Chapitre I

Nilem rentre des cours. Il a quinze minutes à marcher, comme tous les jours, pour rentrer chez lui. Une fois passé le portail de l’école, il releva la tête, ajusta son manches longues pour qu’il lui couvre le poignet, essaie de sourire et se met en marche. Il a tout juste 11 ans. Sa journée s’est bien passée, Hugo lui a seulement pris un de ses deux maigres sandwichs  sans demander son reste, sans le bousculer un peu. Il avait de quoi s’en réjouir. Ca faisait quelques jours qu’Hugo se montrait plus clément avec lui, à croire que la maîtresse l’avait sermonnée. Il n’y a pas plus grande aveugle qu’elle donc ça étonnerait Nilem. Une force supérieure avait peut-être agi sur la conduite de son camarade de classe. En toute honnêteté, Nilem s’en fichait. Le résultat était là et c’était tout ce qu’il comptait. 

Droite, tout droit, droite et gauche. Au bout de la dernière rue, il sortit les clefs de son sac trop grand pour lui et les introduisit dans la serrure. Dans un bâillement aiguë, celle-ci s’ouvrit sur le court couloir menant à la cuisine. Sa chambre et celle de sa mère étaient opposées, la cuisine étant au milieu. L’appartement était relativement petit, formant un T. Petit mais suffisant pour une famille de deux personnes. L'interrupteur crépita sous le doigt de Nilem et la lumière bleutée-blanchâtre illumina la pièce. Dehors, il faisait nuit depuis presque une heure, en Décembre, le soleil se couchait tôt. Alors que la plupart trouvent cette période morose par le manque de lumière, Nilem l’aimait. Il se sentait bien. C’était les couleurs qu’il aimait, elles reflétaient bien son quotidien. Le soleil cuisant de Juin n’était pas pour lui. Il aimait se dire dans sa tête que c’était un menteur. Le soleil de Juin est un menteur, il ne reflète pas la réalité. Il ne reflète pas sa réalité. Quand il fait tout beau dehors et tout mauvais dedans, c’est juste cynique, comme si on se moquait de lui. D’un soupir, il posa son sac à ses pieds et s’asseya sur la première chaise. Il quitta ses chaussures, sa mère détestait qu’il salisse la maison. Nilem, participant aux tâches ménagères, était d’accord avec elle et les quittait de bon cœur à chaque fois qu’il rentrait chez lui, c'est-à-dire en sortant des cours. Il n’a pas eu la chance de partir cet été, sa mère n’ayant pas les moyens. Il a donc préféré passer ces mois dans sa chambre, les yeux fixant le plafond. C’était un été très particulier. Mais il lui semble que ça ne l'a pas dérangé. Une fois ses chaussures rangées proche de la porte d’entrée, il entreprît d’ouvrir les tiroirs, voir si sa mère avait eu l’argent et l’envie d’aller faire les courses. Il parût que ce fût le cas : du pain de mie coupé en tranches se trouvait au fond d’un d’eux. Il en sortit qu’une tranche, pour éviter que sa mère lui fasse le reproche d’en avoir trop pris. Il s’assit alors sur une chaise et commença à grignoter son pain. Le silence était coupé par le bruit du frigo, ronronnement saccadé, en rythme avec les bouchées de Nilem. La lumière bleutée-blanchâtre tapait sur ses joues lisses. Il regarda l’heure : 17h25. Il avait deux heures avant que sa mère rentre du travail. En attendant, il était libre. Il prît donc encore plus son temps pour déguster sa part. Une fois les miettes restées sur la table déposées dans la poubelle, il prit son sac et l'emmena dans la chambre. Il tardait toujours à faire ses devoirs. Aujourd’hui, pris d’un élan, il s’assit sur le bord du lit et commença à regarder son agenda. Des exercices de maths. Rien de plus facile. Pas moins d’une demi-heure plus tard, le crayon levé, Nilem les avait achevés, toujours au bord de son lit. Il avait pris l’habitude de travailler d’ici. N’ayant pas de bureau, il était contraint de se poser dans la cuisine pour effectuer les tâches quasiment quotidiennes que lui demandait le collège. Mais depuis quelques semaines, Nilem n’aimait pas traîner dans cette pièce, il n’aimait pas traîner dans les pattes de sa mère, il en avait gardé l’habitude, même si elle n'était pas là. Peu avant son arrivée, il avait pris l’habitude, à la demande de sa mère, de faire bouillir l’eau pour y mettre des pâtes. Elle arriva quelques instants plus tard, quasiment à la fin de la cuisson. Sans un mot, elle claque la porte derrière elle, retire son écharpe, et s’assit d’un mouvement las sur une chaise. Elle regarde alors son fils, lui sourit sans montrer ses dents et, d’un geste de la tête montrant la casserole, lui demanda sans parler si elles étaient cuites. Sans un mot, Nilem souleva le couvercle, goûta puis les égoutta. En ramenant le plat au centre de la petite table, il vit sa mère s’allumer une cigarette. En baissant la tête, il mit la table avec le bruit du silex frottant la pierre pour en tirer une maigre étincelle. Une fois tout installé, il s’installa en face d’elle. Dans un râle rauque, elle lui demanda : 

