Tandis que tout le monde parlait, que le bruit dans le vaisseau devenait de plus en plus fort et que les cris commençaient à fuser de tous les côtés, Richard MacHolland tentait de se souvenir de cette fameuse Sindy Grassier. Après l’explosion du petit vaisseau de la barmaid, le lieutenant Pierce avait envoyé tout le monde au lit. L’architecte ne s’était pas fait prié : une fois trouvée l’unique chambre où se trouvait un seul lit, il avait fermé la porte et s’était couché. Il s’était endormi comme une masse. A son réveil, il était perdu : où était-il ? Puis les évènements lui étaient lentement revenus en mémoire. Le coup de fil. Le vaisseau spatial dans le jardin. Sa femme par terre au milieu du verre brisé. Puis Mars, et la boîte de nuit. Richie s’était même demandé s’il n’avait pas rêvé toutes ses choses. Du moins, jusqu’à ce qu’il se fut levé, eût ouvert la porte de la chambrette et fut agressé par les voix qui se disputaient à quelques mètres de lui, sur la passerelle. L’architecte avait alors enfilé son pantalon – tout en se jurant de ne plus jamais se trimballer n’importe où en caleçon – et s’était dirigé vers les éclats de voix. Depuis qu’il les avait tous retrouvés, Pierce, Léopold, Grégoire et les deux martiens, Richard ne faisait que rassembler ses souvenirs de Sindy Grassier.
Entre les restes d’alcool dans son sang, l’accumulation des aventures vécues ces dernières heures et le peu d’attention qu’il portait aux gens en général, la tâche n’était pas aisée.
Mais il n’abandonna pas pour autant. Il savait que la jeune femme avait travaillé pour lui, et que son contrat était toujours en vigueur lorsqu’elle avait disparu. Même s’il n’arrivait pas à se remémorer le visage de son employée – hormis les éléments que le lieutenant lui avait fournis qui ne lui donnait qu’une sorte de portrait-robot – Richard ne perdait pas espoir. On pouvait toujours lui reconnaître ça. Son estomac grogna, interrompant le fil de ses pensées : depuis combien de temps n’avait-il rien mangé ? Hormis le rhum et la bière de la veille, il n’avait rien avalé. Richard regarda tout autour de lui. Au cœur du vaisseau, dans la passerelle, les autres tenaient une discussion plutôt animée. Ils levaient les mains et élevaient la voix. En se tournant vers la vitre et en posant les yeux de l’autre côté, dehors, l’architecte se rendit compte qu’ils étaient sur un nouveau parking. Il ne savait pas où il se trouvait. Pas sur Terre, ça c’était sûr. Les gens ne se trimballaient pas à moitié nus sur Terre. Même si Richard n’aurait pas été contre. Là, comme si de rien n’était, de jolies jeunes femmes passaient devant le vaisseau, les seins à l’air. Ce ne fut qu’après avoir observé leur poitrine qu’il se rendit compte de la couleur de peau des habitants de cette planète – au moins, ils n’étaient plus au milieu de nulle part dans l’espace, c’était déjà ça. Un gris pur, anthracite, sur lequel de légères rayures grises et violettes se devinaient. Pourtant, lorsqu’elles n’étaient pas dans l’ombre du vaisseau, Richard aurait parié voir la chair rosée, comme la sienne l’était. Il secoua la tête. Il n’était pas très réveillé, voilà tout. Lorsqu’il tourna de nouveau la tête vers le groupe de jeunes filles, elles avaient bien une couleur de peau normale. Beige pour les unes, brune pour les autres. Mais rien de gris. Encore moins anthracite. Oui, il avait bien imaginé tout ça. Sans demander l’aval au lieutenant Pierce, l’architecte descendit. Après tout, il devait bien en avoir le droit puisque la passerelle était abaissée, non ? Une fois dehors, il fut pris d’un léger tournis.
Bordel, mais c’est quoi ça, furent ses seules pensées.
Il crut tourner de l’œil. Son corps s’habitua finalement à la nouvelle atmosphère de la planète. Il déambula entre les voitures, dans le parking, puis dans les rues. Ici, peu de vaisseaux spatiaux étaient garés. Richard fut rassuré : son intuition était la bonne, ils s’étaient bel et bien posés sur une planète. Laquelle ? Ça, il devait encore le découvrir.
