Chapitre 9

Notes de l’auteur : Mmmmh on attaque une partie de l'histoire qui me donne du mal : j'ai l'impression de très mal rendre l'état de sidération et de culpabilité qu'on peut ressentir en cas de situation stressante ou de harcélement. Idem pour ce sentiment confus qu'il ne faut pas en parler aux adultes. C'est un chapitre que j'ai réécris déjà deux fois mais qui ne me donne toujours pas satisfaction.
N'hésitez pas si vous avez des remarques à faire sur le sujet ! Et sur le chapitre en lui-même ^^

Comme d'hab, les mots suivis de chiffres indiquent qu'il y a une note de bas de page !
Bonne lecture !

Okay.

La semaine qui vient de s'écouler est tout en haut du top 10 de mon enfer personnel.

Pour contextualiser, il s'en est passé quinze, depuis le week-end chez mes parentes. Et si les neuf premières n'ont pas toujours été agréables, et les six suivantes tout en bas de l'échelle des bonnes semaines, celle qui vient de passer a été une pure horreur. Émotionnellement et mentalement parlant.

Réfugiée dans les branches du Néré, cachée par ses feuilles et par ses fleurs, bien à l’abri dans mon sort de silence et d'invisibilité, je laissais aller ma frustration, ma colère et ma peine en hurlant très fort en direction du sol, la tête entre les jambes. Dans d'autres circonstances, j'aurais peut-être pensé à hurler dans un récipient, ou dans un tissus, afin d'emprisonner l'énergie des émotions à l'intérieur, mais le tourbillon de mes émotions était trop fort pour me permettre de penser de façon aussi rationnelle.

Évidement le hurlement ne tarda pas à s'accompagner de larmes, qui me secouèrent aussi fort qu'un tremblement de terre. Bonjour les courbatures à venir... mais sur le moment, ça non plus je n'y pensais pas : J'avais besoin d'évacuer.

D'évacuer vite.

Fort.

Et sans aucune retenue ni égards pour qui que ce soit.

Je ne sais pas combien de temps je restais comme ça.

Suffisamment longtemps pour que la nuit tombe, assez pour que les larmes finissent par être remplacées par de simples soubresauts d'épuisement et de peine.

Autour de moi, le Néré s'était légèrement illuminé de magie, ses grosses fleurs baignant ma détresse d'une lumière rouge douce pour les yeux. D'un revers de main fatigué, j'essuyais ces derniers, ainsi que mon nez que j'avais renoncé à moucher depuis un moment.

Autant vous dire que je devais avoir une tronche affreuse.

Et que je m'en foutais.

Décharger sans retenue m'avais fait du bien.

Ça n'avait rien réglé, clairement, mais au moins, ma tête n'était-elle maintenant plus lourde que de déshydratation et de fatigue. Et non plus de peur, de peine, de colère et d'angoisse.

Je me dépliais lentement, raide d'être restée recroquevillée si longtemps, et m'adossais au tronc de l'arbre en fermant les paupières. D'un soupir, je libérai ma magie, qui pétilla piteusement autour de moi avant d'aller jouer sur les feuilles dans l'espoir de me tirer un sourire. Ce qui fonctionna lorsque je fis l'effort de rouvrir les yeux pour la regarder faire.

Je tendis la main pour qu'elle vienne s'y blottir, ce qu'elle fit immédiatement, me baignant de sa bienveillance et de son réconfort.

- Merci..., soufflais-je, sincèrement reconnaissante.

Je la sentis frissonner à la lisière de mon esprit, puis elle se fondit dans ma paume, retournant se loger au creux de mon sang et de mes os, réintégrant mon essence même. Chaude. Rassurante. Loyale.

Avec un profond soupir, j'obligeais mes muscles à se relâcher, puis mouchait enfin mon nez obstrué.

Plusieurs fois.

Enfin libre de respirer normalement, je caressais l'idée de rester dans mon arbre jusqu'au matin, mais le froid de la nuit m'incita à descendre en quête des couvertures qu'Amari et moi avions laissées dans le nid aménagé entre les racines du Néré.

A ma grande surprise (et à ma grande horreur aussi à l'idée d'avoir été observée ou entendue), j'y trouvais justement Amari.

Et Lassa'h.

Avant que j'ai pu décider quoi que ce soit, comme leur dire de partir ou en coller une à mon ex-binôme, mon amie m'attrapa par le bras et me traîna jusqu'à ce qui nous servait de table, sur laquelle reposaient un théière fumante et des tartines d'houmous. Ainsi qu'une énorme boîte de mouchoirs. Je m'assis sur son ordre, et me retrouvais bientôt emmitouflée dans un plaid avec une tasse de thé chaud dans les mains.