- Sans huile ? 

Dans un dernier effort, il la posa à côté de sa mère. Ce furent les seuls mots prononcés de tout le repas. Ce même bruit de frigo les accompagnait, maintenant rythmé par deux bruits de bouche. Après avoir tout débarrassé, sous le regard désinvolte de sa mère derrière le nuage de fumée de sa deuxième cigarette, il se retroussa les manches pour faire la vaisselle. Après une toux grasse, sa mère lui dit : 

- M’en charge.

Sans un mot, Nilem remercia sa mère d’un hochement de tête et alla directement dans sa chambre sans demander son reste. Il sentit le regard de sa mère le suivre jusqu’à ce qu’il ferma la porte. Il s’allongea dans son lit, sans prendre la peine de se mettre en pyjama, et attendit. Ce plafond, avec ses tâches, ses micros fissures, ses aspérités, il le connaissait par cœur, il s’était imaginé un tas d’histoire, il avait donné des noms à ces détails là, des familles entières même s’étaient formées sous la puissance de son imagination. La famille fissure courait en quête de territoires toujours plus grands, elle commençait petit à petit à manger l’espace de la famille tâche. Il avait construit un tas d'histoires, des mois et des mois durant. Alors qu’il contemplait ce tableau, la chose qu’il attendait se produisit alors quelques minutes plus tard, il entendit sa mère se lever, ouvrir un tiroir puis se remettre à table. On attendit alors un bruit de bouchon résonnant dans l’appartement, puis le flot de liquide coulant dans un verre. Elle buvait. Nilem lui avait d’abord fait le reproche jusqu’à ce que sa mère lui en fît à son tour, lui reprochant de trop s’en faire, de trop s’en soucier. Il fallait qu’il la laisse tranquille. Mais lui, avait vu le changement. Au bout de la troisième clope, il l’entendit pleurer. Son cœur se serra. Pauvre mère. C’était ça tous les soirs. Nilem ne savait où elle allait chercher ses larmes. Il avait pleuré lui aussi mais jamais aussi longtemps et fréquemment que sa mère. Nilem serrait les dents, même si c’était tous les soirs la même chose, le poids dans son cœur ne s'atténuaient pas. A croire que, comme les larmes de sa mère, ce poids n’allait jamais se tarir. Ce fût près d’une heure après qu’il entendit sa mère se lever, Nilem se crispa. Le craquement du parquet sous les pas de sa mère se rapprochèrent, passèrent tout près de sa porte pour s’enfuir de l’autre côté, du côté de la chambre de sa mère. Il se détendit alors, la crispation lui valut une crampe. En serrant des dents, il se massa en attendant qu’elle passe. Il n'avait pas le droit de crier, d'émettre un bruit. Une fois qu’il entendait plus rien, il se leva doucement, se changea, mis son pyjama et se glissa sous sa maigre couverture. Il avait souvent froid mais c’était comme ça. Dans un frisson, un sourire se dessina sur ses joues, c’était une très belle journée. 

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Lachtie
Posté le 17/01/2025
Il est facile de rentrer dans l histoire. L'auteur transporte le lecteur dans la vie de Nilem. petit garçon tellement touchant. dans son contexte de vie difficile. Que va t il se passer pour lui? La suite est prometeuse, a suivre...
Marius
Posté le 17/01/2025
Belle histoire, belle plume, une histoire bien posée et bien cadrée, on y tombe en plein dedans dès le debut, nous sommes directement plongé dans l'atmosphère... j'attends qu'une seule chose, la suite !!
Miryam Pothin
Posté le 17/01/2025
Super ! Hâte de voir la suite, l’histoire est intrigante. Je me demande ce qu’il va arriver à Nilem !!!!!!!!!!!!!! Ahahahahahahahaahahahahahahahhahhahhhahahhhahahahaaah ( Je suis désolée il faut 150 caractères)
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