« Lieutenant ? »
De son côté, Magalie Pierce était si concentrée sur son énième relecture du dossier Grassier qu’elle tenait entre les mains qu’elle n’entendit pas Léopold l’interpeller. Elle ne releva pas la tête, et poursuivi sa lecture. Que lui cachait-elle, cette Sindy ? Ses dernières pensées étaient si floues, si centrées sur un homme qui ne la connaissait qu’à peine, Maggie ne pouvait rien en tirer. Entre un consultant inutile et un dossier de trois feuilles, elle sentait l’affaire très mal barrée. Comment résoudre une disparition, un meurtre, s’il n’y avait aucun indice ? aucun suspect ? rien ? Elle en avait mal à la tête, d’entendre toutes ces personnes jacter à côté d’elle sans essayer de l’aider. Et puis, il y avait ce Kay, là. Le garçon qui avait l’air d’un mannequin. Celui qui se tenait droit comme si c’était naturel. Celui dont elle pariait qu’il avait des abdos aussi durs que les murs du vaisseau. Elle savait qu’elle avait déjà entendu ou lu ce prénom quelque part, mais où ? Tout ce bruit… ça ne l’aidait pas à se concentrer sur le compte-rendu des dernières pensées de la jeune disparue. On entamait la troisième journée de recherche, pensa Magalie, trois jours sans nouvelles, trois jours sans indices. Bientôt, elle ne pourrait plus penser qu’il s’agissait d’une simple disparition. Oui, le lieutenant serait bien obligé de se ranger du côté du chef Francis et des Grassier : ce n’était pas une jeune femme qu’il lui faudrait retrouver, mais bien un corps mort, peut-être même déjà en décomposition, voire même découpé ou brûlé. Cette idée lui souleva l’estomac. Non, elle n’abandonnerait pas l’idée de retrouver l’héritière du trône martien bien en vie, sur ses deux jambes, respirant.
« Lieutenant ? appela encore une fois le brigadier. Lieu..
- Quoi ? réagit l’intéressée avec plus de colère qu’elle ne l’aurait voulu. Qu’est-ce qu’il y a Léopold ? se reprit-elle.
- C’est… le consultant.
- Qu’est-ce qu’il a encore fait ? soupira-t-elle, déjà épuisée du comportement dont faisait preuve l’architecte depuis qu’il était arrivé sur le vaisseau.
- Il est… Parti ?
- C’est une question ou une affirmation ? demanda le lieutenant, excédée.
- Il est sorti du vaisseau, lieutenant. Grégoire l’a vu descendre et…
- Et quoi ? Il ne l’a pas arrêté ? Et tu n’as pas eu l’idée d’aller le chercher toi-même ? Bon sang, Léopold ! grogna-t-elle. Tu ne vois pas que j’essaie de comprendre qui est ce Kay et le lien qu’il entretient avec notre victime ?
- Bah… »
Magalie Pierce leva la tête pour plonger ses yeux dans ceux du brigadier. Le petit bonhomme triturait le pli de sa chemise. Lorsqu’il se rendit compte que le lieutenant l’observait et attendait qu’il continue de parler, il baissa purement et simplement la tête. Les pointes de ses chaussures sont plus intéressantes que mon affaire, pensa Maggie.
« Je t’écoute, le relança le lieutenant.
- C’est juste que…
- Que quoi ? Tu vas réussir à le dire un jour ?
- Eh bien… Kay… le brigadier reprit son souffle, se redressa, bomba le torse et toisa Magalie avant de déclarer d’une traite : Kay était le petit-ami de notre victime, ils étaient destinés à se marier dans les prochains mois.
- Pardon ? »
Magalie retourna à son dossier, tourna et retourna les pages dans tous les sens. Non. Il devait y avoir une erreur. Si Sindy Grassier avait eu un petit-ami, ce serait bien noté là, sur le papier, non ?
« Il m’en a parlé hier soir, lieutenant. Je pensais que vous étiez au courant, se confondit aussitôt le brigadier.
- Comment aurais-je pu être au courant si ce n’est même pas noté dans mon dossier ? s’énerva Magalie. Je ne peux pas deviner !