- Ne t'énerve pas Eden. C'est moi qui ai dit à Lassa'h qu'iel avait intérêt à ramener ses fesses s'iel ne voulait pas que je les lui bottes.

Je leur lançais un regard que j'aurais voulu noir, mais qui était seulement épuisé.

- Laissez-moi tranquille. J'ai pas envie de vous parler.

Ni de les voir d'ailleurs.

En particulier cexte enfroiré.es de Lassa'h.

Mais Amari m'ignora superbement, s'asseyant plutôt en face de moi pour pousser les tartines dans ma direction. Docile, j'en piochais une pour la mâchonner, signifiant ainsi mon refus de parler tout en acceptant son réconfort alimentaire.

- Ne parle pas alors. Mais je refuse de te laisser toute seule.

- Pareil pour moi.

Que Lassa'h renchérisse sur la question me pris au dépourvu, mais je préférais lea toiser jusqu'à ce qu'iel détourne les yeux, et continuer de mâcher ma tartine. Iel s'installa aux côtés d'Amari, tête basse. Trop au bout de ma fatigue pour me sentir embarrassée qu'iel me voit avec le visage dans cet état, et encore complètement remontée contre ellui, je laissais faire tout en l'ignorant.

Puis le houmous et le thé étaient bons.

Et me faisaient indéniablement du bien.

Je reniflais un peu, me mouchais de nouveau, et terminais ma tasse de thé, qu'Amari s'empressa de remplir sous le regard attentif de Lassa'h. J'avais la vague impression qu'iel prenait mentalement des notes sur la façon de réconforter quelqu'an, mais n'avais plus assez de ressources pour lui faire remarquer que c'était vraiment an biel enfoiré.e de faire ça maintenant, alors que tout était de sa faute !

Là tout de suite, je lea détestais.

- Je suis fatiguée, Amari...

Mon amie me sourit doucement.

- Je sais (elle tendit la main, et je la laissais me tapoter le bras au travers de la couverture) je te dirais bien que ça va passer, mais c'est pas ce que tu as envie d'entendre, hein ?

- Non (je reniflais) j'ai envie de t'entendre dire que ce sont toustes des crons.

- Ce sont toustes des crons.

J'avais envie d'ajouter que Lassa'h aussi, mais m'abstins : j'avais récupéré assez de bon sens pour savoir que ça n'apporterai rien à la situation.

- … j'en ai été an aussi Eden... je crois.

Je lui accordais un rictus dépourvu d'humour.

- Sans déconner. T'en est toujours an, pour info.

Sans surprise, iel ne baissa pas les yeux de honte cette fois mais hocha simplement la tête pour confirmer mes dires. Et je senti avec lassitude ma colère se transformer en ressentiment. Pourquoi fallait-il que ça fasse toujours ça quand mon énervement lea concernait ?! Son comportement avait été plus que puant, j'aurai dû pouvoir rester furieuse contre ellui !

Alors que je réfléchissais à une réponse qui lui donnerai l'impression de ne pas s'en sortir à si bon compte, iel sorti de sa poche deux petites pierres dont émanaient la magie caractéristique de son sort de froid. Sans un mot, iel les posa à portée de mes mains, et je m'empressais d'en appliquer une sur ma tempe pour soulager le mal de crâne causé par les larmes. Ne pouvant, et tenir ma tasse, et appliquer l'autre pierre sur mes yeux gonflés en même temps, je laissais ces derniers à leur état déplorable pour l'instant.

- Merci, marmonais-je1.

- C'est le moins que je puisse faire. Avec le fait de te présenter des excuses. Même si je sais que ça ne changera rien à ce qu'il s'est passé...

Et je savais qu'iel en pensait le moindre mot de façon tout à fait littérale.

Le silence tomba sur notre petit groupe, nous enveloppant d'un calme bienvenu. Le vent soufflait dans les branches du Néré, agitant ses fleurs et faisant danser la lumière de ses fleurs sur le tronc autour de nous. Les bruits de l'école ne nous parvenaient pas. C'était comme si mon sort de silence s'était étendu à toute la zone.

Bercée par le son du vent dans les feuilles, apaisée par le thé, le ventre plein de houmous et la bouche pleine de saveur, j'osais laisser aller mon esprit en direction de ce qui avait provoqué mes larmes...

 

Les premiers jours après le week-end à La Rochette avaient été chargés : à peine arrivé.es à l'école, le dimanche soir, nous avions dû affronter chacan de notre côté nos colloc curieu.ses de connaître la suite. A la mine préoccupée de Lassa'h lorsqu'iel utilisa pour la première fois la porte liant sa chambre à notre salon, en fin de semaine, sa discussion à ellui ne s'était pas très bien passée...

