Une odeur de désinfectant et de draps propres flottait dans le laboratoire de recherches du bout du couloir. Au plafond, les longues lampes-néon s’étiraient d’un bout à l’autre de la pièce, afin d’éclairer de façon homogène le blanc immaculé des plans de travail. C’était une pièce qui nageait dans l’artificialité. Vêtue d’un voile brillant, éclatant. Au sol, les carreaux reflétaient les éclairs lumineux qui zébraient le plafond, miroirs de la clarté transparente de la pièce. Blanc. Blanc. Blanc. Voilà. Voilà ce que l’on pensait en pénétrant dans ce laboratoire de recherches du bout du couloir.
Mais ce matin-là, assis sur une chaise du laboratoire, Alimë pensait à tout autre chose. Il avait pris place derrière une table fraîchement nettoyée et griffonnait quelques mots au crayon, dans un carnet à anneaux, avant de se replonger dans le microscope qui lui tenait compagnie. Il réfléchissait, appuyé sur la surface lisse et vitreuse de la table. Il réfléchissait à toute vitesse. Il réfléchissait à sa discussion du soir précédent. À ce qu’il avait dit, et surtout, à ce qu’il n’avait pas dit. Il avait parlé de l’Aïdenon, de son rêve. Il avait parlé de son “arrestation”. Mais à aucun moment il n’avait pensé à parler de lui. LUI, le sujet B2 – 85 – 09.
Celui dont tous voulaient entendre parler.
Celui dont il ne devait pas parler.
Celui dont il avait oublié de parler.
Dans son cœur, la culpabilité le glaçait. Quel informateur était-il pour oublier l’information la plus importante de sa communication ?
Une fois encore, le petit assistant pensa à Seth. À la confiance que l’homme mettait en lui, et qu’il avait l’impression de gâcher, de trahir à chacun de ses pas. Seth lui avait montré le chemin d’une vie qu’il n’aurait jamais pu imaginer auparavant. Il lui avait appris à comprendre, à chercher les réponses qui ne s’offraient pas d’elles-même. Alimë avait peur de décevoir cet homme qui avait peu à peu façonné son âme et son être tout entier.
Il manipula les roulettes sur les côtés du microscope, clarifia l’image qu’il devait observer, régla au mieux la luminosité.
Les images de son passé s’imposèrent à ses yeux de palissandre. L’herbe, le sable, la petite maison de pierres qui avait été la sienne. Ce fut comme une toile colorée qui se déroulait devant lui, après être restée longtemps rangée dans un coin sombre de son esprit. La toile de sa vie. Éclatante. Sa vie d’avant. Avant ? Il cligna des yeux, lentement. Ce mot ne voulait rien dire. Peu importaient ces images, il s’en était détaché depuis longtemps déjà. Sans plus y repenser, il chassa de son cœur ce monde lointain qu’il hébergeait encore.
Le garçon étala une fois encore quelques mots dans son calepin, prit le temps d’y tracer un schéma approximatif. Puis, précautionneusement, il ouvrit une boîte de verre circulaire et posa contre son fond une baguette métallique achevée d’une plaque fine, afin de racler le contenu du récipient.
Ce matin-là, il avait eu de la peine à regarder ses amis en face. Mirym, Ana, Yael. En sentant leurs rêves se désagréger avant leur éveil, il avait aperçu le poids de sa trahison. Cela n’avait duré que quelques secondes. Un instant de malaise qui déchirait l’enveloppe d’assistant dans laquelle il s’était glissé. Un petit moment seulement avait suffit pour lui faire réaliser que ses trois ans d’existence dans la tour étaient fondés sur des mensonges. Mais… même si ses amis ne savaient pas tout, ne pouvaient-ils pas être ses amis ? Amitié signifiait-elle donc vérité, au point de ne plus discerner le bien du mal ? Il ne parvenait pas à s’en convaincre. Leur dire la vérité les aurait fait souffrir bien plus encore. Il ne leur avait rien fait, il ne méritait pas leur haine. Et Yséïs avait tort sur un point ; il ne les trahissait pas eux, il trahissait la tour.
Le flacon de verre brunâtre couina à son ouverture. Alimë compta les gouttes. Une. Deux. Trois. Quatre. Cinq. Six. Six petites sphères bleutées qui se noyèrent dans la substance translucide du tube à essai.
