.
Elle les entraina au fond de la pièce, derrière les dernières étagères. Là, sur toute la surface du mur de béton, avait été peinte une immense fresque, comme celle de l’extérieur, mais encore plus étrange. Abbie et Tomàs ne purent s’empêcher de frissonner en l’observant : dans un décor de crêtes effilées, de terres noires parcourues par les vents, sous un ciel violacé qui semblait en état de perpétuelle tempête, une cité noire aux tours grandioses trônaient au dernier plan. Au premier plan, tout le bestiaire de la mythologie grecque et plus encore semblait avoir élu domicile : des chimères, des créatures volantes aux griffes acérées, des petits rongeurs avec des faces presque humaines, des esprits aux yeux glacés… La peinture montrait une imagination débordante, mais ce qui bouleversait les spectateurs, c’était l’énergie maléfique qui en émanait. On y sentait un désir et une volonté féroces qui donnaient l’impression que les créatures voulaient traverser le mur.
- Vous le sentez, murmura la jeune fille.
Ni Abbie, ni Tomàs ne purent prononcer les mots qui exprimaient leur sentiment. Et, au fond d’Abbie, une sensation profonde de danger, nimbé de culpabilité, émergea de la présence qui l’avait envahie. Les sens psychiques de Tomàs étaient submergés par cette magie et son Loup gémissait et se tordait d’angoisse. Sa blessure se mit à pulser. Il porta la main à son front et vacilla légèrement. Il prit appui sur l’étagère la plus proche.
- Abbie, allons-y. On en a assez vu.
Sa voix empreinte de souffrance sortit la vampire de sa stupeur et elle se tourna vers lui.
- Qu’est-ce qui t’arrive ? murmura-t-elle en le guidant vers la sortie, précédée par Tamaryn.
- Je crois que c’est ma blessure. Je ne me suis pas assez reposé. Et cette fresque …
Abbie ne savait pas si c’était mauvais signe ou non. Mais elle n’avait qu’une envie, c’était de le ramener rapidement.
- Suivez-moi, fit la jeune fille lorsqu’elle eut refermé la porte.
Ils remontèrent la grande salle mais ne prirent pas l’escalier qui menait au magasin. Elle les guida jusqu’à une autre porte, près de laquelle se trouvait une caisse remplie de lampes torches. Elle en attrapa une, déverrouilla la porte qui les mena dans les égouts.
- Ils ne voulaient pas que je vous montre cet accès. Mais je m’en fiche. Ce sera plus pratique pour vous et moi de passer par là.
Abbie avait de nombreuses questions sur ces tunnels, mais elle les garda pour elle. Lorsqu’ils furent suffisamment éloignés de l’antre du Collectif, Tomàs sembla aller un peu mieux et put marcher plus facilement. Le trajet dura une vingtaine de minutes, dans l’obscurité.
Quelle ne fut pas la surprise d’Abbie quand ils s’arrêtèrent face à une porte qui débouchait directement sur son sous-sol ! Elle regarda fixement Tamaryn, mais là encore, ne dit rien.
Lorsqu’ils arrivèrent chez eux, la nuit n’était pas encore terminée. Tomàs n’eut même pas la force d’atteindre sa chambre. Il se laissa tomber sur le premier canapé venu et sombra dans le sommeil. Abbie et Tamaryn restèrent donc seules, à se regarder en chiens de faïence : la vampire ne savait plus si elle pouvait lui faire confiance, Tamaryn ne savait plus si elle pouvait en attendre d’elle.
Le silence s’éternisa un moment. Ce fut la jeune fille qui le rompit, d’une petite voix timide.
- Cet héritage, je n’en ai pas voulu. Mais je devais cette loyauté à mon frère. Et, même si je ne participe pas, je crois que ce qu’ils font – ce qu’ils faisaient – est important, même si je ne sais pas pourquoi.
Elle leva les yeux vers Abbie, qui se contenta de la regarder en silence.
- Je suis en colère contre eux, contre Séraphin, maintenant que j’ai découvert ce qu’ils ont fait, après ce qui est arrivé à mon frère. Mais malgré tout ça, je pense qu’ils ont besoin d’aide, de votre aide, car qui pourra leur en apporter sinon ?
Abbie tressaillit. C’était le rôle qu’elle s’était donné après tout, celui de protectrice de son petit cercle d’amis mais aussi de son quartier. L’image de ce petit groupe de pseudo-sorciers, de jeunes gens tremblants, aux yeux injectés de sang, s’imposa à elle : ils avaient été imprudents, mais, si elle avait bien compris, ils étaient les victimes d’un être puissant et maléfique. Un être qui ne venait pas de ce monde.
Cette connaissance ne venait pas d’elle, mais elle l’accepta comme vraie. N’était-ce pas de la fierté qu’elle sentit provenir de l’être qui se cachait en elle ? Elle commençait à s’habituer à ce fragment. Son regard se posa sur Tomàs, si pâle, profondément endormi.
- Tu as raison. Je ne t’en veux pas. Tu restes ma petite sœur, Tamaryn. Je suis un monstre, je ne peux guère reprocher grand-chose aux humains. Quelque chose se prépare et j’ai besoin de retrouver la personne qui fabrique la drogue. Essaie de convaincre Jonas. Car tu vas retourner là-bas, n’est-ce pas ?
Tamaryn eut un petit sourire, presque gêné.
- Il faut que je m’occupe de Séraphin.
Abbie se leva et la prit dans ses bras.
- Fais attention à toi.
- C’est promis. Dès que j’en sais plus, je t’appelle. Et toi que vas-tu faire ?
- Oh ! Je dois me préparer pour un rendez-vous au Musée d’Art Moderne, répondit-elle en grimaçant.
Tamaryn écarquilla les yeux mais décida de ne poser aucune question. Elle embrassa Abbie puis se précipita vers le sous-sol pour rejoindre son frère.