- C’est que…
- Quoi ? »
De nouveau, Magalie avait usé d’un ton plus hargneux que voulu. Cette fois-ci, cependant, elle ne se reprit pas d’une voix plus légère. Non, c’était assez. Alors comme ça, le brigadier en savait plus sur l’affaire que le lieutenant en charge ? N’importe quoi. Elle, elle n’aurait jamais osé se montrer aussi désinvolte avec un supérieur, surtout quand il s’agissait d’un meurtre présumé. Elle, elle était respectueuse et attendait que le lieutenant trouve et comprenne les évidences et les réponses à ses questions. Elle ne disait jamais rien. Et lui, Léopold, le brigadier qui n’arriverait jamais à faire plus que gratte-papier dans sa vie, il osait lui dire comment faire son travail ? Non, pire que ça, il faisait le travail de Magalie. Son travail à elle. Alors que lui son job c’était de s’assurer que le consultant restait à portée de main et qu’ils étaient en sécurité. Il était capable de tout faire, sauf ça.
« Ben…
- On va pas recommencer ce petit jeu, Léopold, le prévint Maggie. Dis-moi ce que tu as à me dire et occupes-toi de ton travail ensuite, ça changera un peu.
- C’est noté juste ici, lieutenant, finit par répondre le brigadier en se penchant pour montrer du doigt une simple ligne qui avait échappé à la vigilance de la jeune Pierce. »
Le lieutenant sentit le rouge lui monter aux joues. Bon Dieu, elle n’en menait pas large à cet instant. Elle repoussa la main grasse de Léopold et lut :
« Kay… chéri, pourquoi tu ne réponds pas à mes appels ? »
Magalie s’énerva d’autant plus lorsqu’elle se rendit compte que la phrase provenait directement des derniers souvenirs enregistrés par la puce. Voilà pourquoi elle connaissait le prénom du jeune homme, au moins tout n’était pas perdu. Magalie remercia son brigadier du bout des dents. Elle en avait oublié son consultant qui était sorti du vaisseau sans permission. Elle relut une fois, deux fois, trois fois, dix fois même le dossier sans comprendre comment elle s’était débrouillée pour passer à côté de ça. Toutes les notes qu’elle avait pris la première fois avaient disparu : les deux pirates de l’espace, les deux idiots dont le petit-ami de la victime faisait partie, avaient décidé de fouiller dans ses affaires et avaient brûlé les quelques indices qu’elle avait déjà récoltés. Aujourd’hui, Magalie repartait à zéro. Et le pire dans tout ça, c’est qu’elle n’avait pas le droit d’inculper les deux zozos : ils étaient sous la protection des Grassier. Et les Grassier, ils échappaient toujours à la justice. Magalie se frotta les tempes. Elle n’avait même pas le droit de les interroger sauf si un membre de la famille royale se trouvait là…
« Oh mais… »
Elle n’avait fait que murmurer ces deux mots. Elle se leva, repoussa précautionneusement sa chaise, puis se dirigea vers les deux martiens qui déjeunaient dans un coin, discutant vivement avec Grégoire. Elle ne chercha pas à comprendre s’il s’agissait de filles, de sport, ou de politique, mais les garçons étaient agités. Le lieutenant débarrassa la table – du moins, elle poussa tout ce qui prenait trop de place à son goût. Elle posa la pochette marquée du tampon « URGENT » sur la table. Son mouvement brusque fit claquer le carton dans un bruit sec qui interrompit les martiens et Grégoire. Ils se tournèrent tous trois vers elle.
« Bien, déclara Maggie. Vous m’écoutez maintenant ? »
Les six yeux qui la fixaient étaient une réponse suffisante à son avis : oui, ils étaient tous pendus à ses lèvres. Magalie lissa sa jupe avec nervosité, plus pour essuyer ses paumes moites contre le tissu que pour le remettre correctement. Elle s’appuya ensuite sur la table, le buste penché en avant et plongea ses yeux dans ceux de Kay. Puis dans ceux de Léon, son père. Elle les toisa longuement sans rien dire. Grégoire, qui en eut assez d’attendre, partit prendre l’air. Léopold, lui, n’était plus dans les parages. Il ne restait donc plus que Maggie, Léon et Kay. Très bien.
« Léon, pouvez-vous me confirmer qu’un arrangement a été signé entre votre famille et les Grassier concernant un mariage entre votre fils et leur fille ? demanda le lieutenant d’une voix calme qui cachait en réalité une appréhension quant à la réponse qui allait venir.
- C’est exact, oui.
- Très bien, répondit simplement le lieutenant qui retint un soupir de soulagement – ainsi qu’un immense sourire –, êtes-vous d’accord pour dire, Kay, que vous êtes de ce fait d’ores et déjà un membre de la famille royale de Mars ?
- Je… Eh bien, je crois que oui, oui.
- En ce sens, puisque vous m’avez confirmé à voix haute et de votre plein grès cette information, il m’est désormais possible de vous interroger. N’est-ce pas ?