Cependant, iel refusa d'entrer dans les détails, se contenant de se présenter à Amari, d'apprécier sincèrement la déco de notre lieu de vie, et de me demander si j'avais reçu la même convocation qu'ellui. Ce à quoi j'avais pu répondre par l'affirmative : la professoresse Huamaní souhaitait nous voir dès le lundi suivant, dans le bureau de lea directeurice, et ce, directement après la fin de nos cours respectifs. S'en était suivie une journée plus ou moins tranquille (Lassa'h et moi étant chacan à l'autre bout de l'école pour nos cours spécialisés), puis une soirée entière à manger de la paperasse, signer des trucs, écouter des instructions, prendre des notes, et autres joyeusetés liées à la mise en place du projet de recherche.

Projet de recherche, auquel la professoresse avait donné un nom à rallonge2, mais que nous nous contenterions vite d'appeler entre nous le « projet B » (pour Projet Binôme. Ouais, pas très original, mais facile à retenir).

Le protocole de départ était plutôt simple : réunir des binômes aux spécialités pas forcément compatible mais de préférence complémentaires afin de les faire vivre et travailler un maximum ensemble. L'idée étant d'observer s'il y avait des influences entre les magies des élèves, mais aussi de développer des cours transverses permettant d'atteindre un niveau égal dans chacune des magies.

Chaque binôme formé se verrait ensuite attribué une amulette sensée transmettre tout un tas d'informations à la prof, mais aussi mesurer les fluctuations de nos sorts lorsque nous les pratiquions, que ce soit en solo ou à deux. L'objet (plutôt joli, je dois dire) devait être porté en permanence, de préférence au contact de la peau, ou à minima non loin de notre cœur. J'eus vite fait d'attacher la mienne à une chaîne que je passais autour de mon cou. Lassa'h, ellui, se l'attacha au poignet de la main gauche.

Les choses commencèrent à se corser un peu lorsqu'on entra dans les détails de l'organisation du projet : la professoresse Huamaní avait pour objectif de réunir une vingtaine de paires, dont au moins 5 comprenant les seul.es élèves à l'équilibre, soit Amari, Arën, Sol, Aigna et moi. En raison de nos amitiés respectives, Lassa'h et moi fûmes chargé.es de recruter les deux premiers, tandis que la professoresse et monestre Thaïs iraient parler du projet à Sol et Aigna.

Heureusement pour nous, ce ne fut pas trop dur de convaincre Amari et Arën... Amari parce que le projet l'enthousiasmait au plus au point, Arën... probablement parce que ça lui permettrait de passer plus de temps avec Lassa'h. J'avoue que cette idée me nouait les tripes, mais je n'y pouvais pas grand chose : mon crush était en crush sur quelqu'an d'autre, point barre.

Et penser au fait que le dit crush de mon crush en avait probablement3 un sur moi n'aidant pas, je décidais d'oblitérer ce fait jusqu'à nouvel ordre.

Surtout qu'en parallèle, dûmes aussi commencer les premiers exercices en duo avec Lassa'h, en plus de nos cours respectifs, de nos travaux de recherches personnels, des projets à rendre, et du fait de devoir parler aux autres élèves du projet. Ce qui nous amena à passer beaucoup, beaucoup, de temps ensemble.

Ce que j'ai énormément apprécié, en toute honnêteté : Lassa'h est une personne brillante, à bien des égards, et réellement intéressante (autant qu'Amari, c'est dire!), ce qui rendit nos cessions de travail et moments passés ensembles particulièrement agréable. Je pense que j'ai plus compris à son contact en six semaines de discussions et d'expérimentations qu'en un an de cours et d'auto-formation.

Autant d'indices que la démarche de la professoresse Huamaní était loin d'être idiote.

C'est ainsi que les trois premières semaines passèrent à toute vitesse, jusqu'à un vendredi après-midi où, en sortant de cours, j'eus une sale impression de déjà vu : foule dense, Amari éloignée de moi par le flot des élèves, visages bizarrement hostiles et bousculades. Plutôt que de rester à subir (ou risquer de me faire de nouveau embarquer dans une classe vide), je décidais de me replier dans la salle de cours qu'on venait de quitter pour attendre que le plus gros des élèves se disperses, puis fonçait dans ma salle suivante, nous sans devoir esquiver un ou deux sort de culbute « abandonnés » dans le couloir.

