Il y avait, dans le Midwest, une ville fort charmante et elle portait le doux nom de « Fucker-the-Monk ». Cette bourgade des États-Unis avait l’habitude de renouveler tous les quatre ans le mandat d’un riche homme d’affaires en qualité de représentant à Washington. Cet homme s’appelait Konrad Wonder.
Il était réputé pour sa virtuosité vulgaire, son mépris pour les femmes et sa démarche de cow-boy si typique de la classe américaine. De son pays, il ne connaissait ni les classiques de la littérature, ni les chefs d’œuvre de son cinéma et se préoccupait encore moins de musique. En vérité, Konrad Wonder ne connaissait qu’une seule chose de l’Amérique : son drapeau. La bannière étoilée représentait l’alpha et l’oméga de son engagement politique, et s’il n’avait été constant que dans une seule chose, c’était bien dans la défense inconditionnelle et irraisonnée de cet étendard. Konrad Wonder faisait de la politique de cette façon : plutôt que de convaincre ses électeurs par la pondération, la mesure de ses propos, il s'évertuait plutôt à se montrer plus démocrate que les démocrates, plus républicain que les républicains, et quand cela ne suffisait pas, il tenait de longs discours sur la Nation américaine et assurait à son auditoire que Dieu leur avait donné cette terre pour sauver l’humanité du mal. La Nation était le grand sujet de Konrad Wonder. Cela plaisait. Les électeurs se laissaient convaincre même s’ils n’étaient pas satisfaits de son action, ils renouvelaient son mandat, qui pourrait – sinon lui – sauver l’Amérique ? Et aux élections suivantes, le même scénario se rejouait : personne n'était satisfait mais, l’essentiel résidait dans le fait que tout un chacun se préoccupait soudainement de l’état de l’Amérique, alors M. Wonder était réélu ; quatre années supplémentaires passaient... Et il en allait ainsi d'élection en élection dans une espèce de mécanique que rien ou presque n'aurait pu enrayer. En signe de reconnaissance pour ce territoire si averti de son avenir, Konrad Wonder avait fait construire un modeste pied-à-terre de quatre étages, douze salles de bain et autant de chambres dans les paysages bucoliques du Midwest. Il avait fait cela, disait-il, afin de rester le plus proche possible du quotidien de ses concitoyens.
Hélas, M. le représentant avait très peu de temps pour profiter de son humble demeure. Sa mission à Washington le retenait loin des siens même si une fois tous les quatre ans, il trouvait miraculeusement le temps d’y séjourner davantage et montrait une oreille plus attentive aux préoccupations de ses électeurs. De fait, la maisonnée était principalement occupée par les bien nombreux membres de la famille Wonder, à savoir : Mme Wonder et sa fille.
Cette dernière portait le délicieux nom de Bernadette. C’était une fille fort aimable et courtoise, avec suffisamment d’esprit pour entrer à l’Université de Berckley en septembre prochain. Ses yeux saphir surplombaient un nez en trompette éclairé par l’éclat d’un sourire de diamants quand celui-ci n’était pas caché par deux lèvres charnues. Ses cheveux d’un blond platine coulaient jusqu’à son séant qui était bien ferme et rebondi, sa taille n’excédait pas celle d’une guêpe et elle ne laissait deviner la forme de sa gorge que par un élégant décolleté qui lui tombait jusqu’au nombril. En deux mots, Bernadette était bien faite. Tellement bien faite qu’elle remporta avec brio le concours de beauté organisé dans la bourgade au printemps dernier : depuis le mois de mai, elle portait le titre convoité de « Miss Fucker-the-Monk ».
Il n’était donc pas rare d’observer de nombreux soupirants réclamant les faveurs de la belle Bernadette et parmi ceux-ci, se trouvait l’un de ses voisins qui avait son âge et qui répondait au nom de Roger Smith.
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Ce jeune homme avait un caractère brave, sportif et sensible. Il n’était pas idiot, même s’il fallait reconnaître qu’il ne faisait pas partie des esprits les plus subtils que la bourgade ait abrité dans ses rues. Roger affichait toujours un sourire éclatant accroché à une mâchoire carrée. Il avait un nez fin situé en dessous de deux yeux émeraude et la tignasse couleur châtain qu'il portait au-dessus du crâne, était toujours soigneusement peignée et coiffée. Roger affichait toujours un enthousiasme certain à l’accomplissement de quelconque tâche. Il pouvait rendre service à quiconque avait besoin de lui, surtout s’il s’agissait d’un membre de l’équipe de football américain dans laquelle il avait bâti ses muscles saillants. En un mot, Roger était gentil et sa nature était si peu belliqueuse qu’il avait une tendance – quelque peu excessive – à appréhender chaque aléa de la vie sous un angle positif, pour ne pas dire optimiste.
Roger tenait cette confiance dans la providence grâce aux précieux enseignements du professeur Andrew Foolish. Cet intellectuel émérite avait étudié par le menu : l’épistémologie des sciences inexactes en milieu aquatique, la philosophie de la fourchette dans les tribus massaï de Tanzanie, la musicologie des coquillages pour les muets, l’herméneutique de l’inconscient chez les patients atteints de cancer de la cataracte et la phénoménologie politique des épicéas dans les îles Féroé. Bien que ses études fussent brillantes, ce pauvre professeur Foolish ne parvint jamais à obtenir quelconque doctorat car, assurait-il, il était pionnier dans chacune de ces sciences et que leurs chaires n’avaient pas encore été créées. Il ne possédait qu'un honnête MBA (Mediocre But Arrogant) qu'il avait obtenu au sein de la si froide (so cold) école de Chicago, et ce diplôme pouvait tout aussi bien signifier « Management By Accident », « Most Biggest Assholes » ou encore « Master Bullshit Artist » selon l'école qui le délivrait. Andrew Foolish assurait, à qui voulait bien l'entendre, qu'une telle polysémie de son titre gageait de la valeur de ses qualifications, et que s’il avait accepté ce modeste poste de professeur d’économie au sein de la Junior High School de Fucker-the-Monk, c’était dans un unique souci d’humilité vis-à-vis de ses pairs...