- Mon fils n’était pas encore marié à la princesse Sindy, releva le père, soudain tendu.
- Non, il est vrai. Cependant, puisqu’il était lié à elle par un contrat dont vous m’avez vous-même confirmé l’existence, et qu’il n’est pas encore prouvé que la princesse est morte, alors le mariage semble toujours d’actualité, répliqua Magalie. »
Très tôt, Magalie Pierce avait appris à jouer aux échecs. Son père l’y avait forcée, n’hésitant pas à la contraindre à jouer plusieurs heures d’affilés tous les jours jusqu’à ce qu’elle connaisse par cœur toutes les tactiques possibles. A 15 ans, Magalie était la terrienne la plus douée aux échecs. A 17 ans, elle participait pour la première fois au tournoi interplanétaire d’échecs. Elle avait terminé à la deuxième place, son père juste devant elle. Fine stratège, ce furent la logique et la volonté de découvrir l’adversaire qui avaient poussé la jeune femme à s’engager dans la police interstellaire. Aujourd’hui, devant Léon et Kay, Magalie retrouvait cet instinct de gagnante, de grande championne d’échecs, et elle était certaine de connaître l’issue de la partie : elle allait remporter la victoire.
« Etes-vous bien d’accord avec moi ? demanda Magalie, un sourire presque carnassier sur les lèvres.
- Oui, capitula le père du futur prince martien.
- Parfait. Alors, si nous sommes d’accord, nous allons passer en salle d’interrogatoire. »
Sans leur laisser le temps de réagir, Magalie les guida vers une autre pièce du vaisseau, isolée et insonorisée, son dossier sous le bras. Elle avait gagné. Maintenant, il ne lui restait plus qu’à découvrir la vérité sur Sindy. Ou du moins, la vérité sur Kay et le vol de son vaisseau.
« Que voudrez-vous boire avec ça ? demanda le serveur à Richard.
- Une bouteille d’eau gazeuse.
- Très bien, je vous apporte tout ça. »
Le serveur s’éloigna en direction des cuisines. Richard le suivit du regard, désinvolte. Après avoir marché de longues minutes à travers le dédale de rues et ruelles, l’architecte avait fini par se réfugier à l’intérieur d’un restaurant. Il avait dû dormir comme un loir bien plus longtemps qu’il ne le pensait, puisqu’il se faisait déjà l’heure du déjeuner sur cette planète – dont il ne connaissait toujours pas le nom, par ailleurs. Richard avait commandé son entrée et son plat au hasard sur la carte. Il espérait simplement que ce fut mangeable. Et si, en plus, ça pouvait être bon, alors ce serait parfait.
« Monsieur, appela le serveur qui arrivait avec l’eau gazeuse demandée par son client dans une main, et l’entrée dans l’autre. »
Il posa délicatement l’assiette sur la table face à Richard qui était confortablement installé au fond de la banquette. Il n’y avait aucun doute : il se trouvait dans une sorte de brasserie de luxe, bien guindée.
« Ravioles de saumon à l’aneth, récita le serveur après avoir ouvert la bouteille et servit l’architecte. Bon appétit, lui souhaita-t-il avant de repartir. »
Seul face à son assiette fumante, Richard sentit son estomac gargouiller. Il crevait la dalle. Il commença par calmer son estomac avec une gorgée d’eau. Les bulles lui chatouillèrent les papilles. Eh ben, un peu d’eau, ça faisait pas de mal après tout l’alcool ingéré la veille. L’architecte se redressa pour manger. Sa fourchette dans une main, son couteau dans l’autre, il attaqua son entrée. Les ravioles parfaitement cuites s’ouvraient sous sa dent pour en délivrer toutes les saveurs du saumon et de l’aneth. Son estomac arrêta aussitôt d’en faire des siennes.
« … pas d’ici, ça se voit.
- Non, mais tu vas pas lui demander quand même ?
- Bah pourquoi pas ? Regardes-le… Il est pas à sa place ici, ça se voit.