Parfois, le petit assistant se demandait pourquoi Seth se démenait tant pour défendre les Aïdenons. Il n’en était pas un lui-même, et pourtant il envoyait des agents aux quatre coins du continent pour les sauver. Des agents d’interventions, qui dérobaient, détruisaient ou sauvaient. Des agents infiltrés, comme lui, qui fournissaient les informations. Et des intermédiaires, comme Ys, ces Aïdenons aux pouvoirs très particuliers, permettant la communication entre les informateurs et la base de l’organisation. Mais Seth, lui, n’était rien de tout cela. Il était un pilier, un père, un frère, un chef. Il était un ami, celui de toutes ces personnes à qui il avait donné une raison de vivre. Mais pourquoi ?
Et puis Alimë revivait ses sourires. Ses encouragements, ses hochements de têtes, graves, approbateurs. Il revoyait cette énergie qu’il posait, dans son cœur à lui, petit garçon aux cheveux de paille. Alors, il lui semblait comprendre. Ses yeux pouvaient comprendre. Son cœur pouvait comprendre.
Les petite mains habiles du garçon manipulaient tubes, pipettes et flacons de verre. Gestes mesurés, habituels. Trois ans plus tôt, il n’avait pas encore acquis cette aisance, mais les tremblements de ses mains s’en étaient allés, petit à petit. À présent, la tour aurait pu s’effondrer sans qu’il ne laissât une seule goutte d’une quelconque substance tomber à terre. Une seule chose peut-être aurait pu l’inciter à lâcher le ballon jaugé qu’il tenait à l’instant.
Celle qui se produisit à cet instant.
Les yeux écarquillés, le petit assistant fixait le fond du récipient diaphane. Il savait trop bien ce que cette couleur rouge signifiait. Mais… mais c’était impossible.
– Docteur, vous devriez venir… parvint-il à peine à articuler.
Levant les yeux de ses propres expériences, le Docteur Lestrange se tourna vers son assistant. Sa chaise racla le sol carrelé lorsqu’il se leva et avança à grands pas vers le plan de travail, au-dessus duquel Alimë tenait la substance empourprée. Il parcourut les notes du garçon. Observa le ballon. Relut les notes. Observa à nouveau ce rouge dansant dans le récipient de verre.
– Sohon, vous savez ce que cela signifie ?
Alimë ouvrit la bouche, mais aucun son ne franchit ses lèvres.
– La magie… - le docteur déglutit - la magie est un être vivant. À part entière.
º • · .•. · • º
Assis au bord, j’observe la pierre. Ma mère aux yeux d’orage me l’a donnée, ce matin. Un éclat de ciel nocturne.
Elle l’a accrochée à un cordon de cuir, ma mère aux yeux de tempête. Et ses mains l’ont fait passer autour de mon cou, le cordon de cuir, comme un petit serpent docile. Elle m’a dit : “Pour que tu retrouves la maison, un jour.”
Elle est si belle, la pierre de ma mère au yeux de foudre. C’est comme une nuit dans une prison de verre. C’est comme une étoile qui brille sous le soleil.
Je ne sais pas d’où elle vient, cette pierre bleu de nuit. Lorsque je l’ai demandé, à ma mère aux yeux de pluie, elle ma répondu : “De mon cœur, mon petit soleil.”
Je souris. J’aime cette réponse.
Lznmagie est vivante? Ça pourrait expliquer pourquoi elle n'aime pas l'eau.
Les réflexions qu'il se fait sur la trahison me font penser aux espuons sous légende. Si tu n'as pas du tout lu ou vu de contenu sur le sujet, je te conseille de jeter un oeil au concept et aux témoignages d'espions qui ont vécu des situations similaires, pour étoffer son ressenti <3
J'ai oublié une coquille dans les chapitres d'avant :
"expériences que l’on lui infligeait,", il y a un l' en trop
Merci aussi pour la petite faute :)
Remarques tout au long du texte :
« Blanc. Blanc. Blanc. Voilà. Voilà ce que l’on pensait en pénétrant dans ce laboratoire de recherches du bout du couloir.
Mais ce matin-là, assis sur une chaise du laboratoire, Alimë pensait à tout autre chose. » —> Je trouve la liaison de ces deux paragraphes très habile ! On passe très facilement de la description de la pièce aux pensées d’Alimë.