Roger était un élève aussi épris de philosophie matérialiste qu’il était épris de Bernadette. Il se faisait remarquer par son assiduité lors de ces classes et par chance, Bernadette manifestait, elle aussi, un goût prononcé pour cette discipline. Tous deux buvaient les paroles du professeur Foolish. Il assurait sans peine que l’économie de marché était le moins mauvais des systèmes politiques pour l’homme ; en conclusion de quoi, il statuait qu’il s’agissait là du meilleur des modèles de société possible, et par ces mots, il fallait comprendre : le meilleur des mondes. Roger et Bernadette apprenaient que l'Homme était parfaitement rationnel et qu'il calculait chacune de ses décisions en fonction de son propre intérêt ; rien d’autre n’entrait en compte ! Dans ce processus de rationalité, il fallait toujours calculer au pire. Ainsi, chaque homme était une menace vis-à-vis de ses semblables : homo homini lupus est, prononçait-il d’une façon docte et ridicule. Mieux qu'une menace, un concurrent ! De fait, la concurrence et la compétition ne pouvaient être que le lieu où les rapports humains pouvaient se construire puisque, rappelons-le, l'Homme est parfaitement rationnel. La rationalité appelait la concurrence, la concurrence appelait la rationalité, c’était là le meilleur des mondes possibles, quoi de plus logique, quoi de plus rationnel ?
Cet éloge de la rationalité absolue permettait au professeur d’établir une hiérarchie dans l’ordre du monde. Il y avait d’abord l’homme et ensuite la femme, le fort puis le faible, le commerce puis le reste, la culture puis la nature. Et c’était faire acte d’hubris de vouloir déroger à cet ordre naturel, la liberté de chacun en dépendait, voyez-vous ! Et comme il est proprement inhumain de priver un homme de sa liberté, le meilleur dessein possible consistait à ne vouloir rien changer à l’état du monde. Il en allait ainsi à longueur d’heure, tantôt Bernadette étudiait des courbes fictives d'offres et de demandes, tantôt Roger calculait qu'il y avait plus d'intérêt à fermer une usine dans le Midwest, délocaliser une partie de la production en Asie du sud-est, délocaliser une autre partie en Inde, assembler le tout en Afrique du nord et enfin vendre la marchandise à Détroit. Et au professeur Foolish de conclure chacune de ses classes en prononçant ces mots : Chacun pour soi et Dieu pour tous !, maxime reprise en cœur par ses élèves passionnés : Chacun pour soi et Dieu pour tous !
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Un jour, alors que le cours d’économie du professeur Foolish s’était terminé en fin d’arpès-midi, Roger et Bernadette se retrouvèrent seuls à discuter de cette classe sur le chemin qui les ramenaient de la Junior High School. Ils poursuivaient le débat qui s’était tenu avec le professeur et tous deux se passionnaient sur le fait qu’ils étaient d’accord sur tout. Et comme il faut bien des heures pour être sûr que l’on est bien d’accord sur tout, c’est assez naturellement que Bernadette invita Roger à poursuivre cette discussion dans l’humble demeure de M. Wonder.
Ils s’installèrent dans les appartements d’été de Bernadette car elle disposait d’une chambre pour chaque saison. Au fil des heures, les esprits chauffèrent et les corps n’en firent pas moins. Alors que Roger et Bernadette se retrouvaient tous les deux à deviser sur le lit à baldaquin de la jeune femme, celle-ci, trouvant peut-être le temps long, laissa tomber par inadvertance un mouchoir au sol. Les deux jeunes gens s’empressèrent d’aller le ramasser et dans ce mouvement, la main de Roger effleura celle de Bernadette. Le rouge leur monta aux joues, et Roger s’enhardit l’espace de quelques secondes à vouloir prendre la main de son amie. Par réflexe, Bernadette la retira puis, ne pouvant nier son trouble et les sentiments qu’elle commençait à nourrir à l’égard de son ami, elle lui répondit en posant furtivement ses lèvres sur celles de son compagnon.
Les caresses qui suivirent osèrent tout et bientôt les deux jeunes gens se retrouvèrent aussi nus qu’au jour de leur naissance. Il ne fallut que quelques minutes ensuite pour que l’un comme l’autre perdirent leur pucelage. Hélas, la discrétion n’est pas le fort des amants qui se découvrent pour la première fois de leur existence, et durant leurs ébats, Mme Wonder crut qu’il arrivait malheur à sa fille. Ainsi, alors que Roger et Bernadette perdaient tout contrôle dans leurs étreintes, Mme Wonder pénétra brusquement dans les appartements d’été de sa fille…
ce chapitre m'a quelques fois fait sourire tant il est parsemé de clichés grotesques et donc rempli d'humour. Je suis interpellée par le nombre de mandats de M.Wonder vu qu'on ne peut en réaliser que 2 au USA...
Je me demande où cette histoire va mener. Est-il question d'un livre humoristique imprégné d'une romance ou le contraire? ou bien vais-je être surprise par une tournure inattendue?
Au plaisir
Ella Palace