- Qu’est-ce que tu racontes…
- Mais je dis ce que je pense, pour moi ça se voit. »
Richard jeta un coup d’œil aux deux jeunes qui étaient assis à la table d’à côté. Le garçon, assis à son niveau sur la banquette, n’arrêtait pas de répéter des « ça se voit » à tue-tête. Le pire, c’était qu’ils ne se cachaient pas, ni l’un ni l’autre, qu’ils parlaient de lui. Richard retint un soupire. Ils n’étaient pas sur Terre, ce genre de restaurant était beaucoup trop cher pour les petites classes dont les jeunes qui étaient là faisaient manifestement partie. Et puis, jamais ils n’auraient laissé entrer une fille aussi mal habillée qu’elle… Entre ses bottes d’un marron douteux, sa robe qui aurait presque pu être jolie et ses cheveux gras montés en un chignon plus que mal fait, on était loin du comble de l’élégance.
« Tiens, tiens, goûte ça. Tu verras, c’est dé-li-cieux.
- Merci mon amour. Toi, goûte mon plat. »
De l’autre côté, à sa gauche, se trouvait un couple de personne âgées. Endimanchés comme rarement on le voyait, ils s’échangeaient leurs plats et dégustaient tout dans un concert de « Mh » et « Huuum ». Richard se surprit à sourire en les voyant faire.
« Je vous ressers, monsieur ?
- S’il vous plaît. »
Le serveur remplit à nouveau le verre de MacHolland avant de s’éloigner. Richard savait pertinemment qu’il n’avait pas encore beaucoup de temps devant lui avant de devoir retourner au vaisseau ou d’y être simplement ramené de force. Son ventre grogna un coup, le rappelant à l’ordre : il avait autre chose à faire que réfléchir, il devait manger. Richard dévora ainsi le reste de son entrée refroidissante. A peine eu-t-il terminé que le serveur arrivait vers lui tout guindé dans son costume noir et blanc pour débarrasser la table. Richard eut juste le temps de s’écarter pour le laisser faire. Il revint quelques minutes plus tard avec le plat de l’architecte qu’il posa devant lui en déclarant cette fois-ci :
« Ragoût de poulpe et ses crustacés. Bonne dégustation, ajouta-t-il avant de faire demi-tour. »
Richard sentit son estomac se soulever jusque dans sa gorge. Peut-être qu’il aurait dû faire attention à ce qu’il avait commandé, non ? Parce que là…
« Tu vois, je te l’avais dit, il est pas d’ici, ça se voit. »
La jeune fille ne répondit pas à son petit-ami, ne faisant qu’hocher la tête pour approuver. Elle regardait Richard du coin de l’œil, se retenant de se moquer de lui. L’architecte le sentait bien. Il tourna la tête pour la regarder à son tour et lui lança un regard noir qui fit rougir la jeune fille de honte. Elle détourna les yeux et murmura quelque chose au garçon qui demanda aussitôt l’addition. Au moins, Richard serait délivré d’eux. Tant mieux.
« Le plat est à votre goût, monsieur ? demanda le serveur qui était revenu vers lui après avoir débarrassé la table des deux jeunes.
- Bien sûr, mentit l’architecte.
- Prendrez-vous un dessert ?
- Je vais m’en tenir là si vous le voulez bien. »
Sur ces mots, MacHolland repoussa le plat auquel il n’avait pas touché du bout de la fourchette. Le serveur enleva son assiette et ses couverts avant de partir chercher l’addition de l’architecte. Ce dernier, qui savait pertinemment qu’il n’avait pas d’argent sur lui, profita de ce laps de temps pour s’enfuir hors de la brasserie.
« Monsieur ! Monsieur ! Vous avez oublié de payer, monsieur ! »
Richard ne se retourna pas. Il continua d’avancer jusqu’à avoir totalement disparu du champ de vision du serveur – et que l’assiette de poulpe fut à une centaine de mètres de son estomac. MacHolland s’enfonça de nouveau dans les rues. Il déambula ainsi de longues minutes jusqu’à temps de se trouver devant un immense bâtiment. De chaque côté de l’entrée, deux panneaux bleus affichaient :
GRANDE EXPOSITION SUR LES GUERRES TERRIENNES
TEMOIGNAGES, PHOTOGRAPHIES ET ARMES
ENTREE GRATUITE
Les deux derniers mots suffirent à retenir l’attention de Richard qui se mit en tête de visiter cette exposition. Il se dit que c’était l’occasion de voir une partie de la collection d’armes des Grassier : le roi n’avait-il pas dit qu’ils avaient fait un prêt pour une exposition de ce genre ? Si c’était bien le cas, Richard savait désormais sur quelle planète il se trouvait : Jupiter. En comprenant cela, il eut la nausée. C’était belle et bien et la première fois de sa vie qu’il s’en allait aussi loin de Chicago. Lorsqu’il avait été à Pékin quelques années plus tôt, il avait cru faire le plus long voyage de toute sa vie. Il s’était fourré le doigt dans l’œil : aller à l’autre bout de la Voie Lactée, ça c’était le plus grand voyage possible.