La journée s'étant finie sans plus d'incidents, je décidais de ne pas en parler à Amari, et enfilait le tunnel du week-end sans avoir le temps de respirer : contrairement à la plupart des écoles classiques, chez nous, le week-end n'est pas synonyme de repos, mais de boulot. J'enchaînais les exercices pour le projet B, quelques heures à la bibliothèque pour mes propres recherches, deux repas avec Lassa'h pour discuter et échanger des informations, et beaucoup de temps pliée en deux sur mon atelier à bosser pour préparer ma semaine.

Semaine qui tourna à la catastrophe dès le jour deux, soit celui où nous fûmes enfin le bon nombre de binômes dans le projet B.

Toute la dynamique des exercices et cours s'en trouva bouleversée. Ça avait déjà été le cas, quand on était passé.es d'un duo à six duos qui devaient pratiquer et apprendre au même endroit, mais avec une seule professoresse, mais à présent que l'échantillon du projet était complet, nous étions 40 dans la salle de classe. Si au début, Lassa'h et moi ayant un peu d'avance, nous pûmes nous concentrer sur l'angle prioritaire qui nous avait été donné (à savoir, permettre à Lassa'h de se connecter à sa petite magie), il nous fallut cependant rejoindre les autres assez rapidement lors des cessions où nous étions toustes ensembles, pour les exercices de groupe de la première semaine.

Sur le papier, ces derniers semblaient assez faciles : les élèves les plus égaux dans leurs magies devaient faire démonstration d'un sort dans chaque domaine, puis leur binôme avait pour mission de reproduire les sorts au plus proche possible, puissance magique et qualité de sortilège comprises. Ensuite tout le monde commentait et notait ses observations, partageait ses notes, donnait des conseils, offrait des solutions, le tout dans un joyeux birdel très enrichissant pour l'esprit. Mais aussi, petit à petit, dans un certain malaise que je ne parvenais pas à m'expliquer.

J'avais finis par ensorceler un de mes stylos pour qu'il prenne des notes en même temps que je maintenais mon sort d'enregistrement, afin d'être certaine de ne rien rater des échanges. Que je passais d'ailleurs une partie de mes soirées à relire et compiler par la suite... même lors du week-end suivant, lorsque j'allais chez mes parentes pour pouvoir relâcher la pression sur ma magie.

J'y allais accompagnée de Lassa'h et d'Amari, et n'ayant pas vraiment de raisons (à mes yeux) de rapporter ce qu'il se passait dans les couloirs ou en cours, je leur demander de passer le tout sous silence pour mieux profiter du confort et du repos apporté par ma maison, ma famille, et les longues discussions que Lassa'h aimait avoir une fois la nuit tombée...

Mais aussi des papouilles insistantes du Bakeneko, qui pour le coup, boudait un peu man camarade, à son grand chagrin (et à mon petit plaisir égoïste) ainsi que de ma majorité clanique toute neuve. Je vous passe les détails, mais il est possible que nous ayons touste fait une overdose de sucre ce week-end là. On ne marque pas vraiment les anniversaire dans ma cellule familiale, sauf les très importants. Dans ce cas là, Moune met les petits plats dans les grands, invite la moitié du voisinage, s'arrange pour qu'il y ai de la musique à danser jusque tôt le matin, et réserve à touste le monde sa tisane spéciale digestion pour le lendemain.

Pourtant, je gardais la sensation diffuse que quelque chose n'allait pas.

C'est justement en étudiant ces transcriptions un soir de la septième semaine que je mis le doigt sur un début de réponse : je me trompais peut-être, mais j'avais l'impression que lorsqu'il s'agissait de Lassa'h et moi, les critiques étaient plus nombreuses que les encouragements, notamment me concernant. S'il y avait quelques bonnes idées pour permettre à man binôme de s'améliorer dans les domaines où iel était moins doué.e que moi, ce qui revenait la plus part du temps, c'était que j'étais mauvaise pédagogue, trop obscure dans ma pratique, pas assez claire dans mes explications, voire que j'avais l'air de vouloir piéger Lassa'h.

Cette découverte me sidéra.

Puis me déprima.

Et finit par m'envoyer faire une razzia de sucre à la cafet.

Est-ce que j'étais vraiment aussi nulle ?... Et Lassa'h qui subissait ça sans rien dire ! Qui acceptait de faire des recherches et des exercices complémentaires avec moi, posait des questions et s'acharnait concernant la petite magie, alors même que nous n'obtenions pas vraiment de résultats...

Autant vous dire que je ne dormis pas beaucoup cette nuit là.

Cloîtrée dans ma chambre, entourée d'emballages vides et de feuilles volantes, je passais des heures à essayer de cibler mes erreurs, remettre en question ma façon de faire, construire un plan d'enseignement... pour essayer de prendre en compte toutes les remarques faites durant les expériences, et améliorer nos performances.