« Celui dont tous voulaient entendre parler.
Celui dont il ne devait pas parler.
Celui dont il avait oublié de parler. » —> Un joli rythme ternaire qui met en évidence un sujet difficile pour Alimë. Ces trois phrases de sens très différents montrent à quel point Alimë est tiraillé dans son rôle d’informateur !^^
« L’herbe, le sable, la petite maison de pierres qui avait été la sienne. » —> Hum, hum, hum, cela nous rappelle un passage du début…
« Six petites sphères bleutées qui se noyèrent dans la substance translucide du tube à essai. » —> Très satisfaisante, cette phrase. Ça donne le même sentiment que quand on réussit enfin un labo de chimie. :)
« À présent, la tour aurait pu s’effondrer sans qu’il ne laissât une seule goutte d’une quelconque substance tomber à terre. » —> Hi hi, j’aime bien cette phrase, ça appuie très bien la maîtrise de ses gestes.^^
« – La magie… - le docteur déglutit - la magie est un être vivant. À part entière. » —> Arg révélation ! Par contre, je n’ai pas bien compris si on devait comprendre son raisonnement avec la couleur rouge. Parce que je n’ai pas du tout compris, à part le fait qu’il révélait une substance par réaction chimique.
« Assis au bord, j’observe la pierre. Ma mère aux yeux d’orage me l’a donnée, ce matin. Un éclat de ciel nocturne. » —> J’adore ce nouveau paragraphe, il est très inattendu !^^ Et les « yeux d’orage », c’est trop beau ! J’aime aussi que la métaphore des yeux évolue tout au long du passage !
« J’ai souri. J’aime cette réponse. » —> Je m’excuse de terminer par un commentaire négatif, mais j’ai été un petit peu déstabilisé par les temps des verbes. On dirait qu’il sourit avant d’aimer les réponse. Personnellement, j’aurais mis du présent dans les deux phrases, mais après, je ne sais la suite de l’histoire, peut-être que cela joue mieux comme tu as mis. :)
Voilà voilà, j’attends la suite avec impatience !^^
“Je trouve la liaison de ces deux paragraphes très habile ! On passe très facilement de la description de la pièce aux pensées d’Alimë.”
>> Super, j'avais peur que ce ne soit pas fluide, donc tant mieux si ça fonctionne !^^
“Ces trois phrases de sens très différents montrent à quel point Alimë est tiraillé dans son rôle d’informateur !^^”
>> Merciii, ces phrases reprennent aussi le rythme ternaire de sa première rencontre avec le sujet B2 - 85 - 09 :
“LA cellule B2 – 85 – 09.
Celle dont tout le monde avait toujours parlé.
Celle dont il avait l’interdiction de parler.
Celle dont il parlerait bien trop.”
“Hum, hum, hum, cela nous rappelle un passage du début…”
>> Je ne vois pas du tout de quoi tu parles... hum hum...
“Hi hi, j’aime bien cette phrase, ça appuie très bien la maîtrise de ses gestes.^^”
>> Merci ! :))
“Arg révélation !”
>> Hihihi super si la petite révélation fonctionne^^
“Par contre, je n’ai pas bien compris si on devait comprendre son raisonnement avec la couleur rouge. Parce que je n’ai pas du tout compris, à part le fait qu’il révélait une substance par réaction chimique.”
>> Alors, il n'y a pas besoin du tout de comprendre la réaction, par contre au sujet de la magie, je détaillerai par la suite.
“J’adore ce nouveau paragraphe, il est très inattendu !^^”
>> Oh trop chouette^^
“Et les « yeux d’orage », c’est trop beau ! J’aime aussi que la métaphore des yeux évolue tout au long du passage !”
>> Oui, moi aussi j'aime bien l'idée hihi, j'avoue que je ne sais même pas d'où ça m'est venu...^^'
“Personnellement, j’aurais mis du présent dans les deux phrases, mais après, je ne sais la suite de l’histoire, peut-être que cela joue mieux comme tu as mis. :)”
>> Ce que je voulais dire était en fait qu'il souriait sur le moment, avec sa mère, et qu'il aime cette réponse - vérité générale. Mais tu as raison, du présent ira bien aussi, et cela évitera des malentendus :)
À bientôt^^