« Bonjour monsieur ! s’exclama une adolescente d’une voix enjouée. Je vous en prie, n’hésitez pas à entrer ! L’exposition est gratuite et nous avons reçu des prêts de tous les coins de la galaxie, de la Terre jusqu’à Mars ! »
Sur ces mots, elle tendit un bracelet à Richard en guise de ticket d’entrée. Il l’attrapa, le fourra dans sa poche avant d’entrer dans le musée sans remercier l’adolescente qui accueillait déjà un nouveau visiteur. Les allées du musée étaient pleines à craquer. Richard se fondit dans la masse jusqu’à disparaître complètement.
A plusieurs centaines de mètres de là, au cœur de la salle d’interrogatoire du vaisseau spatial de la police interstellaire, le lieutenant Magalie Pierce reprenait son calme. Et son souffle. Elle avait laissé ses deux suspects dans la pièce, seuls. Elle les observait depuis l’autre côté de la fenêtre teintée : ils ne la voyaient pas mais elle, elle voyait tout. Maggie n’arrivait pas à les faire parler. Kay ne savait rien, ni où se trouvait sa petite-amie ni qui avait commandité ce vol de vaisseau. Léon, lui, il savait. Magalie savait qu’il savait. Et lui, il savait qu’elle savait qu’il savait.
« Il me faut un café, décida Magalie tandis que son esprit commençait à flancher et qu’elle pensait n’importe quoi. »
Elle se dirigea vers la machine à café dans la petite cuisine du vaisseau, laissant ses deux détenus dans la salle d’interrogatoire. Elle se servit une grande tasse du liquide noir fumant. Magalie attrapa ensuite deux sucres. Tout en marchant en direction de la salle d’interrogatoire pour rejoindre Léon et Kay et poursuivre leur interrogatoire, elle plongea le premier sucre dans la tasse. Elle l’observa se dissoudre tout doucement. Avant de pousser la porte, elle remua le café. Une fois assise dans la salle d’interrogatoire, face à Léon et à son fils, Magalie ne prononça pas le moindre mot. Au contraire : elle touilla patiemment son café sans jeter un regard aux deux hommes de l’autre côté de la table. Elle plongea le deuxième sucre dans la tasse en le tenant du bout des doigts. Une fois le sucre suffisamment ramolli, elle le porta à sa bouche et le suça, le tout sous l’œil aguerri de Léon qui fixait le café.
« Ce serait possible d’en avoir un peu ? demanda-t-il en désignant la tasse d’un mouvement du menton.
- Bien sûr, répondit Maggie après avoir suçoter son sucre.
- C’est gentil.
- Mais d’abord… enchaîna Maggie. D’abord, Léon, vous allez me dire pourquoi vous avez volé mon vaisseau.
- Pardon ?
- Si vous voulez du café, alors répondez à ma question. C’est pas bien compliqué, si ?
- Mais…
- Pourquoi vous avez volé mon vaisseau ? réitéra Pierce après s’être délectée d’une longue lampée de café.
- Je ne sais pas.
- Dans ce cas dites-moi qui vous a demandé de le faire. »
Magalie remua le sucre qui s’était agglutiné dans le fond de la tasse. Ensuite, elle avala les deux gorgées de café restantes avant de reposer la tasse juste sous le nez de Léon. Ce dernier soupira en voyant la tasse vide et le regard sans pitié du lieutenant. Il avait bien compris que s’il voulait un peu de réconfort avec le café – et surtout s’il voulait sortir de cette salle d’interrogatoire et de ce vaisseau – alors il devrait se mouiller.
« Alors ? demanda Magalie.
- Je…
- Papa, le coupa Kay. »
Les deux se regardèrent, entendus. Magalie fronça les sourcils. Finalement, le petit Kay n’était pas aussi innocent qu’il paraissait. Le lieutenant s’adressa donc au petit-ami de Sindy :
« Si vous savez quelque chose, alors vous devez me le dire Kay. Il est peut-être encore temps de la retrouver en vie, et les informations que vous détenez, vous et votre père, peuvent m’aider à comprendre ce qui est arrivé à votre petite-amie.
- Je…
- Non, Kay, l’interrompit son père. C’est à moi de parler. Toi, tu ne dois rien avoir à faire avec ça. Ecoutez lieutenant, reprit-il après un moment, je vais tout vous dire.