Le lendemain, la gueule de travers et le moral en berne, je coinçais Lassa'h dans le couloir menant à sa chambre pour lui demander de manger avec moi le midi, afin que nous en discutions. Puis, sans un salut ni rien, ni à ellui, ni à Arën et Yriel qui l'attendaient plus loin dans le couloir, je filais en classe. A la pause médiane, sitôt mes cours spécialisés finis, j'allais lea récupérer à la sorti des siens, ou iel se trouvait en grande conversation avec Arën. Je dû poireauter presque vingt minutes avant que leur échange s'achève, ce qui n'améliora pas mon humeur. D'autant que je captais deux ou trois fois mon prénom dans la discussion, mais sans arriver à comprendre à quel sujet.

C'est peut-être l'un des pires trucs qui peut arriver à an ado : comprendre qu'on parle d'ellui, mais sans pouvoir entendre de quoi il s'agit. Ajoutez à cela le fait que la discussion a lieu entre deux personnes que l'ado apprécie (pire, qu'iel apprécie BEAUCOUP pour l'un, et dont iel est encore un peu amoureux pour l'autre4)... pas besoin de vous faire un dessin : j'étais à deux doigts de leur rentrer dans le lard en leur demandant de parler plus fort, histoire que je puisse participer à la discussion me concernant, lorsque man binôme salua son coloc pour me rejoindre. Avec le manque de sommeil et la paranoïa hormonale, ça la situation avait cependant réussi à achever mon moral.

Quand je demandais à Lassa'h de quoi il retournait, iel haussa les épaules en répondant un simple « Projet ESAMBOM » (Lassa'h est lea seul.e, avec Aigna et la prof à utiliser l'acronyme complet). Obligée de me contenter de ça, histoire de ne pas passer pour une grosse reloue parano en lui demandant des comptes sur ses conversations, je lea guidait à la cafet, puis dehors, pour profiter de l'ombre du Néré et de la pause médiane pour lui présenter le résultat de ma nuit blanche.

A bien y réfléchir, c'est à partir de ce moment là, que c'est vraiment parti en cacahuète...

Même si j'avais dû souffrir d'avanies mineures pendant les dernières semaines...

Parce que les racines du Néré ne sont pas visibles depuis l'école.

Parce que cette zone est difficile d'accès et globalement protégée depuis qu'Amari et moi l'avons découverte.

Parce qu'on s'y est isolé.es avec Lassa'h.

Pour parler travail. Cours. Projet B. Avec un casse-croûte pris à emporter.

Avec ma gueule et mon humeur de travers.

Avec la fatigue qui m'a fait accepter la main de Lassa'h lorsqu'iel me l'a tendue.

A ce moment là, j'ai senti l'odeur des fleurs. Le forsythia, et l'autre, celle que je n'avais toujours pas identifiée mais qui planait de temps en temps près de Lassa'h. Mais aussi celle plus âcre de la vesse-de-loup5. C'est vrai que j'aurai pu le prendre en compte. Entendre l'avertissement. Ne pas laisser Lassa'h m'attirer contre son torse pour poser son autre main sur la nuque, le temps d'y appliquer un léger sort destiné à soulager mon épuisement. Ne pas me permettre de poser mon front contre sa poitrine.

Ou en tous cas, ne pas le faire en dehors de la sécurité relative du Néré.

Sur le moment, il ne s'est rien passé, de même que le week-end, où je me rendis seule chez mes parentes cette fois, Lassa'h ayant plusieurs dossiers à rendre. Mais dès mon retour à l'école, ma vie a commencé à basculer vers ce qui allait devenir un véritable enfer.

Pour commencer, les affichages magiques se sont soudainement mis à afficher un peu trop souvent des vidéos sur lesquelles j'apparaissais (de préférence dans une situation ridicule, ou en train de crier sur Lassa'h dans la cafet).

Ensuite circuler sur le périf est devenu un parcours du combattant : s'il arrive plusieurs fois dans l'année que des pièges magiques relativement inoffensifs y soient posés, histoire de challenger les élèves, la pose de pièges ciblés, elle, est beaucoup moins courante. Au bout de la quatrième fois à désamorcer une nuée (soit un sort provoquant un nuage de quelques chose de désagréable [poils à gratter, mouches, substances gluantes...]), je pris le plis de passer par d'autres couloirs, quitte à risquer d'arriver en retard en classes.

Ou de faire des rencontres déplaisantes.