- Je vous écoute.
- Mais d’abord, il me faudrait du café. »
Magalie le regarda longuement avant de déclarer :
« Marché conclu. »
Les heures passèrent des deux côtés, pour Richard comme pour Maggie. Lorsque la nuit fut tombée sur Jupiter, Léopold et Grégoire venait à peine de retrouver l’architecte. De retour tous ensemble au vaisseau – et une fois la passerelle tout à fait fermée pour que plus personne ne puisse s’enfuir – les garçons tachèrent de retrouver le lieutenant. Cette dernière venait de sortir de la salle d’interrogatoire, épuisée. Elle avait enfin eu des réponses.
« Lieutenant ? On a retrouvé votre consultant.
- Mh.
- Il… il a quelque chose à vous dire, appuya Léopold.
- Ca, j’aurais pu le dire tout seul, répliqua Richie en levant les yeux au ciel. Ecoutez lieutenant, je crois qu’on devrait…
- Retourner sur Mars ? »
Ils se regardèrent un instant. Pour la première fois depuis qu’ils se connaissaient, Richard et Maggie étaient sur la même longueur d’onde.
« Qu’est-ce que vous vouliez me dire ? finit par demander Magalie en sentant le rouge lui monter aux joues.
- Hum, Richard se racla la gorge, le roi, là, Friedrich Grassier, il vous a menti lieutenant.
- Pardon ? souleva Magalie, les sourcils froncés au maximum.
- Le couteau dont il a parlé, là, avec le manche en ivoire ou je sais pas trop quoi. Bah, il est pas à l’exposition comme il vous l’avait dit. »
Magalie explosa de rire. Les garçons l’observèrent, incrédules. Après de longues secondes, elle finit par se calmer et déclarer :
« Eh ben. J’aurai dû m’en douter. Parce que vous savez quoi ? C’est la reine Grassier qui a demandé à ce que le vaisseau soit volé et que les indices soient détruits. »
L’enquête venait de faire un bon magistral : enfin, ils avaient une piste.
Juste quelques petits retours pour ce chapitre haut en couleurs haha. En fait, le synopsis tient très bien la route et la ligne de fond est très bonne. Je pense que le souci tient à deux points dans ton histoire :
- Tu veux trop en faire parfois haha. C'est à dire que les bourdes de Pierce sont juste invraisemblables, surtout pour une lieutenant tout juste promue et une championne d'échecs Oo On a du mal y croire. Pareil pour le personnage de Richard qui est excessif à mon goût
- Et tu veux trop en dire huhu, je m'explique : l'ossature es très intéressante, et je pense que tu veux caler un maximum de choses afin de ne rien oublier. Je pense que tu pourrais faire un vaste élagage pour synthétiser le tout. L'histoire gagnerait énormément en nervosité, suspens et vivacité.
Enfin, voilà, j'espère que ces deux petits points pourront t'aider haha, au plaisir de lire la suite en tout cas
Merci pour ton retour !
Pour les deux points plus négatifs que tu as cité, tu n’es pas la seule à me le dire et c’est bien noté (malheureusement, vous devrez le supporter jusqu’à la fin de ce premier jet je crois bien...). Mais c’est vrai et j’en suis consciente que je veux trop en dire, trop expliquer, j’essaierai de rendre le tout plus vraisemblable en réécriture.
Merci pour ton avis et tes conseils !
Merci pour ton retour !
Pour les deux points plus négatifs que tu as cité, tu n’es pas la seule à me le dire et c’est bien noté (malheureusement, vous devrez le supporter jusqu’à la fin de ce premier jet je crois bien...). Mais c’est vrai et j’en suis consciente que je veux trop en dire, trop expliquer, j’essaierai de rendre le tout plus vraisemblable en réécriture.
Merci pour ton avis et tes conseils !
L'enquête revient en force, et quelle force ! J'avais pas du tout capté qui était Kay au précédent chapitre (en même temps, il n'était pas revenu depuis quelque temps), le retour des Grassier (YES) qui sont toujours délicieusement manipulateurs et salauds, la très bonne surprise de découvrir donc que le vol de voiture n'était pas un évènement isolé, mais bien un point d'intrigue (j'avais un peu peur). Richard est ENFIN utile à l'enquête, remplissant bien son rôle de consultant (parce que jusque là, il était là plus en touriste qu'autre chose).