Ce qui arriva le jeudi soir de la semaine suivante6. Honnêtement, je ne me souviens pas de grand chose : du bruit, des lumières, la sensation désagréable d'un sort d'étourdissement. Quand j'ai rouvert les yeux, j'étais étalée dans un couloir désert, avec un mal de crâne atroce, des lunettes en morceau et l'impression d'être passé sous un train. On avait éparpillé mes affaires sur le sol, heureusement sans plus de dégâts que quelques feuilles froissées. Par contre, quelqu'an avait jugé intelligent de taguer sur mon t-shirt, avec une substance collante, le mot Haga7...

A la texture et à l'odeur, je su que mon vêtement était fichu.

J'appris plus tard par Amari que, suite à l'agression, j'étais apparemment rentrée directement à notre chambre, abandonnant affaires et t-shirt dans le couloir...

Je sais que j'ai fais un bref séjour à l'infirmerie, que deux professeuroresses m'ont interrogée, qu'il y a eu un grand discours de la part de Monestre Thaïs le vendredi, à propos de harcèlement scolaire et de l'interdiction d'utiliser la magie à l'encontre d'autres élèves. Il paraît que l'assemblée a même eu le droit à un laïus sur le fait que discriminer quelqu'an à cause de son affinité magique principale était une infraction grave au code de l'école... la bonne blague.

En soit, c'était effectivement le cas (c'est même motif d'exclusion s'il y a prise en flagrant délit), mais vu les opinion de lea directeurice sur la question... vous comprendrez que cette info m'a fait hausser les sourcils.

Pour finir, Monestre Thaïs aurait mis en place un appel à témoin, en promettant une récompense sous forme de point à toute personne qui aurait des informations pour permettre de punir mes aggresseureuses.

Il va sans dire que ça n'a pas marché.

Mais tout ça, on me l'a rapporté : les vingt quatre heures ayant suivie le sort d'étourdissement continuent d'être floues dans ma mémoire. J'étais trop choquée, et trop occupée à gratter les démangeaisons provoquées par la substance ayant traversé mon t-shirt.

Vous vous dites peut-être que ç'aurait été le moment de tout arrêter, d'en parler à mes parentes et de me mettre en retrait... cependant, lorsque je recouvrais un peu de facultés mentales, je décidais de n'en rien faire. Et d'inventer un bobard crédible, genre surcharge de travail, pour ne pas rentrer et esquiver leurs regards inquisiteurs.

Idiote vous dite ? Peut-être... mais sur le moment, ça me paru être une bonne décision : j'étais sonnée mais pas blessée ; les profs étaient au courant de ce qui était en train de se passer (et étaient même intervenu.es!) ; il y avait eu un recadrage concernant le harcèlement magiste... et comme le contrat signé par mes parentes lors de mon admission comportait une section concernant ce genre de risques, l'école n'avait pas de raison de les avertir si je n'en faisais pas la demande8. Quant à la question des déplacements que j'aurais à faire, à la suite de l'agression Amari m'avait immédiatement proposée qu'on fasse un maximum de trajets ensembles.

De même que Lassa'h.

Qui avait eu la bonne idée d'aller récupérer mes affaires, sitôt l'annonce de l'agression parvenue à ses oreilles. Qui avait pris la peine de les inventorier avec Amari, et de placer un petit sort de bouclier sur mon sac, histoire d'éviter que je me fasse de nouveau surprendre par une attaque lancée dans mon dos.

Si la situation semblait lea contrarier, j'avais la vague impression que ça tenait plus au fait qu'on m'embête qu'au fait qu'on prenait du retard dans le Projet, ou qu'iel me servait de garde du corps lors de certains intercours.

Par précaution (et parce que j'étais cramée de fatigue), nous restâmes ce week-end là dans nos salons. D'abord le notre, à Amari et moi, pour m'éviter de trop bouger, puis dans celui de Lassa'h et Arën pour ne pas faire d'inégalité. C'est à ce moment là que je découvris que non seulement mon crush était en coloc avec mon binôme, mais avec Yriel et Aigna aussi. Ce qui expliquait probablement la participation de cette dernière au traquenard dont j'avais été la victime plus tôt dans l'année.

Autant vous dire que j'étais pas super à l'aise... et Amari plutôt fumasse qu'on doive passer du temps avec elleux. Heureusement (et à ma grande surprise, je dois bien l'avouer) iels me présentèrent leurs excuses vis à vis de leur attitude précédente, dès le début du week-end, et nous passâmes deux jours à avancer sur nos devoirs et sur le Projet B en relative bonne entente.

Majoritairement en compagnie de Lassa'h, d'Arën et de Léna, la binôme de ce dernier, d'ailleurs.

A part la visite ponctuelle d'Aigna et de son propre binôme, pour comparer des notes, nous ne vîmes personne, pour mon plus grand soulagement. Je passais ces deux jours sans magie (j'avais déchargé dans ma chambre), dans un état semi végétatif, à écouter les autres parler, manger, somnoler à côté de Lassa'h9, laisser le sort enregistreur d'Amari faire son travail d'enregistrement, et à ne participer aux débats que lorsqu'on demandait mon avis.

Si la semaine qui suivit fut relativement calme grâce à la présence de mes deux accompagnateurices, les choses ne tardèrent cependant pas à déraper de nouveau.

A vrai dire, c'est à partir du mercredi de la semaine neuf que tout est devenue vraiment craignos...

Du moins à mes yeux.

Parce que ouais, dans ma tête dopée aux hormones, il y avait plus grave que de me faire assommer par magie dans un couloir désert, et de me faire harceler en cours : Lassa'h arrêta sans prévenir de m’accompagner dans les couloirs, puis de m'adresser la parole en dehors des cours que nous avions en commun10.

Ensuite, sa porte dans notre salon refusa de s'ouvrir pour moi si je n'étais pas accompagnée d'Amari ou d'Arën.

En fin de semaine, malgré le risque que cela me faisais courir, je décidais de sortir sans la protection de ma meilleure amie, pour rejoindre Arën et Lassa'h à la sortie de leurs cours. Mais lorsque je lea confrontais à propos de son attitude, iel refusa de me répondre, se contentant d'avancer d'un bon pas dans le couloir, visage fermé et cheveux flottants dans son dos. Furieuse, blessée, je me précipitais à sa suite, l'attrapant par le bras pour lea forcer à se retourner.

C'est là qu'iel me repoussa pour de bon.

Par magie.

Alors que toute l'école pouvait nous voir.

Alors que l'odeur inconnue que j'associais à sa petite magie traînait encore sur le t-shirt que j'avais porté durant le week-end où j'avais somnolé sur son épaule...

Son bouclier scintilla brièvement entre nous, jetant sur nos visages surpris un nuage de paillettes tandis qu'il se désintégrait. Iel amorça un mouvement, comme pour me repousser, mais je reculais vivement hors de portée, ma main serrée contre ma poitrine, encore douloureuse du contact de sa magie. Je crois que j'ai pleuré, je ne m'en souviens plus. Mais quelque chose comme de la culpabilité est passé sur les traits de Lassa'h, avant que son expression ne se durcisse.

- Ne me touche pas.

Le ton de sa voix me glaça jusqu'à l'os. Il y avait de la petite magie dedans. Pas beaucoup, mais assez pour que je la détecte. Assez pour que je sente la pression de l'air m'incitant à reculer encore, à m'excuser de mon attitude. Je serrai les dents, refusant d'y céder.

- Ça n'arrivera plus.

Une ombre passa sur le visage de man binôme, qui enchaîna :

- Non. Ça n'arrivera plus.

Puis iel jeta un coup d'oeil par dessus mon épaule avant de prendre une grande inspiration et de déclarer de façon à ce que tout le monde l'entende :

- Tout comme tu vas éviter dorénavant de m'adresser la parole en dehors des cours de la professoresse Huamaní : je n'ai pas envie qu'on nous voit ensemble.

Sincèrement, j'aurais préféré être frappée par Yriel plutôt que d'entendre ça.

Je mentirais si je vous disais que je n'ai pas eu l'impression que le sol s'ouvrait sous mes pieds.

Comprenez-moi : depuis le week-end chez mes parentes et la confession près du ruisseau, Lassa'h et moi avions passé énormément de temps ensemble, dont des temps chez moi, sans le regard des autres. Dans un endroit que je considérais comme intime, et où peu de personnes avant ellui avaient pu mettre les pieds.

J'avais appris à connaître et apprécier sa personnalité, à découvrir sa chambre à l'école, ses plantes, et sa façon toute... personnelle de gérer les relations humaines et son sens de l'humour qui me faisais avoir des crampes de rire. Et iel avait fait de même avec moi, avait pris le temps d'apprendre les coutumes de ma famille, de répondre aux questions de Tamar, de fabriquer des choses avec Rachel et de débattre théologie avec Ilan. Iel avait découvert ma passion honteuse pour les séries romantico-historiques asiatiques, et mon sens du goût absolument désastreux (même si je maintiens que jambon-pâte à tartinée noisette, c'est très bon).

On s'entendait bien. Plus que bien même.

Au point que je commençais à me demander si j'étais pas en train de basculer d'un Club11 à l'autre.