Plein de questions de posent sur la suite : quelles sont les relations exactes entre Kay et Léon, leurs relations avec les Grassier, le plan des Grassier, le rôle exact du couteau en ivoire (dont j'avais complètement oublié l'existence), le sort de cette pauvre Sindy, est-ce que Leopold va-t-il enfin faire un régime...
Voilà. Continue comme ça... maintenant on va attaquer les points négatifs. Qui sont, j'en ai bien peur, un peu trop nombreux à mon gout.
En premier lieu, Magalie Pierce. Et dire que j'ai adoré ce personnage à sa première apparition... Là c'est simple, je la supporte de moins en moins. Je pense que cela tient en deux mot : incompétence et immaturité.
Elle ne cesse de collectionner les bourdes stupides, pour après complètement se retourner contre les autres. Le passage de l'information manquée sur le lien entre Sindy et Kay est révélateur : bordel, comment elle a pu autant se retourner contre ce pauvre Leopold, pour après ne pas du tout s'excuser ? Comment peut-elle être aussi hargneuse envers Richard, alors que c'est de sa faute si le mec est là, sans surveillance. S'il ne sert à rien, pourquoi elle le garde ? Pardon, si, il sert à quelque chose : sans lui, ils n'auraient pas trouvé le vaisseau volé. Alors pourquoi est-elle toujours aussi immature pour le traiter de "consultant inutile" à tout bout de champ ?
Richard. Parlons-en. Rien à dire sur lui. Si ce n'est que son passage dans le restaurant est... peu utile et inintéressant. Pourquoi décrire autant son repas ? Il ne fait ni ne dit rien de particulièrement marquant, sur l'histoire ou sur lui. Étais-ce pour démontrer le mépris des habitants ? Pour découvrir leur culture ? On aurait pu résumer facilement tout ce passage en un paragraphe, et directement passer à la visite du musée.
Toujours les défauts de surexplications. Par exemple, ce passage : "Qu’est-ce qu’il a encore fait ? soupira-t-elle, déjà épuisée du comportement dont faisait preuve l’architecte depuis qu’il était arrivé sur le vaisseau." Tu pouvais t'arrêter directement à "soupira-t-elle", car toute la phrase de dialogue exprime déjà clairement ce que la suite de ce passage ne fait que re-expliquer bêtement.
Et encore, voici le pire : la phrase finale ! Pourquoi nous dire ça ? Préciser qu'ils ont fait un "bond magistral" dans l'enquête, avec la découverte d'une "piste" ! Mais... mais... on l'avait déjà très bien compris ça ! Fais confiance à tes lecteurs ! Je te conseille fortement d'enlever cette dernière phrase : elle termine tout ce chapitre sur une très mauvaise note pour moi.
Enfin, les incohérences. Quelques trucs mineurs, comme par exemple le fait que Richard comprenne le dialecte local parfaitement (la langue ne change-t-elle pas de planète en planète ?), pourquoi Leopold ne part-il pas arrêter Richard dès qu'il le voit partir, ou encore des petits détails comme le moment où Magalie dit "Bien. Vous m’écoutez maintenant ?" alors qu'elle ne leur parlait pas jusque là...
Le plus important serait l'interrogatoire. Je ne comprends pas pourquoi Léon se met à parler. Il lui suffit de dire "Non, mon fils n'est pas encore marié à Sindy", ce qui est la réalité, et bim, il ne fait pas parti de la famille royale ! Magalie ne fait que mentionner "un arrangement concernant le mariage" : pourquoi Léon assume alors tout de suite qu'il fait parti de la famille royale, et donc qu'il soit obligé de parler ? Les Grassier ne lui font pas peur ? Est-il stupide ? Prévoyait-il de trahir les Grassier ?
Continue ! Maintenant que je vois que l'enquête avance, la hype monte !
Déjà, je suis contente que tu aies apprécié le retour de l'enquête, et que tu sois intrigué par tous ces détails. Pour ce qui est des points négatifs, je note pour l'incohérence et le passage "inutile" du restaurant. Comme d'habitude, la surexplication, ça ne change pas, mais je n'ai pas eu le temps de corriger (et ce sera le cas je pense jusqu'à la fin, j'en suis désolée), et j'ai préféré poster quelque chose qui n'est pas parfait mais poster quand même !
En tous cas, merci beaucoup pour ton commentaire ! Je t'avais promis que l'enquête allait bouger dans une deuxième partie de l'histoire ;)
FÉLICITATIONS POUR LE CONCOURS !!!!