Parce que oui, j'étais tombé amoureuse d'Arën pour son sourire, son caractère et sa façon d’interagir avec les autres (et son physique, je ne vais pas mentir), mais avant l'histoire du projet B, ce dernier n'avait quasiment jamais interagit directement avec moi. On avait eu des cours ensemble, un ou deux TP, et quelques échanges de paroles, comme lors de l'examen de mi-trimestre... c'était tout. Il n'avait jamais ensorcelé une pierre avec un sort de froid pour moi, jamais fais en sorte de me laisser de l'avance parce que ses amix s'étaient mal comporté.es, jamais assuré qu'il y avait un siège libre à ses côtés pour moi en cours, jamais pris le temps de rencontrer et connaître Amari.

Lassa'h, si.

Iel s'était coulé dans ma vie comme s'iel en avait toujours fait partie. Au point que j'avais du mal à réaliser que nous ne nous connaissions que depuis un gros trimestre, qu'iel n'avait pas toujours été à mes côtes, avec son rire qui n'était qu'un souffle amusé et sa façon discrète de sourire, ses remarques sarcastiques et sa prévenance sans fard. Que j'envisageais même de lui reparler du ruisseau... et de lui demander s'iel pensait toujours ce qu'iel m'avais avoué alors...

Oui.

Même si son attitude du début de semaine était aussi incompréhensible que douloureuse.

Ou plutôt... JUSTEMENT parce que son attitude du début de semaine était aussi incompréhensible que douloureuse.

Maintenant que j'y repense, je crois que c'est ça, plus que tout le reste, qui m'avais fait comprendre que, peut-être, j'avais pour Lassa'h plus de l'amitié.

Alors me prendre ces mots en plein visage.

Devant tout le monde...

Après m'être littéralement faite jeter par sa magie...

Je ne sais toujours pas comment j'ai fais pour ne pas me briser en tous petits morceaux sur le sol.

Ramassant les morceaux de ma dignité, je passais mon avant bras sur mes yeux pour en chasser l 'humidité, inspirait profondément, puis plantais mon regard dans le sien, sans lui laisser la possibilité de se détourner.

Moi aussi, je pouvais faire usage de petite magie pour contraindre l'autre quand il le fallait.

- Soit.

Sur ce mot, très simple mais qui pesa entre nous comme une enclume sur un ventre, je me détournais, bousculait Arën qui s'était rapproché de nous, et remontait le couloir aussi lentement et fièrement que possible, sous les regards et les commentaires de cielleux ayant assisté à la scène.

Qu'iels aillent toustes au diable, et tant pis pour le fait que je n'y croyais pas.

 

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1 Ouais, même quand je suis en colère, je suis polie...

2 « Etude sociologique et anthropologique de la magie sous le prisme de binômes opposés magiquement ». Ou ESAMBOM.

3 Le pays du déni est un pays confortable, ok ?

4 Le sourire éblouissant et le cul à vous faire avoir un accident de voiture, vous vous souvenez ?!

5 Champignon assez commun, sans pied ou presque, qui se remplis de poussière en vieillissant. Quand vous sautez à pieds joins dessus, ils explosent et répandent une odeur d’œuf pourrit.

6 Le jeudi de la 8e semaine, si vous avez réussi à suivre mes digressions temporelles.

7 Aubépine, en anglais... c'est une insulte magiste qui vise les mages de cuisine. Traditionnellement, le mot hag désigne une créature magique issue du folklore anglo-saxon et apparentée aux fées, ayant des pouvoirs surnaturels liés à sa nature profonde et pratiquant la sorcellerie liée à la nature. En général on la dit malveillante et dangereuse.
Depuis le retour des magies, les hag sont réapparues, mais en petit nombre, et généralement non loin de villages comme celui de La Rochette.

8 Bon... Techniquement, pas vraiment. Dans les faits, le paragraphe concerne « les blessures survenues dans le cadre des cours pratiques, les expériences académiques, et les couloirs de l'établissement » avec « en lien avec la magie » en sous-entendu mais inscrit nul part. Ayant été agressée dans le couloir... avec de la magie... l'école se trouvait couverte par les petites lignes. A bien y réfléchir, je soupçonne que le fait que je sois (à ma connaissance) être lea premièrx personne de l'histoire de l'établissement à avoir subit un harcèlement aussi poussé, a joué en la faveur de leur décision. Ça fait mauvais genre dans le palmarès scolaire, surtout que leas différent.es directeurices se sont toujours targué.es de proposer un établissement sécurisé de ce point de vue là pour leurs élèves.

9 Et même une fois sur son épaule, je dois l'avouer.

10 Et encore, uniquement pour parler du cours en question, ou du projet B.

11 90% et 10%, vous vous souvenez ?

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